Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 9 avril 2008 à 15h00
Lutte contre les discriminations — Discussion générale

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois n’a pas examiné ces projets de directive. Néanmoins, force est de reconnaître que la détermination des préjudices liés aux discriminations se heurtant à la multiplicité des définitions qu’en donne notre droit, tant pénal que civil, en matière de réparations, notre œuvre législative facilitera certainement le travail des tribunaux et enrichira sans doute les conclusions de certains défenseurs.

Cette situation pose un vrai problème dans notre législation, alors que nous avons délibéré pendant des heures sur ce qu’est, en particulier, le harcèlement.

D’ailleurs, je ne comprends pas que la France ait pu faire l’objet d’un recours en manquement de la part de la Commission européenne, dans la mesure où notre législation est, nous semble-t-il, extrêmement élaborée. S’il faut aller jusqu’à détailler les termes, cela relève non pas des directives, mais des règlements, que l’on pourra appliquer directement. Ce sera beaucoup plus simple !

Dans ces matières sensibles, il est délicat d’obtenir, en droit européen, une véritable cohérence dans les termes. Cela étant, madame la secrétaire d’État, ce n’est pas pour vous dire cela que je suis monté à la tribune aujourd’hui, vous le savez bien !

Le 21 novembre dernier, je le rappelle, le Sénat a adopté une proposition de loi prévoyant une réforme d’ensemble des règles de prescription en matière civile.

Ces règles s’avèrent en effet à la fois pléthoriques, complexes et inadaptées. Elles sont source d’insécurité juridique, de contentieux et de malaise en raison de l’impression d’arbitraire qu’elles peuvent donner. La technicité du sujet ne doit pas masquer son importance pour la vie de nos concitoyens et la compétitivité de notre droit.

La réforme que nous avons adoptée voilà déjà plus de quatre mois s’articule autour de trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive, le délai de droit commun passant de trente ans à cinq ans ; la simplification de leur décompte ; enfin, l’autorisation encadrée de leur aménagement contractuel.

Cette réforme avait été soigneusement préparée.

Tout d’abord, une mission d’information conduite par Richard Yung, Hugues Portelli et moi-même a réalisé, entre les mois de février et de juin 2007, plus de trente auditions, qui lui ont permis de formuler de nombreuses recommandations. J’ai ensuite pris l’initiative, au cours de l’été, de traduire ces recommandations en une proposition de loi. Enfin, le contenu de cette proposition de loi a été enrichi non seulement par son rapporteur, Laurent Béteille, mais aussi par plusieurs de nos collègues – je pense notamment à Michel Dreyfus-Schmidt – et par le Gouvernement.

Telles sont sans doute les raisons pour lesquelles cette réforme a fait l’objet d’un large consensus : personne ne s’y est opposé, elle a été adoptée par tous les groupes de notre assemblée, seuls nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen s’étant abstenus. On peut même parler, sur le plan réglementaire, d’unanimité, puisque « qui ne dit mot consent » !

Pourtant, le travail du Sénat a été violemment mis en cause dans la presse. Se faisant l’écho des inquiétudes d’un collectif comprenant notamment des syndicats de salariés, de magistrats et d’avocats, certains journalistes et certaines personnalités ont fait grief à notre assemblée de « s’en prendre discrètement à tous les discriminés », singulièrement aux victimes de discriminations au travail.

Avec la réduction de trente ans à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive, « les victimes n’auraient plus que cinq ans pour porter plainte et, si le préjudice est reconnu, les indemnités ne porteraient plus que sur les cinq dernières années ». Je ne cite ici que les phrases les plus convenables ; celles qui concernaient la commission des lois du Sénat et son président étaient encore plus assassines !

Madame la secrétaire d’État, plusieurs députés ont relayé ces inquiétudes lors de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui. Nous sommes tombés des nues !

Bien évidemment, l’intention des nombreux sénateurs qui ont voté la proposition de loi n’était pas de réduire les droits des victimes de discriminations, et nous n’avons pas travaillé en catimini. Les débats au sein de notre assemblée ne suscitent aucune réaction pendant quatre ou cinq mois, puis c’est une explosion de critiques, sans aucun dialogue !

Je tiens d’ailleurs à souligner que les incidences de la proposition de loi sur les délais pour agir et le droit à réparation des victimes ne sont pas celles qui ont été décrites dans la presse.

Si la durée du délai de droit commun de la prescription extinctive est effectivement réduite de trente ans à cinq ans, encore convient-il d’observer que ce délai ne commencerait à courir qu’à compter du jour où « le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Or, en la matière, le point de départ de la prescription importe plus que sa durée. Un salarié victime d’une discrimination pourrait ainsi invoquer des faits remontant à plusieurs dizaines d’années en arrière, dès lors qu’il en aurait eu connaissance tardivement sans avoir commis de faute. Je vous rappelle que nous avions beaucoup insisté sur la jurisprudence existante en matière d’accidents corporels ou de maladies professionnelles.

En outre, comme l’a indiqué la Cour de cassation, l’action devant le conseil de prud’hommes est une action non pas en paiement de salaires – nous avons veillé à maintenir les délais dans ce cas –, mais en réparation du préjudice résultant d’une discrimination. Il s’agit donc d’une question d’évaluation du montant des dommages et intérêts, indépendante de celle de la recevabilité de la demande. Or, en la matière – nous n’avons pas remis en cause la jurisprudence, qui est constante –, le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice, quels que soient les délais pour agir.

Nous ne pouvions pas en rester là, puisqu’il y avait apparemment incompréhension totale. Certains, qui s’érigent en meilleurs juristes que nous, ont même affirmé des choses qui ne figuraient pas dans le texte ! Par souci d’apaisement, Laurent Béteille, Richard Yung et moi-même nous sommes entretenus avec des représentants du collectif qui s’était constitué à cette occasion.

À la suite de ces échanges qui ont, je le pense, permis de dissiper tout malentendu sur les intentions du Sénat, nous nous sommes engagés à proposer une rédaction permettant de garantir les droits des victimes de discriminations au travail sans ambiguïté.

Tel est l’objet des deux amendements identiques n° 8 et 22 que Laurent Béteille et Richard Yung vous présenteront lors de la discussion des articles.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile avait dû être examinée très rapidement à l’Assemblée nationale, nous aurions pu attendre. Cependant, son inscription à l’ordre du jour de cette dernière n’ayant pas été prévue, nous attachons la plus grande importance à ces amendements, compte tenu du climat qui s’est instauré. Nous devons apaiser la situation le plus rapidement possible, sans attendre un éventuel examen du texte par l’Assemblée nationale.

Le Sénat a été injustement mis en cause. Nous souhaitons ardemment qu’il lui soit donné acte de sa bonne foi. Nous souhaitons non moins ardemment que la réforme d’ensemble du droit de la prescription en matière civile puisse être définitivement adoptée avant la fin de l’été. Elle s’avère en effet nécessaire, consensuelle et urgente, si le Gouvernement souhaite toujours, comme l’avait souligné Mme le garde des sceaux, qu’elle constitue la première étape d’une réforme prochaine du droit des obligations.

Plusieurs propositions de loi déposées par des députés et dont l’utilité n’est pas toujours aussi évidente, reconnaissons-le, que celle de la réforme des règles de prescription en matière civile ont été ou sont sur le point d’être adoptées définitivement. Nous aimerions que les initiatives du Sénat puissent, elles aussi, aboutir rapidement.

Je tiens à votre disposition, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la liste des propositions de loi émanant de l’Assemblée nationale que nous allons examiner au Sénat. Nous souhaiterions que la réciproque fût vraie : lorsque nous proposons une réforme d’ensemble des prescriptions ou une refonte de la législation funéraire, que nous avions elle aussi adoptée à l’unanimité, il me semble que ces travaux méritent une certaine considération.

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