Enfin, la commission entend une communication de MM. Albéric de Montgolfier et Claude Raynal, rapporteurs, sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers.
Je devais présenter cette communication avec Albéric de Montgolfier qui a malheureusement été retenu dans son département ; je vais vous exposer l'état de nos réflexions à la suite des travaux que nous avons conduits sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, à savoir l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Notre mission a pris la suite de celle initiée par Philippe Marini et Corinne Bouchoux, qui nous avait présenté leurs conclusions provisoires le 28 janvier dernier.
La question qui sous-tend ce travail est celle de savoir si notre système répressif est correctement armé pour assurer une protection efficace des épargnants, des investisseurs et un bon fonctionnement des marchés.
Cette question se pose aussi bien dans le champ de la régulation bancaire et assurantielle, qui concerne l'ACPR, que celui de la régulation des marchés financiers, qui concerne l'AMF, mais également dans certains cas, l'autorité judiciaire.
Sur ce dernier point, les abus de marchés (délit d'initié, manipulation de cours, fausse information) constituent en effet à la fois des manquements administratifs pouvant être poursuivis par l'AMF et des infractions pouvant être poursuivies par le Parquet national financier devant le juge pénal.
De fait, même si nous avons également des propositions pour l'ACPR, c'est bien cette question de la répression des infractions boursières qui s'est posée avec le plus d'acuité.
En effet, le Conseil constitutionnel a rendu, le 18 mars dernier, une décision majeure dans l'affaire dite EADS, qui nous oblige à réformer notre architecture répressive en matière boursière.
Cette décision porte sur l'application du principe du non bis in idem, qui interdit qu'un même fait soit sanctionné deux fois.
Prenant la suite de la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans un arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014, a condamné l'Italie en raison du cumul des sanctions en matière boursière, le Conseil constitutionnel a jugé que le manquement d'initié devant l'AMF et le délit d'initié devant le juge pénal n'étaient pas suffisamment différenciés pour que soit respecté le principe du non bis in idem. Le Conseil donne au législateur jusqu'au 1er septembre 2016 pour adapter notre procédure, qui permet actuellement qu'un même fait soit sanctionné deux fois, la première fois en tant que manquement au règlement général de l'AMF devant la commission des sanctions de l'AMF selon une procédure administrative, la deuxième fois en tant que délit devant le juge pénal selon une procédure judiciaire. D'ici à l'adaptation de notre législation, la première sanction prononcée éteindra la possibilité de poursuite devant l'autre autorité.
Il est donc nécessaire de mettre sur pied une nouvelle architecture répressive qui permette d'assurer une répartition dissuasive et efficace des affaires entre l'AMF et le juge pénal.
Nous avons réalisé une série d'auditions avec les différentes parties prenantes : l'AMF et l'ACPR, le parquet national financier, le président du tribunal de grande instance de Paris, l'Autorité européenne des marchés financiers, des avocats spécialisés, l'association des actionnaires minoritaires, etc. Sur la base de ces auditions et de nos échanges avec les différents ministères concernés, nous sommes parvenus à deux principaux constats.
Le premier est qu'il est nécessaire que les faits les plus graves soient réprimés par le juge pénal, et qu'ils le soient avec plus de sévérité qu'aujourd'hui. En effet, le juge répressif n'a jamais prononcé de peine de prison ferme et inflige des amendes d'un montant très inférieur à celles prononcées par l'AMF. Entre 2004 et 2014, le juge pénal a prononcé des amendes d'un montant moyen de 140 000 euros, quand les pénalités infligées par l'AMF atteignent en moyenne un million d'euros, avec une tendance à la hausse.
Le second constat, c'est que l'AMF constitue, pour des raisons évidentes de compétence et de moyens techniques, à la fois le principal outil de détection des opérations d'initiés ou manipulation de cours, et le vecteur des sanctions les plus rapides. Pour ne pas remettre en cause cette compétence et cette efficacité, il nous semble nécessaire que l'essentiel des affaires continue d'être poursuivi et sanctionné par l'AMF.
Le parquet national financier est déterminé à améliorer l'efficacité de la justice pénale en matière boursière. Il faut lui donner la possibilité de poursuivre cet objectif. Dans le même temps, il ne faut pas affaiblir un outil qui remplit correctement sa mission, c'est-à-dire l'AMF.
Je rappelle que, si en moyenne le délai pour obtenir une décision du juge pénal atteint trois ans contre deux ans et demi pour l'AMF, alors même que le juge intervient le plus souvent après les investigations de l'AMF, de nombreux dossiers, dont les plus médiatiques, ont été jugés plus de dix ans après les faits.
Ces deux constats nous ont conduits à estimer que la nouvelle architecture ne devait pas donner l'exclusivité à l'une ou l'autre des voies de répression, mais plutôt permettre d'améliorer leur complémentarité et organiser un aiguillage des affaires.
Il reste à déterminer les critères et la forme de cet aiguillage.
Notre idée, et les textes européens vont également en ce sens, est que les faits les plus graves devront nécessairement être poursuivis par le PNF et jugées par le juge pénal - la gravité s'appréciant à la fois en raison de l'intentionnalité des faits, du montant du profit réalisé mais aussi de la qualité des personnes en cause. En revanche, le gros des affaires devra être poursuivi par l'AMF.
L'AMF souhaite que cette répartition se fasse sur la base de critères objectifs, en particulier le montant du gain réalisé. Cependant, non seulement certaines affaires ne présentent pas de gain immédiatement quantifiable, mais la gravité n'est pas nécessairement question de montant : ainsi, un arbitrage au cas par cas, sur la base de principes clairs, nous semble préférable.
Dans la grande majorité des cas, les principes généraux que je viens d'énoncer, à savoir la gravité et l'intentionnalité, devraient permettre un aiguillage évident dans le cadre d'une concertation entre l'AMF et le PNF, qui bien sûr existe déjà. Cet aiguillage serait effectué de façon systématique à l'issue de l'enquête, avant l'ouverture des poursuites.
Mais comment faire en cas de divergence d'appréciation entre le parquet et l'AMF ?
Le Parquet national financier propose que le procureur puisse à tout moment et, en tout état de cause, avant l'ouverture de poursuites par l'AMF, « évoquer » une affaire pour engager les poursuites au pénal, quitte à sous-traiter les aspects les plus techniques à l'AMF, qui ne serait alors plus qu'une sorte de prestataire pour le compte de la justice.
Cette solution nous semble présenter le risque d'une démotivation des équipes de l'AMF, qui ont par ailleurs fait la preuve de leur efficacité.
Il nous semble qu'il serait plus équilibré, pour les quelques cas, que nous pensons rares, où il y aurait désaccord sur la voie à suivre, qu'une commission indépendante, composée de magistrats, issus par exemple de la Cour de cassation, du Conseil d'État et de la Cour des comptes, prenne une décision d'aiguillage non susceptible de recours. L'idée est bien sûr que la perspective de devoir réunir une telle instance pour régler leurs différends pousse le PNF et l'AMF à s'entendre en amont sur le type de poursuite à exercer ou, pourquoi pas, sur un accord transactionnel qui serait proposé à l'auteur de l'infraction.
À notre sens, ce système d'aiguillage nécessite d'ailleurs d'améliorer la coopération et la coordination entre le parquet et l'AMF au stade de l'enquête.
Cette nouvelle architecture permettra de concilier les soucis d'efficacité et d'impartialité avec celui de la pénalisation des faits les plus graves.
Elle devra s'accompagner de plusieurs autres modifications de notre droit pour garantir une répression efficace des manquements financiers.
La première et la plus importante de ces modifications concerne le quantum des sanctions. La question du montant des sanctions prononcées, tant par l'AMF que par le juge pénal, était d'ailleurs au coeur de la mission lorsqu'elle a été lancée. Il convient, nous semble-t-il, de relever significativement les peines prévues au pénal, qu'il s'agisse des peines privatives de liberté ou des sanctions pécuniaires, pour que les peines encourues devant le juge pénal soient au moins aussi dissuasives que celles encourues devant l'AMF. Faut-il aligner les peines pénales sur celles prévues à l'AMF, ou prévoir un niveau intermédiaire ? Cette question reste, à ce stade de nos réflexions, ouverte.
Nous pensons également qu'il faut compléter les sanctions pécuniaires devant les régulateurs financiers, en prévoyant, pour les personnes morales, un plafond de sanction en pourcentage du chiffre d'affaires. Ce nouveau plafond, par exemple de 10 % du chiffre d'affaires, permettra au juge, administratif ou pénal, de prononcer des sanctions très dissuasives à l'encontre des grandes sociétés pour lesquelles le plafond de 100 millions d'euros semble parfois insuffisant.
Par ailleurs, nous étudions plusieurs pistes de travail complémentaires. Nous réfléchissons en particulier à un élargissement de la procédure transactionnelle de composition administrative, qui a fait la preuve de son efficacité et de sa rapidité ; elle est aujourd'hui réservée aux manquements professionnels des intermédiaires financiers, et nous pourrions l'étendre aux abus de marché et aux infrastructures de marché.
Nous souhaitons également une amélioration des conditions d'indemnisation des lanceurs d'alerte, au titre du préjudice qu'ils subissent souvent en dénonçant des faits délictueux, par un fonds dont les ressources seraient issues d'un pourcentage des amendes perçues. Nous avons cependant écarté l'idée de rémunérer ces lanceurs d'alerte comme cela peut se faire au Royaume-Uni ou aux États-Unis.
Au total, l'objectif est double : une AMF confortée comme régulateur et garant du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions plus sévères, réajustées au niveau de celles de l'AMF.
Ces propositions sont communes à Albéric de Montgolfier et à moi-même. Nous continuons de travailler afin de donner une traduction législative à ces orientations, y compris par des échanges réguliers avec le Gouvernement qui travaille maintenant sur ces mêmes sujets, compte tenu de l'échéance devenue incontournable du 1er septembre 2016.
Je crois que le principal objectif qui doit nous guider en la matière est la rapidité et l'efficacité des procédures. La répartition des affaires entre le pénal et l'administratif doit respecter cet objectif, et c'est la voie que vous semblez suivre. Je suis donc en plein accord avec vous.
Je voudrais insister sur la prévention, au regard des déboires que nous avons connus, qu'il s'agisse des collectivités territoriales ou des particuliers. Je pense à la diffusion de produits complexes et risqués, avec certaines affaires qui sont encore devant les tribunaux. Il est important que l'on insiste sur la prévention auprès de nos régulateurs financiers pour que ces problèmes ne se répètent pas.
En effet, je crois qu'il est important d'avoir un contrôle en amont et une mise en cause rapide pour éviter la propagation de ce type de produits ; en outre, je crois qu'une sanction forte peut avoir un effet dissuasif pour faire réfléchir les établissements avant de se lancer dans ce type de produits.
La commission donne acte à MM. Albéric de Montgolfier et Claude Raynal de leur communication.