Au travers de cet article, il s’agit en fait de revenir au projet pluriannuel et à la définition de priorités dans le cadre de contrats d’objectifs et de moyens.
Par rapport au projet de loi portant réforme des retraites, cet article, dans sa nouvelle rédaction, présente l’avantage de rendre sa place à la commission médico-technique, en supprimant la commission de projet. Mais pour lui confier quelle tâche ? Celle de définir des priorités d’action.
Or la santé des travailleurs est, comme la République, une et indivisible. L’adaptation à l’insuffisance chronique des moyens et aux réalités locales et la priorisation sont des notions qui, par définition, lui sont contraires.
Comment pourra-t-on exiger de la commission médico-technique qu’elle se livre à ce travail ? Cette question rejoint en réalité celle de l’indépendance réelle des médecins du travail et des membres de l’équipe pluridisciplinaire. S’ils ne bénéficient pas d’une protection efficace, comment pourront-ils résister aux pressions qu’ils subiront lorsqu’on leur demandera de cautionner des réductions de moyens ou de se consacrer en priorité à certaines missions, au détriment d’autres ?
Par ailleurs, le projet de loi portant réforme des retraites prévoyait la possibilité de lancer des appels d’offres pour l’exercice de certaines missions que le service de santé au travail ne peut assurer. Or cette disposition ne figure plus dans la proposition de loi. Que peut nous dire le Gouvernement sur ce point ? Cette mesure va-t-elle réapparaître ? Les considérations financières ne risquent-elles pas d’être prépondérantes, ce qui serait contraire à l’éthique de la médecine, particulièrement de la médecine du travail, les salariés étant en situation de dépendance ?
À cet égard, il ne me paraît pas inutile de répéter ce que j’ai dit lors de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, puisqu’un autre ministre était alors au banc du Gouvernement. Je n’avais obtenu aucune réponse ; j’espère qu’il en ira autrement aujourd’hui.
Nous avons déjà pu voir, dans l’administration du travail, à quoi aboutit le système des priorités d’action définies dans le cadre d’un projet pluriannuel : faire au mieux avec des moyens réduits au minimum.
Ainsi, au lieu de réaliser des missions de contrôle dans les entreprises pour faire respecter le droit et assurer la sécurité des salariés, l’inspection du travail se trouve souvent transformée en un sympathique organe de conseil aux employeurs, amené à faire aussi de la prévention, pour éviter des contentieux à ces derniers.
Les contrôles ne sont plus programmés qu’en fonction de priorités diverses. La recherche d’ateliers clandestins, en soi louable, a ainsi pu être érigée en priorité, étant bien entendu que les ateliers clandestins sont peuplés de travailleurs étrangers…
La médecine du travail ne doit pas se voir soumise à de telles manipulations. Elle court un danger analogue, qui est tout aussi grave.
Aujourd’hui, les médecins bénéficient d’une telle indépendance, dans le cadre de leurs visites, qu’il leur arrive de déclarer l’origine professionnelle d’une pathologie. Il leur arrive de signaler le dépassement de seuils en matière de bruit ou d’exposition aux produits CMR – cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. Il faudrait donc, selon certains, modifier leur cadre d’activité, pour les transformer en animateurs et en « préventeurs », qui participeront, avec des sous-traitants privés, à l’élaboration de projets, à la détermination de priorités, en fonction de contrats d’objectifs assortis de moyens réduits.
On ne sait si la santé et la sécurité au travail y gagneront. En revanche, le regroupement des services qui s’opère déjà, la limitation du nombre de médecins et la gestion de la pénurie que cet article vise à mettre en œuvre témoignent que la mutation des services de santé au travail au profit des finances des employeurs est en marche !