Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ensemble, cet après-midi, une proposition de loi, déposée par nos collègues du groupe de l’Union centriste, ayant pour objet d’autoriser la restitution à la Nouvelle-Zélande de têtes maories conservées en France.
Il s’agit, vous en conviendrez tous, en dépit du très court texte qui nous est soumis, d’un thème législatif d’une importance cruciale pour le patrimoine national, en particulier devant les nouveaux enjeux internationaux qui se présentent.
En tant que polynésien intimement lié à la cause maorie – il est de coutume, dans nos contrées insulaires, de dire que les Maoris sont nos « cousins » culturels –, je suis profondément sensible au sujet qui nous réunit cet après-midi. Il est ici question d’éthique, de dignité humaine post mortem, de diversité culturelle et de respect d’un système de croyances propre au peuple maori du « pays du long nuage blanc » ou Aotearoa, plus connu sous l’appellation Nouvelle-Zélande. Il est aussi question de la « sacralité » partagée par tous les peuples océaniens, dont certains font partie, je vous le rappelle, de la République française : Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, dont je suis le représentant aujourd’hui. Pour ne vous citer que deux exemples, le terme maori n’est que la forme locale du terme ma’ohi, qui désigne l’autochtone en Polynésie française ; je m’attache également à obtenir l’inscription sur la liste du patrimoine mondial d’un site polynésien qui représente, pour les Maoris, le dernier lieu de repos des âmes de tous les ancêtres maoris, quel que soit leur lieu de sépulture.
En tant que parlementaire, je ne peux que m’inscrire dans cette dynamique législative novatrice et ouverte vers l’Autre, dont l’éthique prend le dessus sur les clivages politiques nationaux et régionaux. À l’annonce de l’examen en séance publique de cette proposition de loi, je n’ai pu résister à l’impérieux réflexe protocolaire de prendre l’attache de nos cousins maoris d’Aotearoa, afin de veiller, à mon modeste niveau, à ce que l’objet de la loi soit toujours conforme à leurs souhaits. Tel est le cas, mais j’imagine que mes collègues de l’Union centriste qui sont à l’origine de la proposition de loi en étaient déjà persuadés.
Je n’ai pas non plus résisté au désir de prendre la température « sur le terrain » en visitant, avant-hier, le musée d’histoire naturelle de Rouen et la réserve où se trouve la tête maorie momifiée, en présence des autorités municipales et de la direction du musée, afin de comprendre les enjeux locaux, nationaux et internationaux de cette problématique. Il m’a aussi été donné, à cette occasion, de rendre visite à Mme la député-maire de Rouen qui m’a assuré de sa détermination et de celle de son conseil municipal – où siège également notre collègue Catherine Morin-Desailly – à voir aboutir la démarche de restitution de la tête maorie momifiée aux autorités néo-zélandaises.
Je souhaiterais au passage saluer officiellement le courage et l’audace dont a fait preuve la municipalité de Rouen, aussi bien l’actuelle que la précédente, en choisissant de faire droit à la demande des autorités néo-zélandaises. Elle a provoqué le débat qui nous occupe aujourd’hui, en prenant sa décision contra legem, c’est-à-dire en s’opposant sciemment à l’état du droit positif français qui classe encore les restes du corps humain comme « objets de collection » des musées de France ; en définitive, elle a relancé le pavé dans la mare ! Ce courage méritait d’être salué.
Notre collègue Catherine Morin-Desailly a rappelé très justement les deux normes internationales qui trouvent à s’appliquer, en la matière, en France : la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ratifiée par la France en 2007, mais aussi le code de déontologie de l’ICOM.
Par solidarité envers nos cousins culturels du Pacifique, par conviction traditionnelle profonde, mais également par souci d’éthique, je voterai donc « pour » le principe de la proposition de loi qui sera examinée par la Haute Assemblée, et proposerai quelques modestes amendements qui me paraissent nécessaires.
Mais, au-delà de ce vote d’une proposition de loi nominative de circonstance relative aux têtes maories encore entreposées en France, il s’agit de poser publiquement la question plus générale de l’état du droit positif français concernant le respect dû aux restes du corps humain. Nous ne pourrons plus traiter éternellement, au cas par cas, ce type de sollicitations internationales au moyen de lois nominatives de circonstance, sans mettre la France en réelle difficulté face à la prise de conscience croissante par les pays environnants de l’existence des outils internationaux que je viens de citer. C’est d’ailleurs ce vide juridique qui a conduit le comité de pilotage de la ville de Rouen, pour ne citer que cet exemple, à engager la démarche de restitution de la tête maorie momifiée que son musée d’histoire naturelle conservait en réserve depuis 1875.
Il nous faudra donc repenser, dans un avenir prochain, notre législation et notre réglementation inadaptées à ce type de situation, en tranchant clairement ce débat juridico-culturel émergent, tout en instituant des garanties légales innovantes qui ne laissent plus transparaître, en filigrane, un passé colonial dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il était peu glorieux !