Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c’est encore dans un contexte de crise – certes un peu moins généralisée qu’en 2009 –, de baisse des revenus agricoles et de budget contraint que s’inscrit aujourd’hui l’examen du projet de budget pour 2011 de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », quelques mois après le vote de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont on ne sait pour l’heure si elle apportera ou non des résultats, notamment en matière d’amélioration des revenus agricoles.
Le monde agricole a les yeux rivés sur la réforme de la PAC projetée par la Commission européenne ; au lendemain de la publication de la communication qui devra être débattue d’ici à 2012, il est partagé entre l’espoir et l’inquiétude.
La conjoncture n’est toujours pas réjouissante pour la « ferme France » : après une baisse des revenus de 23, 4 % en 2008, puis de 34 % en 2009, les productions bovine et porcine sont en très grande difficulté ; quant au prix du lait, s’il est en hausse de 10 % par rapport à 2009, rappelons qu’il est au même niveau qu’au début des années 2000.
La hausse des cours des céréales, et donc du prix des aliments pour animaux, illustre de façon éloquente le rôle néfaste joué par les spéculateurs des marchés financiers ainsi que les opérateurs de la filière, qui spéculent eux aussi. Alors que les stocks et la production de 2010 suffisent amplement à satisfaire la consommation mondiale, les pays assistent, impuissants, à une flambée artificielle des prix, au profit des spéculateurs et au détriment des producteurs ainsi que des pays pauvres, où la famine s’amplifie. Oui, monsieur le ministre, la spéculation sur les denrées agricoles est un délit contre les États, et un crime contre les pays pauvres. Il est urgent d’y mettre un terme au plus haut niveau !
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ne semble pas, pour l’instant, susciter l’enthousiasme ; en matière de contractualisation équilibrée, pour beaucoup d’acteurs de la transformation et de la grande distribution, le plus tard semble être le mieux ! À ce titre, le cas de la filière laitière relève surtout d’un rapport de force établi par les industriels, qui ont court-circuité l’interprofession par le biais d’un alignement sur la faible hausse des prix constatée en Allemagne. Ils contiennent la production française en important à bas prix du lait allemand. Les premiers travaux pratiques consécutifs à l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche n’auront pas été concluants…
La suppression des rabais, remises et ristournes, les « 3 R », va dans le bon sens, au moins sur le plan théorique, mais les pratiques de déréférencement se poursuivent, de même que l’exigence de livraisons supérieures aux quantités facturées. Pour être en mesure de mettre de l’ordre, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, aurait besoin d’une « RGPP inversée », c’est-à-dire de la création de deux emplois pour chaque départ à la retraite.
L’Observatoire de la formation des prix et des marges suscite beaucoup d’espoir en matière de transparence dans la constitution des prix et la répartition des marges. Cependant, si les éléments sont assez aisés à établir pour les produits bruts ou peu transformés, cela risque d’être beaucoup plus compliqué pour les produits élaborés. Formons le vœu que le jeu de cache-cache pratiqué entre transformateurs et grande distribution ne serve pas de prétexte pour refuser de délivrer des éléments chiffrés précis, au motif qu’ils relèveraient du secret commercial. Si la transparence s’établit, le plus difficile restera néanmoins à faire, à savoir fixer les règles de répartition des marges, pour que les producteurs ne soient plus la variable d’ajustement du marché.
Si ce lourd dossier trouvait une issue convenable, avec l’instauration de prix rémunérateurs pour toutes les productions et filières, le monde agricole aurait beaucoup moins à craindre des évolutions en cours de la politique agricole commune. Quelques jours après la diffusion des premières informations sur ce que pourrait être la PAC d’après 2013, notre sentiment est mitigé ; cela est normal, direz-vous, pour des eurosceptiques !
Nous voulons être constructifs, mais pas naïfs : jusqu’à présent, tous les textes ont été dotés d’un habillage suffisamment flatteur pour les rendre présentables.
Pour autant, nous partageons la préoccupation de la Commission européenne en matière de sécurité alimentaire, de revenus agricoles, de valorisation des territoires ruraux et de préservation des ressources naturelles. Le plafonnement des aides et la notion d’ « agriculteur actif » devraient théoriquement contribuer à instaurer davantage de justice et d’équité dans la répartition des aides.
Les petites exploitations semblent trouver leur place dans le processus en cours. Il est vrai que 70 % des exploitations européennes ont une superficie inférieure à cinq hectares.
En outre, les défis environnementaux de demain, en matière d’émissions de gaz à effet de serre, d’érosion des sols, de qualité de l’eau et de l’air ou de biodiversité, sont pris en compte.
Passons maintenant aux aspects négatifs et aux lacunes.
Aucune précision n’est donnée sur l’évolution du budget européen qui sera consacré à l’agriculture – ainsi qu’à l’environnement et aux hommes, devrait-on ajouter. Aujourd’hui, cette politique représente 41 % du budget européen et 0, 5 % du PIB de l’Union européenne.
De même, nous n’avons aucune indication sur la convergence des aides. Seront-elles identiques dans tous les pays ou adaptées en fonction des efforts consentis en matière de protection de l’environnement ou de production, ainsi que du niveau social de chaque pays ?
Dans le rapport sénatorial consacré à la politique agricole commune, je suggérais de concevoir ces aides comme un levier pour une harmonisation sociale progressive par le haut à l’échelle européenne. À défaut, nous risquons d’assister à une accentuation des distorsions de concurrence entre pays.
On ne trouve pas davantage d’informations en matière de développement de la production de protéines végétales, alors que les besoins de l’Union européenne sont couverts à 75 % par les importations. Une dépendance aussi importante se paie très cher au sein de l’Organisation mondiale du commerce, où le « Monopoly » des échanges risque d’aggraver encore la situation.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des reproches qu’on peut lui faire, la future PAC s’inscrit, dans le cadre du traité de Lisbonne, au sein d’un marché très ouvert, sans réelle préférence communautaire. Par conséquent, la dure loi des marchés et de la mondialisation risque de vaincre les meilleures volontés d’assurer un revenu décent aux agriculteurs, de lutter contre la délocalisation des productions et la désertification des territoires, qui risquent de jeter des milliers de familles dans la pauvreté…
Monsieur le ministre, permettez-moi à présent d’appeler votre attention sur quelques sujets qui nous tiennent à cœur.
La question du plan de modernisation des bâtiments d’élevage, le PMBE, a été évoquée par de nombreux membres de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Le retard pris est préjudiciable non seulement à notre compétitivité, mais également aux conditions de travail des éleveurs et au bien-être animal. Il n’est toutefois pas surprenant que les crises à répétition n’incitent pas à l’investissement. Qu’allez-vous proposer sur ce point, monsieur le ministre ?
En ce qui concerne le cheval de trait breton, la situation est alarmante, au lendemain de la réforme des Haras nationaux, qui conduit à leur liquidation progressive au profit du GIP France Haras et de l’Institut français du cheval et de l’équitation, l’IFCE, qui ne remplissent pas les missions assignées.
Dans les Côtes-d’Armor, sept foires chevalines rassemblent chaque année 1 500 chevaux et des dizaines de milliers de participants. En outre, des concours et des spectacles sont organisés au haras de Lamballe. Le nombre de chevaux a baissé de 10 % en 2010, ce qui est particulièrement inquiétant pour l’avenir. L’abandon de l’étalonnage à la ferme et la location d’étalons découragent des éleveurs pourtant passionnés. Par ailleurs, les cours de la viande chevaline oscillent entre 1, 40 et 1, 70 euro le kilo, ce qui n’est pas rémunérateur.
Monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour que, demain, les grandes races de chevaux de trait ne disparaissent pas au profit des chevaux de course et des chevaux légers de loisir ? Les moyens existent pour prévenir une telle évolution : plus de 607 millions d’euros ont été prélevés sur les recettes du PMU en 2010, mais cette ressource est désormais diluée dans le budget général.
Monsieur le ministre, nous nous interrogeons également sur les circuits courts, qui ne concernent d’ailleurs pas que l’agriculture biologique, et sur les difficultés souvent rencontrées par les collectivités territoriales eu égard au code des marchés publics, auquel vous vous étiez engagé, au cours du débat sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, à apporter les modifications nécessaires.
Un autre sujet d’inquiétude est la mainmise progressive de la grande distribution sur les produits bio, dont elle assure aujourd’hui la commercialisation à hauteur de 45 %. La grande distribution recourt au label européen, qui est moins contraignant et moins éthique. Des produits de provenance souvent lointaine, issus de l’exploitation des hommes et des territoires, obtiennent beaucoup trop facilement une certification en France. Cette question est à relier à celle des circuits courts, qui sont plus propres que les autres à garantir l’origine des produits, le revenu des producteurs et des prix abordables pour tous les consommateurs.
Par ailleurs, monsieur le ministre, au fil des crises agricoles, et plus particulièrement au sein de la filière porcine, de nombreux agriculteurs croulant sous les dettes sont contraints de tout arrêter ou de devenir les salariés-exploitants de leur coopérative. Ce phénomène, peu souvent évoqué, prend de l’ampleur. L’outil agricole échappe progressivement aux agriculteurs. Aussi, monsieur le ministre, serais-je très heureux qu’un travail prospectif précis soit réalisé sur ce sujet sensible.
Enfin, on ne saurait débattre des crédits de l’agriculture sans évoquer le sujet lancinant des retraites agricoles. Au lendemain de la réforme des retraites, les agriculteurs restent les grands oubliés, aucune perspective réelle et durable de financement de leurs retraites n’étant ouverte. À quand un grand débat et une loi sur ce sujet essentiel ?
Monsieur le ministre, votre projet de budget s’inscrit dans une démarche générale de réduction des politiques publiques que nous ne partageons pas. Comme le souligne l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, la hausse des crédits est un effet d’optique. Dans ces conditions, nous ne les voterons pas.