Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, c'est avec beaucoup de plaisir et d'attention, comme il se doit, que nous venons d'entendre M. le Premier président nous présenter le rapport public annuel de la Cour des comptes.
Dans quelques instants, monsieur le Premier président, vous irez présenter votre rapport devant l'Assemblée nationale. Croyez bien que nous apprécions l'honneur que vous faites au Sénat.
Je ne reviendrai pas sur le contenu de ce rapport que nous ne manquerons pas, spécialement à la commission des finances, d'analyser comme toujours avec le plus grand soin. Il enrichira notre réflexion et nos travaux pour porter une appréciation sur l'efficacité de la dépense publique et sur le bon usage des deniers publics.
Précisément, monsieur le Premier président, je voudrais vous remercier de l'attention que vous portez personnellement, et avec votre détermination bien connue, à l'approfondissement des relations entre la Cour des comptes et le Parlement, singulièrement le Sénat.
La mission d'assistance sur l'Institut national de recherches archéologiques préventives et les quatre enquêtes que nous vous avions demandées en 2004, en application des premier et deuxième alinéas de l'article 58 de la LOLF, nous ont été présentées ou vont nous être présentées dans les prochaines semaines. Elles donneront lieu, comme les neuf déjà réalisées depuis deux ans au sein de la commission des finances, à des auditions contradictoires réunissant, autour des commissaires, les magistrats de la Cour des comptes ayant conduit les enquêtes ainsi que les représentants des organismes contrôlés et, le cas échéant, les ministères de tutelle.
C'est donc un dialogue constructif qui permet de conférer au contrôle budgétaire un caractère positif : il s'agit moins de dénoncer et d'accuser que de favoriser et d'encourager des évolutions positives, des réformes, des progrès.
Ainsi la commission a t-elle souhaité donner encore plus de publicité à ses travaux, en ouvrant ces auditions contradictoires le plus largement possible aux médias. C'est de cette façon, me semble-t-il, que nous contribuerons à donner la plus grande transparence, et donc la plus grande diffusion, à nos travaux communs.
Ainsi, pour l'année 2005, ai-je l'honneur, monsieur le Premier président, de vous saisir officiellement aujourd'hui de cinq enquêtes issues des demandes des rapporteurs spéciaux compétents, portant sur les sujets suivants.
La première concerne les frais de justice, dont l'évolution est préoccupante : plus 40 % en deux ans, l'enveloppe annuelle atteignant un peu plus de 400 millions d'euros.
La deuxième enquête a trait à la gestion immobilière du ministère de l'équipement.
La troisième concerne la situation du Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales, le FISAC.
La quatrième a trait au Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale, financé par une taxe sur les messages publicitaires.
Enfin, la cinquième enquête concerne le fonctionnement du service public de l'équarrissage.
Nous vous remercions encore, monsieur le Premier président, de contribuer ainsi à nous assister dans le développement de la mission de contrôle budgétaire du Parlement, qui est chaque jour davantage notre « seconde nature », selon la désormais célèbre formule du Président Christian Poncelet.
Cette mission de contrôle se trouve bien évidemment renforcée avec la LOLF, qui sera mise en oeuvre à partir du prochain projet de loi de finances et sur laquelle, vous le comprendrez, je souhaite insister quelque peu cette année.
La LOLF, issue d'initiatives parlementaires venant de différents groupes et dépassant les clivages partisans, doit en effet conduire à transformer la nature du contrôle budgétaire, et vous savez que la commission des finances s'y emploie activement. Cette dernière a affiné ses méthodes, en examinant les techniques qui ont été mises en oeuvre tant en France par le secteur public ou les entreprises privées, les cabinets spécialisés, qu'à l'étranger par nos homologues des différents parlements.
La commission des finances a rédigé son propre guide des bonnes pratiques de contrôle et communique chaque année davantage, comme elle l'a fait voilà dix jours sur les vingt-cinq contrôles réalisés en 2004 par ses rapporteurs spéciaux, que je tiens à féliciter de nouveau pour l'exemplarité de leur engagement.
Mais, nous le savons tous, la Cour des comptes verra sa mission considérablement renforcée au travers de la certification des comptes de l'Etat, à laquelle elle devra procéder, et aussi de par la loi de règlement, point sur lequel je reviendrai dans un instant.
C'est pour cette raison que je rejoins, monsieur le Premier président, votre préoccupation de garantir, y compris par son autonomie financière, l'indépendance de la Cour des comptes.
A cet égard, le rattachement, dans la nouvelle nomenclature budgétaire, du programme « juridictions financières » à la mission ministérielle « gestion et contrôle des finances publiques » impliquerait la détermination en amont des crédits de la Cour des comptes par un ministre, en l'occurrence celui de l'économie, des finances et de l'industrie. En d'autres termes, le certifié, plus précisément celui qui tient les comptes et qui les arrête, fixerait les moyens financiers du certificateur. Une telle situation, croyez-le bien, ne nous satisfait aucunement, car ce serait contraire aux principes auxquels nous sommes attachés.
Voilà pourquoi la commission des finances avait, dès l'an dernier, proposé la création d'une mission « transparence et régulation de l'action publique », composée des programmes « juridictions financières » et « autorités administratives indépendantes » : cette formule présenterait l'avantage de résoudre le problème de la fongibilité des crédits entre autorités régulatrices et administrations concernées.
A dire vrai, je m'étais étonné, à l'époque, de l'absence d'échos favorables de la part des premiers intéressés. Cela pouvait s'apparenter à une sorte d'encéphalogramme plat, voire à un refus, comme si, tout compte fait, il était plus sage de négocier au sein du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Depuis quelques semaines, nous avons perçu un changement de pied, dans le sens de la recherche de l'équidistance entre l'exécutif et le législatif.
Compte tenu des derniers éléments en ma possession, avec notre rapporteur général, Philippe Marini, mais aussi avec nos homologues de l'Assemblée nationale, le président Pierre Méhaignerie et le rapporteur général Gilles Carrez, nous veillerons, dans la concertation, à trouver une solution satisfaisante. Ainsi, l'idée de réunir, au sein d'une mission dédiée aux seules institutions citées par la Constitution, des programmes spécifiques pour les juridictions financières et le Conseil d'Etat peut être, me semble-t-il, favorablement accueillie, même si, nécessairement, des demandes similaires émaneront des juridictions judiciaires.
Ces programmes seraient régis par les règles budgétaires de droit commun, qui pourraient être naturellement assouplies le cas échéant, sans toutefois être supprimées, afin de conforter l'indépendance de ces juridictions ; je pense plus spécifiquement à l'exercice du contrôle financier ou à la régulation budgétaire. De même faudra-t-il réfléchir à la possibilité de modifier le champ du titre actuellement réservé aux seules dotations des pouvoirs publics, afin d'y adjoindre, sans pour autant les assimiler, les crédits relevant de cette mission sui generis.
Par-delà les modalités concrètes précises, il y a accord sur le fond, et je veux croire que le dialogue toujours fructueux entre le Gouvernement, les assemblées et la Cour des comptes nous permettra de dégager une solution acceptable par tous dès le prochain projet de loi de finances.
J'ajouterai que l'indépendance, comme vous le savez, tient non seulement à la lettre des textes, mais aussi à l'esprit dont font preuve ceux qui sont aux responsabilités. De ce point de vue, je suis plutôt déjà rassuré, monsieur le Premier président. La déontologie doit être le meilleur garant de l'objectivité et prévenir je ne sais quelle suspicion que pourraient susciter les allers et retours, sans doute rythmés par les alternances politiques, de certains magistrats entre la Cour des comptes et les cabinets ministériels. Cette observation vaut également pour le Conseil d'Etat.
Permettez-moi également d'insister sur le nécessaire renforcement de la loi de règlement, qui résultera naturellement de la logique de performance et de résultat induite par la LOLF.
En effet, le projet de loi de finances initiale présentera, pour chaque programme de chaque mission, des objectifs et des indicateurs de performance. La réalisation de ces objectifs sera mesurée dans la loi de règlement qui, de simple mais indispensable quitus comptable, se transformera progressivement en instrument d'évaluation de l'accomplissement par l'Etat de ses missions. C'est dire l'importance accrue, tant pour la Cour des comptes que pour le Parlement, de cette loi de règlement.
J'exprime d'ores et déjà le souhait que nous puissions modifier l'organisation de nos travaux parlementaires. Ainsi, désormais, au printemps, avant que ne s'engage le débat d'orientation budgétaire, nous devrons, monsieur le président, mes chers collègues, consacrer non plus une ou deux heures, mais au moins une semaine, en séance publique, à l'examen de la loi de règlement.