L’alinéa 11 de l’article 6 est lourd de dangers pour la médecine du travail.
La situation démographique, l’absence de solution autre que la gestion de la pénurie avec des contrats d’objectifs et –surtout – de moyens et des priorités qui ne seront jamais que la révélation des urgences, amènent à s’inquiéter pour l’avenir.
D’une part, on ne peut que souhaiter que le recours à des médecins non spécialisés n’aboutisse pas à faire subir un préjudice aux travailleurs qu’ils examineront.
D’autre part, il est bien évident que cette déspécialisation va dans le sens d’une perte de substance sur le plan de la prévention, de la protection des risques, de la détection de pathologies professionnelles. Ce n’est pas faire injure aux médecins généralistes, qui ont de grands mérites par ailleurs encore trop mal reconnus, que de constater qu’ils ne sont pas spécialistes en médecine du travail.
Nous avons déjà dénoncé cette tendance avec force : au travers de cette proposition de loi, on se borne à constater des situations problématiques, sans prévoir les moyens d’y remédier.
En matière de santé et de sécurité, suivre la pente ne peut être la solution.
Il est, en effet, tentant de choisir la facilité en s’appuyant sur un rapport qui indiquerait opportunément que le recours à des médecins non spécialisés n’a pas entraîné de catastrophe. Il serait alors facile d’en déduire que l’on peut continuer à abaisser la fréquence des visites médicales périodiques et même confier à des non-spécialistes la possibilité d’effectuer ces visites. Ainsi, on pourrait laisser en l’état la formation en médecine du travail, déjà réduite à la portion congrue. On pourrait également ne pas modifier le nombre de places de médecins du travail ouverts, voire réduire encore les heures de formation et le nombre de postes. Le projet sous-jacent d’un certain patronat serait alors mis en œuvre !
On limite ainsi l’exercice de la médecine du travail à la présence d’experts chargés d’animer, pour reprendre les termes de certains amendements, les services de santé interentreprises. Mais, surtout, les médecins du travail ne doivent pas aller dans les entreprises pour y examiner les salariés, observer les conditions de travail réelles et constater les dégâts qui en résultent pour les travailleurs.
On retrouve ici une vieille obsession : aucune personne, aucun organisme ou autorité indépendante de l’employeur ne peut pénétrer dans l’entreprise et parler avec les salariés, au risque de mettre en cause si peu que ce soit, fût-ce pour des raisons de santé publique, le pouvoir de l’employeur, un pouvoir que certains rêvent comme une toute puissance absolue. Nous l’avons encore constaté lors de la discussion du texte relatif au dialogue social dans les très petites entreprises, qui avait pourtant recueilli l’assentiment des patrons de petites entreprises : les plus dogmatiques l’ont emporté, ce qui est bien regrettable !
L’alinéa 11 de l’article 6 est donc extrêmement dangereux en ce qu’il porte en germe un abandon qui se révélera inévitablement, un jour, très préjudiciable à la santé des travailleurs.
Monsieur le ministre, les médecins du travail exercent au moins le tiers de leur activité en entreprise. Comment faire pour que les médecins généralistes y passent eux aussi une partie de leur temps ? Ces généralistes auront-ils une formation en entreprise ? De quelle manière s’organisera-t-elle ? Devront-ils quitter leur cabinet ? Ou admet-on d’ores et déjà qu’ils ne suivront aucune formation dans l’entreprise et ne feront aucune visite sur le terrain ?
Dans cette hypothèse, ils n’auraient aucune connaissance des lieux de travail, des machines utilisées, ni des conditions de travail ! L’on prendrait alors le risque de dévoyer la médecine du travail. De plus, un tel choix serait contraire aux principes qui guident la médecine du travail. On a toujours considéré que le médecin du travail doit passer un temps minimum dans l’entreprise, la connaître afin de pouvoir établir un diagnostic sérieux et formuler des recommandations pertinentes.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, mes chers collègues, d’adopter cet amendement.