Intervention de Charles Gautier

Réunion du 18 novembre 2009 à 14h30
Lutte contre les violences de groupes — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Charles GautierCharles Gautier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voici une proposition de loi que j’ai déjà l’impression d’avoir combattue. En effet, cela fait maintenant sept ans que, régulièrement, nous travaillons sur ce sujet et le Gouvernement apporte inlassablement la même réponse.

Ce discours pourrait être celui que j’ai prononcé en 2002, lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, ou celui que je prononce chaque année, lors de la discussion du projet de loi de finances, sur la mission « Sécurité », ou encore celui que j’ai prononcé à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Je n’entrerai pas dans le détail ; la liste serait bien trop longue ! En effet, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le quinzième texte en matière de sécurité depuis 2002...

Encore une fois, ce texte fait suite à un fait divers et, en l’occurrence, il fait écho à l’intrusion, dans un lycée professionnel de Gagny, de plusieurs individus portant des cagoules et munis de barres de fer. Il pose la question de la surenchère sécuritaire du Gouvernement, qui durcit la législation pénale à chaque fait divers.

Le discours qui entoure ce texte a d’ailleurs évolué pour s’adapter aux événements survenus à Poitiers en octobre dernier. À cette occasion, M. le ministre de l’intérieur avait déclaré vouloir « dissoudre les groupuscules violents ». De nombreuses personnes, qui s’inquiètent du risque d’extension de l’incrimination concernant les bandes aux nouvelles formes de mobilisation et d’action militantes, nous ont alertés lors de la publication de la présente proposition de loi.

Monsieur le secrétaire d’État, l’arsenal législatif permettant aux services de renseignements de ce pays d’enquêter et de localiser les individus en question n’existe-t-il pas déjà ? Le contraire serait inquiétant ! Vous vous en tenez, encore une fois, à l’affichage politique dont vous êtes coutumier, afin de flatter une partie de votre électorat, en sachant pertinemment que ces mesures sont soit totalement inutiles, soit dangereuses.

Je m’attacherai tout d’abord à vous montrer, mes chers collègues, en quoi ce texte est inutile.

Les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat se fondent sur une étude de la direction centrale de la sécurité publique portant sur les bandes identifiées et dont les auteurs reconnaissent eux-mêmes que la différence entre un groupe momentané et une bande structurée est difficilement qualifiable. La nature des liens qui réunit les membres est variable, depuis les bandes de quartier qui s’approprient un territoire jusqu’aux groupes très spontanés qui se forment pour en découdre.

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’évoque jamais les raisons de ces attroupements violents. À aucun moment, son auteur ne cherche une explication à ces violences. Or leur explosion dans les quartiers défavorisés résulte en grande partie de la politique gouvernementale, qui attise les malaises sociaux, aggrave les inégalités territoriales, accentue la ghettoïsation…

Cette proposition de loi est d’ailleurs une illustration de cette réalité. Elle ne contient aucune mesure de prévention, ne portant que sur le renforcement des sanctions. Lors de son examen en commission, M. le rapporteur a lui-même reconnu qu’il s’agit d’apporter aux forces de l’ordre et aux magistrats « un certain nombre de solutions adaptées à la spécificité des violences commises en bandes ». Il reconnaît donc que cette proposition de loi n’a aucune vue préventive, qu’elle ne concerne en rien la prévention de la délinquance.

L’article 3 est à cet égard caractéristique. Il vise à créer une circonstance aggravante de « dissimulation volontaire de tout ou partie du visage » pour de nombreuses atteintes aux biens et aux personnes. Nous cherchons encore le caractère préventif de cette mesure… Sur le fond, on affirme ainsi qu’un acte est moins grave si son auteur n’a pas cherché à dissimuler son visage ! La justice appréciera !

Ce texte n’a qu’un seul objet : permettre aux forces de l’ordre d’appréhender, d’incarcérer et de ficher. Alors que vous nous parlez beaucoup de vidéosurveillance, monsieur le secrétaire d’État, le système mis en place est en réalité celui de la « fichéosurveillance » !

Les violences qui ont eu lieu à Gagny en mars dernier n’auraient-elles pu être évitées si des adultes avaient été présents en plus grand nombre dans l’établissement ? Mais le Gouvernement choisit de supprimer les postes de surveillant.

Les dégradations qui ont eu lieu à Poitiers n’auraient-elles pu être évitées si les forces de l’ordre avaient été plus nombreuses et mieux préparées ? Ne s’agit-il pas, tout simplement, d’une question de moyens ?

Tous les acteurs de terrain que je rencontre régulièrement l’affirment, le problème particulier des bandes relève non pas de la loi, mais des actions locales des CLSPD, les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Quant à la justice, elle doit multiplier les travaux d’intérêt général et prendre des mesures d’éloignement des quartiers. Mais elle n’a pas les moyens de s’engager résolument dans cette voie, ces mesures étant, hélas, onéreuses.

L’inutilité de ce texte apparaît de manière flagrante quand on sait qu’il ne comporte que des incriminations déjà existantes. Les syndicats de magistrats auditionnés par la commission l’ont bien souligné, les dispositions actuelles du code pénal permettent d’ores et déjà de réprimer les infractions visées : délinquance en bande organisée, guet-apens, embuscade, attroupement, rébellion, association de malfaiteurs, violences aux personnes, vols, destructions et dégradations commises en réunion… Tout cela est déjà prévu !

M. le rapporteur rappelle lui-même que le « droit pénal n’était pas totalement démuni face aux violences commises en groupe ». Bel euphémisme ! Il admet plus loin qu’il manque aux autorités les moyens d’agir préventivement contre les bandes.

Néanmoins, je tiens à saluer le fait que M. le rapporteur a tout de même permis la suppression, en commission des lois, des articles les plus mal rédigés de ce texte, dont les dispositions étaient, selon ses propres mots, « déjà satisfaites par le droit en vigueur ». Pire, la commission a dû « restaurer une certaine cohérence dans l’échelle des peines retenue par le texte ». Par exemple, l’instauration du délit de groupe, tel que défini dans la rédaction initiale, aurait conduit à punir plus sévèrement l’intention de commettre que la commission du délit elle-même !

Ce texte est également dangereux.

En premier lieu, des dérives restent possibles, les dispositions prévues pouvant concerner les nouvelles formes de contestation et de mobilisation. En effet, le caractère très général des formulations pourrait permettre d’appliquer ce texte bien au-delà de ce que prévoit son exposé des motifs, par exemple aux occupants illégaux de logements vacants qui contestent la politique du logement du Gouvernement, aux faucheurs d’OGM ou à n’importe quel citoyen présent lors de la dispersion d’une manifestation au climat tendu !

Les propos tenus par M. le ministre de l’intérieur après les événements de Poitiers, en octobre dernier, ne nous ont pas rassurés sur ce point, bien au contraire : être suspect, c’est être coupable ; être un opposant, c’est être un délinquant !

En second lieu, cette proposition de loi remet en question la liberté individuelle, à laquelle le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle.

Son article 1er vise à instaurer un délit de groupe, donnant naissance à une responsabilité pénale collective. Or la Cour de cassation a introduit en matière pénale deux principes fondamentaux à valeur constitutionnelle : nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Cet article risque d’établir une responsabilité collective, en permettant de juger une personne pour des actes qu’une autre personne aura eu l’intention de commettre ou aura commis. M. le rapporteur a souhaité le modifier, afin de le rendre plus conforme à nos principes constitutionnels. Cependant, la rédaction adoptée par la commission n’est toujours pas convaincante. Certains juristes plaident déjà pour un recours devant le Conseil constitutionnel, compte tenu des menaces que ce texte fait peser sur les deux principes à valeur constitutionnelle que j’ai rappelés.

De nombreux commentateurs ont comparé cette proposition de loi à la loi dite « anti-casseurs » de 1970. Souvenons-nous : l’application de ce texte avait entraîné des poursuites contre des syndicalistes, et non contre des groupes armés ! C’est la raison pour laquelle François Mitterrand en avait demandé l’abrogation au Parlement dès son arrivée au pouvoir, en 1981.

Nous ne pourrons donc, mes chers collègues, voter un texte si vide de sens et si dangereux pour nos concitoyens.

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