Intervention de François Rebsamen

Réunion du 27 novembre 2009 à 14h30
Loi de finances pour 2010 — « gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien »

Photo de François RebsamenFrançois Rebsamen, rapporteur spécial de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie André Ferrand, avec lequel je travaille sur ce sujet depuis un an désormais, des propos qu’il a tenus.

Il me revient de vous présenter les deux programmes dont j’ai la charge, à savoir le programme 220 « Statistiques et études économiques », qui est en quelque sorte le support de l’action de l’INSEE, l’Institut national de la statistique et des études économiques, et le programme 305 « Stratégie économique et fiscale », qui regroupe les moyens de la direction générale du Trésor et de la politique économique ainsi que de la direction de la législation fiscale.

J’évoquerai en premier lieu le programme « Statistiques et études économiques », en précisant d’emblée que l’année 2010 est charnière pour le développement des activités de l’INSEE, comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'État. En effet, elle marque la clôture du premier contrat pluriannuel de performance 2007-2009, qui prévoyait, en trois ans, une baisse des effectifs de 5, 4 %.

De fait, l’objectif est atteint, et même dépassé – c‘est presque du zèle ! –, puisque, depuis 2008, la diminution des effectifs s’élève à 5, 75 %. Nous en sommes aujourd'hui à 5 487 équivalents temps plein, contre 5 822 en 2008.

En outre, l’INSEE a mis en œuvre ou se prépare à engager de nombreuses réformes, dont certaines me semblent essentielles : premièrement, la rationalisation des périmètres et de la coordination des services statistiques ministériels, en particulier grâce à la fusion entre le service statistique du ministère de l’industrie et l’INSEE ; deuxièmement, la création, par la loi de modernisation de l’économie, d’une autorité chargée de garantir l’indépendance du système statistique, qui a été installée au mois de juin dernier ; troisièmement, le développement de la mutualisation des fonctions support des directions régionales de l’INSEE ; quatrièmement, l’augmentation du tarif des études de l’Institut, qui devra le plus possible refléter le coût réel de celles-ci.

Enfin, et surtout, il est prévu de délocaliser à Metz, dès 2010, une partie de l’INSEE. Certes, l’effet budgétaire de cette mesure pour l’année prochaine demeure limité, puisque, dans un premier temps, seules quinze personnes devraient s’installer en Moselle. Toutefois, le problème des locaux et des modalités d’affectation du personnel, sur la base du volontariat, se pose d’ores et déjà de façon aiguë, compte tenu de l’inadaptation des bâtiments militaires proposés dans un premier temps pour héberger l’INSEE et de l’installation prévue de deux cents personnes dès 2011.

Dans ce contexte de réformes liées à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, de réduction des effectifs, de délocalisation et de reconfiguration profonde de nombreux outils – mise en place de la nouvelle « enquête emploi » et de la méthode de recensement de la population en continu, optimisation et dématérialisation des modes de collecte des informations en provenance des entreprises –, le budget de l’INSEE est étale. Il connaît une « croissance zéro » et même recule si l’on prend en compte l’inflation, car il s’élèvera en 2010, comme en 2009, à 418 millions d’euros.

Au sein de ce budget, la masse salariale représente 361 millions d’euros, soit un taux de 86 % caractéristique des institutions à forte part de « matière grise », me semble-t-il. Cependant, le fonctionnement de l’INSEE, sur lequel je reviendrai, risque de se retrouver compromis par la délocalisation hâtivement décidée de l’établissement.

À cet égard, je soulignerai tout particulièrement l’étendue des missions de l’INSEE : celles-ci dépassent largement le cadre d’un organisme statistique, dans la mesure où l’Institut gère aussi les grands fichiers de l’État, par exemple le répertoire SIRENE, et qu’il produit, notamment pour les collectivités locales, de nombreuses études.

Ces sujétions de service public ne doivent pas être sous-estimées : ainsi, pour la constitution du fichier électoral, les communes auront transmis à l’INSEE 1, 2 million de documents pour traitement.

C’est pourquoi, mes chers collègues, tout en soutenant le projet de modernisation et de délocalisation de l’INSEE, je souhaite vous faire part de quelques observations.

Tout d'abord, la question des effectifs constitue un volet majeur de la réorganisation de l’Institut, dans le cadre de la négociation des conditions de délocalisation, pour laquelle les engagements statutaires présentés par le directeur général, M. Jean-Philippe Cotis, constituent une réponse adaptée.

Il n’y aura pas de départ contraint, et le Gouvernement ambitionne – c’est du moins ce qu’il affirme, et il tiendra sans doute ses promesses, du moins je l’espère – de donner à l’INSEE les moyens de susciter des départs volontaires. Nous souhaitons que le plan d’accompagnement soit véritablement ambitieux, mais nous savons que les délocalisations antérieures ont souvent révélé leurs limites.

Je le rappelle, le rapport remis en décembre 2008 par MM. Duport et Cotis soulignait : « Comme en témoignent les expériences récentes en matière de délocalisation, en France et à l’étranger, environ 10 % seulement des effectifs concernés tendent en moyenne à “suivre le mouvement”. »

La question des effectifs constitue également un volet majeur de la réorganisation de l’Institut au regard du redéploiement stratégique des équipes de l’INSEE vers une montée en gamme des études, pour passer de la statistique descriptive à l’évaluation et à l’aide à la décision des politiques publiques nationales et régionales.

Il faut veiller à ce que le regroupement en Moselle ne porte pas un coup à une certaine conception de l’expertise. En effet, le rapport de MM. Duport et Cotis relevait que, à travers la proximité physique entre économistes, statisticiens et fonctionnaires généralistes – ce point est important –, l’administration française s’était efforcée de promouvoir une « culture économique au quotidien ». La délocalisation de ses services statistiques ne doit donc pas compromettre durablement la montée en gamme de l’expertise économique au sein de l’administration française.

Par ailleurs, la recherche d’une meilleure tarification des services rendus par l’INSEE bute sur deux limites. La première concerne les recettes des publications de l’Institut : les fonds de concours sont évalués à 17 millions d’euros pour 2010 et leur rendement risque de s’inscrire dans un mouvement de baisse tendancielle, à mesure que se développe l’usage de l’Internet, donc l’accès gratuit au fonds documentaire statistique.

À titre d’illustration, je vous signale que le nombre de téléchargements de documents constatés en 2008 sur le site www.insee.fr s’est élevé à 13, 8 millions, pour plus de 20 millions de visites. Avec de telles données, on mesure mieux la difficulté.

Par ailleurs, la facturation des études fournies aux collectivités locales pose le problème de la détermination du coût du service et de sa prise en charge, mais il faudra conserver l’esprit de partenariat nécessaire entre l’INSEE et les collectivités. À cet égard, comme je l’ai indiqué au directeur général de l’INSEE, il me semble utile de présenter une recommandation allant dans le sens d’une meilleure appréhension des coûts, telle que l’affichage du coût estimé et de la charge de travail occasionnée en homme/jour, ainsi que le fait la direction générale du Trésor et de la politique économique.

Je formulerai en guise de conclusion une interrogation à titre personnel. Le 17 novembre dernier, l’INSEE a annoncé qu’elle allait prendre en compte les recommandations du rapport Stiglitz. Tout en reconnaissant que la mesure du bien-être de la population, telle qu’elle figure dans le rapport, serait « extrêmement coûteuse », Jean-Philippe Cotis a indiqué qu’elle serait mise en œuvre. Compte tenu des éléments que j’ai présentés à l’instant sur le budget de l’INSEE – un budget en croissance zéro et une baisse des effectifs pouvant aller au-delà de ce qu’avait fixé le contrat pluriannuel de performance 2007-2009 –, il y a lieu de se poser la question de savoir si l’INSEE sera capable de mener à bien cette petite révolution et aura la marge de manœuvre nécessaire pour le faire.

Je vous rappelle que le rapport du prix Nobel d’économie ne propose rien moins que de changer la mesure de la croissance économique, en utilisant des indicateurs de bien-être qui prennent en compte les activités non-marchandes, comme les travaux domestiques, les loisirs ou, à l’inverse, les inégalités.

L’INSEE annonce donc qu’il publiera en 2010 des enquêtes « en phase avec l’approche du rapport Stiglitz » sur les très hauts revenus, l’évolution du mal-logement et du capital humain. C’est une bonne initiative, mais il faut s’assurer que cela soit compatible avec les contraintes qui lui sont imposées.

Je ne peux rester insensible à certaines remarques. Ainsi, selon le Comité de défense de la statistique publique, la statistique publique « risque [...] fort de se trouver confrontée à une équation insoluble : demande croissante, moyens en baisse, désorganisation » du fait du transfert.

J’en viens au programme 305 « Stratégie économique et fiscale ». Structuré en trois actions, il concourt à la conception et à la mise en œuvre par l’exécutif de la politique économique et financière de la France dans le cadre national, européen et international ainsi que dans l’élaboration de la législation fiscale.

Pourtant, les crédits de ce programme sont en baisse. D’un montant de 348 millions d’euros pour 2010, ils sont consacrés au soutien de la direction générale du Trésor et de la politique économique, la DGTPE, et de la direction de la législation fiscale, la DLF, à la rémunération des prestations réalisées par la Banque de France pour le compte de l’État pour 145 millions d’euros et au réseau international de la DGTPE de services économiques. Ils accusent une baisse de 2, 6 % par rapport à 2009, alors qu’ils avaient déjà diminué de 3, 7 % cette année-là.

Par ailleurs, nous constatons une stagnation des dépenses fiscales. Comme en 2009, le programme comprend 18 millions d’euros de dépenses fiscales, pour remplir des objectifs divers tels que favoriser les prêts familiaux, aider les personnes divorcées, favoriser le secteur de l’assurance-retraite et de la prévoyance ainsi que les dons aux organismes d’intérêt général.

Les raisons du rattachement de ces dépenses fiscales au programme 305 sont d’ordre fonctionnel et ne correspondent pas à un objectif particulier du programme. Aussi me semblerait-il plus opportun d’étudier des rattachements à des missions budgétaires plus proches de ces objectifs. Je rappelle que l’objectif du programme 305 est d’éclairer les choix de l’exécutif.

En tant que rapporteur spécial, je vous invite, mes chers collègues, à adopter les crédits des programmes 220 et 305.

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