Au cours d'une seconde réunion, la commission procède à l'audition de M. Charles Coppolani, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne.
Nous sommes heureux d'accueillir Charles Coppolani, président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Notre commission a participé à tous les débats sur la régulation des jeux, celle des jeux en ligne en particulier. Elle est très active sur le sujet. François Trucy en est le spécialiste, qui a multiplié les rapports sur la question.
L'Arjel est issue de la loi de 2010. Vous venez d'être nommé président - le 24 février - par décret du Président de la République. Ce poste ne fait pas partie de ceux pour lesquels, en application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, un avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée est prévu, mais Michèle André et François Marc ont déposé une proposition de loi organique en ce sens, adoptée par le Sénat. Hélas, l'Assemblée nationale ne semble pas faire de ce texte une priorité. Elle a pourtant, dans le projet de loi sur la consommation, validé un dispositif miroir de niveau législatif simple. Néanmoins, même si elle ne se prononcera pas sur votre nomination, notre commission est très désireuse de vous entendre, dès aujourd'hui, afin de savoir dans quel esprit vous allez exercer vos fonctions.
Merci de me recevoir. Les autorités administratives indépendantes (AAI) n'ont de sens, je crois, que dans la mesure où elles sont en relation directe avec le Parlement. J'ai été affecté à ma sortie de l'Ecole nationale d'administration (ENA), en 1978, à l'agence judiciaire du Trésor, devenue la direction des affaires juridiques du ministère. J'y ai été responsable des grands procès de l'État, et notamment du dossier de l'Amoco Cadiz, que j'ai suivi pendant treize ans devant les juridictions américaines. Chef de bureau, j'avais rencontré le président Marini à propos du lourd contentieux CEA-Eurodif.
Affecté ensuite au Contrôle d'État, je me suis spécialisé dans le contrôle et l'optimisation de l'usage de l'argent public, autour de dossiers tels que celui du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, ou en tant que responsable de la mission de contrôle de France Télécom, puis d'EDF. En 2006, j'ai été nommé chef d'un nouveau service, le contrôle général économique et financier (CGEFI), issu de la fusion de divers corps de contrôle. Il m'a fallu gérer le changement et préparer le service aux nouvelles obligations de la gestion publique. Désormais, le CGEFI est le deuxième corps de contrôle de l'État à avoir reçu une certification, rendant ses audits directement utilisables par la Cour des comptes. J'ai présidé aussi le comité exécutif, l'assemblée générale et le comité d'audit du Fonds international d'indemnisation des pollutions marines (FIPOL). C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai accepté, en 2011, la présidence de l'Observatoire des jeux qui venait d'être créé par la loi de 2010. François Trucy m'a beaucoup aidé alors, je l'en remercie.
Il s'agit, en effet, d'un univers rempli de contradictions. Le jeu est un plaisir, mais peut être un gouffre sans fond qui entraîne des désastres familiaux. Pour l'État, c'est à la fois une ressource financière et un risque de santé publique à surveiller. Les opérateurs souhaitent maximiser leur profit, tout en développant une politique de jeu responsable... À l'Arjel de gérer ces contradictions pour assurer une gestion équilibrée de ce secteur. Mes objectifs sont fixés par la loi de 2010, mais j'aurai aussi à adapter l'institution aux nouvelles missions que la loi prochainement en vigueur lui confie.
Notre premier objectif est la protection des joueurs. Le taux de retour aux joueurs (TRJ) n'est pas toujours dissuasif. Le rapport entre le niveau du retour et l'abondance de l'offre n'est pas établi. Le taux de prévalence des addictions est plus fort dans les jeux en ligne, qui fonctionnent sur un modèle plus intensif que celui du réseau physique. Ce phénomène préoccupant s'observe aussi à l'étranger. Il conviendra ensuite d'offrir aux opérateurs agréés des conditions économiques optimales, garantie contre l'offre illégale. Pour cela, sans lever les garde-fous instaurés par la loi, il conviendra de suivre l'évolution macroéconomique des marchés et de simplifier certaines procédures. Je veillerai aussi à l'éthique du sport, comme l'a fait mon prédécesseur, en développant la coopération internationale. Les matchs truqués sont souvent organisés en dehors de notre territoire. Nous en avons été largement protégés jusqu'à présent. C'est un sujet qui ne peut être abordé qu'au niveau international. Il importe enfin de lutter contre l'offre illégale, dangereuse pour les joueurs et nuisible aux opérateurs agréés.
Pour atteindre ces objectifs, nos outils techniques devront être maintenus au meilleur niveau. Déjà, l'offre en ligne ne se limite plus aux ordinateurs fixes et migre vers les portables, les tablettes, voire la télévision. Nous devrons aussi nous appuyer sur la recherche universitaire, malheureusement peu développée en France dans ce domaine. Par exemple, nous ne disposons pas de méthodologie pour apprécier l'ampleur de l'offre illégale. La coopération internationale devra être renforcée. Ma méthode reposera toujours sur l'écoute de tous les acteurs et sur la concertation, avec le souci constant d'optimiser l'usage de l'argent public.
Je souhaite enfin rendre hommage à l'action de mon prédécesseur, Jean-François Vilotte, qui a conçu et installé l'Arjel.
Nous avons eu des relations suivies avec Jean-François Vilotte, notamment François Trucy, qui a été rapporteur des textes sur le sujet. A présent, nous sommes heureux de faire votre connaissance, M. Coppolani. Les jeux en ligne représentent aujourd'hui un enjeu considérable, c'est pourquoi Michèle André et moi-même avons déposé une proposition de loi organique prévoyant, lors de la nomination du président de l'Arjel, l'application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Les jeux rapportent 5 milliards d'euros par an à l'État. Leur régulation se fait dans un environnement en évolution rapide, notamment sur le plan technique. Elle est indispensable, tant les addictions peuvent avoir de conséquences dommageables. Le Parlement doit être vigilant.
Vous avez énoncé vos priorités : protection des joueurs, des opérateurs, surveillance de l'éthique du sport et lutte contre l'offre illégale. Vous avez bien fait de dénoncer la carence de notre recherche universitaire en ce domaine. Quant à la coopération internationale, elle est en effet indispensable. Prévoyez-vous de faire évoluer la gouvernance de l'Arjel ? L'assiette fiscale des jeux en ligne est-elle selon vous adéquate ? Certains réclament qu'elle ne soit plus fondée sur les mises mais sur le produit brut des jeux (PBJ). Les paris sportifs devraient être mieux encadrés. N'est-il pas étonnant que l'on puisse parier sur des phases de jeu qui sont sans incidence sur le résultat du match ? Cela augmente le risque de corruption des joueurs... Enfin, des avancées sont-elles nécessaires sur les outils de détection des paris frauduleux ?
Je connais bien Charles Coppolani. Si je regrette le départ de Jean-François Vilotte, qui a mené tambour battant l'installation de l'Arjel, et tenait scrupuleusement compte des préoccupations des parlementaires, je me réjouis que son successeur soit une personnalité aussi compétente, qui a de toutes pièces créé l'Observatoire des jeux, dans un environnement marqué par la carence extrême des recherches théoriques, que dénonçaient depuis longtemps psychologues, sociologues et universitaires. Les premiers résultats ont été remarquables, et Charles Coppolani a même trouvé un budget pour cet Observatoire, ce qui prouve qu'il n'est pas simplement un homme de dossiers. Il apporte à l'Arjel sa connaissance de tout le secteur. Je souhaite d'ailleurs que l'Arjel se voit rapidement confier la régulation de tous les jeux, afin que les distorsions de régulation se réduisent. En particulier, les outils de l'Arjel pour protéger les mineurs et lutter contre l'addiction sont bien meilleurs que ceux dont disposent la Française des Jeux ou le PMU. Les jeux sont une ressource pour l'État, mais il faut protéger les joueurs. Ce sont des malades qui ne veulent pas être guéris, ce qui les rend difficiles à traiter ! Au fait, qui remplacera Charles Coppolani à l'Observatoire ?
L'Autorité de la concurrence vient, s'agissant du PMU, de séparer les paris sur Internet de ceux effectués dans le réseau.
J'ai été chargée, pour le projet de loi sur la consommation, du rapport pour avis au nom de la commission des finances, et j'ai ainsi été conduite à m'intéresser aux jeux en ligne - sans être familière du sujet comme François Trucy. L'ouverture à l'international des tables de poker en ligne n'a pas été intégrée au texte en raison des risques de blanchiment. Estimez-vous que cette évolution soit souhaitable ? Dans quelles conditions pourrions-nous l'organiser ? Les jeux d'adresse en ligne ou skill games comportent-ils des risques particuliers, en termes de fraudes ou d'addiction ? La concurrence est-elle satisfaisante sur le marché des jeux en ligne, en particulier pour les jeux hippiques, avec la position très forte du PMU ?
Ayant pris mes fonctions hier après-midi, je ne saurais répondre à tout ! La gouvernance de l'Arjel est, par la loi, confiée à un collège, que je n'ai pas encore rencontré. Le président est l'exécutif. Mon prédécesseur a réformé l'organigramme en octobre dernier. La Cour des comptes a confié à Mme Malgorn une étude sur l'Arjel, mais son rapport n'est pas encore disponible. Bien sûr, je tiendrai compte de ses conclusions.
Comme vous le savez bien, ce n'est pas l'Arjel qui décide de l'assiette fiscale applicable aux secteurs des jeux en ligne. Je pense, cela dit, que la délicate question de la fiscalité ne peut pas être traitée indépendamment de celle du TRJ, les opérateurs liant, en réalité, l'instauration du PBJ comme assiette fiscale au déplafonnement du taux de retour aux joueurs. Rappelons d'ailleurs que la France est le seul État européen qui plafonne le TRJ. Or, comme nous l'avons écrit dans le Livre blanc, en nous fondant sur la littérature internationale et sur de nombreuses auditions, un TRJ élevé favorise les addictions par deux canaux : d'une part, les gains étant souvent remis en jeu, la durée de jeu est plus longue et, d'autre part, en gagnant souvent de petites sommes, le joueur est incité à penser qu'il maîtrise le hasard. Au total, c'est donc avec une grande prudence que j'aborde ces sujets qui relèvent de la compétence du législateur.
L'encadrement des paris sportifs est fondamental. L'Arjel a interdit les paris sur les matchs sans enjeu de compétition, car les risques de corruption y sont plus élevés. Je ne connais pas encore le détail des paris sur les phases de jeux. Mon prédécesseur s'en était déjà soucié et avait indiqué au comité consultatif des jeux, comme François Trucy s'en souvient certainement, qu'il convenait de prohiber les paris sur les éléments du match sans impact sur le résultat final.
Les chiffres d'affaires des réseaux physiques sont sans commune mesure avec ceux des jeux en ligne : 12 milliards d'euros pour la Française des Jeux, 10 milliards d'euros pour le PMU, quand les mises totales pour l'ensemble des jeux agréés en ligne s'élèvent à 8 milliards d'euros, et que leur produit brut, en 2012, fut de 686 millions d'euros. Nos poids économiques respectifs sont très différents. Faut-il aller vers une autorité de régulation unique ? Toute institution tend à se développer et ce pourrait être une tentation... Une autorité de régulation apparaît lorsqu'un monopole est supprimé. Elle est liée à un marché ouvert. J'ai siégé au comité consultatif des jeux, il supervise les programmes de jeux responsables et de lutte contre le blanchiment de la Française des Jeux et du PMU. Ceux-ci sont surveillés de très près et font l'objet d'un rapport annuel au ministre. Certes, les jeux en ligne offrent davantage de failles. Dans le réseau physique, la surveillance repose sur les détaillants qui, par exemple, refusent de vendre aux mineurs. Plus qu'une fusion, la priorité serait le partage des données et la coordination des actions.
L'ouverture des tables de poker à l'international a été écartée du projet de loi. Bien sûr, cela donnerait davantage d'intérêt au jeu, mais il y a, dans plusieurs pays, une criminalité organisée qui pourrait utiliser ce moyen pour blanchir de l'argent. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne est assez nuancée et considère que la gestion des jeux relève des États, laissés libres d'opter pour le monopole s'ils le souhaitent. Le principe de non-reconnaissance mutuelle des opérateurs constitue une exception au droit commun européen. La Cour a estimé toutefois, à propos du cas italien dans les années quatre-vingt-dix, qu'une gestion des jeux axée sur des objectifs commerciaux interdisait d'en limiter l'accès à d'autres opérateurs aussi strictement que lorsque prévalent les impératifs de sécurité publique de protection des consommateurs. Il faudrait donc soigneusement peser les éventuelles conséquences pour la France, de ce point de vue, d'une éventuelle ouverture à l'international du poker en ligne.
L'Arjel a déjà présenté un rapport sur les jeux d'adresse en ligne, qui soulignait les risques de fraudes - comment savoir qui joue en face, homme ou machine ? - et exprimait toutes ses réticences.
Certains opérateurs historiques qui interviennent sur le réseau physique proposent aussi des jeux en ligne. Vous l'avez rappelé, l'Autorité de la concurrence a distingué, concernant le PMU, entre les mises provenant du réseau physique et les mises en ligne, ce qui rétablira les conditions de concurrence avec les autres opérateurs. La Française des jeux n'est pas concernée, elle n'intervient pas dans les paris hippiques. C'est une décision importante !
Le nombre d'agréments a diminué au fil du temps, et nous sommes passés d'une trentaine d'opérateurs, lors de l'ouverture des jeux en ligne, à seulement dix-huit aujourd'hui. Ce mouvement de consolidation n'est pas sans rappeler ce que j'ai observé dans les télécoms, et il est bienvenu s'il donne aux opérateurs qui demeurent une assise suffisante pour envisager, sur le poker par exemple, une diversification des partenaires, qui n'est pas en soi une mauvaise chose...
Merci. Votre expérience juridique vous permettra sans nul doute de maîtriser ces problématiques. Tous nos voeux de succès !
La réunion est levée à 12 h 45.