Intervention de Daniel Soulage

Réunion du 27 mai 2008 à 16h15
Responsabilité environnementale — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Daniel SoulageDaniel Soulage :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, selon une enquête Eurobaromètre publiée le 14 mars dernier, l’environnement est devenu une préoccupation majeure pour les citoyens européens : plus de 95 % d’entre eux pensent qu’il est important de le protéger, tandis que 80 % estiment que leur qualité de vie en dépend.

Par ailleurs, plus des deux tiers des Européens préféreraient que les décisions d’ordre environnemental soient prises au niveau de l’Union plutôt qu’à l’échelon national.

Une importante majorité – 82 % – juge qu’une législation européenne harmonisée est nécessaire dans le domaine de l’environnement et que l’Union européenne doit aider les pays tiers à améliorer leurs normes en la matière. L’Union a donc un rôle capital à jouer dans ce domaine, et ce d’autant plus que les atteintes à l’environnement ne s’arrêtent pas à nos frontières.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à transposer la directive du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

Cette directive est le fruit d’un compromis élaboré par les parties prenantes de l’Union européenne après quinze années de négociations. Première législation communautaire comptant parmi ses objectifs principaux l’application du principe pollueur-payeur, elle établit un cadre commun de responsabilité en vue de prévenir et de réparer les dommages causés aux animaux, aux plantes, aux habitats naturels et aux ressources en eau, ainsi que les dommages affectant les sols.

Le régime de responsabilité s’applique, d’une part, à certaines activités professionnelles explicitement énumérées et, d’autre part, aux autres activités professionnelles lorsque l’exploitant a commis une faute ou une négligence. En outre, il appartient aux autorités publiques de veiller à ce que les exploitants responsables prennent eux-mêmes, ou financent, les mesures nécessaires de prévention ou de réparation.

Le principe pollueur-payeur, qui sous-tend ce projet de loi, est un principe déjà ancien, puisqu’il a été énoncé pour la première fois le 26 mai 1972, dans une recommandation de l’OCDE. Le Conseil des Communautés européennes a adopté, à peu près à la même époque, ses premières recommandations sur la question. Inséré dans l’Acte unique européen, ce principe est devenu depuis une norme juridique opposable à tous et l’un des piliers de la politique communautaire de l’environnement.

En droit français, le principe pollueur-payeur est sous-jacent à l’ensemble des dispositions imposant des taxes ou redevances à certains pollueurs. Il n’est devenu une règle de droit positif qu’avec la loi du 2 février 1995. Le code de l’environnement le définit ainsi comme le principe « selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Enfin, la Charte de l’environnement en a fait un principe de valeur constitutionnelle.

Ainsi, si cette directive n’est pas novatrice sur les principes, elle a le mérite de fixer un cadre commun au niveau européen pour tous les dommages causés aux milieux naturels par les activités professionnelles. Son champ d’application est considérable, car on estime à 300 000 environ les sites européens déjà pollués ou soupçonnés de l’être.

En novembre 2002, la délégation du Sénat pour l’Union européenne avait déposé une proposition de résolution relative au projet de directive, dont mon collègue Marcel Deneux était le rapporteur. La plupart des critiques qui avaient alors été émises sur le projet de directive peuvent aujourd'hui être formulées sur le projet de loi, car celui-ci reprend très exactement les dispositions communautaires.

Tout d’abord, le champ d’application de ce texte est très circonscrit. Après avoir affirmé la règle générale – réparation des dommages potentiels ou avérés causés à l’environnement ou à la santé –, le texte énumère toute une série d’exemptions, qui en limite largement la portée. Sont notamment exclus les dommages qui ne pouvaient être prévus sur la base des connaissances techniques et scientifiques au moment des émissions ou des activités à l’origine des atteintes environnementales et les dommages prévus et indemnisables par différentes conventions internationales spécifiques – pollution par les hydrocarbures, par les hydrocarbures de soute, par les substances nocives transportées par mer, par les marchandises dangereuses acheminées par route, rail et bateaux de navigation intérieure –, y compris les accidents d’origine nucléaire relevant des textes Euratom et autres conventions.

Ensuite, ce texte mélange les régimes de responsabilité, empêchant ainsi la compréhension claire du système qu’il vise à instaurer. Il juxtapose, en effet, deux types de responsabilité du pollueur : une responsabilité sans faute, pour un certain nombre d’activités professionnelles dûment répertoriées, avec le risque, d’ailleurs, d’établir une énumération incomplète, dépassée ou erronée ; une responsabilité pour faute, et seulement dans le cas d’atteintes à la biodiversité, pour toutes les autres activités professionnelles.

Enfin, les définitions retenues par le texte manquent de précision. Je me réjouis donc que M. le rapporteur ait proposé à la commission plusieurs amendements visant à clarifier un certain nombre de termes comme ceux d’exploitant, d’habitats et d’espèces, et d’état initial.

Au demeurant, des avancées importantes ont été obtenues. Le Gouvernement a ainsi fait le choix, que les sénateurs centristes approuvent, de ne pas insérer dans le projet de loi une exonération pour les exploitants bénéficiant d’un permis d’exploitation, exonération laissée par la directive à la discrétion des États membres. À nos yeux, il est normal que la responsabilité de l’exploitant soit engagée, même lorsque celui-ci détient un permis d’émission de substances polluantes.

Nous sommes également satisfaits que le projet de loi ne prévoie pas d’incitation à la conclusion de contrats d’assurance. Seuls deux États, l’Allemagne et l’Espagne, ont défini à ce jour un mécanisme de garanties financières et plusieurs États membres ont précisé que leurs projets de transposition respectifs ne comporteront aucun volet spécifique en la matière. Je partage donc entièrement la position de M. le rapporteur sur ce point. En effet, seule la mise en œuvre du projet de loi montrera comment est appréciée concrètement la gravité d’un dommage, quelles mesures de réparation doivent être mises en œuvre et quel en est leur coût. Il est donc préférable de laisser l’offre assurantielle se développer d’ici à 2010, y compris au niveau européen, et d’envisager à cette date, en concertation avec nos partenaires européens, le meilleur système à mettre en œuvre.

Par ailleurs, madame la secrétaire d'État, je souhaite que vous nous apportiez une précision sur la position française quant à la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales. La définition de l’exploitant retenue dans ce projet de loi indique clairement que cette notion ne saurait s’appliquer à l’actionnaire, aux établissements de crédit, aux autorités chargées du contrôle administratif ou à des autorités de tutelle.

En revanche, aux termes de l’article 43 du projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, qui sera prochainement étudié, « la France portera au niveau communautaire le principe de la reconnaissance de la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales en cas d’atteinte grave à l’environnement. Elle défendra ces orientations au niveau international. » J’entends bien que, dans un souci de maintien de la compétitivité de notre économie, pour ne pas faire peser des contraintes trop fortes sur nos entreprises, il convient de « coller » le plus possible à la définition prévue dans la directive. Mais n’y a-t-il pas là une certaine incohérence entre l’effet d’annonce du Grenelle et la réalité législative ?

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