Comment, avec la mobilisation du seul contingent préfectoral, répondre à l'obligation de résultat prévue dans le projet de loi ? Telle est la question que nous nous posons depuis hier.
Il est évident, comme n'ont pas manqué de s'en inquiéter les associations avec lesquelles nous avons parlé, dont Droit au logement, le DAL, que ce contingent préfectoral, qui représente au maximum 100 000 attributions dans l'année, ne pourra satisfaire la demande des publics visés par le projet de loi.
Il est difficile de chiffrer avec précision les besoins à satisfaire à l'échéance de 2008. M. Xavier Emmanuelli a déjà évoqué le chiffre de 1, 4 million de personnes potentiellement concernées par ce dispositif. Il faut y ajouter ceux qui subissent le phénomène du « mal-logement », soit 3 millions de personnes, et les demandeurs de logements HLM, qui sont au nombre de 1, 5 million.
Les préfets mobiliseront les seuls logements disponibles et continueront à gérer la pénurie dans le stock existant. Rappelons pourtant que le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées préconisait d'étendre ce droit de réservation aux logements privés conventionnés.
À la question de l'étroitesse de l'outil de mise en oeuvre du droit au logement s'ajoute une autre interrogation, qui porte sur l'autorité publique responsable de ce dispositif. En effet, depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le préfet peut déléguer aux maires ou au président d'un EPCI la gestion des droits à réservation de logements dont il bénéficie.
L'article 4 du projet de loi dispose que les conventions de délégation devront mentionner la substitution du délégataire à l'État, en tant qu'autorité garante du droit au logement.
Pour l'État, c'est une bonne occasion de se désengager davantage. Ainsi, dans le département des Hauts-de-Seine, c'est un moyen supplémentaire de pression sur les collectivités territoriales les plus investies dans une politique du logement social.
Qu'elles comptent 2, 6 % de logement social comme Neuilly, 10 % comme Boulogne-Billancourt, ou 64 % comme ma commune, les collectivités locales ont toutes repris le contingent préfectoral. Mais dans la mesure où elles ne proposent pas la même offre, les collectivités « hors la loi » au regard de l'article 55 de la loi SRU ne seront pas inquiétées par les demandeurs de logement.
Une fois de plus, ce sont les mêmes communes qui seront mises à contribution. Ainsi, avec 10 727 logements sociaux, le parc gennevillois représente 10 % du parc départemental des Hauts-de-Seine. Cependant, 44 % des communes de ce département continueront à échapper aux efforts de solidarité.
Tout porte donc à craindre que la ségrégation territoriale, véritable apartheid social, ne soit encore renforcée par un texte dont l'objectif est, pourtant, de permettre à chacun d'accéder à un logement, selon ses besoins, sur l'ensemble du territoire de la République.
C'est pourquoi, comme le rappelle avec constance la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nous entendons poser avec force le principe de la légitimité de l'intervention de l'État en matière de politique du logement. En conséquence, nous ne pouvons accepter les tentatives de ce dernier pour diluer ses responsabilités, voire pour y échapper.
Le présent texte doit être l'occasion de réinvestir l'État dans ses prérogatives, afin d'éviter toute rupture d'égalité dans les possibilités d'accès de chacun à un logement décent, et de garantir l'effectivité ainsi que la continuité du droit à un logement opposable. Il importe donc, monsieur le ministre, que l'État assume le coût de la solidarité nationale et territoriale.
Si, dans les Hauts-de-Seine, la loi SRU était ne serait-ce que respectée, près de 16 000 logements pourraient être construits et 40 000 personnes auraient un toit.
M. Sarkozy, qui s'est vu déléguer par l'État l'aide à la pierre, ne prend absolument pas en compte ces exigences. Alors qu'à la fin des années quatre-vingt-dix 8 000 logements étaient réalisés, en moyenne, par an, il s'en construit, aujourd'hui, 1 450, dont seulement 159 PLAI. Or il y a, dans les Hauts-de-Seine, 75 000 demandeurs de logements sociaux.
Les disponibilités foncières ne manquent pas, comme en témoignent les opérations immobilières passées, en cours ou en projet dans toutes les villes de ce département. Mais la priorité est donnée à la vente et à la démolition de logements sociaux pour laisser place à la spéculation immobilière.
À Colombes, par exemple, dans les quartiers des Fossés-Jean et des Bouviers, les habitants ont appris incidemment, en prenant connaissance des plans du projet de rénovation urbaine, que leur immeuble en bon état allait purement et simplement disparaître, au seul profit d'une enseigne commerciale de la grande distribution. Alors que cette ville compte plusieurs milliers de demandes de logement en attente, on s'apprête à sacrifier 140 logements sociaux, sans garantir aux actuels locataires leur relogement à un montant de loyer identique, et sans reconstruire le même nombre de logements sociaux.
Je citerai un autre effet pervers de la politique départementale menée dans les Hauts-de-Seine. À Villeneuve-la-Garenne, dans le cadre d'un projet de rénovation urbaine dont l'objet est de désenclaver un quartier et d'améliorer le mieux-vivre de ses habitants, la démolition de 281 logements sociaux a été programmée. Mais, et c'est là que le bât blesse, seront reconstruits sur ce site 250 logements, dont seulement 150 logements sociaux.
Par ailleurs, si 113 autres logements sociaux supplémentaires verront le jour à Villeneuve-la-Garenne, 68 seront construits sur le territoire de la Garenne-Colombes. Il n'est pas envisagé de réaliser les nouveaux logements avant la démolition des anciens. Aussi, les personnes concernées se trouveront en compétition avec les autres demandeurs de la ville, plus anciens. Pour la Garenne-Colombes, qui compte à peine 10 % de logements sociaux, c'est surtout un moyen de s'approcher, certes difficilement, de l'objectif des 20 % fixé par la loi.
Telles sont, mes chers collègues, expliquées à travers des exemples locaux, les raisons qui nous font militer en faveur de la pleine et entière responsabilité de l'État en matière de logement.