Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, devant l’importance croissante que prennent les questions d’immigration dans nos sociétés, la France s’est dotée depuis maintenant plus de deux ans des moyens nécessaires à la mise en place d’une véritable politique dans ce domaine.
Un ministère de mission a été créé pour conduire, coordonner et animer cette politique, sous votre autorité, monsieur le ministre. Toutefois, le caractère interministériel de l’ensemble des actions développées reste très marqué et mérite, je le pense, d’être rappelé pour avoir une vision d’ensemble des efforts accomplis par le Gouvernement.
La politique transversale consacrée à l’immigration et à l’intégration des étrangers en France représentera, d’après le projet de loi de finances pour 2010, 3, 62 milliards d’euros en crédits de paiement. Au total, ce sont quinze programmes répartis dans onze missions et entre dix périmètres ministériels qui participent à cette politique.
Le ministère des affaires étrangères contribuera pour 39 millions d’euros, celui de la culture pour 7 millions d’euros, celui de la justice pour 9 millions d’euros, celui de la recherche et de l’enseignement supérieur pour 1 575 millions d’euros, celui de la santé pour 535 millions d’euros, celui de l’intérieur pour 780 millions d’euros, celui de l’économie pour 16 millions d’euros, celui du travail et des relations sociales pour 16, 5 millions d’euros, celui de la ville et du logement pour 60 millions d’euros et, enfin, les services du Premier ministre pour 20 millions d’euros.
Sur ces 3, 6 milliards d’euros, 78 % représentent des crédits d’accompagnement social, contre 22 % destinés à des actions répressives de lutte contre l’immigration clandestine. Qui le reconnaît parmi ceux qui portent des critiques systématiques et quotidiennes à l’égard de cette politique ?
La contribution du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche correspond à la prise en charge de plus de 200 000 étudiants étrangers en université en France.
La contribution du ministère de l’intérieur représente, d’une part, le coût du contrôle de la politique migratoire et de la gestion des centres de rétention administrative et, d’autre part, la rémunération des personnels intervenant dans les procédures de naturalisation, de demandes de visas, d’asile et de titres de séjour.
La contribution du ministère de la santé, qui s’élève à 535 millions d’euros, correspond principalement au financement de l’aide médicale d’État dont bénéficient les personnes en situation irrégulière sur le territoire français, c’est-à-dire presque autant que la mission « Immigration, asile et intégration », qui représente 560 millions d’euros, soit 15, 6 % des crédits budgétaires de la totalité de la politique transversale.
Je pense qu’il faut avoir ces chiffres en mémoire pour porter un jugement global sur la politique que vous coordonnez et que vous animez, monsieur le ministre.
Ce rappel étant fait, je voudrais aborder maintenant le budget de la mission « Immigration, asile et intégration ». Ce budget fait apparaître plusieurs progrès majeurs par rapport à l’année dernière.
Le premier est le taux élevé de progression des crédits, de 12 % en autorisations d’engagement et de près de 10 % en crédits de paiement. La hausse réelle, il est vrai, n’est que de 8, 4 % si l’on tient compte de l’extension du périmètre intervenu dans les années 2009 et 2010 avec la dévolution des dépenses d’investissement des centres de rétention administrative au ministère de l’immigration dès le 1er janvier prochain.
Cette hausse correspond principalement à l’augmentation des crédits dédiés à l’accueil des demandeurs d’asile, notamment dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA, et à la progression de 77 % des crédits destinés à l’allocation temporaire d’attente versée aux demandeurs d’asile pendant toute la durée de la procédure d’instruction de leur demande.
Le deuxième axe de progrès consiste en la consolidation administrative de ce ministère récent, dont la gestion arrive aujourd’hui à maturité. En effet, d’une part, le plafond de 615 emplois en équivalent temps plein travaillé se stabilise ; d’autre part, tous les services sont depuis cette année regroupés sur deux sites, à proximité de l’hôtel du ministre. Ce regroupement a permis de réduire de 1, 8 million d’euros les dépenses de fonctionnement du ministère en 2010.
Enfin, cette consolidation du ministère se traduit également, comme je l’ai déjà mentionné, par le regroupement au sein de la mission des crédits d’investissement des centres de rétention administrative, auparavant gérés par le ministère de l’intérieur.
Le troisième progrès notable est le retour à une situation financière normale pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, opérateur chargé de l’accueil des primo-arrivants et de la mise en œuvre de leur parcours d’intégration. Après plusieurs années où le fonds de roulement paraissait très excessif, l’année 2010 va voir le retour à la normale de cette situation.
Toutefois, à côté de ces progrès, monsieur le ministre, deux inquiétudes demeurent.
D’une part, la budgétisation des crédits destinés à l’accueil des demandeurs d’asile paraît encore insuffisante. En effet, malgré une hausse remarquable de 10 % en 2010, ces crédits seront vraisemblablement trop limités pour répondre à l’accroissement du flux des demandeurs d’asile qui, je le rappelle, a été de 19, 7 % en 2008 et de 16, 5% sur les premiers mois de l’année 2009. Il est donc à craindre que, pour la troisième année consécutive, il ne faille ouvrir de nouveaux crédits en cours d’exercice pour faire face à l’afflux des demandeurs d’asile.
D’autre part, la vision de la politique transversale d’immigration est encore lacunaire. Il est difficile d’analyser, dans le document de politique transversale, les raisons de l’évolution des crédits consacrés par chaque ministère à la politique d’immigration. Les capacités d’analyse et de contrôle du ministère de l’immigration sur l’ensemble de la politique transversale devraient être, à mon sens, renforcées.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances propose au Sénat d’adopter les crédits de cette mission.
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais terminer mon intervention sur une note un peu plus personnelle. La France a toujours été un pays d’immigration, celle-ci étant tantôt subie, tantôt souhaitée. Notre pays possède une longue et riche expérience en la matière et, globalement, il a su réussir sa politique d’accueil et d’intégration. C’est une chance pour lui que de pouvoir utiliser son expérience pour relever les nouveaux défis qui s’annoncent, car chaque génération d’immigrés a ses caractéristiques propres.
Vous avez bien fait d’inviter les Françaises et les Français à réfléchir aux notions d’identité, de laïcité et d’intégration. Si la France a réussi dans le passé, c’est parce qu’elle a su être tout à la fois ferme et généreuse. La fermeté, c’est expliquer qu’un pays ne peut pas demander à ses ressortissants de respecter la loi, et aux étrangers de ne pas le faire. C’est aussi pourchasser sans répit toutes ces filières qui s’enrichissent du malheur des autres. La générosité, c’est accueillir chaque année celles et ceux qui frappent à notre porte pour des raisons essentielles, et qui nous demandent asile.
Nous le faisons : 52 000 contrats d’accueil et d’intégration ont été signés, 65 000 personnes ont été naturalisées en six mois ; ces chiffres nous placent aux premiers rangs des pays européens et nous permettent non seulement d’accueillir, mais aussi d’intégrer, dans le respect de chaque personne.
Le monde étant ce qu’il est, nous devrons encore longtemps conduire cette politique d’immigration ; c’est un problème de société que nous devons résoudre en conjuguant réalisme et humanisme.
Nous devons éviter que cette politique ne devienne l’enjeu de deux propagandes opposées : le nationalisme intransigeant d’un côté, l’angélisme béat ou tactique de l’autre. Ce doit être l’honneur de notre pays que de se tenir à égale distance de l’un et de l’autre.