Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’histoire de ce texte est liée au rapport qui avait été présenté par quatre membres de notre assemblée. Je ne m’attarderai toutefois pas sur ce point, que Jean-René Lecerf, l’un des auteurs de la proposition de loi, vient à l’instant d’évoquer dans son intervention.
Cette proposition de loi part d’un constat accablant : 10 % des détenus environ souffriraient de troubles psychiatriques très graves, et peuvent donc être véritablement considérés comme des malades mentaux, ce chiffre n’incluant pas les personnes souffrant de troubles du comportement, de troubles dus à des addictions ou de troubles dus à l’enfermement pénitentiaire lui-même.
Le code de procédure pénale prévoit pourtant une expertise, obligatoire en matière criminelle, facultative en matière correctionnelle. Les personnes déclarées pénalement irresponsables sont envoyées en hôpital psychiatrique sous le régime de l’hospitalisation d’office, et celles dont la responsabilité est simplement altérée encourent une sanction pénale dont la juridiction fixe la durée et les modalités d’application. Toutefois, les psychiatres préfèrent souvent ne pas conclure à l’irresponsabilité totale, et l’on constate en effet que les rapports d’expertise qui vont dans ce sens tendent à se raréfier.
Quant aux jurys d’assises, lorsqu’ils sont confrontés à un délinquant dont la responsabilité peut être altérée en raison de troubles mentaux, ils ont tendance, par mesure de sécurité – on peut les comprendre ! –, à le condamner plus lourdement encore.
Pour remédier à ces difficultés, la proposition de loi qui vous est soumise prévoit que l’atténuation de la responsabilité résultant du rapport de l’expert constitue un facteur d’allègement du quantum de la peine encourue. En contrepartie, elle renforce toute une série d’obligations de soins pendant et après la détention de la personne concernée.
Le principe de l’atténuation de la responsabilité a été initialement posé par un arrêt de la Cour de cassation de 1885 puis, en 1905, par la fameuse circulaire Chaumié, du nom du garde des sceaux de l’époque. L’évolution de la psychiatrie a par la suite montré qu’il existait des gradations dans la maladie mentale et dans la conscience de la personne malade. C’est ainsi qu’est née l’alternative de l’article 122-1 du code pénal, qui distingue l’irresponsabilité totale et l’atténuation de responsabilité.
Cette distinction aurait dû limiter le nombre de malades mentaux graves en prison. Or, il n’en est rien, avec toutes les conséquences désastreuses qui en résultent pour le délinquant malade, pour l’établissement pénitentiaire, mais aussi, nous y reviendrons, pour la société.
L’altération du discernement devrait entraîner une diminution de la durée de la peine. Le rapporteur pour le Sénat de la loi portant réforme des dispositions générales du code pénal, Marcel Rudloff, avait conclu en ce sens. Les travaux préparatoires de ce texte attestent de cette volonté du législateur, également relevée par Jean-François Burgelin dans son rapport de 2005. Enfin, le Conseil constitutionnel a rappelé ce principe à propos de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, en indiquant que la juridiction peut toujours, sur le fondement de l’article 122-1 du code pénal, prononcer une peine inférieure aux peines prévues.
Dès lors, la prise en compte de l’altération du discernement comme cause de réduction de la peine ne constituerait nullement un précédent dans notre droit. Un tel système est d'ailleurs appliqué dans d’autres pays, notamment en Espagne et en Italie.
La proposition de loi prévoit que la peine encourue est réduite d’un tiers dans le cas où le discernement est altéré : une peine de trente ans serait ainsi ramenée à vingt ans. On peut certes discuter de l’ampleur de cette réduction – nos collègues du groupe CRC-SPG déposeront d'ailleurs un amendement sur ce point –, mais ce choix, opéré dans un souci d’équilibre, est le fruit d’un compromis acceptable par le plus grand nombre d’entre nous.
Je remarque que cette méthode, propre au Sénat, et particulièrement à la commission des lois, grâce à son président Jean-Jacques Hyest, permet de faire évoluer notre législation dans le bon sens. À l’avenir, d’autres propositions de loi, émanant de divers groupes politiques, feront également l’objet de compromis porteurs d’avancées.
Dans la limite de ce plafond abaissé d’un tiers, le juge peut décider de la durée de la peine la plus appropriée, en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité du délinquant et, éventuellement, de son casier judiciaire. Le principe d’individualisation de la peine est donc pleinement respecté, je le dis solennellement. Le juge reste totalement libre, bien qu’il soit, comme toujours, contraint par un plafond : lorsqu’il juge un escroc qui encourt cinq ans d’emprisonnement, il ne peut pas le condamner à six ou sept ans d’emprisonnement !
Le code pénal contient d’ailleurs d’autres causes légales de diminution du quantum de la peine : c’est le cas pour les mineurs âgés de plus de treize ans, qui se voient appliquer une réduction de 50 %, mais aussi lorsque l’auteur ou le complice d’une infraction de terrorisme, de trafic de stupéfiants ou de fausse monnaie livre des informations qui permettent de pousser plus loin les investigations et de trouver d’autres auteurs de ces infractions particulièrement graves.
Voilà pour les dispositions figurant dans la première partie de la proposition de loi.
Dans la deuxième partie du texte, et par souci d’équilibre, les auteurs de la proposition de loi ont prévu que les personnes dont le discernement est altéré par une maladie mentale, et qui seraient condamnées moins lourdement qu’aujourd’hui, se voient imposer diverses obligations de soins – ce qui, il faut bien le dire, n’est pas le cas à l’heure actuelle.
Ainsi, si un sursis avec mise à l’épreuve est prononcé, avec ou sans peine ferme, il devra comporter une obligation de soins, laquelle ne sera toutefois pas automatique, le juge ayant la possibilité de passer outre, après avis médical. Notons que le suivi socio-judiciaire peut déjà être prononcé par le juge pour un très grand nombre d’infractions.
Par ailleurs, l’article 2 de la proposition de loi vise à permettre au juge de l’application des peines de retirer les réductions de peine pendant la détention en cas de refus de soins de la part d’une personne incarcérée dont le discernement était altéré au moment des faits. Cette décision serait également prise après avis médical.
Les psychiatres que nous avons entendus, s’ils étaient d’accord avec la proposition de loi, se sont montrés plus réticents sur ce dernier point, jugeant que l’on ne pouvait pas contraindre à une obligation de soins des personnes détenues, et que le fait de les inciter à se soigner était déjà, en soi, une thérapie.
Mes chers collègues, nous devons être conscients des contradictions de la pratique actuelle.
Une personne qui commet une infraction grave, par exemple un assassinat, et qui est déclarée pénalement irresponsable, sera hospitalisée d’office dans un hôpital psychiatrique. On ne lui demandera pas son avis et, pour son bien, on la soignera, y compris par les méthodes les plus dures, en la plaçant, par exemple, en chambre de contention ou d’isolement, ainsi que nous avons pu le constater dans les UMD que nous avons visitées.
En revanche, une personne qui commettrait la même infraction, mais dont le discernement serait simplement altéré au moment des faits, se retrouverait en prison, même si le quantum de peine venait à être atténué par ce texte. Elle serait, certes, vraisemblablement incarcérée dans un établissement doté d’un SMPR, voire, par périodes, placée en UMD, mais ne serait nullement soumise à une obligation de soins. Or les psychiatres ont eux-mêmes souligné que leurs rapports n’étaient pas des objets scientifiques incontestables et qu’ils pouvaient varier d’une personne à l’autre.
On nous dit bien que, dans un tel cas, les détenus seront incités à se soigner, l’infirmerie offrant un meilleur régime que la simple détention. Il n’en reste pas moins qu’une telle différence de traitement me paraît tout simplement impensable, mes chers collègues !
C’est la raison pour laquelle nous avons prévu que, dans ce cas-là, le juge de l’application des peines puisse faire jouer une série de mesures qui, nous l’espérons, conduiront les personnes en détention à suivre les soins que nécessite leur état de santé mentale.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi vise à permettre l’application des mesures de sûreté prévues à l’article 706-136 du code de procédure pénale aux personnes dont le discernement est altéré à l’issue de leur détention. La décision du juge serait soumise à un avis médical ; il n’y aurait donc aucune automaticité, conformément aux remarques formulées par les représentants de la Chancellerie lors de leur audition.
En conclusion, je le répète, ce texte permet d’établir un meilleur équilibre entre la réponse pénale et la prise en charge sanitaire. Le dispositif a été approuvé à l’unanimité par la commission des lois, certains commissaires n’ayant pas pris part au vote.
Cette proposition de loi, que je vous propose d’adopter, mes chers collègues, est conforme au principe de proportionnalité, en ce qu’elle permet d’assurer à la fois la réduction de la peine encourue par les personnes atteintes de troubles mentaux et la nécessaire sécurité due à la société.
Elle ne vise nullement, comme je l’ai lu à tort dans des journaux qui pratiquent la désinformation, à prendre le contre-pied de la politique sécuritaire du Gouvernement. Un tel raisonnement n’a, en l’espèce, aucun sens.
Elle permet simplement de prendre en compte le malade mental délinquant, de le soigner mieux qu’il ne l’est aujourd’hui, mais aussi de l’y obliger, afin d’éviter la récidive et de protéger la société.