Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, grâce à la création, il y a près de cinquante ans, en 1958 exactement, de l'établissement public d'aménagement de La Défense, l'EPAD, le quartier de La Défense est devenu le plus grand centre d'affaires européen.
Il l'est encore aujourd'hui, puisqu'il regroupe 1 500 sièges sociaux d'entreprises, dont quatorze des vingt premières entreprises nationales et quinze des cinquante premières entreprises mondiales, plus de 3 millions de mètres carrés de bureaux, 600 000 mètres carrés de logements, 200 000 mètres carrés de commerces, dont le centre commercial des Quatre Temps, qui était le plus grand d'Europe lors de sa création, en 1981. Par ailleurs, 150 000 salariés viennent quotidiennement travailler sur ce site. Il s'agit d'un atout économique d'une importance majeure, non seulement pour Paris et la région d'Île-de-France, mais aussi pour le pays tout entier.
Certains contestent l'originalité et l'importance de cet atout. Raisonnant sur le plan strictement franco-français, voire simplement francilien, ils invoquent, pour préconiser un arrêt du développement de La Défense, le déséquilibre est-ouest des activités économiques, la mauvaise répartition de l'habitat ou encore des considérations environnementales. Toutes leurs remarques ne sont pas fausses, notamment celles qui concernent l'habitat, mais elles ne sont pas toutes vraies. C'est surtout le cadre de leur réflexion qui me semble erroné.
Tout d'abord, et c'est mon premier point, bien des idées reçues sont inexactes.
Je prendrai pour exemple l'environnement. Savez-vous, mes chers collègues, que 86 % des salariés travaillant sur le site de La Défense s'y rendent par les transports en commun et que 10 % seulement y vont en voiture, ce pourcentage étant en constante régression depuis plusieurs années ? La Défense est ainsi l'un des premiers quartiers d'affaires du monde en termes de développement durable.
Une autre erreur concerne l'impact économique. Ce qui est bon pour La Défense l'est aussi pour les communes immédiatement environnantes - Nanterre, Boulogne, La Garenne-Colombes -, pour les quartiers situés à l'ouest de Paris, jusqu'au quartier Madeleine-Opéra, mais également pour bien des communes des départements de Seine-Saint-Denis ou des Yvelines. Et je sais de quoi je parle...
Lorsque des services de direction s'installent à La Défense, on peut être certain que bien des services annexes des entreprises concernées essaiment non loin de ce quartier, là où les mètres carrés sont moins chers. On observe aussi de nombreuses localisations à l'est de l'Île-de-France, comme celles des services informatiques, vers Marne-la-Vallée.
Le procès économique intenté au quartier de La Défense s'appuie donc sur de fausses hypothèses.
Au demeurant, et c'est mon second point, cette réflexion, limitée au territoire francilien, n'a aujourd'hui plus de sens, car le site de La Défense est totalement engagé, qu'on le veuille ou non, dans la compétition internationale qui oppose les grands quartiers d'affaires mondiaux. Pour savoir si La Défense est utile ou non et s'il faut l'aider ou non à défendre ses positions, nous devons donc raisonner, désormais, au niveau mondial. En effet, les conseils d'administration des entreprises européennes, américaines, japonaises, entre autres, ne choisissent pas entre La Défense, Senlis ou Melun, mais entre Paris-La Défense, la Cityde Londres, Manhattan, Tokyo, etc. Voilà leur niveau d'arbitrage !
Je m'étonne, à cet égard, que nous ne disposions pas, pour une zone d'affaires aussi large, dont le coeur serait constitué par La Défense, d'un organe de promotion internationale qui aurait pour mission de faire connaître ce pôle auprès des grands groupes internationaux. Il faut réfléchir très sérieusement à la création d'une telle structure, qui prendrait, par exemple, la forme d'un groupement d'intérêt public, regroupant les collectivités locales, l'État et les représentants des acteurs économiques.
Ces dernières années, l'attractivité du site a périclité et sa situation s'est fragilisée. Le quartier d'affaires de La Défense doit naturellement faire face à une concurrence accrue : aux compétiteurs européens traditionnels - Londres, Francfort ou Bruxelles - s'ajoutent désormais des métropoles du sud, extrêmement dynamiques et agressives, comme Milan, Barcelone ou Lisbonne. Pour affronter cette concurrence, somme toute naturelle, La Défense ne dispose plus des outils adaptés.
Tout d'abord, son bâti vieillit, sans être correctement renouvelé, et ne répond plus aux normes internationales, faute d'incitations à entreprendre des opérations dont le gigantisme est avéré. On estime ainsi que dix-sept tours, représentant 650 000 mètres carrés de bureaux, sont aujourd'hui potentiellement « hors-marché ».
Par ailleurs, la gouvernance de ce site n'est plus adaptée, l'EPAD n'ayant pas vocation à gérer ses équipements publics et ne disposant pas, du reste, des moyens fiscaux pour le faire. Dès lors, il n'est guère étonnant que, depuis dix ans, plusieurs groupes aient quitté La Défense. Le quartier perd des clients et n'en attire plus de nouveaux.
Confrontés à ce constat, l'État et les collectivités locales concernées, c'est-à-dire le département des Hauts-de-Seine, ainsi que les communes de Courbevoie et de Puteaux, ont préparé un plan de renouveau pour la période 2007-2013, qui a été présenté en juillet 2006 au conseil d'administration de l'EPAD et adopté par celui-ci en décembre dernier.
Ce plan vise, en premier lieu, à faciliter les opérations de démolition-reconstruction des tours obsolètes.
Ces opérations seront exonérées d'agrément préfectoral, dans la limite d'une extension de surface de 40 000 mètres carrés ou de 50 % de la superficie initiale de la tour. Le décret nécessaire à la mise en oeuvre de ces opérations est actuellement soumis à l'examen du Conseil d'État. De plus, l'article 151 de la loi de finances rectificative pour 2006 les a exonérées de la redevance sur les bureaux, à concurrence de la surface initiale. Cette mesure est applicable à l'ensemble de l'Île-de-France et pas seulement au quartier de La Défense.
L'objectif de ces mesures incitatives est de susciter la modernisation et la régénération, d'ici à 2013, de la moitié des immeubles concernés, ainsi que la création de 150 000 mètres carrés, au moins, de surfaces hors oeuvre nettes, SHON, supplémentaires. Par ailleurs, dans le cadre d'opérations programmées par l'EPAD depuis 2005, de nouvelles tours devraient être construites, représentant une surface de 300 000 mètres carrés supplémentaires environ.
En outre, le plan adopté, en juillet dernier, par le Gouvernement dépasse le seul quartier de la Défense et vise à dynamiser l'ensemble de la région d'Île-de-France grâce aux mesures suivantes : amélioration de l'offre de logements à proximité du site, pour affermir les conditions de l'équilibre habitat-emploi ; renforcement des liaisons multimodales vers le grand Ouest, avec la desserte par la ligne E du RER et le prolongement d'Éole vers le Mantois ou Versailles, en passant par La Défense ; financement des nouvelles opérations d'intérêt national sur le plateau de Saclay et les territoires de Seine-amont et de Seine-aval, notamment grâce au soutien financier de l'EPAD.
Il subsiste cependant une dernière difficulté : la gouvernance du quartier.
Comme l'a prouvé le développement du site de La Défense, l'EPAD est un formidable outil d'aménagement. Du reste, la durée de vie de l'EPAD a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2010 et il ne fait pas de doute qu'une nouvelle prolongation sera décidée, en temps voulu, pour permettre l'achèvement des programmes décidés en 2005 et 2006.
Toutefois, l'EPAD n'est pas la structure adaptée pour faire vivre ce site et le gérer dans la durée. La plupart du temps, dans les opérations urbanistiques, les ouvrages et espaces publics sont transférés aux communes concernées. Mais, dans le cas d'espèce, compte tenu des spécificités et du gigantisme de la structure, notamment de la « dalle », qui couvre plus de 31 hectares, mais aussi de l'imbrication desdits ouvrages, il est extrêmement compliqué d'envisager une telle reprise. Du reste, depuis cinquante ans, elle ne s'est jamais produite.
Pour autant, l'EPAD ne peut pas durablement conserver ces ouvrages et espaces, ainsi que les services d'intérêt général du site, car il ne dispose pas des recettes fiscales lui permettant d'en financer la gestion. Il subit d'ailleurs, depuis plusieurs années, un déficit d'exploitation annuel de plusieurs millions d'euros. Il est donc indispensable d'instituer une structure ad hoc chargée d'assumer cette tâche, comme le suggérait notre excellent collègue Roger Karoutchi dans sa proposition de loi.
Ce texte vise ainsi, dans son chapitre Ier, à créer un établissement public local à caractère industriel et commercial entre le département des Hauts-de-Seine et les communes de Courbevoie et de Puteaux. Cet EPIC serait chargé de gérer les services d'intérêt général, ainsi que les ouvrages et espaces publics du quartier d'affaires de La Défense appartenant, soit à ce quartier, soit à l'EPAD, soit aux collectivités territoriales concernées ou à l'État, dès lors qu'ils en font la demande. Il devrait également assurer la mise en valeur et l'animation du quartier.
Au-delà de ces dispositions de principe, les neuf articles de ce chapitre tendent à organiser les règles de dévolution ou de mise à disposition des ouvrages au nouvel établissement, la composition de son conseil d'administration, la nature de ses ressources, la contribution obligatoire des collectivités publiques à ses charges, le contrôle de légalité, le contrôle budgétaire, etc.
Ce chapitre est donc très opportun, voire indispensable, afin d'assurer une nouvelle gouvernance du quartier de La Défense qui soit à la hauteur des enjeux et, surtout, de la grande ambition manifestée, en faveur du développement de ce site, dans le plan de renouveau adopté en juillet 2006.
Malheureusement, les règles de recevabilité financière des initiatives parlementaires ont interdit à la commission des affaires économiques de retenir ce chapitre dans ses conclusions : en effet, la création de cet EPIC entraînant nécessairement une aggravation des charges publiques, l'article 40 de la Constitution aurait été applicable.
Par son amendement n° 1, le Gouvernement propose de reprendre ces dispositions, sous réserve de quelques différences mineures avec le texte des articles 1er à 9 de la proposition de loi déposée par M. Karoutchi, différences qui sont pour l'essentiel rédactionnelles et améliorent pleinement la clarté et le caractère opérationnel du dispositif.
En outre, celui-ci est codifié dans le code de l'urbanisme, ce qui n'était pas le cas dans la proposition de loi initiale.
Enfin, l'amendement du Gouvernement ajoute un élément nouveau, qui me paraît intéressant : la création d'un comité consultatif représentant les personnes physiques et morales utilisatrices régulières des équipements et espaces publics gérés par l'établissement public. Ce comité sera consulté, à un rythme fixé par le conseil d'administration et au moins annuel, sur les orientations retenues par l'établissement public pour l'exercice de ses compétences.
La commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur cet amendement, qui répond bien aux enjeux économiques du site et qui, à l'analyse, présente toutes les garanties juridiques nécessaires au regard des quelques interrogations qui pouvaient subsister sur trois points sur lesquels la commission a beaucoup discuté : la création d'un établissement public local par la loi, la composition du conseil d'administration et la procédure retenue pour modifier la répartition des contributions obligatoires des membres. En effet, le nouvel établissement public de gestion sera organisé selon les principes retenus par le Parlement lors de la réforme du STIF, le Syndicat des transports d'Île-de-France, que notre collègue Roger Karoutchi connaît particulièrement bien.
S'agissant du premier point, l'article 38 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a retiré l'État du STIF, qui n'est donc plus qu'un établissement public local, similaire à ce que sera l'établissement public de gestion du quartier d'affaires de La Défense aux termes des articles L. 328-1 et L. 328-5 du code de l'urbanisme, tels qu'ils sont proposés par l'amendement. Il n'y a donc pas de problème de constitutionnalité sur ce point, le Conseil constitutionnel ayant validé la disposition relative au STIF lors de son examen de la loi du 13 août 2004.
En ce qui concerne la composition du conseil d'administration, la question pouvait se poser de savoir si le fait que le département des Hauts-de-Seine dispose de la majorité des sièges, comme le prévoit la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 328-5 du code de l'urbanisme, posait un problème au regard des relations entre collectivités locales. Là encore, l'exemple du STIF apporte clairement la réponse, puisque la région d'Île-de-France détient quinze des vingt-neuf sièges du conseil d'administration du STIF. Et ni le Conseil d'État ni le Conseil constitutionnel n'y ont rien trouvé à redire.