Intervention de Henri de Richemont

Réunion du 15 janvier 2008 à 16h15
Ratification d'une ordonnance portant réforme de la filiation — Adoption d'un projet de loi

Photo de Henri de RichemontHenri de Richemont, rapporteur :

Pour justifier cette procédure, qui était inédite en la matière, le Gouvernement avait fait valoir le caractère supposé technique des mesures envisagées. Nous verrons que, sous couvert de mesures techniques, monsieur le secrétaire d'État, vous avez touché à des questions de fond et il est heureux que notre assemblée ait pu examiner ces questions, en tirer les conséquences et proposer des amendements que je présenterai tout à l'heure.

La réforme du droit de la filiation était effectivement nécessaire. Trois griefs étaient formulés à l'encontre de l'ancien régime.

Tout d'abord, la distinction entre filiation naturelle et filiation légitime n'avait plus lieu d'être. La filiation naturelle était fondée sur une naissance hors mariage et la filiation légitime sur une naissance dans le mariage. Cette distinction est aujourd'hui désuète, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, puisque la moitié des enfants naissent hors mariage. Cette distinction est également sans objet dans la mesure où la loi du 3 janvier 1972 a consacré le principe de l'égalité des filiations.

Mais, surtout, le texte ancien était source d'inégalités et d'insécurité juridique.

Ainsi, s'agissant de la preuve de la maternité, il existait une différence de traitement entre la femme mariée et la femme non mariée. Mes chers collègues, en vertu de la présomption mater semper certa est, que vous connaissez tous, lorsque la femme était mariée, l'indication de son nom dans l'acte de naissance suffisait à établir la filiation maternelle ; en revanche, la femme non mariée ayant indiqué son nom dans l'acte de naissance de l'enfant devait en outre le reconnaître, ce que ne faisaient pas certaines femmes. Cela se traduisait par des conflits et des procédures liés à l'établissement de la maternité.

Il y avait également une différence concernant les actions en justice, selon qu'il s'agissait de filiation naturelle ou légitime, la protection des enfants naturels étant moindre que celle des enfants légitimes.

La réforme était donc nécessaire et de nouvelles règles générales ont été édictées par cette ordonnance.

Le principe de l'égalité entre enfants est rappelé et la distinction entre enfant naturel et enfant légitime est supprimée.

Est également rappelée l'interdiction fondamentale d'établir le lien de filiation de l'enfant à l'égard de ses deux parents en cas d'inceste absolu : la filiation ne peut être établie qu'à l'égard soit du père soit de la mère.

En ce qui concerne la possession d'état, il est maintenant établi que, lorsqu'elle n'a pas été constatée dans un acte de notoriété ou par jugement, elle est insuffisante pour établir la filiation.

L'ordonnance consacre également le principe de la liberté de la preuve en matière de filiation.

Cette ordonnance a donc pour conséquence de supprimer la différence qui existait autrefois entre femme mariée et femme non mariée : aujourd'hui, quelle que soit sa situation matrimoniale, la mention du nom de la mère dans l'acte de naissance suffit à établir le lien de filiation.

Cette ordonnance maintient également le principe de la présomption pater is est. Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, elle nous a semblé, à certains égards, porter atteinte d'une façon grave à ce principe et c'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement portant notamment sur ce point.

Enfin, l'ordonnance a consacré la pratique de la reconnaissance prénatale, que nous connaissons tous dans nos mairies puisque, aujourd'hui, comme je l'ai dit tout à l'heure, 50 % des naissances ont lieu hors mariage. Nous voyons très souvent de jeunes couples venir faire une déclaration prénatale dans nos mairies.

La commission des lois a déposé trois amendements.

Le premier est de loin le plus important. Il répond, dans son I, à un problème rencontré par de nombreux couples puisqu'il autorise désormais le changement de nom de famille des enfants nés avant le 1er janvier 2005 et encore mineurs à la date de la ratification de l'ordonnance.

Cet amendement comporte deux autres dispositions essentielles.

La première tend à permettre au mari dont la présomption de paternité a été écartée de reconnaître l'enfant. En effet, mes chers collègues, le texte qui vous est soumis a quelque chose d'étrange, voire d'inadmissible. Aujourd'hui, vous le savez, les trois quarts des enfants naissent dans des maternités où l'officier de l'état civil se rend dans la chambre de la mère pour établir l'acte de naissance. Si la mère, lorsqu'elle est mariée, déclare son seul nom et omet celui de son époux, le texte actuel prive ce dernier du bénéfice de la présomption pater is est et l'oblige à engager une action devant le tribunal de grande instance pour faire reconnaître sa paternité. Il suffit donc que la mère décide de ne pas faire figurer le nom de son mari dans l'acte de naissance pour que la présomption de paternité ne s'applique pas.

Ainsi, une femme peut décider si elle veut avoir ou non des enfants, mais elle peut également décider si son mari doit ou non bénéficier de la présomption de paternité : il lui suffit d'omettre son nom dans l'acte de naissance, ce qui nous paraît profondément inadmissible. Il n'est pas normal que le mari soit obligé d'engager une action devant le tribunal de grande instance, action lourde, pour obtenir l'établissement de sa paternité. C'est la raison pour laquelle nous proposerons à la Haute Assemblée de permettre à l'époux, qui ne peut plus faire jouer la présomption de paternité, de la faire rétablir par une reconnaissance de paternité auprès de l'officier de l'état civil.

Désormais, le mari qui se trouverait dans cette situation disposerait de trois possibilités pour faire reconnaître sa paternité : premièrement, par la possession d'état, avec acte de notoriété qui le rétablit dans la présomption de paternité ; deuxièmement, grâce à la reconnaissance ; troisièmement, par une action devant le tribunal de grande instance non seulement pour faire établir sa paternité mais aussi pour transmettre à l'enfant son nom de famille.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous demande de m'écouter sur ce point : le mari qui a été privé de la présomption de paternité, s'il peut la rétablir par acte de notoriété, se voit également privé, par la seule décision de sa femme, de la possibilité de transmettre son nom de famille. Actuellement, vous le savez, en cas de désaccord entre les époux ou quand ils n'ont pas fait de choix, c'est le nom du père qui est transmis. Il suffit donc que la mère ne déclare pas le nom de son mari pour interdire à celui-ci de transmettre son nom.

Le mari peut faire reconnaître sa paternité en faisant constater la possession d'état de l'enfant à son égard ou par une simple reconnaissance devant l'officier de l'état civil, mais comment peut-il transmettre son nom ? Il est obligé de saisir la Chancellerie, qui doit prendre un décret dans l'intérêt de l'enfant. À partir du moment où le mari qui a une possession d'état, qui vit avec sa femme, peut faire valoir la présomption de paternité, nous considérons que l'intérêt de l'enfant exige que le père puisse obtenir un décret lui permettant de transmettre son nom.

Une deuxième disposition introduite par notre amendement est également fondamentale : elle tend à fixer une règle de résolution des conflits de filiation respectant la règle de présomption pater is est. Monsieur le secrétaire d'État, dans le texte prétendument technique que vous nous soumettez, vous avez établi une règle que nous trouvons choquante : il consiste à prévoir le règlement des conflits de paternité en respectant un principe chronologique.

Si votre texte n'avait pas été soumis à l'appréciation de notre commission des lois et de notre Haute Assemblée et s'il n'était pas modifié, nous pourrions connaître la situation suivante : un homme, se prétendant amant d'une femme mariée sur le point d'accoucher, fait une reconnaissance prénatale ; l'application du principe chronologique ferait prévaloir la reconnaissance de l'amant prétendu sur celle des époux.

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