Intervention de Claude Domeizel

Réunion du 10 janvier 2012 à 14h30
Simplification du droit et allègement des démarches administratives — Rejet d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois a confié, par délégation, à la commission de la culture le soin d’examiner au fond plusieurs articles de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.

Les dispositions concernées relèvent en effet de nos domaines traditionnels de compétence, tels que le droit de la presse ou l’architecture. D’autres sujets, comme l’affichage publicitaire extérieur ou l’usage de la langue anglaise dans les manuels aéronautiques, méritaient que notre commission se saisisse pour avis.

Le 21 décembre 2011, la commission de la culture s’est ralliée à la position de la commission des lois en donnant un avis favorable à l’adoption par le Sénat de la motion tendant à opposer la question préalable à l’ensemble de ce texte. En effet, la commission de la culture a décidé de s’associer à cette démarche pour des raisons principalement de deux ordres.

En premier lieu, la procédure accélérée ayant été déclenchée par le Gouvernement, des délais raccourcis imposés m’ont empêché, en tant que rapporteur, d’entendre convenablement l’ensemble des personnes concernées par les dispositions sur lesquelles la commission de la culture devait se prononcer. Il aurait été utile de disposer de plus de temps afin de pouvoir conduire une consultation plus approfondie de l’ensemble des organisations professionnelles concernées.

En second lieu, plusieurs dispositions de la proposition de loi s’éloignent très sensiblement de la pure œuvre de simplification de notre cadre législatif à droit constant et tendent à faire de ce texte un véhicule d’origine parlementaire déguisé permettant au Gouvernement de faire passer des mesures préjudiciables aux équilibres de certains secteurs d’activité et de remettre en cause des engagements passés.

C’est en particulier le cas de l’article 82 insérant une nouvelle disposition dans la loi de 1977 sur l’architecture. L’objectif est d’encadrer une pratique qui consiste, pour le maître d’ouvrage, à n’avoir qu’un interlocuteur pour la maîtrise d’œuvre, l’architecte se voyant confier une mission de coordination des autres prestataires.

Cette pratique, déjà courante dans le domaine de la construction, n’est pas assez définie dans le cadre de la conception. Pour ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage publique, l’article 51 du code des marchés publics définit déjà le cadre d’une telle mission de coordination, mais ne précise pas qu’elle constitue une fonction distincte méritant donc une rémunération.

En outre, le code n’impose pas que soit précisée la répartition des responsabilités de chacun des prestataires membres du groupement momentané d’entreprises ainsi constitué.

Pour ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage privée, aucune base juridique n’encadre cette procédure. L’article 82, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, soulève plusieurs difficultés. La principale est liée au choix d’insérer cette disposition dans la loi de 1977 sur l’architecture, dont l’article 3 rappelle le monopole de l’architecte en matière de conception architecturale. Compte tenu de la portée de cet article, toute insertion d’une définition de la mission de coordination doit nécessairement concerner exclusivement l’architecte, sous peine d’introduire une brèche dans la définition de son rôle dans la conception architecturale.

Mais, a contrario, ne définir le groupement momentané d’entreprises que pour l’architecte ne manquerait pas de mettre les autres professions susceptibles de jouer ce rôle de coordination dans une situation difficile. En effet, si bien souvent l’architecte se voit confier cette mission de coordination, il arrive que d’autres prestataires soient plus compétents pour coordonner les entreprises de la maîtrise d’œuvre. C’est vrai dans des projets très techniques ou industriels, tels que des constructions de ponts, de tramways ou d’usines de retraitement des déchets. Les représentants des professions de l’ingénierie estiment que 10 % des projets sont ainsi coordonnés par des entreprises autres que les architectes.

Aussi, pour ces professions, se limiter à une définition du cadre des groupements momentanés d’entreprises dont le mandataire est un architecte reviendrait à remettre en cause leur rôle et leur capacité à assumer la coordination de la maîtrise d’œuvre. C’est pourquoi, en plus de difficultés rédactionnelles, l’article 82 de la proposition de loi est davantage une source de complication du droit et mérite d’être rejeté.

Par ailleurs, l’article 55 nous paraît également source de préjudices pour la protection de l’environnement. Les alinéas 15 à 18 en particulier ne répondent pas à un objectif de simplification du droit. Ces dispositions concernant l’affichage publicitaire remettent en cause les engagements du Grenelle 2 de l’environnement, puisqu’ils allongent le délai de mise en conformité des dispositifs publicitaires de deux à six ans. Cette disposition, introduite sur l’initiative de l’Assemblée nationale, revient sur un délai que le Sénat n’avait pas jugé nécessaire de modifier, compte tenu de toutes les dispositions adoptées dans le cadre du Grenelle 2 prévoyant des délais particuliers, comme celui de cinq ans pour les pré-enseignes dérogatoires.

Je vous rappelle enfin que le chapitre relatif à l’affichage publicitaire extérieur avait été adopté à l’unanimité par le Sénat. Les alinéas 15 à 18 reviennent sur l’équilibre du texte et risquent d’entraîner des situations qui seront impossibles à gérer pour les maires dont la durée de mandat, qui est de six ans, ne permettra pas de prendre correctement les mesures de mise en conformité de l’affichage publicitaire dont ils auraient eu l’initiative.

S’agissant de l’article 72 ter de la proposition de loi, la commission de la culture souligne les sérieuses difficultés qu’il pose en matière de respect de la langue française dans le domaine de la sécurité aérienne. En effet, il vise à autoriser les compagnies aériennes à remettre à leurs salariés des documents de travail liés à la maintenance, à la certification et à l’utilisation d’un aéronef en langue anglaise.

Or le passage au « tout anglais » est particulièrement préjudiciable à la sécurité aérienne. Il ne semble donc pas opportun de modifier la législation déjà en vigueur. La commission de la culture estime au contraire qu’il faut maintenir l’obligation, pour les compagnies aériennes, de traduire en français au profit des salariés les documents nécessaires pour l’exécution de leur travail, les exceptions à cette obligation devant continuer d’être limitées aux « documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers ».

Pour toutes les raisons que je viens de développer, la commission de la culture s’est prononcée pour le rejet des dispositions qui la concernent. En conséquence, elle est favorable à l’adoption par le Sénat de la motion tendant à opposer la question préalable à l’ensemble de ce texte qui sera défendue par notre collègue Jean-Pierre Michel. Afin de ne pas préjuger du devenir en séance de cette motion – on ne sait jamais… –, notre commission a adopté, à l’unanimité de ses membres, trois amendements de suppression des dispositions dont elle s’est saisie aux articles 55, 72 ter et 82.

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