... préoccupés par l’avenir, leur avenir, celui de leur famille, de leurs enfants : angoisse portant sur leurs conditions de vie, crainte face au retour massif du chômage, mais aussi peur de la précarité qui, malheureusement, obscurcit l’horizon de centaines de milliers de personnes qui n’ont plus droit à rien.
Dans ce contexte, vous avez choisi de consacrer plusieurs semaines, au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, non pas aux souffrances dont je viens de parler, mais à la réforme de l’organisation territoriale de la France.
Bien sûr, il y a motif à aller plus loin sur ce sujet, à poursuivre la décentralisation, à adapter cette organisation aux nouvelles donnes d’un monde et d’une société qui bougent. Mais enfin, cette réforme territoriale est éminemment politique ; je dirais même qu’elle est, dans le vrai sens du terme, profondément « idéologique ».
Nous sommes nombreux à y voir un signe supplémentaire du démantèlement de l’État. Pour être plus précis, nous avons l’impression que l’État républicain s’efface derrière l’État manager. Nous avons bien compris aussi, compte tenu des cadeaux fiscaux que vous accordez aux Français les plus privilégiés, qu’il vous faut chercher de nouvelles marges de manœuvre : vous le faites en vous défaussant sur les collectivités locales.
Pour en revenir à la série de textes que vous nous proposez, j’observe que tous portent la marque d’une même volonté, d’un même objectif que je qualifierai presque d’obsessionnel : remettre en cause la décentralisation, le mouvement entamé par la gauche en 1982 avec François Mitterrand et Pierre Mauroy, ce qui a fait dire au même Pierre Mauroy que cette réforme « replongeait notre pays dans un passé révolu ».
Permettez-moi, au moment où l’on essaye de les désigner comme des boucs émissaires, de saluer les quelque 560 000 élus locaux, qui sont dans leur immense majorité des bénévoles et qui ne comptent pas leurs heures pour exercer un mandat conférant d’énormes responsabilités, sans bénéficier en contrepartie de véritables garanties. Oui, permettez-moi de les saluer, eux qui font vivre la démocratie dans notre pays et qui constituent de formidables leviers pour permettre à la France d’investir, d’innover et de se développer.
Nous affirmons, récusant ainsi tous les procès en conservatisme ou en immobilisme que l’on nous fait, que nous sommes pour la réforme ; nous faisons même des propositions très fortes et très précises, sur lesquelles le débat nous donnera l’occasion de revenir… Mais nous sommes partisans d’une réforme pour aller de l’avant, pas pour aller en arrière ! En tout cas, nous sommes clairement opposés à votre méthode, à votre mépris de l’écoute des élus locaux, de leurs associations, de leurs représentants parlementaires…
Vos projets sont incohérents ; ils suscitent la méfiance, voire la défiance, et remettent en cause tant de valeurs auxquelles les Français sont attachés que seul un référendum, et donc la consultation du peuple souverain, peut leur donner une légitimité.
Ils sont incohérents, tout d’abord, parce que vous avez voulu réformer la fiscalité locale avant même d’avoir clarifié les responsabilités de chaque échelon. La clause de rendez-vous de la réforme de la taxe professionnelle est, théoriquement, un ajustement. Mais si la clarification des compétences aboutit à des transferts de compétence, il faudra reprendre à zéro la réforme des finances locales.
Ils sont incohérents, ensuite, parce que le rapprochement des régions et des départements manifeste une profonde méconnaissance de la réalité locale, comme le juge avec pertinence le président de l’Association des régions de France.
Notre organisation territoriale repose fondamentalement sur deux niveaux. Le premier est celui de la stratégie. Il va de l’Europe à la région, en passant par l’État. La région est ainsi l’échelon de mise en œuvre des politiques stratégiques, économiques et de grands équipements, lancées et financées par l’État et l’Union européenne. Le second niveau est celui de la proximité. Il va du département à la commune, en passant par les intercommunalités. Le département est ainsi l’échelon de la solidarité sociale et territoriale, des politiques de proximité. Ce rapprochement illogique est bien le préalable à la fusion : nous savons tous que ce sera, inévitablement, l’étape suivante.
Vos projets sont incohérents, enfin, parce que la remise en ordre des compétences est renvoyée à plus tard. Alors que le rapport Balladur était intitulé Il est temps de décider, l’article 35 représente une capitulation devant la clarification des compétences : celle-ci est renvoyée à plus tard, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, c’est-à-dire pas avant la mi-2011 ; mais alors, l’élection présidentielle sera trop proche pour que l’on y procède.