Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 7 février 2007 à 15h30
Modification du titre ix de la constitution — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur :

Cette tentative inaboutie montre bien qu'il s'agit avant tout de permettre la sanction des manquements aux devoirs de la charge présidentielle.

La Haute Cour de justice, chargée d'apprécier souverainement les faits constitutifs d'une haute trahison, est tout aussi inadaptée. Sa composition et son fonctionnement lui donnent un caractère juridictionnel, alors que la seule incrimination dont elle puisse connaître est de nature politique et que les peines qu'elle pourrait prononcer ne sont pas définies.

Par ailleurs, en tant que juridiction, la Haute Cour de justice ne satisfait sans doute pas aux exigences du procès équitable définies à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Bien entendu, les incertitudes du statut pénal du chef de l'État ont été soulignées et mises en lumière par les jurisprudences divergentes du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Si ces deux hautes juridictions ont exclu toute poursuite ou instruction à l'égard du Président de la République pendant la durée de son mandat, elles font cependant des interprétations opposées de l'article 68 de la Constitution, le Conseil constitutionnel estimant que la compétence de la Haute Cour de justice est générale, en vertu d'un privilège de juridiction, alors que la Cour de cassation considère cette compétence limitée au cas de haute trahison.

Néanmoins, la Cour de cassation a conclu à l'inviolabilité temporaire du Président de la République, précisant qu'en contrepartie de l'interdiction des poursuites pendant la durée de son mandat les délais de prescription étaient suspendus. La Cour de cassation a ainsi, au passage, interprété la jurisprudence constitutionnelle.

Tenant compte de ces ambiguïtés et des insuffisances du texte en vigueur, le projet de loi constitutionnelle précise et modernise le statut pénal du chef de l'État.

En effet, l'actuel régime de responsabilité du Président de la République n'est pas seulement ambigu, il paraît aussi inadapté à l'évolution du rôle du chef de l'État sous la Ve République.

À la fin du XIXe siècle, après la crise du 16 mai 1877, le Président de la République exerçait une magistrature protocolaire. Mais aujourd'hui, le Président n'est plus le « manchot constitutionnel » que décrivait Raymond Poincaré ; c'est un personnage central de nos institutions. Seul représentant élu par l'ensemble de la nation, il est le garant de la continuité de l'État, de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, et le chef des armées.

Dès lors, la protection de la fonction présidentielle contre les risques de déstabilisation paraît plus indispensable encore sous la Ve République que sous les précédentes républiques.

Dans un contexte de pénalisation de la vie publique et de médiatisation des affaires, des plaintes pourraient en effet viser à déstabiliser en permanence le chef de l'État.

En outre, l'indépendance nécessaire à l'exercice du mandat présidentiel et la séparation des pouvoirs exigent que le chef de l'État, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, ne puisse être mis en cause par les tribunaux.

Il est par conséquent dans la logique de nos institutions d'accorder au chef de l'État une protection complète pendant la durée de son mandat.

Dans cette logique, et suivant les recommandations du rapport Avril, le projet de loi constitutionnelle préserve, à l'article 67, le principe d'irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en qualité de chef de l'État, sous réserve des dispositions relatives tant aux compétences de la Cour pénale internationale qu'à l'hypothèse de la destitution.

Le Président de la République fera par ailleurs l'objet d'une inviolabilité complète pendant la durée de son mandat, s'agissant des actes détachables de ses fonctions. Cette immunité prend fin avec le mandat du Président de la République, qui relève alors du droit commun.

À l'issue d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions, les instances et procédures rendues impossibles pendant le mandat pourraient être engagées, si elles avaient été déclarées irrecevables, ou reprises, si elles avaient été engagées avant l'élection présidentielle et suspendues ensuite.

S'il convient de protéger la fonction, il paraît tout aussi indispensable d'organiser une procédure permettant de sanctionner les atteintes que pourrait porter à l'institution le comportement même du Président de la République.

À cette fin, le projet de loi constitutionnelle crée, à l'article 68 de la Constitution, une procédure de destitution du chef de l'État en cas de manquement manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions.

Comme l'indique le rapport Avril, la destitution est conçue comme « une soupape de sûreté qui, dans des cas exceptionnels et graves, préserve la continuité de l'État en mettant fin, par des mécanismes présentant toutes garanties, à une situation devenue intenable ».

Le Parlement, constitué en Haute Cour, devrait alors se prononcer non sur la qualification pénale de ce manquement, mais sur l'atteinte portée à la dignité de la fonction.

L'atteinte à une institution issue du suffrage universel ne peut être appréciée que par le représentant du peuple souverain. Il revient donc au Parlement de rendre le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire.

Bien entendu, le Président de la République serait susceptible d'être poursuivi devant les juridictions de droit commun si le manquement à l'origine de sa destitution constituait par ailleurs une infraction.

La destitution est une procédure dépénalisée : pour la Haute Cour, il s'agit non pas de se substituer à la justice afin de juger le chef de l'État, mais de se prononcer sur la capacité de ce dernier à poursuivre son mandat, compte tenu des manquements qui lui sont reprochés.

La procédure de destitution n'est donc pas de nature juridictionnelle. Aussi n'est-elle pas liée par le principe de la légalité des délits et des peines. Elle s'impose logiquement comme la sanction institutionnelle ou politique d'un manquement portant atteinte à la fonction présidentielle et rompt par conséquent avec l'ambiguïté du régime initialement défini par la Constitution de 1958. J'ajoute que cette procédure existe dans toutes les démocraties, et pas seulement outre-Atlantique.

Le manquement à l'origine d'une procédure de destitution peut tenir aussi bien au comportement privé du Président de la République qu'à son comportement politique.

Le chef de l'État pourrait, par exemple, être destitué parce qu'il a souhaité mettre en oeuvre l'article 16 de la Constitution alors que les conditions n'étaient pas réunies, ou parce qu'il a commis un délit ou un crime patent, avant ou après le début de son mandat. Cette hypothèse est improbable, mais certains souhaitent que tous les cas soient envisagés, y compris celui où le Président de la République élu serait un voyou !

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