Intervention de Muguette Dini

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 octobre 2010 : 1ère réunion
Contrôle de l'application des lois — Communication

Photo de Muguette DiniMuguette Dini, présidente :

Conformément aux instructions du Bureau du Sénat, les commissions permanentes présentent, chaque année, un bilan de l'application des lois intervenues dans leur domaine de compétences. La synthèse de leurs travaux fait l'objet d'une communication du Président du Sénat en Conférence des présidents et est annexée au compte rendu des commissions.

Permettez-moi de rappeler combien cet exercice est fondamental, d'abord pour mesurer le degré de difficulté pratique d'application de la législation que nous votons mais, plus encore, pour savoir si les lois adoptées cette année et au cours des précédentes sessions s'appliquent réellement. Cela devrait aller de soi, mais qu'en est-il exactement ?

Pour la période allant du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010, c'est-à-dire pour nous entre la loi HPST et la loi sur les retraites, le bilan de l'année parlementaire écoulée s'établit ainsi : cinquante-neuf lois adoptées par le Parlement, contre trente-huit l'an passé, notre sentiment d'une activité législative intense était donc bien fondé. Sur ces cinquante-neuf lois, cinq ont été examinées, au fond, par notre commission, c'est-à-dire exactement autant que l'an dernier : la loi de financement pour 2010, la loi créant une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, la loi visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement, la loi créant les maisons d'assistants maternels et la loi tendant à suspendre la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A.

Pour autant, on ne peut considérer que la session écoulée ait été très paisible, surtout si on ajoute à notre plan de charge les huit rapports que nous publions au titre de notre contribution à l'examen de la loi de finances ; le rapport de mission consacré à la réforme de la couverture assurance maladie par l'administration Obama ; les cinq textes sur lesquels nous étions saisis pour avis - jeux d'argent et de hasard en ligne, récidive criminelle, contrôle de l'action du Gouvernement et évaluation des politiques publiques, dialogue social dans la fonction publique et violences faites au femmes - ; les trois propositions de loi étudiées à l'initiative des groupes : adaptation de la directive services, fiscalisation des indemnités journalières et MDPH.

Enfin, n'oublions pas que la commission a conduit, seule, une mission d'information sur le mal-être au travail, qu'elle a assuré la commission d'enquête sur la grippe H1N1, qu'elle a publié cette année neuf rapports d'information, dont trois rédigés au nom de la Mecss, parmi lesquels celui établi sur les retraites, et qu'elle a par ailleurs organisé un cycle de conférences préparatoire à la prochaine révision des lois de bioéthique.

Après ce petit moment d'autosatisfaction que, j'espère, vous me pardonnerez, j'en viens à l'application des lois proprement dite.

Première observation, un peu décourageante car les années précédentes étaient plus favorables : si, sur cinq lois, deux sont déjà pleinement applicables - « reclassement » et « bisphénol A » - c'est uniquement parce qu'elles étaient d'application directe. La loi de financement pour 2010 n'est applicable qu'à 22 %, soit dix textes sur quarante-cinq, et les deux dernières n'ont encore reçu aucun décret. C'est ainsi le cas de la loi « accompagnement de fin de vie » pourtant très attendue par les familles ; pour ce qui concerne les maisons d'assistants maternels, l'absence des trois textes réglementaires attendus n'empêche pas l'application de la loi car ils ne se rapportent qu'à des dispositifs annexes : la création ou le fonctionnement des maisons d'assistants maternels ne nécessitent aucun décret d'application, contrairement à ce que prétendent certains conseils généraux.

Globalement, les lois votées cette année appelaient soixante et une mesures d'application, ce qui est dérisoire rapporté aux trois cent quarante textes réglementaires attendus l'an dernier, dont cent quatre-vingt-treize pour la seule loi HPST.

Sur cet objectif de soixante et une mesures, les services n'en ont publié que dix, soit un taux de 16 % : c'est moitié moins bien que l'an dernier (32 %) et très loin du record de 2008 (45 %).

Enfin, dernier élément décevant : les mesures effectivement publiées n'ont respecté que dans la moitié des cas le délai de six mois prévu par la circulaire du Premier ministre du 1er juillet 2004. Ce taux était de 76 % l'an dernier, ce dont nous nous étions réjouis.

J'en viens maintenant aux lois plus anciennes pour lesquelles la situation est infiniment plus favorable.

Cette année, cent quatre-vingt-douze nouvelles mesures réglementaires ont été prises pour les lois votées lors de sessions antérieures, soit bien plus que lors des deux années précédentes où l'on en comptait respectivement cinquante-sept et cinquante-huit. Sur ces cent quatre-vingt-douze, cent cinq concernent la loi HPST : cet effort vigoureux a porté son taux d'application à 55 % - contre 1 % au 30 septembre 2009 !... On peut y ajouter deux des sept rapports attendus par cette loi - c'est assez rare pour le souligner - et la production de vingt et une mesures réglementaires non expressément prévues.

Autre satisfecit pour la loi « formation professionnelle », promulguée il y a moins d'un an, en novembre 2009, et déjà applicable à 59 %.

Enfin, des efforts ont été engagés pour écluser le stock, notamment sur les lois de financement pour 2007, 2008 et 2009, désormais applicables respectivement à 77 %, 92 % et 80 % ; sur la loi Dalo, « droit au logement opposable », dont le taux d'application est passé de 61 % à 86 %. Trois lois adoptées, enfin, lors des sessions 2007-2008 et 2008-2009 sont désormais pleinement applicables : celle relative au RSA, la loi « rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail » et celle d'avril 2008 ratifiant l'ordonnance d'« adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament ».

En ce qui concerne les délais de parution, la situation est également plus satisfaisante : les textes parus dans un délai d'un an représentent désormais 58 % du total, soit un résultat très supérieur à celui des deux dernières années, où il s'établissait entre 28 % et 34 %. Ce résultat appréciable est, ici encore, le fait de la loi HPST.

A ce constat positif, j'opposerai aussitôt quelques critiques : l'effort semble s'être concentré sur ces lois emblématiques aux dépens d'autres, oubliées.

J'évoquerai la loi « participation et actionnariat salarié », votée le 30 septembre 2006, qui plafonne à 71 % d'applicabilité depuis octobre 2008, aucune activité nouvelle ne pouvant être décelée sur ce texte. Même encéphalogramme plat pour la loi « organisation de certaines professions de santé » de janvier 2007 ou pour la loi « adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament » de février 2007.

Si l'on étudie la situation de lois plus anciennes encore, la loi « handicap » de 2005 est désormais applicable à 95 % - c'est évidemment presque parfait mais on peut légitimement se demander pourquoi le travail n'est toujours pas achevé cinq ans plus tard - ; enfin, et cela va vous faire sourire, la réforme des retraites de 2003 n'est aussi applicable qu'à 95 % : il manque notamment un décret pour organiser la procédure d'allongement de la durée d'assurance après 2012, dispositif que nous venons entièrement de réécrire. Il était finalement inutile de se presser...

Si cet exercice de statistique n'est pas inutile, permettez-moi tout de même d'en souligner les limites techniques. Notre source principale d'information est le site Légifrance, qui retrace les échéanciers de parution des textes réglementaires établis à partir des informations transmises par le secrétariat général du Gouvernement. Or, bien que très utile, il demeure imparfait car il ne reflète que l'état de parution des décrets, simples ou en Conseil d'Etat : il faut rappeler que le Gouvernement a, le plus souvent, le choix du bon vecteur, par exemple en recourant à des arrêtés qui ne seront pas recensés. A l'inverse, il arrive parfois que la parution d'une mesure ne corresponde qu'imparfaitement aux souhaits du législateur et ne suffise pas à rendre la loi applicable. Sur le plan pratique, certaines mesures réglementaires ne précisent pas l'article de la loi auquel elles se rapportent, ce qui trouble l'exactitude statistique. Pire encore, il arrive que des décrets soient d'un volume si considérable qu'ils restent d'une appréciation impossible pour les parlementaires que nous sommes, sans parler du citoyen qui ambitionnerait de s'y retrouver. Un décret en Conseil d'Etat du 31 mars 2010 se proclamant, avec orgueil, le moyen de « tirer les conséquences, au niveau réglementaire, de la loi HPST » comporte trois cent soixante-douze articles et plusieurs annexes sur quatre-vingt-quinze pages...

Nous faisions traditionnellement un petit point sur l'urgence - on doit dire désormais « procédure accélérée » -, afin de contrôler si elle produit un effet d'accélération sur les délais de parution des mesures réglementaires et nous en concluions d'ailleurs chaque année qu'elle produisait l'effet inverse avec des performances plus médiocres encore qu'en procédure classique. Cette année, la statistique n'est pas probante car les dix mesures publiées ne portent que sur la seule loi de financement de l'année, pour laquelle la procédure accélérée est de droit.

J'en viens au suivi réglementaire des dispositions législatives issues d'initiatives sénatoriales votées en 2009-2010. La performance de 75 % d'application de 2008 fait définitivement figure d'accident statistique car ce taux, tombé à 19 % l'an dernier, n'est plus que de 12 % cette année. Pour des raisons qui m'échappent, il est d'ailleurs moitié moindre pour les initiatives sénatoriales que pour celles des députés (25 %) sans que je puisse m'expliquer cet écart.

Cela étant, on constatera, pour s'en réjouir, que sur nos cinq lois de l'an dernier, seul le PLFSS était - évidemment - d'origine gouvernementale. Les quatre autres provenaient d'initiatives parlementaires : deux du Sénat (« maisons d'assistants maternels » et « bisphénol »), deux de l'Assemblée nationale (« accompagnement d'une personne en fin de vie » et « reclassement des salariés »). Sans doute est-ce l'effet des nouvelles modalités de répartition de l'ordre du jour résultant de la révision constitutionnelle de juillet 2008.

Je finirai par les fameux rapports régulièrement demandés au Gouvernement. Les statistiques confirment notre sentiment : ils sont bien peu opérants. Sur les cent cinquante-neuf rapports réclamés par les lois adoptées entre 1997 et 2009, soixante-sept seulement ont été effectivement déposés. Ce taux illustre de lui-même l'efficacité de la méthode, même si l'on comprend qu'il s'agisse parfois de la seule façon, pour les parlementaires, d'attirer l'attention du Gouvernement sur un sujet sans encourir les foudres de l'article 40.

Pour cette raison, nous avions réduit nos exigences au fil des ans : les vingt-sept rapports demandés par notre commission en 2004 n'étaient plus que huit en 2009, dont un seul résultant d'un amendement sénatorial. Ceci étant, je crains que la loi retraites que nous venons d'adopter ne fasse flamber nos statistiques l'année prochaine.

Telles sont, mes chers collègues, quelques observations générales. Le rapport complet peut être consulté auprès de notre secrétariat.

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