Intervention de Jean-Patrick Courtois

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission sécurité - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Patrick CourtoisJean-Patrick Courtois :

rapporteur. - Je souhaite d'abord rendre hommage aux forces de police et de gendarmerie qui ont rempli avec courage leur mission lors des récentes manifestations, dans des conditions souvent difficiles et sur une durée très longue, au prix de plusieurs dizaines de blessés.

Cette année le contexte du budget 2011 de la mission sécurité est tout d'abord marqué par la poursuite de l'effort de maîtrise des finances publiques, auquel la police et la gendarmerie nationale participent comme l'ensemble des services de l'Etat. Au total, les crédits de la mission s'élèvent à environ 16,8 milliards d'euros en autorisation d'engagement et en crédits de paiement, en augmentation respectivement de 1,1 % et 2,7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2010.

J'évoquerai tout d'abord la question des effectifs. A cet égard, la contribution de la police nationale à la RGPP se traduit par une réduction des effectifs, mais cette réduction est moins forte que les années précédentes, avec une diminution de 712 ETPT. La réduction est de 96 emplois pour la gendarmerie. Le ministre s'est engagé à ce que cette diminution ne se traduise pas par une moindre présence sur le terrain des policiers et des gendarmes, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Par ailleurs, 4075 recrutements d'adjoints de sécurité auront lieu en 2011, après un recrutement de 1500 ADS en 2010. Le nombre d'ADS connaîtra ainsi une augmentation nette de 1780 ETPT en 2011. Il convient toutefois de garder à l'esprit que leur nombre avait beaucoup diminué au cours des dernières années, passant d'environ 11 000 en 2007 à 8 300 au 1er juillet 2010. Les ADS recrutés en 2011 devraient par ailleurs l'être sous le nouveau régime juridique défini par la LOPPSI, c'est-à-dire avec des contrats de 3 ans renouvelables une fois et non plus de 5 ans non renouvelable. Les avantages des ADS sont réels : ils constituent un appui précieux dans les commissariats et beaucoup peuvent être recrutés ensuite en tant que gardiens de la paix. Toutefois, ils ne doivent pas, bien entendu, être utilisés pour compenser la diminution du corps d'encadrement et d'application.

Par ailleurs, il faut saluer la politique volontariste de diminution des tâches indues de la police et de la gendarmerie lancée par le ministère, qui concernera en particulier la police des audiences et les transfèrements pénitentiaires, comme le ministre nous l'a exposé mercredi dernier. Cette action permettra de dégager progressivement de nouvelles marges de manoeuvre et donc de compenser largement la stagnation globale des effectifs.

Malgré ces effectifs stabilisés, l'augmentation des charges de personnel représente une part essentielle de la progression des crédits de la mission : les crédits du titre 2, qui représentaient 85,90 % des dotations de la mission en LFI 2010, en représenteront près de 87% en 2011.

Pour la police nationale, la progression de ces charges de personnel est de +5,2%, et de +2,1 % pour la gendarmerie.

Cette poursuite de la progression des dépenses de personnel est due principalement au financement des mesures catégorielles négociées depuis 2004 et au vieillissement de la population policière, liée notamment à la suppression des limites d'âge automatiques de départ en retraite des corps actifs de la police nationale, à compter du 1er janvier 2010.

Le deuxième facteur explicatif du budget 2011 est la LOPPSI, que nous allons prochainement examiner en seconde lecture.

En ce qui concerne la police nationale, pour 2011, 147 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement seront ainsi consacrés dans le cadre de la LOPPSI aÌ la modernisation technologique, à l'équipement des fonctionnaires et aux projets immobiliers. Pour la gendarmerie, il est prévu de consacrer 130 millions d'euros en autorisations d'engagement et 133 millions d'euros en crédits de paiement aux mesures associées à la LOPPSI, avec des progrès technologiques en matière de programmes informatiques et d'équipements (vidéoprotection, géolocalisation des patrouilles et les dispositifs d'analyse de données informatiques et de téléphones portables, équipements de police technique et scientifique, nouvelles tenues des motocyclistes et de maintien de l'ordre).

Ainsi, l'effort de modernisation des forces de sécurité se poursuivra en 2011 à un niveau comparable à celui de 2010, malgré une stagnation globale des dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui se traduira principalement par des efforts accomplis sur le fonctionnement courant des forces de police et de gendarmerie.

J'évoquerai à présent les résultats de l'action menée par la police et la gendarmerie nationales. Il faut d'abord saluer l'évolution de la présentation des statistiques. Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, ayant annoncé en février 2010 un nouveau « tableau de bord », le projet annuel de performance 2010 en tient compte et présente une série de nouveaux indicateurs.

En effet, deux indicateurs de l'évolution du nombre de crimes et délits en zone police et en zone gendarmerie figuraient jusqu'à présent dans le projet annuel de performance : d'une part l'évolution du nombre global des crimes et délits, et d'autre part l'évolution du nombre de crimes et délits en délinquance de proximité, qui regroupe des infractions telles que les cambriolages, vols d'automobiles, vols aÌ la roulotte, destructions et dégradations de biens.

Ces indicateurs globaux sont désormais remplacés par des indicateurs thématiques, qui distinguent entre des formes de délinquance très diverses : il s'agit premièrement des atteintes aux biens, deuxièmement des atteintes volontaires à l'intégrité physique des personnes et troisièmement des escroqueries et infractions économiques et financières.

L'ancien indicateur unique du taux d'élucidation des crimes et délits est désormais également décliné selon les trois types de délinquance (atteintes aux biens, aux personnes, financières). Ceci permet d'en finir avec un taux global d'élucidation particulièrement peu significatif, puisqu'il résultait d'une moyenne entre des taux qui vont d'environ 15% d'élucidation pour les vols à plus de 60% pour les atteintes aux personnes.

Tout en saluant cette évolution, il convient de souligner qu'elle ne concerne que la présentation des chiffres et non leur nature : il s'agit bien des faits constatés, et non des faits réellement commis. Ces chiffres dépendent donc toujours du taux de signalement des faits aux forces de police et de gendarmerie par les citoyens et de l'orientation des actions et des investigations de ces forces. Cette distinction doit être gardée à l'esprit : elle signifie par exemple qu'un léger retournement de tendance dans les faits constatés ne correspond pas forcément à un infléchissement réel.

Sous le bénéfice de ces réserves, et en s'appuyant aussi sur les travaux plus approfondis de l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, il est possible de constater quelques grandes tendances :

En ce qui concerne les atteintes aux biens, en 2009, moins de 36 atteintes aux biens pour 1000 habitants ont été enregistrées par la police et la gendarmerie. Ce taux se situe ainsi aÌ son niveau le plus bas depuis 1996. Toutefois, cette baisse générale coïncide avec une hausse des cambriolages des résidences principales. Parallèlement, le taux d'élucidation des atteintes aux biens progresse légèrement pour se rapprocher des 15%.

A cet égard, les nouveaux outils informatiques dont dispose en particulier la préfecture de police sont prometteurs, comme que j'en ai été convaincu par un déplacement qui m'a permis d'assister à une démonstration du fonctionnement de deux logiciels de rapprochement judiciaire.

Ainsi, l'application dite CORAIL (cellule opérationnelle de rapprochement et d'analyse des infractions) alimentée par les télégrammes en provenance de la région parisienne, remplace désormais le tri manuel de télégramme sous forme papier. Le logiciel d'uniformisation des procédures d'identification (LUPIN), également développé par la préfecture de police en matière de lutte contre les cambriolages permet quant à lui, sur la base des traces et informations recueillies par la police technique et scientifique, d'établir des rapprochements entre affaires.

Ces outils constituent une aide précieuse, en particulier dans l'élucidation des affaires de vols. En effet, les modes opératoires des délinquants « réitérant » peuvent désormais faire l'objet d'un enregistrement systématique dans une base de données. Si le logiciel est incapable, du moins pour le moment, d'effectuer des rapprochements automatiques, les enquêteurs peuvent effectuer des « requêtes » dans la base de données en fonction de critères tels que le lieu de commission de l'infraction, la manière dont une entrée par effraction s'est déroulée, les outils utilisés, etc. Les résultats de ces requêtes permettent de rapprocher des infractions dont il est plausible qu'elles aient été commises par une même personne ou un même groupe de personnes, dont l'enquêteur dispose alors de plusieurs éléments pour retrouver la trace. Je précise que ces deux outils ne sont pas des fichiers de police au sens habituel du terme puisqu'ils ne visent pas à rassembler des informations sur des personnes, mais à compiler des données et des modes opératoires relevés et constatés lors des enquêtes sur des infractions. L'identité du responsable de l'infraction constitue ainsi le résultat final de l'enquête menée à l'aide du fichier, et non un élément de l'enquête comme avec le STIC ou le JUDEX.

D'autres mesures devraient permettre d'améliorer le taux d'élucidation des atteintes aux biens et en particulier des cambriolages, comme le prélèvement plus systématique des traces biologiques. Le fonds dédié au soutien de la police technique et scientifique qui devrait être créé par la LOPPSI offrira de nouveaux moyens dans ce domaine.

J'en viens à présent au deuxième élément du nouveau tableau de bord des forces de police et de gendarmerie, à savoir les atteintes à l'intégrité physique des personnes.

Celles-ci augmentent toujours, mais les violences physiques non crapuleuses connaissent leur augmentation la plus faible depuis 2004, avec « seulement » 2,7%. Ce ralentissement de la hausse des faits constatés concerne aussi les violences aÌ dépositaires de l'autorité, dont le taux de variation annuelle entre 2009 et 2008 est de +2,1% contre 4,2% l'année précédente. Sans être satisfaisants, les résultats en la matière sont donc plutôt encourageants.

Enfin, après trois années de hausse, le nombre de faits constatés d'escroqueries et d'infractions économiques et financières est en baisse de 2,7% en 2009, alors qu'en 2008, il s'eìtait accru de plus de 10%.

Pour finir, je crois qu'il est nécessaire de faire le point sur la poursuite d'un chantier très important pour les forces de police et de gendarmerie, qui est celui de leur rapprochement, dont la dernière grande étape législative a été la loi du 3 août 2009 prévoyant le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur.

Ce rapprochement a été marqué par une certaine inquiétude de la part des personnels des deux forces. Le Sénat avait tenu à réaffirmer, lors de l'examen du projet de loi, la spécificité des missions et surtout du statut des gendarmes. A cet égard, l'année écoulée permet de voir se dessiner un peu mieux les grands traits de la forme concrète prise par ce rapprochement.

Il s'agit d'abord d'une meilleure mutualisation des fonctions support, ce qui semble tout à fait utile et légitime. Cette mutualisation est ainsi devenue la règle dans le domaine des matériels et des véhicules. Il y a de plus en plus d'achats groupés, d'échanges de matériels, d'ateliers de maintenance communs pour les deux forces. Des marchés pluriannuels communs en matière de matériels et de consommables pour la police technique et scientifique seront également passés.

Le rapprochement s'opère également pour la formation : non pas la formation initiale, qui doit rester spécifique à chacune des deux forces, mais la formation continue, comme en matière de maintien de l'ordre pour les CRS et les gendarmes mobiles ou en ce qui concerne la formation à certains logiciels comme le fichier des objets et véhicules signalés.

Les choses sont plus délicates en matière de coopération opérationnelle : c'est dans ce domaine que la coopération est le plus nécessaire pour éviter les doublons et la concurrence, mais c'est là aussi qu'il faut éviter que le rapprochement aille à l'encontre de la spécificité des deux forces.

Dans le domaine de la police judiciaire, il y a depuis longtemps les GIR qui fonctionnent. Par ailleurs, outre l'unité centrale de coordination des forces mobiles (UCFM) créée en 2002 et l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), créée dès 1984 et qui coordonne aujourd'hui également l'action de la gendarmerie dans ce domaine, une nouvelle unité de coordination de la sécurité dans les transports en commun sera rattachée à la police nationale. Du côté des unités de coordination rattachées à la gendarmerie sont désormais mises en place l'unité de coordination pour la lutte contre l'insécurité routière (UCLIR) et l'unité de coordination des forces d'intervention (UCoFI) afin de rapprocher le GIGN et la FIPN.

Mieux encore, deux services totalement communs ont été créés : d'une part le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure, créé le 1er septembre 2010 et rattaché organiquement à la direction générale de la gendarmerie nationale mais copiloté par les deux directeurs généraux. Il est dirigé par un général de gendarmerie, assisté par un membre du corps de conception et de direction de la police nationale.

D'autre part la direction de la coopération internationale (DCI), constituée par la fusion de la sous-direction de la coopération internationale (SDCI) de la direction générale de la gendarmerie nationale et du Service de coopération technique internationale de police (SCTIP) de la direction générale de la police nationale. Ce nouveau service est rattaché à la police ; son premier directeur, ses sous-directeurs sont issus de la police nationale, et leurs adjoints, de la gendarmerie nationale. Enfin, la coopération en matière de renseignement ouvert a également accompli certains progrès, avec une participation accrue des gendarmes aux synthèses élaborées au sein des SDIG (services départementaux d'information générale).

Au total, on assiste donc à un rapprochement effectif indéniable des deux forces, qui n'exclut pas cependant la persistance de certaines inquiétudes et interrogation des agents, comme j'ai pu le constater lors des auditions que j'ai menées. Ce rapprochement reste un chantier ouvert qu'il faut, je crois, continuer à suivre avec une attention particulière.

Je vous propose, sous bénéfice de ces observations, d'émettre un avis favorable sur les crédits de la mission « Sécurité ».

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