Intervention de Jean-Claude Carle

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales — Réunion du 12 novembre 2008 : 1ère réunion
Collectivités territoriales — Financement des écoles privées - examen du rapport

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, rapporteur :

a rappelé que l'article 89 avait pour vocation originelle de mettre fin à un déséquilibre indiscutable entre écoles primaires publiques et écoles primaires privées sous contrat d'association, contredisant l'exigence de parité qui préside aux relations financières des pouvoirs publics et des écoles sous contrat d'association, depuis l'adoption de la « loi Debré » n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés. Pour les écoles primaires, cette exigence trouve sa consécration à l'article L. 442-5 du code de l'éducation, qui dispose que : « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ». Il revient donc aux communes de les acquitter.

a précisé que ces charges constituaient des dépenses obligatoires et que, s'agissant des classes élémentaires, les communes devaient les acquitter sans que leur accord au contrat passé entre l'Etat et l'école concernée ne soit requis. La jurisprudence est très claire sur ce point : quelle que soit la position du maire de la commune sur la laïcité ou la liberté de l'enseignement, qu'il y ait ou non une école publique sur le territoire de la commune, il est tenu de les prendre en charge. Cette obligation trouve en effet son origine dans le souci de protéger l'exercice effectif de la liberté d'enseignement sur l'ensemble du territoire.

Il a ensuite observé que, jusqu'à l'intervention de l'article 89, cette exigence n'était pas respectée quand une école privée sous contrat d'association accueillait des enfants domiciliés dans une autre commune. Les règles de répartition des contributions respectives des communes d'accueil et des communes de résidence différaient en effet selon que l'école considérée était privée ou publique.

S'agissant des écoles publiques, la commune de résidence des enfants et la commune sur le territoire de laquelle ils sont scolarisés ont l'obligation, en vertu du principe posé à l'article L. 212-8 du code de l'éducation, de s'entendre pour se répartir les dépenses de fonctionnement de l'école concernée. Si elles ne trouvent pas d'accord, il revient au préfet de régler la question. Il dispose pour ce faire de certains éléments d'appréciation déterminés par l'article du code précité et doit à ce titre prendre en compte notamment le nombre d'élèves scolarisés hors de leur commune ainsi que l'importance de chacune des collectivités concernées, ces critères lui permettant de moduler la contribution de chacune en fonction de la situation particulière qui lui est soumise. De plus, la loi fixe certaines conditions qui, lorsqu'elles sont vérifiées, conduisent la commune de résidence à devoir participer au financement de l'école publique de la commune d'accueil ou, au contraire, l'exonèrent de cette obligation.

Ainsi, la commune de résidence n'est pas obligée de contribuer au financement de l'école publique si elle dispose des capacités d'accueil suffisantes pour scolariser les élèves en question, sauf si le maire de la commune, préalablement consulté, a donné son accord à la scolarisation de ces élèves en dehors de la commune.

Toutefois, la commune de résidence est tenue d'acquitter cette participation :

- si les parents des élèves en question ont besoin pour des raisons professionnelles de pouvoir recourir à un système de garde et que celui-ci n'existe pas dans la commune ;

- si des raisons médicales obligent à scolariser l'enfant dans une autre commune ;

- ou bien encore si le frère ou la soeur de l'enfant est déjà inscrit dans une école de la même commune.

Mais, en tout état de cause, si la commune de résidence n'est pas tenue de payer, c'est la commune d'accueil qui le sera. La scolarité d'un élève d'une école publique est donc toujours prise en charge par une ou plusieurs communes.

S'agissant des écoles privées sous contrat d'association, le principe posé à l'article L. 212-8 pour les écoles publiques était, jusqu'en 2004, également applicable : commune d'accueil et commune de résidence devaient donc partager le poids de cette contribution et rechercher un accord, en application de la loi n° 85-97 du 25 janvier 1985 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat. Rien n'était toutefois prévu pour permettre au préfet de trancher un éventuel désaccord, de même qu'aucune condition particulière n'était posée afin de contraindre l'une ou l'autre des communes à acquitter cette contribution, ce qui a conduit ce principe à rester le plus souvent lettre morte.

Les dépenses de fonctionnement liées à l'accueil d'un enfant dans le privé sous contrat d'association pouvaient donc n'être prises en charge par aucune des deux collectivités, ce qui était à l'évidence contraire tant à la lettre qu'à l'esprit de la loi Debré. Cela revenait également à faire peser sur certaines familles l'obligation de financer les dépenses de fonctionnement, alors même que, de par la loi, cette obligation aurait dû échoir à la commune. De ce point de vue, il y avait donc une indiscutable rupture d'égalité entre contribuables. Quant aux établissements privés, ils souffraient eux aussi de cette situation, la plupart des écoles ne pouvant intégralement répercuter sur les familles des charges de fonctionnement qui pour certaines auraient été trop lourdes.

a relevé que ce déséquilibre, en première analyse défavorable au privé, pouvait également tourner au désavantage du public. Comme l'a indiqué M. Michel Charasse au cours de la séance où l'article 89 a été adopté par le Sénat, certains maires profitaient en effet de cet état lacunaire du droit pour inciter fortement leurs administrés à scolariser leurs enfants dans l'école privée de la commune voisine plutôt que dans l'école publique d'une autre commune, puisqu'ils n'avaient rien à payer dans un cas, alors qu'ils devaient le faire dans l'autre. Dès lors, il était parfaitement légitime et même nécessaire d'étendre, comme l'a fait l'article 89, la garantie de l'intervention préfectorale aux écoles privées sous contrat d'association et de rétablir ainsi les équilibres fondamentaux issus de la loi Debré.

Toutefois, en rendant applicable au financement par les communes de résidence des classes élémentaires sous contrat d'association l'arbitrage préfectoral, l'article 89 n'a étendu aux établissements privés qu'une partie du régime prévu par l'article L. 212-8 précité. En particulier, il laissait de côté l'ensemble des dispositions précisant les conditions auxquelles les communes de résidence pouvaient être tenues de participer à la prise en charge des dépenses de fonctionnement. Au niveau des communes de résidence, la parité se trouvait ainsi rompue, une commune pouvant avoir à acquitter cette contribution pour une école privée là où elle n'aurait pu y être contrainte pour une école publique.

a alors précisé que cette rupture de la parité ne suffisait pas à rendre l'article 89 contraire à la Constitution, dès lors qu'elle se produisait au seul niveau des communes de résidence. Pour les écoles publiques, lorsque la commune de résidence ne se voit pas contrainte d'acquitter une participation, celle-ci pèse alors automatiquement sur la commune d'accueil. Dès lors, les classes primaires sous contrat d'association ne bénéficiaient d'aucun concours financier dont ne disposent également les écoles publiques. Le problème central est celui de la répartition de ce concours et cela explique que le Conseil constitutionnel, saisi de la loi du 13 août 2004 précitée, n'ait pas déclaré les dispositions de l'article 89 contraires à la Constitution.

Pour autant, cette rupture de la parité au niveau des seules communes de résidence faisait problème dès lors que les dispositions de l'article L. 442-5 du code précité prévoient que « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des dépenses correspondantes de l'enseignement public ». Cette formulation du principe de parité au niveau législatif faisait en effet obstacle à une application de l'article 89 pris dans son sens le plus strict et imposait un effort de conciliation entre ces deux dispositions de même valeur apparemment contradictoires.

Cette conciliation était d'autant plus nécessaire que les maires étaient nombreux à s'interroger sur les effets que pourrait avoir l'article 89 sur les budgets communaux et à craindre que cette disposition nouvelle ne nuise, en dernière analyse, aux écoles publiques en réduisant les moyens que les communes étaient en mesure d'y consacrer.

Par deux circulaires quasiment identiques, les ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale ont dès lors adopté une lecture de l'article 89 pleinement respectueuse du principe de parité au niveau des communes de résidence. Celles-ci disposaient que « conformément au principe de parité qui doit guider l'application de la loi, la commune de résidence doit participer au financement de l'établissement privé sous contrat dans tous les cas où elle devrait participer au financement d'une école publique qui accueillerait le même élève ». L'article 89 devait être donc être interprété à la lumière des dispositions de l'article L. 442-5 précité, ce qui conduisait à considérer comme applicables aux concours versés aux établissements privés les conditions posées à l'article L. 212-8 du code de l'éducation pour le financement des écoles publiques par les communes de résidence.

a alors souligné le caractère ingénieux et convaincant de cette solution, tout en notant qu'elle n'avait pas été acceptée par l'ensemble des partenaires concernés. Une telle construction juridique ne pouvant être confortée que par l'intervention du seul Conseil d'Etat, saisi d'un recours à l'encontre d'une des circulaires, l'Association des maires de France et le Secrétariat général de l'enseignement catholique, qui ne s'accordaient pas sur la valeur de cette lecture de l'article 89, étaient donc convenus, en 2006, de l'appliquer dans cet esprit dans l'attente d'une décision au fond de la juridiction supérieure administrative.

Celle-ci n'est toutefois jamais intervenue, le Conseil d'Etat ayant annulé une première circulaire pour des raisons de forme. Si l'application de l'article 89 se fait désormais dans un climat apaisé, il semble néanmoins nécessaire de clarifier enfin les choses, en donnant valeur législative à l'interprétation conçue par les ministères concernés et acceptée, à titre transitoire, par les principales parties impliquées.

a alors rappelé que la proposition de loi qu'il présentait avec M. Yves Détraigne et plusieurs de leurs collègues venait prolonger les travaux menés depuis plusieurs années par la commission des affaires culturelles. Celle-ci s'est en effet penchée sur l'article 89 :

- à l'occasion de l'examen de la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, en donnant un avis favorable à l'adoption de deux amendements identiques de MM. Paul Girod et Yves Détraigne, qui encadraient le montant de la contribution versée par la commune de résidence ;

- à l'occasion du dépôt de la proposition de loi n° 291 (2005-2006) tendant à abroger l'article 89 de la loi du 13 août 2004 précitée, la commission ayant confié à son auteure, Mme Annie David, le soin d'analyser l'état d'application de la loi et les difficultés qu'elle soulevait ;

- à l'occasion de l'inscription à l'ordre du jour réservé du Sénat de la proposition de loi n° 106 (2007-2008) déposée par M. Jean-Marc Todeschini et les membres du groupe socialiste et rattachés, tendant également à abroger l'article de ladite loi.

Ces différents travaux ont fait apparaître la nécessité pour le législateur d'intervenir, mais ont également permis de constater qu'un large effort de concertation était tout d'abord nécessaire.

a ensuite précisé que le texte dont il était l'auteur s'inscrivait dans ce processus. Il a en effet été préparé en lien avec les différentes parties intéressées, qui ont toutes manifesté leur intérêt pour les solutions qu'il propose. Celles-ci sont inspirées par le souci de clarifier les obligations mises à la charge des maires, de garantir le respect du principe de parité au niveau des communes de résidence et de permettre aux établissements privés de bénéficier de financements qui leur seront effectivement versés. En l'absence d'accord sur son sens, l'article 89 restait en effet le plus souvent inappliqué.

L'article premier de la proposition de loi n° 20 précitée consacre donc la lecture de l'article 89 adoptée, depuis 2005, par les ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale. Il stabilise ainsi l'état du droit, en prévoyant que les mêmes conditions sont applicables au financement des écoles publiques et privées sous contrat d'association par les communes de résidence.

La particularité du régime juridique propre aux établissements privés appelle toutefois deux réserves :

- la référence à l'accord préalable du maire ne peut être conservée, une liberté garantie par la Constitution ne pouvant voir son exercice effectif subordonné à la décision d'une autorité locale ;

- la mention de l'organisation d'un service d'assistantes maternelles est inutile, le financement obligatoire des écoles privées sous contrat d'association ne concernant que les seules classes élémentaires.

Sous ces deux réserves, le régime juridique proposé est strictement identique à celui actuellement en vigueur pour les écoles publiques.

a également mis l'accent sur la possibilité, ouverte formellement par la proposition de loi aux communes de résidence, de contribuer de manière facultative au financement des dépenses de fonctionnement des classes élémentaires sous contrat d'association, dans la limite du concours qu'elles apportent à ce même titre aux écoles publiques.

Ce nouveau dispositif pourrait prendre place dans le code de l'éducation et remplacer les dispositions actuellement en vigueur de la loi du 13 août 2004 et du code de l'éducation, qui devraient en conséquence être abrogées. Tel est l'objet du I de l'article 1er et de l'article 2 de la proposition de loi.

Après avoir constaté que ce texte et la proposition de loi n° 19 susmentionnée de M. Yves Détraigne et plusieurs de ses collègues poursuivaient une même intention, M. Jean-Claude Carle, rapporteur, a proposé à la commission de retenir la formulation de la première, sous réserve des modifications suivantes :

- un article 3 est inséré dans la proposition de loi, afin de permettre un redécoupage formel du texte et une ventilation de ses dispositions sur trois articles ;

- la mention des assistantes maternelles est supprimée, cette dernière étant inutile en l'espèce ;

- la rédaction du nouvel article 2 est précisée, afin de permettre l'harmonisation rédactionnelle du texte.

Un large débat a suivi l'intervention du rapporteur.

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