Intervention de François Trucy

Réunion du 14 mai 2008 à 21h30
Insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté au sein des institutions de la défense — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de François TrucyFrançois Trucy, rapporteur pour avis :

…principalement fondés sur les aspects techniques du texte, permettront à la commission des finances d’aborder celui-ci sous un autre angle. La commission des finances du Sénat a en effet souhaité être saisie pour avis, car elle porte une attention particulière à ce sujet qu’elle estime d’une importance sociale majeure.

J’avais, voilà quelques années, produit pour elle un rapport d’information sur le SMA, dans le cadre des travaux liés à l’examen du budget de la défense. Ce rapport avait déjà permis de vérifier le très grand intérêt de cette activité de l’armée de terre destinée aux jeunes des populations des DOM et des TOM auxquels le SMA apporte sur place une formation professionnelle de qualité.

Les nombreux métiers enseignés, la disponibilité et la motivation de l’encadrement, à l’époque presque exclusivement militaire, le partenariat croissant avec les autres structures de formation et avec les entreprises locales, faisaient et font toujours du SMA un outil tout à fait remarquable.

Réservé aux jeunes d’outre-mer, le service militaire adapté avait fait ses preuves et l’on pouvait, à cette époque, regretter que la métropole n’en soit pas dotée.

Aussi, quand Mme Alliot-Marie, alors ministre de la défense, créa, avec le dispositif « défense 2ème chance », une organisation destinée, selon des principes apparemment comparables, à apporter aux jeunes gens des quartiers défavorisés de la métropole une formation professionnelle qui leur donne une occasion réelle d’insertion, la commission des finances du Sénat s’est interrogée.

À qui s’adresse cette offre ? Quels sont les objectifs ? Quels sont les méthodes et les moyens de l’ÉPIDe ? Qui est maître d’œuvre ? Quels sont les financements, les tutelles ? Comment s’est déroulée la mise en place du système ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Quels sont les résultats ?

Votre rapporteur pour avis, pour donner toute la clarté nécessaire à la comparaison de ces deux systèmes de formation potentiellement différents, sinon dans leurs objectifs, du moins dans les populations concernées et les moyens mis en œuvre, a commencé par actualiser, en juin 2006, nos connaissances sur le SMA.

Cette première phase du travail, une fois auditionnés les responsables du SMA à l’état-major des armées, a consisté à contrôler sur pièces et sur place le fonctionnement des régiments de Martinique et de Guyane.

Le rapporteur spécial de la commission des finances a pu vérifier que le SMA, loin d’avoir périclité durant toutes ces années, avait amélioré ses méthodes et ses résultats. Son intégration dans le monde de la formation s’était encore approfondie. Le service fourni à la population s’avère toujours aussi précieux et apprécié.

Ces excellents résultats viennent a posteriori justifier les efforts accomplis par les élus nationaux et locaux lorsqu’ils craignirent que, dans le cadre de la professionnalisation des armées, le SMA ne disparaisse. Leurs réactions et leurs interventions réitérées, appuyées par le Sénat, avaient permis, par arbitrage du Président Jacques Chirac, le maintien de la formation.

Ainsi, nous avions pu faire le point : le SMA actuel a conservé toutes ses qualités ; il a de surcroît affirmé son approche des milieux défavorisés. Les prestations des régiments sont hautement appréciées, leurs résultats dignes d’éloges ; le soutien politique est constant.

Monsieur le secrétaire d’État, vous me pardonnerez, je l’espère, d’avoir traité assez longuement la question du SMA. C’était pour suivre la démarche comparative souhaitée par la commission des finances, mais aussi pour bien rappeler, quelques années après la suspension du service national, que la fonction sociale d’insertion des armées ne s’est pas démentie.

En dehors du SMA, d’ailleurs, de nombreux protocoles d’accords interministériels reconnaissant cette compétence particulière des militaires se sont succédé : en 1986, protocole sur l’illettrisme ; en 1988, protocole de coopération avec les missions locales.

Le deuxième temps a permis d’apprécier le fonctionnement du dispositif « défense 2ème chance ». Le rapport analyse en détail toutes ses dispositions ; celles-ci s’adressent, sous la forme du volontariat, à des jeunes placés dans les situations les plus désastreuses : géographiques - quartiers difficiles -, sociales - familles détruites ou totalement désocialisées -, économiques - chômage, absence de logement -, sanitaires - mauvais état de santé -, physiques - absence d’activité physique et sportive -.

Il est même étonnant que, dans un tel contexte, ces jeunes gens se portent volontaires, avec un certain courage, pour une activité qui comporte trois niveaux de formation très exigeants. Ces trois niveaux - formation comportementale, remise à niveau scolaire, formation professionnelle -, par la discipline qu’ils exigent d’eux, sont parfaitement antinomiques avec leurs habitudes et leur façon de vivre.

Au regard des nombreux jeunes potentiellement bénéficiaires du dispositif « défense 2ème chance », notons tout de même que le plus grand nombre n’y ont pas accès, ce qui donne bien la mesure du problème de l’insertion.

Ce dispositif « défense 2ème chance » adopte une logique très réaliste. C’est ainsi qu’avant de tenter de donner la moindre formation professionnelle le système, prenant en compte l’état dans lequel se présentent les volontaires, filles ou garçons, entreprend immédiatement de modifier leur comportement. Il s’agira de la tenue – en général relâchée -, de l’habillement et du vocabulaire.

Cette formation comportementale prescrit : on se lève le matin, on se lave, on revêt un uniforme non militaire, on assiste au lever des couleurs et on chante la Marseillaise, on marche au pas dans l’école, le personnel et les jeunes ne se tutoient pas.

Après la formation comportementale vient la remise à niveau scolaire - on pourrait dire « mise à niveau scolaire » -, qui intervient sur un terrain d’échecs scolaires répétés et d’illettrisme impressionnant.

Les techniques pédagogiques utilisées n’ont rien d’insolite, mais il est étonnant de voir quels efforts représentent pour ces jeunes certains exercices relativement simples. On part de loin !

À cette remise à niveau « basique » s’ajoutent plusieurs formations indispensables pour la recherche d’un emploi : permis de conduire, passeport de compétences informatiques européen.

Ces deux étapes incontournables étant franchies, l’école peut entreprendre la formation professionnelle proprement dite : des filières techniques bien ciblées, une formation théorique en classe, une formation en ateliers et des stages, qui sont essentiels ; ceux-ci sont demandés aux entreprises présentes sur le site.

À cet égard, il s’agit d’une réussite exceptionnelle de la part des responsables du dispositif « défense 2ème chance », car non seulement de très grandes entreprises acceptent de fournir ces stages, mais elles embauchent, et c’est bien le but, un très grand nombre de jeunes en fin de formation. Elles le font parce qu’elles apprécient les résultats de ces trois formations qui leur assurent un recrutement de qualité de jeunes motivés, stabilisés et fiables.

Les cadres qui assurent les formations, anciens militaires pour la moitié d’entre eux ou civils venant de nombreux horizons, partagent tous une motivation majeure, une disponibilité de tous les instants et un dévouement digne d’éloges.

Le paradoxe, monsieur le secrétaire d’État, c’est qu’un dispositif du ministre de la défense baptisé « défense 2ème chance » a aujourd’hui moins de liens financiers avec la défense qu’il n’en a avec le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Cependant, il ne faut pas oublier que votre ministère cède gracieusement l’essentiel des biens immobiliers des centres, accorde de larges dotations mobilières et que, par ailleurs, 50 % des effectifs de formateurs sont d’anciens militaires.

Il est frappant de constater que l’enthousiasme généré lors de la création de l’ÉPIDe a conduit de hauts responsables politiques à annoncer des objectifs parfaitement irréalisables, par exemple une capacité d’accueil de 20 000 jeunes.

Rien ne permettait d’atteindre de tels objectifs, il ne faut pas le regretter : ni les budgets accordés, ni les moyens immobiliers, ni les ressources en formateurs, ni même, on peut le dire, les effectifs de volontaires.

À propos d’objectifs, monsieur le secrétaire d’État, il est absolument sidérant que l’établissement public ne soit toujours pas doté d’un contrat d’objectifs et de moyens, alors qu’il fonctionne depuis plusieurs années : la énième mouture du document serait sur le point d’aboutir !

L’ÉPIDe a forgé seul ses structures, son association avec la Caisse des dépôts et consignations, la société civile immobilière qui bénéficie des cessions gratuites de sites du ministère de la défense ; il a créé vingt-trois sites, ainsi que des partenariats essentiels avec les entreprises et les collectivités territoriales.

Les mérites de ses responsables sont considérables, mais vous les connaissez mieux que nous, monsieur le secrétaire d’État.

Si l’on parle du budget de l’ÉPIDe, force est de constater qu’il contraint à des objectifs beaucoup plus modestes. Si, jusqu’à 2008, la montée en puissance des recrutements et le rythme des ouvertures de sites se sont trouvés relativement cohérents avec les crédits, il n’en a pas été de même en 2008 : cette année, l’ÉPIDe avait besoin de 110 millions d’euros ; il a dû revoir sa programmation pour un montant sensiblement différent, laissant un nombre appréciable de volontaires en liste d’attente. Pour parler plus clairement, les effectifs de l’ÉPIDe sont contraints par le cadrage budgétaire et par lui seul. L’éventuel développement de cet établissement, s’il est souhaité par le Gouvernement, sera strictement lié au volume des crédits qui lui seront accordés.

Si l’on s’en tient aux promotions ayant au moins douze mois d’ancienneté, l’ÉPIDe a accueilli 2 500 jeunes depuis sa création. Après un mois, 2 000 étaient présents, constituant ce que nous appellerons l’effectif de référence. C’est à partir de cet effectif que nous allons calculer les résultats.

On relève 700 réinsertions, dont 250 en contrats à durée indéterminée – soit 13, 6 % - et 450 emplois précaires ; 800 jeunes ont été exclus ou ont démissionné, et 400 n’ont pu être réinsérés. Cela donne un taux de réinsertion de 37, 5 % à 40, 2 %, suivant les définitions que l’on retient.

Votre rapporteur pour avis, eu égard aux difficultés majeures de l’exercice, se permet, comme l’a fait la commission des finances, de porter un jugement positif sur ces résultats.

Les entreprises semblent satisfaites des services de l’ÉPIDe, considérant, pour leur part, que l’insertion comportementale et civique qu’il prodigue est essentielle pour la fidélisation des personnels qu’elles recrutent.

Les collectivités territoriales ont contribué, par leurs subventions, au fonctionnement de neuf centres, et ce à hauteur de 15 millions d’euros depuis le début. Cinq autres ont apporté des biens immobiliers. Cet engouement quasi immédiat des élus locaux est une confirmation essentielle de l’intérêt de l’ÉPIDe.

Un seul bémol à ce zèle : certaines collectivités, dans leur empressement à obtenir l’implantation d’un site sur leur territoire, ont exercé une pression telle que l’ÉPIDe n’a pas respecté totalement l’un des critères absolus requis pour la réussite d’un site.

Deux critères sont indispensables : la proximité d’un quartier difficile, par essence « riche » en demandeurs d’emplois, mais aussi la proximité d’un bassin d’emplois comportant de nombreuses entreprises potentiellement susceptibles de produire des stages et des offres d’emplois.

Au regard de cette observation, trois sites, nous a-t-on dit, devront fermer au profit d’autres localisations plus réalistes.

Il est important de noter que le coût de la formation d’un volontaire pour l’insertion en 2007 était de 37 800 euros, coût à rapprocher de celui d’un jeune du SMA, 40 000 euros, d’un placement en protection judiciaire de jeune majeur du ministère de la justice, 41 000 euros, des 58 000 euros des maisons d’enfants à caractère social, des 152 000 euros des centres de placement immédiat et des 227 000 euros des centres éducatifs fermés ; je rappellerai, pour mémoire, qu’une place en prison coûte 85 000 euros.

La commission des finances et moi-même pensons que ces comparaisons sont toutes en faveur d’un bon rapport efficacité-coût des sites de « défense 2ème chance ».

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai le plaisir de vous faire part de la satisfaction de la commission des finances s’agissant du travail accompli par l’Assemblée nationale lors du premier examen du texte.

Nous notons avec satisfaction l’adhésion à l’action de l’ÉPIDe du ministère de Mme Boutin ; c’est un renfort éminemment précieux.

Mais j’ai aussi le devoir de vous faire connaître les recommandations contenues dans le rapport de la commission.

Premièrement, veiller à la décision rapide d’un contrat d’objectifs et de moyens réaliste et socialement ambitieux.

Deuxièmement, assurer à l’ÉPIDe une sécurité budgétaire sans laquelle cet établissement sera confronté à des difficultés insurmontables et socialement préjudiciables.

Troisièmement, permettre à l’ÉPIDe, par une dotation aux investissements importante, 300 000 euros, de valoriser ses actifs, qui à défaut ne feront que dépérir.

Quatrièmement, veiller au maintien d’un niveau d’encadrement élevé.

Cinquièmement, aider l’ÉPIDe à mieux adapter la carte des implantations aux critères que nous avons cités tout à l’heure.

Sixièmement, doter l’établissement d’une grille de rémunérations plus incitative ; à défaut, nous ne conserverons pas le personnel qui dispense la formation.

Enfin, septièmement, veiller à ce que l’ÉPIDe continue de prendre en charge des jeunes ayant le profil prévu afin d’éviter, en particulier, un doublon coûteux avec le dispositif du contrat d’insertion dans la vie sociale, le CIVIS, renforcé.

L’avis de la commission des finances du Sénat est particulièrement « motivé » – mais je n’utilise pas ce terme dans le même sens que la Commission européenne, lorsqu’elle persécute la France – car elle approuve l’action de l’ÉPIDe, la soutient, donne l’avis le plus favorable à ce projet de loi et sait qu’elle peut compter, pour que l’établissement public d’insertion puisse poursuivre sa mission, sur un soutien encore plus précieux, le vôtre, monsieur le secrétaire d’État.

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