Rien n’empêche, ne vous en déplaise, monsieur le président Sueur, de relever les contradictions qui existent entre la proposition de loi et les autres dispositions constitutionnelles concernant la citoyenneté et le droit de vote.
La règle essentielle dans ce domaine est inscrite à l’article 3 de la Constitution qui précise, dois-je vous le rappeler, que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. » Plus loin, dans ce même article, on lit surtout que « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » On fait ici référence à ce que les anglo-saxons appelleraient les « droits civiques ».
Il apparaît clairement que votre texte, renvoyant, certes, à une loi organique, n’a pas la même exigence que ce qui fait la règle générale pour avoir la qualité d’électeur, ce qui est paradoxal, mais en vous étant calqué sur l’article 88–3, vous n’avez pas défini les règles essentielles et constitutionnelles pour les électeurs étrangers, qui sont imposées pour les citoyens français.
Par ailleurs, et c’est sûrement ce qui nous différencie de votre approche, – vous l’avez très bien rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre – c’est la différence existant entre les ressortissants de l’Union européenne et les étrangers – au moins en situation régulière et dont la durée de séjour est suffisante. Car il existe une véritable citoyenneté européenne qui confère à ceux-ci des droits spécifiques et politiques. Madame le rapporteur, vous avez bien cité la décision de 1992.
Il ne s’agit pas seulement de la participation des citoyens européens aux élections municipales, il s’agit, surtout, et je crois que c’est le plus important, de leur participation aux élections au Parlement européen. Je vous renvoie, d’ailleurs, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ses articles 39 et 40, qui précisent le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen des citoyens de l’Union européenne : « dans les mêmes conditions » que les ressortissants de l’État membre où il réside. On exige les mêmes conditions !
L’article 40 répond aux mêmes exigences. La combinaison de la conformité du droit de vote des étrangers européens à celui des nationaux constituant une exception – d’où le terme « seuls » que vous souhaitez supprimer à l’article 88–3 – au principe de l’article 3, et sous réserve de réciprocité, reconnaît donc bien la spécificité de la citoyenneté européenne, dont les traités successifs ont d’ailleurs affirmé l’existence de droits civils particuliers ; je pense, par exemple, à la liberté de circulation, à la liberté d’installation. Les citoyens européens ont des droits que n’ont pas les autres étrangers. Souhaitez-vous que ces mêmes principes s’appliquent à tous les étrangers, c’est-à-dire qu’ils puissent circuler librement et passer à leur gré toutes les frontières ?
Rien dans votre texte ne précise les mêmes conditions pour être électeur que les citoyens français ou européens, et il nous semble que la loi organique n’est pas la garantie de règles en matière de droit de vote, même s’il s’agit d’élections locales.
Pas d’exigence d’avoir des droits civils et politiques – comment les vérifier, d’ailleurs ? –, pas de réciprocité, même pas la condition de majorité civile, ce qui, vous en conviendrez, est paradoxal !
Je me suis posé une question. L’article 88–3 fait mention d’« une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. » En effet, cette loi concerne le Sénat en ce sens que, indirectement, même si c’est négativement, cela concerne l’élection des délégués sénatoriaux.