Intervention de Anne-Marie Payet

Réunion du 27 janvier 2011 à 15h20
Médecine du travail — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Anne-Marie PayetAnne-Marie Payet, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’organisation de la médecine du travail en France repose sur quelques grands principes issus de la loi du 11 octobre 1946 : caractère obligatoire et financement par les employeurs ; orientation exclusivement préventive ; indépendance technique et respect de la déontologie médicale ; spécialisation des médecins du travail.

Par la suite, de nouveaux textes sont venus enrichir la loi de 1946 sans en remettre en cause les principes. Pourtant, les structures de notre économie ont profondément changé : le secteur tertiaire est devenu dominant ; les mutations technologiques ont transformé les postes et les conditions de travail ; la conscience des risques environnementaux est devenue aiguë.

De fait, certaines de ces évolutions ont été prises en compte grâce à la directive européenne du 12 juin 1989 sur la santé et la sécurité au travail, qui a introduit une approche de prévention primaire nouvelle par rapport au droit français. Par exemple, l’évaluation a priori des risques et la diversification des compétences sont devenues des éléments essentiels de la prévention dans l’entreprise.

La loi de 2002 de modernisation sociale puis plusieurs textes réglementaires ont permis de transposer cette directive, mais n’ont pas profondément transformé notre système.

Or, malgré ces améliorations, une réforme d’ampleur apparaît aujourd’hui nécessaire et urgente, notamment pour tenir pleinement compte de l’évolution de l’économie et de la transformation des formes d’emploi. Il s’agit aussi de faire en sorte que les services de santé au travail deviennent les acteurs principaux d’un dispositif de traçabilité des risques professionnels non pour constater passivement les atteintes à la santé, mais pour stimuler la prévention et les actions correctrices.

En outre, la médecine du travail connaît une grave crise démographique. On dénombre aujourd’hui environ 6 800 médecins du travail, mais plus de 55 % d’entre eux ont plus de cinquante-cinq ans. Malgré cette crise, il convient de rappeler que la France compte la moitié des médecins du travail d’Europe, ce qui signifie que nos partenaires ont retenu des organisations différentes de la nôtre, notamment en élargissant la surveillance de la santé au travail à d’autres spécialistes.

À la demande du ministre du travail, les partenaires sociaux ont conduit des négociations de janvier à septembre 2009. À cette date, un protocole d’accord a été établi, mais n’a pu recueillir l’assentiment des organisations syndicales. Le Gouvernement a donc décidé d’engager lui-même cette réforme, sur la base du résultat des négociations menées par les partenaires sociaux, et a finalement choisi de présenter un amendement au projet de loi portant réforme des retraites, les parlementaires complétant ensuite le dispositif proposé.

La réforme a suscité d’importants débats tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat ; ici même, nous y avons consacré près de deux journées complètes. Elle a fait l’objet d’un accord au sein de la commission mixte paritaire avant que le Conseil constitutionnel annule ces dispositions pour des raisons formelles.

La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui reprend largement les mesures alors adoptées par l’Assemblée nationale et par le Sénat, auxquelles notre commission a apporté quelques modifications tendant à conforter encore le rôle du médecin du travail.

Tout d’abord, le texte énonce pour la première fois les missions confiées aux services de santé au travail : elles sont centrées sur la prévention primaire et mentionnent explicitement la traçabilité des expositions et la veille sanitaire. Jusqu’à présent, le code du travail ne confiait de missions qu’aux seuls médecins du travail.

Notre commission y a ajouté la mission de conseiller les employeurs et les salariés pour prévenir la consommation d’alcool et de drogues sur le lieu de travail.

Par ailleurs, la proposition de loi conforte la pluridisciplinarité. Ainsi, selon le texte adopté par notre commission, les missions des services de santé au travail interentreprises seront assurées par les médecins du travail et une équipe pluridisciplinaire comprenant des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers, auxquels viennent éventuellement s’ajouter des assistants et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail.

Je crois que nous pouvons encore clarifier l’exercice de ces missions en nous entourant de deux principes essentiels : le rôle central du médecin et la reconnaissance des compétences des spécialistes en prévention des risques professionnels.

La proposition de loi renforce également le rôle du médecin du travail en organisant une procédure d’échange avec l’employeur lorsque le médecin constate la présence d’un risque collectif, et non plus seulement individuel, dans l’entreprise.

J’en viens maintenant à la gouvernance des services de santé au travail interentreprises, sujet qui a suscité le plus de débats lors de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites. Le texte propose une évolution importante par rapport aux règles actuelles.

Aujourd’hui, la partie réglementaire du code du travail prévoit que les représentants des salariés composent le tiers du conseil d’administration des services interentreprises.

Désormais, le conseil d’administration sera composé à parts égales de représentants des employeurs et des salariés. Le président du conseil sera élu parmi les représentants des employeurs et aura une voix prépondérante en cas de partage. Le vice-président du conseil sera élu parmi les représentants des salariés.

Pourquoi avoir fait ce choix ?

Tout d’abord, il s’agit du compromis voté par l’Assemblée nationale et le Sénat les 26 et 27 octobre dernier sur les conclusions de la commission mixte paritaire.

Surtout, je voudrais rappeler l’équilibre de la loi de 1946 et de l’organisation de la médecine du travail en France : le code du travail fixe l’obligation pour l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation de résultat, confirmée à de multiples reprises par la Cour de cassation, passe, entre autres choses, par celle d’organiser un service de santé au travail ou d’y adhérer.

La médecine du travail constitue donc, pour l’employeur, un moyen de respecter son obligation et elle est, en conséquence, intimement liée à sa responsabilité individuelle. En ce sens, le service de santé au travail est un prestataire de services dont l’action s’insère dans un cadre légal, cadre que la proposition de loi améliore d’ailleurs largement.

Il est par conséquent tout à fait logique que l’employeur y exerce une action déterminante, qui ne peut pour autant se dérouler sans contrôle ni surveillance.

Qui plus est, l’employeur finance l’intégralité des charges liées à la médecine du travail et il ne semble donc pas totalement incongru que celui qui paie décide.

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