Oui, monsieur le ministre. Ceux qui paient leur loyer chaque fin de mois le savent.
En complément, vous menez une charge sans précédent contre le logement public, prônant une France des propriétaires qui se trouve être un mirage.
Je me souviens que, lors de la dernière élection présidentielle, le candidat qui devait être élu vantait l’intérêt des prêts hypothécaires pratiqués outre-Atlantique, présentés comme le nec plus ultra de la politique du logement. C’est dire la pertinence de l’analyse de Nicolas Sarkozy en la matière…
Ainsi, c’est bien votre politique de désengagement et de marchandisation qui a favorisé la spéculation. Toute votre action est tendue vers la valorisation du foncier, notamment dans le cadre de projets récents comme celui du Grand Paris.
Cette politique s’incarne également dans l’asphyxie de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, dans le dépeçage du 1 % logement, et dans la paralysie des offices HLM, lourdement taxés et si peu aidés.
Les conséquences pour nos concitoyens sont particulièrement lourdes et se conjuguent avec leur précarisation au travail et la baisse de leur pouvoir d’achat.
Le logement, comme le dénonce la Fondation Abbé Pierre, est devenu une machine à exclusion, puisque, loin de constituer un droit, l’accès au logement relève aujourd’hui du parcours du combattant. En témoignent les chiffres : 700 000 personnes sont privées de logement personnel, plus de 3 millions de Français sont en situation de mal-logement et 1, 4 million de nos compatriotes sont toujours dans l’attente d’un logement social.
Pour ceux qui ont la chance d’être logés, la charge de l’habitation dans le budget s’est largement accrue ces dernières années. Ainsi, le prix des logements dans l’ancien a crû de 107 %, le loyer moyen du parc privé de 47 %, les loyers HLM de 29 % et le prix à la consommation de 19 % selon l’INSEE entre 2000 et 2010, alors même que le revenu médian n’augmentait, lui, que de 13 %. Quant aux prix des terrains, ils ont bondi de 31 % entre 2006 et 2010.
Le résultat de tout cela est que, entre 2002 et 2006, le nombre d’impayés de loyers a progressé de 83 % dans le secteur privé. Le nombre de décisions d’expulsion a également dépassé les 100 000 sur une année, en hausse de près de 43 % en dix ans.
Toutefois, rien n’y fait, vous êtes contents de vous ! Après la maison à 15 euros par jour, nous voilà donc prêts à examiner un nouveau dispositif permettant la majoration des droits à construire de 30 %. Cette mesure concerne ainsi les règles de gabarit, de hauteur, d’emprise au sol ou encore de COS, c'est-à-dire de coefficient d’occupation des sols, pour les communes couvertes par un plan d’occupation des sols ou un plan local d’urbanisme.
Selon vous, une telle mesure serait à même de favoriser la construction de logements, en permettant de relancer l’offre de logements par une meilleure rentabilité de l’investissement consenti par les investisseurs immobiliers.
Je ne m’attarderai pas ici sur les conséquences d’une telle disposition pour les logements déjà bâtis. Une telle mesure est en effet inapplicable pour le logement collectif, tandis que, pour les habitations individuelles, elle s’apparente simplement à un effet d’aubaine, sans permettre la création de logements supplémentaires.
Plus grave, elle sous-tend l’idée que tout un chacun peut « valoriser » son propre bien, y compris au détriment du droit au logement et à la ville.
Une telle conception nous semble particulièrement contestable et en rupture avec la notion même de la qualité architecturale et patrimoniale, qui doit pourtant être au cœur de toute politique d’aménagement.
Vous déployez l’argument selon lequel une telle mesure favoriserait la densité, tout en oubliant que, si la densification doit être un objectif permettant de lutter contre l’étalement urbain, une telle politique ne peut être uniforme et n’est qu’un levier parmi tant d’autres, bien plus efficaces.
Tous ceux qui sont engagés dans l’élaboration des plans d’occupation des sols savent bien que les politiques d’aménagement relèvent d’un travail fin et minutieux, respectant les spécificités de chaque territoire.
Aussi, sur le fond, à qui bénéficiera cette mesure ?
Concernant le logement public, une telle disposition ne résoudra rien ; pis encore, elle accroîtra les difficultés des maires bâtisseurs et des offices HLM dans l’acquisition de terrains, dont l’augmentation des droits de constructibilité renchérira le prix.
Concernant le logement privé, nous doutons également de la pertinence d’un tel dispositif.
Ainsi, vous affirmez que les promoteurs amortiront la majoration du prix des terrains par la construction de davantage de logements. Cet argument est contestable dans la mesure où, à l’heure actuelle, la plupart des promoteurs n’utilisent pas l’ensemble des droits à construire.
Une telle logique néglige également un élément déterminant : vous n’influez nullement sur les prix finaux, alors que nombre de nos concitoyens ne peuvent déjà plus se loger dans le parc privé.
Il s’agit ainsi avant tout d’une règle économique dont la mise en œuvre entraînera une augmentation des prix des terrains et de la construction, ce que vous ne niez pas. Dès lors, cette dernière sera encore un peu plus étroitement soumise à la loi du marché, à la concurrence, à la spéculation. Les seuls gagnants seront les spéculateurs, les promoteurs immobiliers, les banques. §
Plus grave encore, ce projet de loi constitue une nouvelle manifestation de défiance à l’égard des élus locaux. Je rappelle à ce titre qu’en vertu de la loi, ce sont les communes qui sont compétentes en matière de droit des sols, et non l’État.
De plus, nombre de communes n’ont pas de COS et, lorsqu’il en existe un, il s’agit avant tout d’un simple indicateur, d’un plafond qui, dans la plupart des cas, n’est pas atteint, tant il est vrai qu’assurer la qualité urbaine, l’équilibre de développement de la ville et le vivre-ensemble ne peut se réduire à appliquer une règle arithmétique.
Il existe d’ores et déjà des possibilités de renforcement des droits à construire, notamment pour la réalisation de logements sociaux, avec l’article L. 127-1 du code l’urbanisme, et pour les constructions répondant aux normes de confort thermique « bâtiment basse consommation », avec les articles L. 128-1 et L. 128-2 du code précité. Force est de constater que ces possibilités n’ont été que peu utilisées par les collectivités. De surcroît, les SCOT imposent à nos PLU une véritable densification de la construction.
En outre, la consultation du public que vous proposez d’instituer, tout en restant particulièrement flou sur ce point, ne constitue pas un gage de transparence. Je rappelle que, lors de l’élaboration des PLU, cette consultation s’engage dans le cadre d’une enquête publique autrement plus contraignante et que c’est bien sur l’objectif de la politique d’aménagement que les habitants doivent pouvoir s’exprimer.
Par ailleurs, aucune indication n’est fournie quant au financement de cette consultation. Nous en déduisons que, selon toute vraisemblance, il reviendra là encore aux collectivités d’assumer cette nouvelle charge, alors même que vos politiques fiscales les asphyxient chaque jour davantage.
Pis, en instaurant le principe d’une majoration des droits à construire, l’exception étant permise par une délibération du conseil municipal, vous contrevenez au principe de libre administration des collectivités locales : nous nous élevons contre cette ingérence gouvernementale.
Vous l’aurez compris, nous sommes totalement opposés à ce projet de loi.