Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois a donc été saisie de cette proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées, présentée par notre collègue Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Il existe de nombreuses professions dont l’accès est difficile ou impossible aux étrangers. Citant plusieurs études, l’exposé des motifs de la proposition de loi indique qu’« au total, près de sept millions d’emplois [...] seraient interdits partiellement ou totalement aux étrangers, soit 30 % de l’ensemble des emplois ».
Qu’en est-il de la législation en la matière ?
Deux niveaux de restriction peuvent être distingués : la condition de diplôme et la condition de nationalité.
La condition de nationalité est celle dont l’effet est le plus direct sur l’accès à certaines professions. Le plus souvent, les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen n’y sont pas soumis.
La condition de nationalité est également assouplie pour certaines professions par la condition de réciprocité.
S’agissant de la condition de diplôme et de formation, en vertu de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, la plupart des diplômes délivrés par les États de l’Union européenne pour l’exercice de professions comparables permettent également de satisfaire à la condition de diplôme en France.
Les emplois fermés aux étrangers se dénombrent avant tout dans le secteur public. Les emplois de titulaires dans les trois fonctions publiques – d’État, hospitalière et territoriale – sont interdits aux étrangers non communautaires et représentent près de 5, 2 millions d’emplois.
Il existe une cinquantaine de professions du secteur privé faisant l’objet de restrictions explicites liées à la nationalité. Or certaines de ces restrictions ont une pertinence réellement discutable.
Comme le disait à l’instant Mme Khiari, l’histoire de l’instauration des conditions de nationalité montre que celles-ci sont apparues pour l’essentiel à partir de la fin du XIXe siècle, et particulièrement au cours de l’entre-deux-guerres, dans un contexte de crise économique et de tensions internationales. Maintenues après la Libération, la plupart de ces conditions de nationalité demeurent très connotées et datées.
Dans les faits, les règles sont souvent contournées. Ainsi, des étrangers non communautaires exercent également au sein des fonctions publiques, par exemple des professeurs ou des médecins. S’agissant des professions libérales, leurs statuts contiennent le plus souvent des procédures permettant, au cas par cas, d’admettre des étrangers non communautaires au sein de l’ordre concerné.
De plus, en vertu d’une obligation communautaire, la libre circulation des travailleurs a conduit la fonction publique française à réduire la portée de la condition de nationalité prévue à l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Ce mouvement d’ouverture aux ressortissants communautaires a également été accompli pour la plupart des professions réglementées. Même certaines professions comportant l’exercice de prérogatives de puissance publique ne sont plus réservées à des ressortissants français. L’influence du droit communautaire s’étend d’ailleurs aux ressortissants extracommunautaires.
Cette proposition de loi répond à deux objectifs : lutter contre les discriminations et aller vers une simplification administrative.
La suppression de la condition de nationalité représenterait une contribution importante à la lutte contre les discriminations. Il est vrai que, si le taux de chômage plus élevé des étrangers est souvent utilisé pour illustrer les faiblesses de l’intégration, la fermeture de millions d’emplois à ces derniers n’est pas de nature à changer la situation. Elle en est même certainement une des causes.
On peut ajouter l’argument de simplification administrative.
Sans prétendre à l’exhaustivité, la présente proposition de loi répond à ces observations en supprimant la condition de nationalité pour l’exercice de certaines professions réglementées.
Après avoir entendu des représentants de l’ensemble des professions concernées par la proposition de loi, je me suis attaché à vérifier, profession par profession, si des motivations légitimes pouvaient justifier le maintien d’une condition de nationalité.
Tout en étant consciente de l’affaiblissement des raisons expliquant l’instauration de conditions de nationalité dans de nombreux métiers au cours du siècle passé, la commission a souhaité examiner isolément la situation de chacune des dix professions visées par la proposition de loi. Des représentants de chaque profession concernée ont été entendus. Seul le conseil national de l’Ordre des pharmaciens n’a pu se rendre à l’invitation de la commission. Néanmoins, celui-ci lui a transmis une contribution écrite.
Sans entrer dans le détail de chaque profession, je dois dire que la commission a estimé de manière générale qu’il convenait d’appliquer le principe selon lequel, à diplôme égal, un étranger non communautaire doit pouvoir exercer lesdites professions dans les mêmes conditions que les ressortissants français ou communautaires.
Parmi les principales réserves, l’absence de condition de réciprocité a été plusieurs fois évoquée. Si cet argument ne peut être négligé, il n’apparaît pas déterminant.
En premier lieu, comme le relève le rapport du groupe d’étude et de lutte contre les discriminations de mars 2000, « l’application du principe de l’égalité de traitement entre les ressortissants de différents pays peut s’exonérer des relations ou des accords d’État à État ». Au demeurant, il est très probable que des professions qui ne sont pas réglementées en France le sont dans certains États tiers. Cela n’implique pas que ces professions soient fermées aux ressortissants de ces pays en France.
En deuxième lieu, il ne semble pas que toutes les professions concernées par la proposition de loi se soient réellement engagées dans une démarche active visant à conclure des accords de réciprocité. L’argument selon lequel la condition de réciprocité est une monnaie d’échange pour contraindre les États tiers à s’ouvrir aux professionnels français ne va d’ailleurs pas de soi. Au contraire, en abandonnant la réciprocité, on prive les États tiers d’un prétexte pour refuser l’ouverture aux professionnels français.
En troisième lieu, la proposition de loi et les modifications adoptées par notre commission ne visent que la condition de nationalité, les conditions de diplôme restant inchangées. Ainsi, il semble difficile de refuser l’égalité de traitement à un étranger titulaire d’un diplôme français pour la seule raison que son État d’origine refuse de reconnaître le diplôme français.
En réalité, la condition de réciprocité ne se justifie que dans le cas de professions soumises à une concurrence internationale intense. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a supprimé l’article 3, relatif aux avocats.
Une autre réserve a porté sur les professions soumises à un numerus clausus, professions médicales et vétérinaires en particulier.
Les ressortissants non communautaires titulaires d’un diplôme étranger permettant d’exercer en France n’étant pas soumis aux contraintes du numerus clausus, il pourrait en résulter une forme de discrimination à rebours au préjudice des étudiants français.
Si cette observation n’est pas sans fondement, elle ne doit pas non plus être exagérée et justifier une fermeture de l’accès à ces professions aux ressortissants non communautaires.
Tout d’abord, force est de constater que le numerus clausus est d’ores et déjà largement battu en brèche, d’une part, par des Français qui effectuent leurs études dans d’autres pays de l’Union européenne et, d’autre part, par des ressortissants communautaires qui peuvent s’établir en France librement dès lors qu’ils possèdent un diplôme les autorisant à exercer dans leur pays.
En outre, il faut le rappeler afin de lever toute ambiguïté, l’ouverture de ces professions réglementées aux ressortissants non communautaires ne signifie pas que tout étranger titulaire du diplôme exigé aurait un droit à exercer en France. La législation sur l’entrée, le séjour et le travail des étrangers en France s’applique indépendamment des règles particulières à telle ou telle profession.
En conséquence, sous réserve de plusieurs coordinations, la commission a adopté les articles 1er, 2, 4, 5 et 6 de la proposition de loi, devenus respectivement les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du texte qui est maintenant soumis au Sénat.
Elle a, en revanche, supprimé l’article 3 pour les raisons décrites précédemment, ainsi que l’article 7, relatif aux conférenciers nationaux et guides interprètes, cet article étant privé d’objet.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de loi dans la rédaction qu’elle a élaborée.