Madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, dans le cadre de la discussion générale portant sur l’examen du projet de loi de finances pour 2010, je me limiterai à commenter les deux innovations majeures de ce texte : la suppression de la taxe professionnelle et l’introduction de la « taxe carbone », deux réformes chères au Président de la République.
La suppression de la taxe professionnelle que le Gouvernement nous demande d’adopter pose un double problème, sur le fond comme sur la forme.
À l’instar de certains collègues de la majorité, je déplore l’absence de simulation et de procédures d’évaluation d’une réforme qui représente pourtant un véritable séisme pour les finances des collectivités territoriales.
Pour nombre d’entre elles, la taxe professionnelle constitue une ressource essentielle, bien identifiée, sur laquelle reposait le financement des services publics locaux auxquels nos administrés sont particulièrement attachés et qui confèrent, par ailleurs, un avantage comparatif reconnu pour les entreprises présentes sur les territoires de France.
Quand bien même le Gouvernement propose de mettre en place une nouvelle contribution économique territoriale, de créer une imposition forfaitaire des entreprises de réseaux, de la transférer aux collectivités, ainsi que d’autres taxes perçues aujourd’hui par l’État, et de créer un fonds national de compensation individuel des ressources, ne pas établir de simulations ni de procédures d’évaluation revient à faire un grand saut vers l’inconnu.
S’agit-il véritablement d’un saut vers l’inconnu ? Ce n’est pas si sûr !
Les élus locaux savent tous que le mouvement de transfert des compétences de l’État vers les collectivités sans le transfert de finances est engagé depuis de trop longues années. Hier, il s’agissait des routes nationales et de l’insertion sociale ; plus récemment, il s’est agi du service postal de proximité ; demain, seront concernés la suppression des classes maternelles au profit de jardins d’éveil gérés par les municipalités, les plans climats territoriaux et autres missions issues du Grenelle de l’environnement, sans parler du transfert des fonctions régaliennes de police aux maires… Et, chaque fois, sans les financements correspondants.
De fait, le contexte de désengagement de l’État et les conditions dans lesquelles le Gouvernement nous propose de voter la suppression de la taxe professionnelle continuent d’aggraver l’insécurité financière des collectivités locales, déjà prises entre le marteau et l’enclume.
Mais il y a pire. La suppression de la taxe professionnelle que le Gouvernement nous demande de voter précède la réforme des collectivités territoriales : c’est pour le moins incongru, mais cela traduit surtout la volonté présidentielle de continuer à passer en force sur tous les sujets, sous couvert de « réformer la France ».
De quelle réforme s’agit-il ? Sur le fond, personne n’est dupe !
À moins de croire à la quadrature du cercle, il n’est pas possible, comme l’affirme le Gouvernement dans une lettre adressée aux maires, de conforter le lien entre territoires et entreprises tout en réduisant simultanément de façon significative la charge pesant sur le tissu économique local, le tout sans mettre à contribution les ménages.
Lorsque le Gouvernement clame dans le même courrier que la reforme n’aura aucune incidence sur les impôts locaux supportés par les ménages, puisque l’État prendra intégralement à sa charge l’allègement de taxe sur les entreprises, il indique clairement que l’équilibre annoncé des finances locales après la suppression de la taxe professionnelle sera financé par le budget de l’État, auquel les ménages contribuent à travers les impôts et les taxes.
En clair, d’un point de vue macro-économique, la suppression de la taxe professionnelle, à supposer qu’elle soit neutre pour les collectivités locales, organise de manière occulte un transfert de richesse des ménages vers les entreprises, non pas vers les PME créatrices d’emplois non délocalisables, mais vers les grands groupes industriels, qui en seront les premiers bénéficiaires.
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous avez dit « pouvoir d’achat » ?
Quant à la taxe « Sarko-carbone », puisque c’est bien ainsi qu’il faut l’appeler au regard des arbitrages effectués, elle s’annonce comme un désastre.
En effet, le Gouvernement prend le risque insensé – je pèse mes mots – de discréditer à jamais l’un des concepts-clés du développement soutenable : la fiscalité écologique.
Levier absolument indispensable, la fiscalité écologique doit permettre d’internaliser les coûts des dommages occasionnés au bien commun qu’est l’environnement et de financer les investissements nécessaires au passage à une société de sobriété énergétique.
La contribution « climat-énergie » issue de la concertation du Grenelle de l’environnement traduisait, au sens littéral et historique du terme, cette « ardente obligation ». Comme d’habitude, avec ce gouvernement, elle a été complètement galvaudée : manifestement les grands lobbies industriels et productivistes continuent de bénéficier d’une oreille très attentive !
Ainsi, la taxe « Sarko-carbone » est vouée à l’inefficacité sur le plan environnemental.
Tout d’abord, son niveau est beaucoup trop faible. En effet, alors que la commission de consensus présidée par l’ancien Premier ministre Michel Rocard estimait que l’effet « prix » ne pouvait jouer en dessous de 32 euros la tonne, le Président de la République impose 17 euros la tonne.
Autrement dit, le montant de cette taxe ne sera pas capable de faire évoluer le système productif ni les habitudes de consommation des ménages vers la sobriété requise en termes d’émission de gaz à effet de serre.
À titre de comparaison, je rappelle que le Danemark est aujourd’hui à 80 euros la tonne.
En dépit des rodomontades de son omni-président, la France, classée aujourd'hui vingt et unième sur les vingt-sept pays de l’Union européenne en matière de fiscalité environnementale, n’est pas prête de rattraper son retard !
Ensuite, cette taxe « sarko-carbone » n’est pas affectée prioritairement au financement des investissements nécessaires à la « décarbonation » de nos économies : relocalisation des productions, isolation des lieux de vie, réduction des transports routiers, production d’énergies renouvelables, etc. Ces objectifs prioritaires ne pourront jamais être atteints sans investir massivement !
La taxe « sarko-carbone », à cet égard hors-sujet, viserait-elle finalement d’autres objectifs non environnementaux, mais parfaitement inavouables ?
Les aberrations que révèlent les modalités d’application de cette nouvelle taxe le laissent à penser. En témoigne, en effet, la taxation préférentielle du transport routier à 64 % seulement pendant quatre ans, obtenue après l’allègement de la taxe à l’essieu et l’application a minima des directives européennes en termes de droits de péages et de droits régulateurs. Or, ce secteur économique est le premier émetteur de gaz à effet de serre !
En témoigne également la non-taxation de l’électricité, quels que soient ses modes de production : il s’agit d’une prime au nucléaire – une de plus ! – face aux énergies effectivement renouvelables. Pourtant l’énergie électrique doit être économisée, comme les autres formes d’énergie !
En témoigne encore la non-taxation des activités agricoles, alors que les systèmes de production intensifs sont fortement émetteurs de gaz à effets de serre.
En témoigne toujours la non-taxation des compagnies aériennes : le mode de transport le plus polluant au monde se voit ainsi scandaleusement privilégié !
En témoigne enfin la non-taxation des entreprises soumises aux marchés européens de quotas de carbone. Ajoutée à la suppression de la taxe professionnelle, cette mesure constitue un cadeau de plus – de 2 milliards d’euros par an pendant quatre ans – offert à des groupes industriels qui n’achèteront leurs quotas qu’en 2013 ! Quels seront les heureux bénéficiaires de cette ristourne ? Total, Arcelor-Mittal, EDF, Veolia, GDF-Suez, etc., c’est-à-dire des multinationales implantées dans des secteurs figurant parmi les plus forts émetteurs de gaz à effet de serre !
La colère gronde chez nos concitoyens. Elle est d’autant plus compréhensible que la prétendue « compensation » en faveur des ménages est aussi injuste qu’aberrante. Contrairement à nombre de nos voisins européens qui utilisent le critère des revenus – en France, le quotient familial serait le meilleur critère –, ce gouvernement, fidèle à lui-même, propose d’appliquer un critère territorial dont l’application est déjà sujette à controverses : en fin de compte, les ménages riches des villes seront favorisés, au détriment des ménages modestes des campagnes qui, le plus souvent, ne bénéficient pas de chauffage central collectif et, surtout, sont contraints d’utiliser leur voiture pour se déplacer... y compris pour trouver du travail ! En pleine crise économique, alors que le chômage continue de grimper et que nous allons au-devant de graves difficultés sociales, l’enjeu climatique devient un prétexte pour continuer d’aggraver les inégalités !
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est grave : la taxe « Sarko-carbone » fracasse littéralement la notion de « contribution climat-énergie », pourtant si nécessaire, sur l’autel des intérêts des privilégiés de notre pays. Très concrètement, elle fera « rouler » les petits pour les gros, les patrons de PME pour ceux du CAC 40, les familles modestes pour les plus riches. Au final, l’effet environnemental est garanti : il est nul ! Le président Sarkozy lui-même a déclaré : « Cette taxe carbone, c’est le minimum que l’on puisse faire ! » De fait, on ne pouvait pas imaginer pire !
Ce projet de loi de finances s’inscrit donc dans la droite ligne des précédents. La suppression de la taxe professionnelle, c’est précipiter les collectivités locales dans l’insécurité financière et ponctionner, une nouvelle fois, les ménages au profit des grands groupes industriels. La taxe « Sarko-carbone », c’est l’exacte traduction d’une démarche récurrente consistant à taxer les pauvres pour sauver les riches, mais sans sauver le climat !
L’addition de ces deux dispositifs contribuera à servir à tout prix les puissants, et plus particulièrement les courtisans du monarque du palais de l’Élysée, et ce à tout prix, même au prix de la lutte contre le changement climatique : le « Grenelle de l’environnement » est décidément jeté aux oubliettes !