Intervention de Dominique Braye

Réunion du 25 mars 2008 à 16h00
Chiens dangereux — Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Dominique BrayeDominique Braye, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a décidé de présenter un avis en deuxième lecture sur le projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux.

Ce choix, qui n'est pas habituel, n'est pas uniquement motivé par le souhait de prolonger la fructueuse et cordiale coopération avec la commission des lois, saisie au fond, même si j'ai été très heureux de poursuivre avec son rapporteur, Jean-Patrick Courtois, notre amicale collaboration et une réflexion commune qui, comme en première lecture, ont débouché sur des propositions, elles aussi, très largement communes.

Instruit par les insuffisances de la loi du 6 janvier 1999, qu'il avait décelées dès sa discussion, et par l'expérience de son application, le Sénat avait souhaité, en première lecture, tirer le meilleur parti des outils de prévention que met en place le texte important que vous nous proposez, madame le ministre, en particulier en élargissant leur champ d'application. L'Assemblée nationale ne nous a pas suivis sur ce point, qui nous paraît pourtant essentiel.

Mais, avant de revenir sur cette importante divergence, je voudrais insister sur le dialogue très constructif qui, sur beaucoup de points, comme l'a rappelé Jean-Patrick Courtois, s'est déjà établi entre les deux assemblées et le Gouvernement et saluer le travail accompli par la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale, et son rapporteur, Mme Catherine Vautrin.

Certaines dispositions ont déjà été adoptées conformes : je pense en particulier à celle qui prévoit, lors de chaque cession d'un chien, la délivrance d'un certificat vétérinaire comportant un certain nombre d'informations et de recommandations à l'usage de l'acquéreur. Ce dispositif sera un peu lourd, puisque l'on compte chaque année environ un million de transactions portant sur des chiens, mais il sera certainement très utile, comme vous l'avez rappelé, madame le ministre.

Je me félicite aussi que les deux assemblées aient résolu de façon réaliste et raisonnable, avec l'accord du Gouvernement, le problème que posait le sort des animaux de première catégorie détenus sans violation de la loi. Il est désormais acquis que leur situation pourra être régularisée, à condition qu'une évaluation comportementale ait établi qu'ils ne présentaient pas de danger particulier. C'est là, je crois, une solution de bon sens, cohérente avec l'esprit et le dispositif du projet de loi, et qui restera applicable dans le contexte du nouveau « permis de détention » dont l'Assemblée nationale a prévu la mise en place.

Nous vous proposerons d'ailleurs, en accord avec la commission des lois, de prolonger cette logique en prévoyant que, dans le cadre de l'instruction de toutes les demandes de permis de détention, les évaluations comportementales des chiens soient communiquées au maire, qui pourra alors refuser de délivrer le permis en fonction des résultats.

Vous en conviendrez, madame le ministre, mes chers collègues, il ne serait en effet pas concevable, dès lors qu'il aura été procédé à l'évaluation comportementale de l'animal, que le maire ne dispose pas de cette évaluation. Il serait encore moins concevable que l'on reste dans la logique de compétence liée, qui est celle du texte actuel, et qui pourrait conduire à délivrer un permis pour un chien dont l'évaluation aurait révélé une réelle dangerosité.

L'Assemblée nationale a aussi partagé notre souci de ne pas multiplier les évaluations et formations inutiles : elle a repris les dispositions que nous avions adoptées pour subordonner l'obligation de formation des maîtres des chiens mordeurs ou des chiens dont les maires estiment qu'ils présentent un danger aux résultats de l'évaluation comportementale de ces animaux.

L'Assemblée nationale nous a également suivis sur la fixation à l'âge de la puberté de la première évaluation comportementale des chiens de première et deuxième catégories.

Comme nous, elle a souhaité que l'évaluation comportementale des chiens soit communiquée au maire, ce qui est tout de même la moindre des choses, surtout quand c'est le maire lui-même qui l'a demandée !

Comme je viens d'évoquer les nouvelles obligations de formation et d'évaluation comportementale imposées aux détenteurs de chiens dangereux ou mordeurs, permettez-moi de vous remercier très sincèrement d'avoir répondu à notre demande d'information sur les conditions d'application du projet de loi en nous communiquant les projets de décrets déjà élaborés par les services du ministère de l'intérieur et du ministère de l'agriculture et de la pêche.

Nous aurons sans doute l'occasion de revenir sur ces projets de décrets lors de la discussion des articles, mais je voudrais dès à présent évoquer ce qui est prévu pour la formation des détenteurs de chiens.

Cette formation se déroulerait sur une journée, dont une moitié serait consacrée à la formation théorique et une autre à la formation pratique. Nous savions bien, je l'avais d'ailleurs indiqué en première lecture, que cette formation devrait, par la force des choses, être assez brève. Nous étions aussi tout à fait conscients de la difficulté de l'organiser et de la rendre accessible sur l'ensemble du territoire dans des délais très courts. Cependant, même si le programme de cette journée de formation, qui devra être aussi complet que possible, est défini de façon ambitieuse, il semble difficile, madame le ministre, que cette journée unique suffise à permettre à un maître novice de maîtriser parfaitement un chien, surtout si ce chien est considéré comme dangereux.

Il me paraît donc indispensable - je souhaite attirer votre attention sur ce point - de compléter très rapidement cette formation de base par des actions vigoureuses en matière d'information du grand public, en particulier des enfants, qui constituent, je le rappelle, la population la plus exposée aux risques d'agressions canines.

Quoi qu'il en soit, ce projet de décret me conforte encore davantage, si cela est possible, dans la conviction que l'évaluation comportementale constitue l'élément fondamental de la politique de prévention que nous devons mettre en place. J'aurai l'occasion d'y revenir dans la suite de mon propos.

Suivant une autre proposition commune aux deux commissions saisies, le Sénat avait, en première lecture, posé la première pierre d'un dispositif destiné à assurer une formation minimale des agents cynophiles privés et à responsabiliser leurs employeurs. Tout en améliorant la rédaction proposée, l'Assemblée nationale a retenu cette idée, qu'elle a inscrite dans la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité.

M. le rapporteur et moi-même vous proposeront, mes chers collègues, de poursuivre dans cette voie, en précisant en particulier la portée de l'obligation de formation, qui devra être étendue aux travailleurs non salariés.

Nous vous proposerons aussi, sous réserve d'ajustements rédactionnels et techniques, de retenir les deux principales innovations introduites par l'Assemblée nationale.

La première porte sur l'inscription dans la loi du fichier national canin, dont la modernisation, qui était bien nécessaire, est en cours. Elle comblera au moins en partie les lacunes actuelles de notre appareil statistique et permettra, nous l'espérons tous, d'améliorer le contrôle et le suivi de l'application des textes.

La seconde, qui a davantage retenu l'attention, prévoit la création d'un permis de détention des chiens de première et deuxième catégories. Ce permis serait délivré en lieu et place de l'actuel récépissé de déclaration, et dans les mêmes conditions. Même si cette innovation ne change pas fondamentalement les choses, elle est cohérente avec les nouvelles obligations imposées aux détenteurs de chiens de première et deuxième catégories et va dans le sens de leur responsabilisation. À ce double titre, il s'agit à mes yeux d'une excellente idée.

M. le rapporteur et moi-même avons cependant estimé qu'il ne faudrait pas que cette bonne idée se traduise par un alourdissement excessif des procédures et des contraintes liées à la détention des chiens « classés ». Je partage entièrement, à cet égard, le jugement du rapporteur sur la difficulté d'application de certaines des mesures prévues, qui pourraient conduire paradoxalement, madame le ministre, à une certaine déresponsabilisation des détenteurs de ces chiens, comme nous pouvons d'ailleurs le constater sur le terrain depuis l'application de la loi du 6 juillet 1999.

Je voudrais en effet vous rappeler, mes chers collègues, que les détenteurs de chiens de première et deuxième catégories qui respectent la loi ne sont, hélas, qu'une petite minorité. Il faut donc éviter de renforcer, en même temps que les contraintes, la tentation de la clandestinité, en évitant de pénaliser à l'excès les citoyens responsables qui se sont conformés à la loi.

Il faut également être attentif à ne pas encourager la demande qui se porte vers des chiens au moins aussi dangereux que ceux qui ont été « catégorisés » par la loi de 1999, mais dont la détention n'est soumise à aucune contrainte. Comme vous tous, je pense aux différentes variétés de dogues et aux cane corso, qui se multiplient actuellement sur notre territoire.

Cette dernière observation me conduit très directement à évoquer la divergence de vues que nous avons actuellement avec l'Assemblée nationale concernant une mesure de prévention qui nous semble essentielle, à savoir l'évaluation comportementale. En effet, lorsqu'ils atteignent l'âge adulte, des chiens peuvent être particulièrement dangereux en raison de leur puissance et donc de leur poids.

L'évaluation comportementale est le moyen le plus léger et le plus efficace pour « dépister » les chiens à risque et constitue aussi, aujourd'hui, la seule mesure préventive susceptible d'être efficace dans des délais relativement brefs.

Cependant, selon le texte qui nous est soumis, seuls seraient assujettis à une évaluation comportementale systématique les chiens de première et deuxième catégories déclarés. Or, entre 1999 et 2007, il y aurait eu environ 185 000 déclarations pour une population actuellement estimée à plus de 650 000 animaux. Ce chiffre de 185 000 ne représente, mes chers collègues, que 2 % de la population canine !

Madame le ministre, peut-on vraiment mener une politique de prévention efficace en limitant aussi étroitement le champ de l'évaluation comportementale obligatoire, étant rappelé, par ailleurs, que 93 % des morsures recensées entre octobre 2006 et octobre 2007 étaient le fait de chiens non classés, à l'instar de l'accident qui est survenu ce week-end dans votre ville, monsieur le rapporteur, et que 75 % des accidents mortels répertoriés sont également imputables à des chiens non « catégorisés » ?

Je sais bien qu'il est également prévu de soumettre à une évaluation comportementale tous les chiens « mordeurs ». C'est sûrement une mesure très utile, même si elle suppose, pour être pleinement efficace, que toutes les morsures soient effectivement déclarées. Mais elle n'assure pas, à mon avis, un niveau de prévention suffisant.

En effet, la première morsure peut être très grave : nous n'avons eu que trop d'exemples de ces accidents soudains, qui se sont soldés par des morts dramatiques, en particulier d'enfants.

Il est évident que la très grande majorité de ces agressions résultent de troubles qui auraient été décelés lors d'une simple évaluation.

J'observe que le fait d'imposer l'évaluation comportementale d'un chien après qu'il a déjà mordu est une mesure à peu près aussi logique que celle qui consisterait à imposer le permis de conduire après le premier accident de voiture.

Mes chers collègues, la mesure que nous avions adoptée en première lecture laissait toute latitude au Gouvernement pour en prévoir une application aussi progressive et graduée qu'il le souhaite.

Par ailleurs, cette application serait en fait assez simple : le certificat vétérinaire remis pourra informer les acquéreurs de chiens susceptibles d'être soumis à cette obligation ; la modernisation du fichier national canin, qui mentionnera le poids prévisible des chiens à l'âge adulte et l'exécution des obligations administratives imposées à leur propriétaire, permettra d'assurer le suivi.

Je tiens également à souligner, madame le ministre, qu'aucun pays n'a réussi à développer une politique efficace de prévention des agressions canines en se limitant au contrôle de certains types de chiens dits « dangereux », et cela même lorsque ces derniers sont définis de façon beaucoup plus large que chez nous. Nous ne comblerons donc pas notre retard en ce domaine en continuant de focaliser l'essentiel de nos efforts sur seulement 2 % de la population canine, qui est responsable de seulement 7 % des morsures déclarées.

La catégorisation décidée en 1999 a été, en termes de prévention - tous ceux qui s'occupent de chiens le reconnaissent -, une erreur lourde de conséquences. Nous ne devons pas, madame le ministre, la renouveler aujourd'hui, alors que nous avons les moyens de mettre en place un dispositif peu contraignant, qui permettra non seulement une détection efficace des chiens présentant une réelle dangerosité, mais aussi une responsabilisation de tous les maîtres, par la délivrance de conseils très utiles.

Enfin, nous avons été quelques-uns, lors de la première lecture, à nous inquiéter du coût pour les propriétaires de chiens des mesures prévues par le projet de loi.

Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faut entretenir nos concitoyens dans l'illusion que la possession d'un chien ne crée aucune obligation, aucune responsabilité, et il est tout à fait normal que les propriétaires de certains animaux soient soumis à des obligations justifiées par les exigences de la protection du public et, d'abord, de leur propre famille.

Pour autant, on ne peut que partager le souhait exprimé par le rapporteur de l'Assemblée nationale, à savoir que les examens et formations imposés par la loi aient un coût raisonnable et homogène sur tout le territoire. Je sais, madame le ministre, que cette préoccupation est aussi la vôtre. Pour ce qui est des formations, la définition par voie réglementaire de leur contenu, ainsi que les procédures d'agrément et de contrôle des intervenants, devraient permettre de parvenir à ce résultat.

Concernant les évaluations comportementales imposées par la loi, il semble également nécessaire, dans l'intérêt aussi bien des praticiens que des propriétaires ou détenteurs de chiens, d'assurer une certaine harmonisation des tarifs qui seront pratiqués, ces derniers étant naturellement variables selon la complexité de l'évaluation d'un animal à l'autre. Nous vous proposerons donc, mes chers collègues, un amendement en ce sens.

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je conclurai mon propos en précisant que, comme en première lecture, la commission des affaires économiques a émis à l'unanimité, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle m'a chargé de vous présenter, un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi.

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