Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi, qui a été déposé sur le bureau du Sénat en avril 2007 par le Gouvernement Villepin puis ajourné pour cause d’élections, fixe une série de dommages écologiques qu’il convient de prévenir ou de réparer. Il s’agit des atteintes graves aux sols, aux eaux, aux espèces ou habitats naturels protégés.
Ce texte précise en particulier qu’il revient à l’exploitant de l’activité professionnelle causant ou risquant de causer des dommages à l’environnement de prendre à ses frais les mesures de prévention ou de réparation nécessaires. Sur ce « chapeau », si je puis dire, tout le monde est susceptible de s’accorder.
La question de la responsabilité est centrale, car elle conditionne totalement l’application des procédures et des réglementations. En effet, le système juridique ne promeut pas un cercle vertueux dans lequel chaque acteur de la chaîne peut voir sa responsabilité engagée. Les réglementations, même les plus sophistiquées, risquent de rester lettre morte.
Le nouveau régime de responsabilité met en œuvre les articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement, qui a été adoptée le 28 février 2005 par le Parlement réuni en Congrès. Personnellement, je n’avais pas pris part au vote, car ce projet de loi constitutionnelle présentait à mes yeux une emphase inutile, un lyrisme souvent superfétatoire et, pour tout dire, une incantation normative qui n’était pas forcément de mise. Le principe général de précaution, tel qu’il était énoncé, comportait un risque de judiciarisation à outrance de la vie publique.
Mais aujourd’hui, nous en sommes assez loin, dans la mesure où, notamment dans le texte que nous avons voté sur les OGM, le principe de précaution est, si vous me permettez l’expression, « jeté par-dessus les moulins », et, je n’aurai pas la cruauté de le rappeler, par ceux-là mêmes qui avaient voté la Charte de l’environnement.
Certes, on est revenu à un peu plus de simplicité, car on a échappé à ce que je qualifiais d’incantation normative et de style superfétatoire : il était notamment précisé que « la Charte est appelée s’intégrer à la matrice de nos droits fondamentaux, à côté de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et du préambule de la Constitution de 1946 ». J’ai le sentiment que le projet de loi actuel, comme le texte de 2005, est un peu en retrait par rapport à ces blocs de granit qui fondent à la fois nos institutions et notre République.
Je regrette que l’urgence ait été déclarée sur le présent projet de loi. Je regrette également que la concertation n’ait été que de façade. Le Gouvernement veut se montrer vertueux – d’aucuns diront qu’il a encore du chemin à faire pour atteindre cet objectif !
Si nous partageons tous la volonté du Gouvernement d’adopter une attitude vertueuse, notamment au moment de prendre la présidence de l’Union européenne, nous constatons que, quoi qu’il en dise, celui-ci n’a pas consulté tous les acteurs du monde associatif.
De plus, si ce projet de loi concerne plusieurs dossiers traités dans le Grenelle de l’environnement, il est évident que le Gouvernement profite de l’occasion pour transposer une série de directives en souffrance et concernant, en particulier, la pollution des navires, la qualité de l’air ambiant, les quotas d’émission de gaz à effet de serre et les déchets électroniques. La méthode utilisée apparaît à l’évidence insatisfaisante. Pourtant, la démarche adoptée dans le cadre du Grenelle de l’environnement se voulait exemplaire en termes de concertation.
Le projet de loi pose le principe de réparation des dommages écologiques purs, c’est-à-dire indépendamment de toute atteinte à des biens ou des personnes. Il est donc question non pas d’indemnisation, mais uniquement de réparation en nature.
À cet égard, plusieurs questions se posent. Sera-t-il toujours possible de rétablir l’état antérieur aux dommages ? Que se passera-t-il en cas de défaillance de l’exploitant ? Certes, M. le rapporteur a semblé nous rassurer en disant que les sociétés mères devraient intervenir à un moment ou à un autre. Mais ces propos sont en décalage avec ce que M. le Président de la République affirmait l’an dernier : « il n’est pas acceptable que le principe de responsabilité limitée devienne un prétexte à une irresponsabilité illimitée ». Nous sommes là au cœur du problème, me semble-t-il, et, à l’évidence, nous n’éviterons pas ces écueils.
Ce projet de loi ne tient pas non plus compte des pollutions diffuses, qui ne sont découvertes que longtemps après les faits, des pollutions au quotidien de l’atmosphère ou encore des OGM. Les dérogations et exonérations pointent à l’horizon. Certaines sont justifiées, mais il n’est pas pensable qu’un acteur économique de la chaîne puisse s’exonérer a priori de toute responsabilité.
La question de l’assurance, qui est certes complexe, n’a pas été posée, bien qu’elle soit extrêmement importante, notamment en matière d’OGM ou de nanotechnologies. La politique constante des compagnies d’assurance est de refuser la couverture assurantielle dès lors que l’aléa reste inconnu.
Au-delà de ces interrogations, en tant qu’élu d’un département dont la richesse principale est son patrimoine naturel, je ne peux qu’être favorable à la notion de défense du milieu naturel et à un régime de responsabilité environnementale. Toutefois, j’attends avec beaucoup d’intérêt les amendements qui amélioreront ce texte.
Vous me permettrez également de regretter que la simplicité ne soit pas de mise pour ce texte, comme elle l’a été pour les textes antérieurs, qu’il s’agisse de la loi Montagne, de la loi Littoral, ou encore de la loi Lepage de 1996, laquelle disposait que « chacun a le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ». Ces textes posaient des principes simples, sur lesquels il était possible de fonder une forte défense de l’environnement.
Je ne suis pas certain que le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui soit aussi bien compris par l’ensemble de nos concitoyens. Cependant, je ne doute pas, madame la secrétaire d’État, que vous ferez œuvre pédagogique, avec l’assistance de M. le rapporteur, afin que nous soyons totalement éclairés sur ce texte qui nécessite encore, pour que l’opinion publique s’en empare pleinement, quelques efforts de pédagogie que, les uns et les autres, nous sommes prêts à assumer.