Intervention de Jacques Muller

Réunion du 25 mars 2008 à 16h00
Chiens dangereux — Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme je l'ai fait lors de la première lecture, je tiens avant tout à souligner que mes pensées vont d'abord aux victimes de morsures de chiens et à leur famille. Nous ne pouvons légiférer sans avoir leur souffrance présente à l'esprit.

Toutefois, cette obligation de considération envers les victimes ne doit pas nous entraîner vers une dérive législative où la compassion, aussi naturelle fût-elle, prendrait le pas sur la raison et l'analyse.

En effet, nous devons aborder ce sujet dans sa toute sa complexité et, au-delà de nos couleurs partisanes, tout mettre en oeuvre pour produire une loi mesurée, juste et susceptible de répondre effectivement aux questions qui restent aujourd'hui posées .

Je salue la qualité des débats qui ont animé la Haute Assemblée lors de la première lecture du présent projet de loi. Nombre de nos collègues ont, par leurs remarques constructives et leurs propositions de qualité, enrichi la réflexion collective.

Je salue également le travail accompli, au nom de la commission des lois et de la commission des affaires économiques, par nos collègues Jean-Patrick Courtois et Dominique Braye.

Je relève également avec satisfaction que l'Assemblée nationale a permis une avancée sensible. En effet, les députés ont repris et adopté un amendement que mes collègues du groupe socialiste au Sénat et moi-même avions déposé en première lecture, sans qu'il soit malheureusement adopté. Il s'agit d'étendre l'obligation de déclarer un cas de morsure à tous les professionnels qui en auraient eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

Néanmoins, en dépit de la qualité du travail du rapporteur et des modifications positives apportées par nos collègues députés, je me vois hélas contraint de maintenir une série de critiques - des critiques constructives - à l'encontre des orientations et des effets de ce projet de loi.

Tout d'abord, je continue de déplorer le maintien de la catégorisation héritée de la loi de 1999. Comme l'ont fait remarquer en première lecture certains de nos collègues, sur différentes travées de l'hémicycle, cette catégorisation s'est montrée largement inefficace dans la prise en compte du phénomène des chiens mordeurs.

En effet, le texte issu de l'Assemblée nationale continue d'écarter de son champ d'application la majeure partie des chiens qui, selon les statistiques dont nous disposons, mordent le plus, sans relever pour autant des catégories dites « dangereuses », à savoir les catégories 1 et 2 : les labradors, les bergers allemands, etc.

Vous aurez compris qu'il nous faut retenir d'autres critères, plus objectifs, qui relèvent de la physiologie et de la morphologie animale, et pas seulement de la génétique. Sur ce point, M. le rapporteur pour avis et moi-même sommes sur la même longueur d'onde.

Bien sûr, hormis les cas de personnes qui utilisent leur chien comme une arme ou comme un instrument pour terroriser leur voisinage - certes, ils existent, mais ils demeurent statistiquement une exception -, la majeure partie des détenteurs de chiens de catégories 1 et 2 sont parfaitement responsables. À cet égard, je fais mienne la déclaration de notre collègue députée des Deux-Sèvres : « Tous les chiens d'une catégorie considérée comme dangereuse ne sont pas dangereux. »

Dans le même esprit, je tiens à saluer le travail constructif et totalement bénévole du Club français des amateurs de bull terrier, d'American Staffordshire terrier et de Staffordshire bull terrier, le CFABAS, et tout particulièrement de son président, M. Emmanuel Tasse. Cette association a constitué pour nous une source majeure d'études, de statistiques et de témoignages.

La deuxième critique qu'encourt à mes yeux le texte tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale porte sur la persistance du déséquilibre entre ses dispositions répressives et ses dispositions préventives.

Toutes les politiques de sécurité se doivent de marcher sur deux jambes : la prévention et la répression. Malheureusement, dans le cas de ce projet de loi, celle de la répression demeure hypertrophiée par rapport à celle de la prévention.

L'exemple le plus patent en est la proposition du Gouvernement d'aggraver considérablement les sanctions pénales encourues en cas d'accident causé par un chien dangereux. Cette disposition, qui semble relever de la démocratie compassionnelle et correspondre au règne du « tout-répressif », ne règlera rien dans les faits.

Gardons-nous d'oublier que la plupart des morsures mortelles sont strictement accidentelles et ne sont pas le fait de chiens appartenant à des délinquants. Ces accidents peuvent survenir chez n'importe lequel d'entre nous, dans la famille proche, chez un voisin ou chez un ami. Manifestement, menacer d'incarcérer ces personnes pendant trois ou cinq ans ne résoudra pas la question des morsures de chiens.

Plus fondamentalement, je considère que le volet préventif de ce projet de loi est insuffisant parce qu'il ne tire pas suffisamment les leçons des pays qui ont réussi à faire réellement baisser le nombre de morsures de chiens.

En première lecture, je faisais déjà remarquer que, à l'étranger, c'était la mise en oeuvre d'une politique volontariste de prévention et de sensibilisation du grand public tout au long de la chaîne d'interactions avec le chien qui a fait reculer spectaculairement la fréquence des morsures, et non une politique prioritairement répressive, fondée sur la catégorisation génétique.

Plusieurs exemples avaient été évoqués. À Calgary, au Canada, l'action des éducateurs canins a permis de diviser par quatre en une dizaine d'années le nombre des morsures de chiens. En Australie, une étude relative à la prévention a montré que 80 % des enfants qui n'y ont pas été sensibilisés ont un comportement parfaitement inadapté, parce que spontané, vis-à-vis d'un chien.

C'est pourquoi, madame la ministre, j'appelle à mettre en oeuvre des campagnes de formation et de sensibilisation destinées au grand public, et plus particulièrement aux enfants. De telles campagnes de prévention existent déjà pour contribuer à la diminution du nombre des accidents de la route, de l'usage de drogues et pour la prévention des maladies cancéreuses.

En vue de conforter cette dimension préventive au sein du présent texte, je défendrai de nouveau, au nom de mes collègues du groupe socialiste, un amendement visant à créer un observatoire national du comportement canin. Cet amendement, qui avait été adopté à l'unanimité par le Sénat en première lecture, a été supprimé par l'Assemblée nationale, et ce contre l'avis de son rapporteur, Mme Vautrin.

Comme les sénateurs, Mme Vautrin avait soutenu la création de cet observatoire lors de l'examen du projet de loi, tant devant la commission des affaires économiques qu'en séance publique. En commission, elle avait déclaré que cet observatoire ne commencerait à fonctionner qu'après la réalisation de la mission parlementaire de l'Assemblée, ajoutant que ce point était convenu avec le Gouvernement.

La commission avait par ailleurs souhaité compléter le présent article afin d'inclure le ministère de la santé dans la liste des ministères auprès desquels l'observatoire serait appelé à travailler, et notre amendement reprend cette proposition constructive.

Si nous voulons démontrer notre volonté de traiter avec pragmatisme la question des morsures de chiens, au-delà des simples considérations médiatiques, nous devons améliorer le volet prévention du présent projet. Dans cette optique, il nous faut créer, à l'instar de nombreux pays qui ont manifestement réussi à cet égard, un organisme national du comportement canin. De tels observatoires apparaissent, à l'expérience, comme le socle incontournable de politiques permettant de réduire de façon drastique le nombre des morsures de chiens.

Heureux de pouvoir apporter ma contribution à notre réflexion collective, je vous remercie de votre attention.

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