Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission organise une table ronde sur la gouvernance de la culture scientifique et technique, bilan et perspectives. Sont entendus :
directrice des relations institutionnelles à Universcience ;
vice-président de la Réunion des CCSTI (association nationale des centres de culture scientifique, technique et industrielle) ;
président du Collectif inter-associatif pour la réalisation d'activités scientifiques et techniques à l'international (CIRASTI) ;
chef du département de la recherche, de l'enseignement supérieur et de la technologie, service de la coordination des politiques culturelles et de l'innovation au ministère de la culture et de la communication ;
inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) ;
président de l'Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique technique et industrielle (AMCSTI) ;
fondateur d'Alliance sciences société.
Le compte rendu de cette table ronde sera publié ultérieurement sous la forme d'un rapport d'information.
Puis la commission entend M. André Syrota, candidat désigné aux fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Monsieur André Syrota, vous êtes le candidat proposé par le Président de la République pour assurer les fonctions de président-directeur général de l'Inserm. En application de l'article 13 de la Constitution, les commissions compétentes des deux assemblées sont appelées à formuler un avis sur cette nomination. Cet avis est précédé d'une audition publique. A l'issue de cette audition, nous nous prononcerons par un vote à bulletin secret. Le résultat du vote sera connu cet après-midi, après votre audition à l'Assemblée nationale et le dépouillement simultané du scrutin.
Je suis professeur de médecine à la faculté du Kremlin-Bicêtre, professeur de médecine nucléaire et professeur de biophysique à l'université Paris-Sud. En 1981, ma fonction a été transférée du Kremlin-Bicêtre au service hospitalier Frédéric Joliot du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), service chargé du développement des applications des radio-isotopes à la biologie et à la médecine au sein de l'hôpital d'Orsay. Puis j'ai dirigé le département de recherche en imagerie biomédicale du CEA avant d'y prendre la responsabilité des sciences du vivant pendant quatorze ans. Ma priorité fut le partenariat avec tous les organismes de recherche ainsi que la coordination de nos travaux, question sensible en particulier lors des crises de la vache folle et du chikungunya, où l'on a vu les conséquences d'une absence de coordination. Fin 2007, j'ai donc accepté la direction de l'Inserm sous la condition de coordonner l'ensemble des recherches dans les domaines des sciences du vivant et de la santé. C'est ainsi qu'est née l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).
L'Inserm est devenu le premier organisme de recherche biomédicale européen et j'ai été élu il y a un an vice-président de Science Europe qui regroupe les différents organismes nationaux. Ce rayonnement de l'Inserm tient d'abord aux résultats de la recherche, puisque nos publications dans les cinq premières revues médicales, New England Journal of Medicine, The Lancet ou le British Journal of Medicine et d'autres, ont augmenté sous les cinq années de ma présidence, par rapport aux cinq années précédentes, de 42 % pour la recherche fondamentale mais de 52 % dans certaines disciplines. Nous avons également été honorés par le prix Nobel de Françoise Barré-Sinoussi.
L'Inserm occupe une place appréciable dans l'espace européen de la recherche ; je souhaite la conforter encore. J'ai voulu, au plan international, développer un réseau de laboratoires associés sur tous les continents, ce qui est beaucoup moins coûteux que les laboratoires Inserm implantés à l'étranger qui existaient auparavant.
L'audit mené en 2011 par l'inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche a salué notre important effort d'optimisation des fonctions support et a souligné la qualité du service rendu aux unités de recherche - c'est notre mission.
Si la création de l'Agence nationale de la recherche (ANR) a eu des résultats très positifs sur le nombre et la qualité des publications, elle s'est aussi traduite par un doublement du nombre de contrats de recherche. Nous gérons aujourd'hui 800 contrats... et un gros contingent de personnes en contrat à durée déterminée (CDD). C'est un sujet majeur que j'aurai à régler dans les mois qui viennent et qui sera sans doute discuté à l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. La Cour des comptes a récemment déploré l'utilisation des CDD dans de nombreux secteurs de l'administration publique.
Pour le reste, le rapport - rendu public, je m'en réjouis - a décerné un large satisfecit à l'Inserm, saluant notamment la création d'Aviesan, structure informelle, qui ne coûte rien mais a réalisé beaucoup. La Cour estime que « depuis 2005, la place de l'Inserm dans la recherche dans les sciences du vivant s'est renforcée » et que l'Institut a « joué un rôle majeur dans la création de la première Alliance, cadre de discussion et de coordination des principaux acteurs publics de recherche dans les sciences du vivant », auxquels il a donné « plus de cohérence, de visibilité et de réactivité ». Nous avons en cela répondu aux recommandations formulées dans un rapport thématique de la Cour en 2007.
Elle formule aujourd'hui de nouvelles recommandations que je me propose de mettre en oeuvre dans les mois qui viennent. Il s'agira de conforter le rôle de l'Alliance, dans le cadre de l'agenda stratégique voulu par le Premier ministre ; de préserver la dynamique de valorisation des résultats initiée par Inserm Transfert ; et de réexaminer les règles de recrutement et de gestion du personnel. A cette fin, nous avons préparé une charte des bonnes pratiques de recrutement, actuellement en discussion avec les organisations syndicales, pour l'accompagnement et l'insertion professionnelle.
Enfin, aspect auquel je suis très sensible, nous sommes appelés à poursuivre notre ouverture à la société. Nous le faisons, par exemple, au travers des aides à la décision publique et des expertises collectives qui nous sont commandées sur la base de notre compétence, notre fiabilité, notre impartialité, notre confidentialité et de l'absence de conflits d'intérêts. Je voudrais également souligner le rôle des 475 associations de malades partenaires de l'Inserm dans la formation et l'information du public. La présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a du reste animé la rencontre que nous avons eue récemment avec elles.
Nous souhaitons mener des actions de sensibilisation des lycéens à la science en partenariat avec les régions, sur le modèle de ce que nous avons expérimenté en Provence-Alpes-Côte d'Azur, à Marseille. En direction du grand public, nous proposons une émission diffusée sur LCI, publions le magazine Science et Santé tiré à 25 000 exemplaires. Notre site Internet enregistre 240 000 connexions par mois. A tout cela s'ajoute une application iPhone.
Votre contribution à l'agenda pour la recherche a permis de nourrir les réflexions en amont du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Votre souci d'ouverture répond à la nécessité de rendre la science accessible, au service de la citoyenneté et du progrès. Quelle est votre appréciation des mécanismes d'évaluation applicables aux chercheurs de l'Inserm ? Comment l'évaluation peut-elle être à la fois transparente, vérifiable, non bureaucratique ?
Il existe deux types d'évaluation : l'évaluation individuelle des chercheurs et l'évaluation des équipes de recherche. L'évaluation des chercheurs, mais aussi des ingénieurs et des techniciens, est réalisée tous les deux ans par les commissions de l'Inserm ou les sections pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Les unes comme les autres sont constituées d'experts élus ou nommés et personne n'a jamais remis en cause la qualité de cette évaluation.
Afin de simplifier la procédure pour les chercheurs, souvent candidats à la fois à l'Inserm et au CNRS, j'ai obtenu, dans le cadre de l'Alliance, que le périmètre de nos instances d'évaluation soit sensiblement le même et que nous les réunissions en même temps. En outre, les deux organismes essaient de coordonner leurs recrutements.
Concernant l'évaluation des équipes de recherche, qui a fait l'objet de discussions lors des assises, il faut rappeler que celles-ci ne sont plus évaluées par les organismes mais par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres). Il y a un intérêt à ce qu'une institution indépendante évalue nos équipes de recherche car toutes les unités de recherche de l'INSERM sont mixtes - associées à des laboratoires de recherche d'universités et d'hôpitaux. Il en va de même pour 80 % des unités du CNRS. En outre, 56 % de nos équipes ont un conseil scientifique international qui les évalue aussi - parfois à quinze jours d'intervalle seulement de l'évaluation par le comité de visite de l'Aeres. J'ai donc proposé que, désormais, ce soient les critères d'évaluation et le choix des experts des conseils scientifiques, et non plus les équipes, qui soient soumis au regard de l'Aeres. Le projet de loi devrait ainsi permettre aux organismes de choisir la façon dont ils évaluent leurs unités. Nous sommes sur la bonne voie si j'en juge par le texte actuel du futur projet de loi.
Il faut, de façon générale, limiter la complexité. Mon directeur général délégué et moi-même sommes censés représenter l'Inserm dans plus de 400 instances, ce qui est évidemment impossible. Or notre absence est interprétée comme un manque d'intérêt.
Pourriez-vous engager une équipe de l'Inserm à travailler sur les phages, organismes vivants qui, en « cocktail », peuvent constituer une alternative aux antibiotiques, en particulier dans le traitement des staphylocoques dorés ? Le Centre d'analyse stratégique vient de publier un rapport sur les phages, des colloques ont eu lieu, j'ai pour ma part écrit à la ministre à ce sujet. Les laboratoires, eux, sont bien sûr peu enclins à approfondir cette question... Votre institut est-il capable de lancer une telle étude, dont les enjeux pour la santé publique - et pour la santé financière de l'assurance-maladie - sont évidents ?
Vous avez évoqué les CDD. En dehors de l'Inserm, nombre de chercheurs sont aujourd'hui dans une situation très difficile, devant interrompre leurs travaux faute de financement.
Comment comptez-vous prévenir les conflits d'intérêts, souvent à la source de scandales très préjudiciables à l'image de notre recherche publique ?
J'ai été le rapporteur, pour la commission des affaires européennes, du budget européen de la recherche et de l'innovation dans le cadre d'Horizon 2020. Celui-ci était initialement ambitieux, il a suscité beaucoup d'espoirs, mais à l'issue du dernier Conseil européen, il a atterri bien bas. Le prochain programme-cadre de recherche et développement (PCRD) devrait, malgré l'intégration du réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter) et du Global Monitoring for Environment and Security (GMES) - rester proche du précédent, 57 ou 58 milliards d'euros.
Sur quels programmes-cadres comptez-vous vous appuyer et quelles collaborations bilatérales avez-vous nouées avec des partenaires d'autres États membres ?
L'industrie a délaissé la recherche sur les antibiotiques. Il serait bon de la reprendre. Pour notre part, nous avons lancé une initiative de programmation conjointe sur la résistance aux antibiotiques. Soit dit en passant, la première programmation d'initiative conjointe a été lancée sous présidence française de l'Union européenne, sur Alzheimer et les maladies neuro-dégénératives ; et elle fonctionne bien.
Étant l'un des deux experts européens chargés d'évaluer certains programmes menés dans les anciens pays de l'Est, j'ai constaté qu'ils travaillaient sur les phages et j'ai demandé à quelques groupes français leur avis sur ces recherches. Votre question est tout à fait pertinente.
Je suis extrêmement sensible au sujet des conflits d'intérêts et de l'intégrité scientifique. Cela devient un problème crucial. A chaque numéro de Nature ou de Science, le nombre de rétractations augmente. On s'est aperçu que, dans les grandes revues, la moitié des articles de chimie sur des nouvelles molécules étaient faux, sans doute du fait de la pression mise sur les chercheurs, notamment en Chine. Les industriels du médicament disent qu'ils ne sont pas capables de reproduire entre 30 et 50 % des publications dans les meilleures revues. Selon les comptes rendus de l'académie des sciences américaine, les faux sont effectivement très fréquents. C'est un argument en faveur du modèle français : nos chercheurs statutaires, moins soumis à la pression du contrat pour faire vivre leurs familles, peuvent se montrer plus intègres.
Nous remplissons des déclarations de liens d'intérêts applicables par exemple aux membres des commissions et des jurys ; la mienne est visible sur le site de l'Institut national du cancer (INCa). Mais attention, je suis le destinataire formel de tous les dons faits à l'Institut, mes liens d'intérêt sont donc innombrables !
L'informatisation sera annoncée dans un mois, au prochain conseil d'administration. Cependant tout cela est assez lourd, car à quoi bon une déclaration qui ne serait pas constamment remise à jour ?
Il me semblait que le budget décidé dans le cadre d'Horizon 2020 s'établissait à 65 milliards d'euros, mais sans intégrer Iter...
Oui, c'est effectivement hors Iter et hors GMES, j'ai parlé un peu vite. Quoi qu'il en soit, le Parlement européen espère que ce chiffre sera revu à la hausse.
Nous aussi. Science Europe intervient auprès du Parlement européen, de même qu'Aviesan rencontre la direction générale de la recherche et les députés au moins une fois par an.
S'il est un pays avec lequel nous pouvons développer des projets, c'est l'Allemagne, qui dispose, comme nous, d'universités et de grands organismes de recherche : Max Planck, Leibnitz, Fraunhofer ou Helmholtz. Nos deux seuls laboratoires à l'étranger y sont installés. L'un d'entre eux travaille à Heidelberg avec l'association Helmholtz qui, symétriquement, vient de créer deux unités en France, l'une au centre Léon Bérard de Lyon, l'autre au centre d'immunologie de Marseille Luminy. En outre, nous menons avec l'University College London des programmes communs sur la santé publique, les maladies infectieuses, les neurosciences et le cancer. Nous travaillons aussi avec nos partenaires britanniques en direction de l'Afrique.
L'intégration de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) au sein de l'Inserm s'est faite dans le respect de sa totale indépendance ; l'agence a eu accès aux recherches menées dans le cadre d'Aviesan.
La Commission européenne relance les farines animales en indiquant que les produits autorisés ne contiendront pas de prions, puisque l'on ne réduit plus en poudre des carcasses de ruminants mais de volailles ou de cochons. Comment l'Inserm pourrait-il apporter sa contribution à notre réflexion sur cette question ?
Au CEA, nous avions déjà travaillé sur les prions, dans deux laboratoires P3 de haute sécurité, dont celui du professeur Dominique Dormont. Au moment du scandale des farines animales, la recherche menée par le CEA sur les prions était pratiquement la seule source d'information scientifique disponible. Ce qui a été vertueux, puisque nous avons mis sur pied un test diagnostic qui a rapporté 60 millions d'euros que nous avons pu réinvestir dans d'autres projets de recherche. Aujourd'hui, vous souhaitez saisir l'Inserm ? C'est possible grâce à la procédure d'expertise collective mise en place par Philippe Lazar... Une soixantaine d'expertises ont déjà ont été réalisées à la demande des pouvoirs publics comme la ministre ou la caisse nationale d'assurance maladie, sur les phtalates dans les biberons, les tests génétiques, l'autisme, la psychiatrie. Un groupe d'experts analyse toute la littérature existante, fait le point des connaissances et formule des recommandations d'action et de recherche. Nos expertises n'ont jamais été remises en cause. C'est extrêmement simple : adressez-nous une demande et nous y répondrons... dès lors qu'elle s'accompagne du financement nécessaire.
La commission examine l'avis et procède au vote, par scrutin secret, sur la candidature de M. André Syrota à la présidence de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec l'audition de M. Syrota.
Nous allons maintenant procéder à l'examen de l'avis ainsi qu'au vote sur le projet de nomination de M. Syrota en qualité de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Des bulletins de vote sont à votre disposition. Vous voudrez bien entourer votre choix (pour, contre, abstention).
Conformément au dernier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 38-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, « il ne peut y avoir de délégation lors d'un scrutin destiné à recueillir l'avis de la commission permanente de chaque assemblée sur une proposition de nomination selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ».
Je vous rappelle, par ailleurs, que l'Assemblée nationale auditionnera de M. Syrota cet après-midi et que ce n'est qu'à l'issue de cette audition que nous procéderons au dépouillement simultané de ce scrutin.
Le scrutin est ouvert.
Plus personne ne demande à voter ? Le scrutin est clos.