Loin d’attester de l’utilité des mesures votées dans le cadre de la relance, ce résultat, lorsqu’il est analysé plus finement, apporte au contraire la preuve de l’erreur politique du Gouvernement qui, en faisant peu de cas des ménages, et en particulier des plus modestes, s’est privé d’un levier de relance majeur.
De plus, la fragilité de la reprise amorcée au deuxième trimestre sera également fortement affectée par les conséquences de la crise en termes de destructions d’emplois et d’augmentation du chômage. En effet, entre 2009 et 2010, 800 000 personnes devraient venir grossir le nombre des demandeurs d’emploi, portant le taux de chômage à 10, 6 % l’année prochaine, contre 7, 8 % fin 2008.
Pourtant, le Gouvernement préfère ignorer cette réalité, allant même jusqu’à ne pas comptabiliser les demandeurs d’emploi de catégories B et C dans le chiffre officiel du chômage. Or ces salariés, qui travaillent pour la plupart moins ou à peine plus de soixante-dix-huit heures par mois, demeurent, malgré leur activité, dans une situation précaire. Ainsi, si l’on ajoute ces salariés particulièrement vulnérables au chiffre officiel du chômage, en août 2009, on comptait non pas 2, 6 millions, mais bien 3, 7 millions de demandeurs d’emplois.
En outre, l’alarme aurait également dû être tirée du fait de l’augmentation significative du nombre de chômeurs de longue durée. En septembre 2009, presque 1, 3 million de personnes appartenaient à cette catégorie.
Les conséquences en termes d’explosion de la pauvreté ne manqueront pas, hélas ! de se faire sentir lorsque ces chômeurs arriveront en fin de droit.
Peut-on croire qu’il est possible de relancer durablement l’économie en s’abstenant d’analyser les causes réelles de la croissance aux deuxième et troisième trimestres de cette année et en se voilant la face quant aux conséquences sociales de la crise ? C’est peu probable.
Cela paraît d’ailleurs d’autant moins probable qu’une reprise pérenne passe nécessairement par une maîtrise du solde public. Or, soucieux de ne pas revenir sur certaines mesures inefficaces – je les développerai plus tard –, le Gouvernement laisse filer le déficit et la dette publique, qui pèseront considérablement sur les générations futures.
En 2010, si l’hypothèse de croissance de 0, 75 % était avérée, cela signifierait que l’État devrait financer à crédit 40 % de ses dépenses. Avec un déficit public de 8, 5 % en 2010, lié autant à la conjoncture qu’à des facteurs structurels, la France se place en situation de voir toutes ses marges de manœuvre financières hypothéquées, d’autant plus qu’en ajoutant à ces prévisions le grand emprunt à venir notre déficit pourrait atteindre 10 % du PIB l’année prochaine.
Dans ce contexte, la dette publique enregistrerait un bond de 16 % entre 2008 et 2010 et s’établirait à 84 % du PIB à la fin de l’année prochaine.
Pourtant, si la baisse de la TVA dans la restauration n’avait pas vu le jour, si le paquet fiscal avait été révisé et si une taxe exceptionnelle sur les bénéfices des banques avait été adoptée, il aurait été possible de dégager près de 15 milliards d’euros et donc de limiter ces dérapages.
En outre, du fait des procédures pour déficit excessif lancées par la Commission européenne, il paraît fort probable que la Banque centrale européenne s’ajuste en renchérissant son principal taux directeur.
Cela est d’autant plus dommageable que la France vient de terminer de rembourser des emprunts à moyen et long terme en empruntant sur du court-terme, emprunts dont les taux vont donc augmenter. Cette situation risque de devenir rapidement intenable pour nos finances publiques ; d’ailleurs monsieur le rapporteur général partage cette analyse.
En refusant d’admettre que la croissance positive des deuxième et troisième trimestres ne doit rien au plan de relance français, loin s’en faut, et en choisissant de ne pas utiliser ce projet de budget comme un tremplin pour sortir, enfin, du marasme économique, le Gouvernement affiche clairement ses priorités : continuer de ne rien faire pour relancer notre demande intérieure, faire des collectivités territoriales les variables d’ajustement de ses réformes et ne pas revenir sur des dispositifs fiscaux coûteux et inefficaces.
L’injustice fiscale est en effet la seconde des caractéristiques de ce projet de loi de finances.
La déductibilité des intérêts d’emprunt, adoptée dans le cadre de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi TEPA, n’a, par exemple, eu aucun effet sur la part de primo-accédants dans l’ensemble des opérations immobilières d’achat. Peut-on continuer à défendre une telle mesure lorsqu’elle s’apparente plus à un effet d’aubaine qu’à une dépense fiscale efficace ?
Par ailleurs, dans un contexte économique particulièrement morose et où toute recette supplémentaire doit être recherchée, pourquoi le dispositif du bouclier fiscal a-t-il été maintenu alors même que de nombreux ménages modestes auraient pu bénéficier de ces nouvelles recettes grâce à une politique redistributive et contribuer, par leur consommation, à la relance de la demande intérieure qui nous fait tant défaut aujourd’hui ?
Et si, madame et messieurs les ministres, vous doutiez encore de la pertinence d’une politique de relance s’appuyant sur la consommation des ménages, j’ai pu établir, dans un rapport que j’ai présenté au début de l’année devant la délégation pour la planification, que le contenu moyen en importation de la consommation des 10 % des ménages ayant les plus bas revenus est inférieur de 2, 4 points à celui de la moitié des ménages ayant les plus hauts revenus.
Ainsi donc, une approche sociale de la relance aurait pu non seulement protéger les populations les plus fragiles mais aussi contribuer à favoriser la demande en produits nationaux.
Enfin, la future réforme de la taxe professionnelle devrait se traduire par un allègement de l’ordre de 12 milliards d’euros sur la trésorerie des entreprises en 2010, et de 7 milliards d’euros les années suivantes.
La nécessaire redynamisation de l’investissement en France est, certes, une préoccupation très largement partagée dans cet hémicycle, néanmoins, rien ne garantit que ce projet de réforme y contribue.
N’aurait-il pas été plus pertinent, dans le but de favoriser l’investissement et d’éviter les délocalisations, de cibler plus particulièrement les entreprises industrielles, dont le tissu économique français a particulièrement besoin et qui présentent les facteurs de localisation les plus souples ?
Mais, plus grave encore, cette réforme aura des conséquences désastreuses sur les ressources des collectivités qui sont pourtant les premiers investisseurs dans notre pays. Mes collègues du groupe socialiste y reviendront au cours de ce débat, néanmoins je souhaite en dire quelques mots.
La perte d’environ 15 milliards d’euros de recettes de taxe professionnelle pour les collectivités porte une atteinte grave à leur autonomie fiscale, car ces dernières n’auront d’autre choix que de recevoir les recettes de nouveaux impôts ou de bénéficier de transferts d’impôts d’État, dont elles ne seront libres ni de déterminer l’assiette ni de fixer le taux.
Vous ne pouvez ignorer, madame la ministre, messieurs les ministres, que cette modification substantielle de l’imposition locale fera peser plus de 70 % des impôts locaux sur les ménages, alors qu’ils n’en supportent aujourd’hui que 50 %.
Et, comme il paraîtrait tout aussi injuste d’augmenter massivement les impôts locaux acquittés par les particuliers, ce sont les services publics locaux qui, une fois encore, en subiront les effets néfastes.
Le projet de loi de finances pour 2010, tel qu’il nous est proposé, est inacceptable car il prive les communes, les intercommunalités, les départements et les régions, qui auraient pu contribuer à amortir les effets de la crise, de toute marge d’action et ne fait pas le choix de la redistribution.
La volonté du chef de l’État de ne pas revenir sur certaines de ses promesses a fortement contraint les deux précédents exercices budgétaires. Ce projet de budget ne fait pas exception à la règle.
Afin de financer des dépenses dites d’avenir, l’idée d’un grand emprunt fut avancée. Longtemps son montant exact ne fut pas connu : M. Henri Guaino affirmait qu’il pourrait atteindre 100 milliards d’euros ; le premier ministre tablait sur une somme comprise entre 20 milliards et 30 milliards d’euros. Désormais, le chiffre de 35 milliards d’euros est retenu.
Ainsi, alors que la sincérité budgétaire eût voulu que l’examen du grand emprunt soit débattu à l’occasion de la loi de finances initiale, le Gouvernement renvoie cette question à un collectif ultérieur, fragmentant de fait le débat budgétaire et empêchant les parlementaires de l’appréhender dans sa globalité.
En conclusion, et pour qualifier ce budget, je dirai qu’il est insincère et injuste.
Il va de soi que notre groupe s’attachera à défendre des amendements pour rétablir l’équité fiscale tant entre les catégories de la population qu’entre les échelons territoriaux et proposera des mesures visant à remettre notre pays sur la voie de la croissance durable.