Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 11 février 2010 à 9h00
Indemnités journalières versées aux victimes d'accident du travail — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

J’ai trouvé indécent d’entendre le Gouvernement parler d’avantage indu et dénier purement et simplement le statut de victimes aux personnes qui ont eu un accident du travail.

Dans le rapport qu’il a établi, en vue de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, notre collègue Gérard Dériot écrit : « L’idée de soumettre à l’impôt sur le revenu les indemnités journalières perçues au titre d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle repose sur une analogie que l’on peut qualifier de trompeuse, car le régime applicable aux indemnités servies par l’assurance maladie ne peut être de la même nature que celui applicable aux sommes versées par la branche AT-MP ». Madame la secrétaire d’État, c’est un membre de la majorité qui soutient cette position !

Vous le savez parfaitement, l’assurance maladie indemnise un risque social, sans faute imputable, et a pour but de maintenir un certain niveau de revenu jusqu’à la guérison et le retour à un emploi rémunéré. La branche AT-MP a, elle, été créée pour rembourser un préjudice dont la responsabilité est présumée imputable à l’employeur.

Je regrette que, sur ce sujet, notre commission des affaires sociales n’ait pas maintenu la position de refus qui était la sienne depuis plusieurs années.

Aujourd’hui, les victimes d’accidents du travail ont le sentiment d’être incomprises par une classe politique qui a choisi de détourner le regard de la réalité des conditions de travail et de l’indemnisation de leur préjudice.

Alors que de multiples rapports ont dénoncé le caractère obsolète des réparations, alors que les conditions de travail se détériorent – les témoignages reçus au sein de la mission d’information sur le mal-être au travail, que j’ai l’honneur de présider, sont à cet égard édifiants –, une prétendue justice fiscale a été préférée à une véritable et réelle justice sociale. Celle-ci commanderait plutôt que les victimes d’accidents du travail soient indemnisées, non pas forfaitairement et de façon limitée, mais intégralement et pour tous les préjudices. Seule cette justice autoriserait que l’on puisse se prévaloir de « courage politique » et de « rendez-vous d’équité », comme le Gouvernement a cru bon de le faire.

Mes chers collègues, les victimes d’accidents du travail ne sont pas une caste de « privilégiés sociaux », pour reprendre une formule déjà entendue. Elles aussi appartiennent à la France de Jean-Pierre Raffarin, cette France qui se lève tôt, cette France qui, pour d’autres, « ne possède en or que ses nuits blanches », cette France peuplée de travailleurs qui rentrent le soir et repartent le matin suivant, toujours dans la même nuit… Un jour, ces personnes ont perdu leur santé, souvent leur emploi, du fait précisément de leurs conditions de travail, et il faudrait admettre, sur la base d’une loi datant de 1898, qu’elles restent sous-indemnisées pour l’éternité ?

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aurait mérité plus de considération de la part du Gouvernement et de la majorité.

La loi du 9 avril 1898 relative à la réparation des accidents du travail a constitué un progrès considérable pour le droit de la réparation du dommage corporel en France, en instaurant une réparation forfaitaire et limitée des préjudices subis, en échange d’une présomption d’imputabilité évitant à la victime d’avoir à démontrer la faute de l’employeur ou le lien de causalité entre la faute de l’employeur et le dommage. Tout accident intervenu sur le lieu et pendant le temps de travail est présumé d’origine professionnelle, mais la réparation ne sera pas intégrale. C’est ce que l’on a appelé communément le « compromis historique de 1898 ».

À cette époque, il s’agissait bien d’une loi de progrès social, mais, un peu plus d’un siècle après, le monde du travail a changé et, aujourd’hui, les règles d’indemnisation des victimes d’accidents du travail sont largement dépassées. C’est un droit du xixe siècle qui continue à s’appliquer à des situations et dans une société du xxie siècle !

Or, depuis 1898, le droit du dommage corporel a connu des avancées considérables, qui ont permis, d’une part, de généraliser le principe d’une réparation intégrale en présence d’un dommage corporel et, d’autre part, d’affiner et de mieux identifier les préjudices subis, ainsi que de clarifier les différents postes indemnisables.

C’était d’ailleurs l’objet de deux amendements déposés par nos soins, qui ont été déclarés irrecevables par la commission des finances. Sans commentaire, madame la secrétaire d’État : l’article 40 a encore frappé ! Je précise néanmoins que nous abordions des points très importants avec ces deux amendements, à savoir, en cas d’accident du travail, la réparation relative à l’adaptation des véhicules ou des logements et la prise en charge de la tierce personne qui s’occuperait de la victime.

Désormais, l’allégement de la charge de la preuve ou de l’exigence d’un lien de causalité pour la victime n’implique plus que la réparation soit limitée dans son assiette ou que certains préjudices ne soient pas réparés. Tel est le cas, par exemple, de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, dite loi Badinter, de l’indemnisation des infections nosocomiales ou encore, dernièrement, de l’indemnisation des victimes d’expositions aux essais nucléaires et, bien sûr, de l’indemnisation des victimes de l’amiante.

Au-delà de la discrimination, il y a là une difficulté majeure dans la lisibilité du droit pour les citoyens. Comment admettre qu’un salarié qui, écrasé par un ascenseur, a perdu un membre ne soit pas traité de la même façon qu’un accidenté de la route ayant perdu le même membre ? Est-il compréhensible qu’un salarié victime d’un cancer professionnel soit traité différemment parce qu’il a été exposé à des poussières de bois ou de fer, et non à des poussières d’amiante, ou, s’agissant précisément des victimes de l’amiante, selon qu’il a développé un cancer du poumon ou un cancer du larynx ? Pour les uns comme pour les autres, l’atteinte au corps et ses conséquences sont pourtant bien identiques.

Les victimes d’accidents du travail doivent pouvoir, elles aussi, bénéficier du principe républicain d’égalité et disposer, à l’image de toutes les autres victimes d’un dommage corporel, d’une véritable indemnisation de leurs préjudices.

Bien sûr, la question du financement se pose. C’est d’ailleurs ce qui a empêché les partenaires sociaux de progresser dans cette voie lors de leur négociation de 2007. À cet égard, madame la secrétaire d’État, un consensus a effectivement été trouvé dans ce cadre, comme vous l’avez indiqué, mais il reposait sur un principe de défiscalisation ; c’est donc le Gouvernement - pas les partenaires sociaux -, qui a cassé le consensus.

Comme ma collègue Annie David, je crois que cette égalité de traitement est un choix politique que la collectivité nationale doit assumer.

Il existe des solutions pour trouver les financements qui manquent aujourd’hui à la sécurité sociale, et vous les connaissez aussi bien que moi, madame la secrétaire d’État ! Je pense, en premier lieu, à la nécessité de se pencher sur la panoplie de niches et d’exonérations fiscales et sociales, synonymes d’injustices et, pour certaines d’entre elles, dénuées de toute réelle efficacité en termes d’emploi, de revenu ou d’investissement. Je vous invite, à ce titre, à lire le rapport que la Cour des comptes a publié cette semaine…

Le Gouvernement prétend s’attaquer à ces niches et à ces exonérations, mais, en réalité, il entretient soigneusement les plus injustes et les plus coûteuses d’entre elles. Ce sont ainsi plusieurs milliards d’euros de recettes qui échappent au budget de l’État comme au budget de la sécurité sociale.

La proposition de loi tend notamment à prévoir la réintégration, dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés, des 10 milliards d’euros de cotisations versées au titre des AT-MP qui, à l’heure actuelle, sont exclues de cette assiette. C’est une bonne idée.

En effet, en France, les entreprises sont autorisées à déduire de leurs bénéfices le montant des cotisations qu’elles règlent en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, ce qui vient minorer d’autant le bénéfice et, donc, l’imposition des actionnaires. Voilà une « anomalie fiscale » qu’il faudrait régler avant de fiscaliser les indemnités journalières, et ce d’autant qu’elle confine à l’absurde : avec ce système, plus une entreprise est dangereuse et moins elle paie d’impôt sur les sociétés !

Il n’est pas juste que la collectivité soit privée de recettes fiscales importantes parce que l’on considère normal de déduire des bénéfices les sommes dues au titre de la violation de l’obligation de sécurité au travail.

Selon les estimations, la suppression de cette niche fiscale rapporterait entre 1 et 2 milliards d’euros, soit une somme qui permettrait aisément d’améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents du travail.

Bref, il s’agit avant tout de choix politiques, et je crois malheureusement qu’en la matière nous avons peu de chose à attendre de ce gouvernement. Mme la secrétaire d’État vient de nous en faire la démonstration, mais, si cette petite parenthèse m’est permise, le dossier de l’amiante l’illustre aussi parfaitement bien.

Depuis plusieurs années, les rapports et les propositions de réforme se succèdent sans qu’aucune suite y soit jamais donnée ; j’en parle d’autant plus aisément que je suis le rapporteur adjoint de la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante.

En revanche, le Gouvernement n’a pas hésité à contrecarrer une décision de la Cour de cassation en publiant un décret qui réduit l’assiette servant de base de calcul pour la préretraite des personnes exposées à l’amiante. Une fois de plus, ce sont les salariés qui sont pénalisés ! En ôtant les primes RTT ou d’autres avantages de cette base de calcul, ce décret rend le départ en préretraite des salariés qui ont été exposés à l’amiante tout simplement impossible. C’est cela, la réalité !

La majorité et la commission mixte paritaire ont tempéré la fiscalisation des indemnités journalières pour accident du travail. N’est-ce pas là le signe d’un réel malaise ? Certains de nos collègues ne commencent-ils pas à penser qu’il aurait été préférable d’attendre une nouvelle négociation avant de voter cette fiscalisation, sachant que la recette annoncée pour l’État, de l’ordre de 135 millions d’euros, ne devrait finalement atteindre que de 80 à 90 millions d’euros ? Fallait-il, pour une telle recette et avant même de commencer réellement à discuter des conditions d’indemnisation des salariés victimes d’accidents du travail, remettre en cause un tel acquis ?

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous voterons cette proposition de loi. Il s’agit, pour nous, de revenir sur ce que l’on peut appeler, dès maintenant, comme le confirment les propos de Mme la secrétaire d’État, la « loi Copé ».

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