Notre présidente Michèle André participe à Luxembourg, avec François Marc, à la conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne. Nous avons le plaisir d'accueillir Claudine Lepage, rapporteure pour avis de la commission de la culture, chargée de l'audiovisuel extérieur.
Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit des dépenses globales dédiées aux médias, à la lecture, aux industries culturelles et à l'audiovisuel public de 4,4 milliards d'euros, en hausse de 0,46 % par rapport à l'an dernier. Dans le contexte actuel, on peut donc dire que ces secteurs sont globalement préservés, même s'il existe des variations sensibles entre les différents domaines.
Certains points sont satisfaisants : ainsi en est-il de l'aide, constante, aux médias de proximité - 29 millions d'euros en faveur du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale - et de la pérennisation du fonds de soutien aux médias de proximité créé à la suite des attentats de janvier 2015. Ces structures remplissent une mission sociale fondamentale et il est important de pouvoir soutenir leur action. Je me félicite aussi de la hausse de la dotation allouée aux contrats-territoire lecture, outils particulièrement utiles pour renforcer l'action des bibliothèques territoriales et favoriser la pratique de la lecture ; du renforcement des aides au pluralisme de la presse, qui demeurent toutefois largement minoritaires en proportion des autres types d'aides ; du retour de la dotation de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) à un niveau plus compatible avec l'exercice de ses missions de lutte contre le téléchargement illégal et de développement d'une offre légale, comme je l'avais demandé l'an dernier. Nous avions en effet appelé le Gouvernement à clarifier la situation de la Haute Autorité, soit en la supprimant, choix auquel nous nous serions opposés, soit en la maintenant, mais en lui donnant alors les moyens de fonctionner.
Je me réjouis également du classement du contentieux communautaire contre l'Agence France-Presse (AFP) et de la validation de ses missions d'intérêt général par la Commission européenne, ce qui donne lieu à un nouveau contrat d'objectifs ambitieux, notamment pour le développement des ressources commerciales de l'Agence.
Enfin, les sociétés de l'audiovisuel public, dans le cadre de la négociation de leurs nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM), semblent s'orienter vers de réels efforts de réduction des dépenses : les auditions m'en ont apporté la preuve et les dirigeants de ces sociétés paraissent désireux de renforcer les coopérations, notamment dans le domaine numérique.
Pour autant, de nombreux points de préoccupation ou de désaccord demeurent : ainsi, les documents budgétaires sont toujours très lacunaires sur les dépenses fiscales, sans aucune évaluation de leur efficacité, ni aucun élément d'explication sur les évolutions liées à leur chiffrage.
En outre, une incertitude pèse sur les tarifs postaux qui seront applicables à la presse au-delà du 31 décembre 2015, qui marque la fin des accords « Schwartz ». Cette situation est une réelle source de préoccupation pour les éditeurs, notamment ceux de la presse d'information spécialisée.
De surcroît, le chantier de rénovation du Quadrilatère Richelieu, site historique de la Bibliothèque nationale de France (BNF), connaît un dépassement de son budget initial et un retard dans son calendrier, pour la deuxième année consécutive, ce qui n'est pas de bon augure pour la suite - nous en prenons date.
Par ailleurs, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui remplit certes d'importantes missions, demeure une « exception » budgétaire au regard des autres opérateurs de l'État. En dépit de nos remarques réitérées, ses taxes affectées ne sont toujours pas soumises au plafonnement, en contradiction avec la loi de programmation des finances publiques. Or, il fait partie des dix opérateurs percevant le montant le plus élevé de fiscalité affectée.
Surtout, et c'est ce qui m'amène à demander le rejet des crédits de la mission comme du compte de concours financiers, le Gouvernement a de nouveau reporté la réforme de la contribution à l'audiovisuel public, nécessaire et urgente au regard de l'évolution des usages. Il faut faire cette réforme, qui doit être guidée par les principes de justice fiscale et de neutralité technologique, comme l'ont préconisé nos collègues André Gattolin et Jean-Pierre Leleux. Au lieu de quoi le Gouvernement a choisi d'augmenter significativement le taux de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE), qui passe de 0,9 % à 1,3 % à la suite du vote de l'Assemblée nationale, et d'affecter directement le produit qui en résulte à France Télévisions. Il s'agit d'une politique de Gribouille alors qu'il était plus que temps, à dix-huit mois de l'élection présidentielle, d'engager une réforme d'envergure. C'était peut-être la dernière occasion d'appréhender ce problème dans toutes ses dimensions.
Ce relèvement de la taxe sur les opérateurs de communications ne me paraît pas pertinent d'abord parce que, contrairement aux engagements gouvernementaux, il constitue une hausse de la fiscalité des entreprises, ce qui se traduira par un impact économique négatif sur le secteur concerné, et risque incontestablement de se répercuter sur la facture du consommateur. Ensuite, cette mesure de court terme ne règle en rien la question du financement de l'audiovisuel public à moyen et long terme, et elle n'est pas utile, puisque le rendement actuel de la taxe permettrait d'ores et déjà le financement de l'audiovisuel public au niveau proposé dans le projet de loi de finances pour 2016. Enfin, l'affectation directe d'une part du produit de la taxe à France Télévisions pourrait susciter de nouveaux recours juridiques de la part des concurrents de l'entreprise, qui invoqueraient une aide d'État : cela ferait paradoxalement peser une incertitude supplémentaire sur le financement de l'audiovisuel public, le temps que les institutions saisies soient en situation d'appréhender le cas traité. Or, le Gouvernement prétend vouloir renforcer l'indépendance financière de l'audiovisuel public.
Pour toutes ces raisons, je vous propose donc, comme l'année dernière, de ne pas adopter les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ni ceux du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».
Comme le rapporteur spécial, je pense que le Gouvernement mène une politique de Gribouille. Le montant de la contribution à l'audiovisuel public - ex-redevance audiovisuelle - connaîtra en 2016 une hausse modérée en raison de son indexation sur le niveau de l'inflation ; en outre, le taux de la taxe sur les opérateurs, créée pour compenser la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, va considérablement augmenter, en contradiction avec les annonces du Gouvernement sur la baisse de la fiscalité ; pourtant, de façon étonnante, seule une partie du produit de la taxe est affecté à l'audiovisuel public !
Le système n'est donc pas du tout satisfaisant : on augmente le taux d'une taxe dont on n'affecte pas la totalité du produit à l'audiovisuel public.
Deuxièmement, François Baroin pose la bonne question, à savoir celle de l'évolution de l'assiette de la redevance. De ce point de vue, ce projet de loi de finances est une occasion manquée. Les évolutions technologiques étant considérables, les modes d'accès à la télévision se diversifient : la réforme de l'assiette de la redevance s'imposait, d'autant que le nombre de redevables va s'éroder dans les années à venir.
Par ailleurs, ce type de modifications sur les ressources ne rend pas service à France Télévisions, car cela laisse entier le problème des réformes attendues au sein de ces sociétés en matière de réduction de leurs dépenses, ainsi que l'ont bien souligné André Gattolin et Jean-Pierre Leleux. Comme votre rapporteur spécial, je vous propose donc de ne pas adopter ces crédits.
S'agissant du Quadrilatère Richelieu, la situation devient insupportable, tant en raison du calendrier qui dérape, qu'en raison du coût du projet, qui s'accroît de 6 à 8 % chaque année. Il faudra bien une intervention pour sortir de cette situation !
Selon la presse, il semblerait que la ministre de la culture et de la communication souhaiterait ajouter des critères pour l'attribution des aides à la presse écrite, qui permettraient notamment de ne pas verser d'argent à certains journaux comme Valeurs actuelles. Est-ce exact ?
Les dotations au secteur public audiovisuel diminuent, mais les taxes augmentent : on a l'impression que France Télévisions et Radio France demandent et obtiennent finalement autant de crédits qu'ils le souhaitent sans pour autant se réformer en interne. Faut-il vraiment conserver toutes les chaînes publiques et ajouter en plus une chaîne d'information en continu, comme le souhaite Delphine Ernotte, alors que certaines séries et émissions ne sont pas de meilleure qualité que celles du secteur privé ? Ne devrait-on pas recentrer les missions du service audiovisuel public ?
Où en est-on de la création potentielle d'une nouvelle chaîne d'information ? Certaines chaînes redondantes et sans grand intérêt ne devraient-elles pas être supprimées pour permettre des économies sérieuses au niveau de France Télévisions ?
Les montants consacrés au livre et à la lecture me paraissent très modestes, alors qu'on nous dit qu'il faut renforcer la pratique de la lecture, qu'il s'agisse de l'éducation nationale ou des bibliothèques, souvent gérées par des bénévoles. Mais il est vrai que la télévision prend tellement de place...
La télévision est un cheval de Troie qui entre dans nos maisons ! Concernant le soutien à la presse, Roger Karoutchi a cité Valeurs actuelles, mais on peut également citer le cas de Minute, que l'on peut certes contester. J'ai le sentiment que ces aides sont discrétionnaires et ne dépendent que de la volonté du pouvoir en place.
Le 17 décembre, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) va se prononcer sur le passage de LCI sur la télévision numérique terrestre (TNT) gratuite. Cette belle chaîne mériterait d'être accessible à tous, afin de remettre en cause le monopole des chaînes d'information très dépendantes du pouvoir comme BFM.
À partir du 1er avril, la TNT va évoluer : environ deux millions de foyers, notamment ruraux, seront contraints de changer de décodeur, alors qu'ils ont déjà payé au moins 60 euros pour s'en équiper, et qu'on leur a pourtant fait miroiter il y a deux ans une télévision gratuite. Cela s'apparente à une rupture d'égalité devant les charges publiques.
Je suis surpris de la conclusion de notre rapporteur spécial, alors qu'il se félicite par ailleurs de diverses avancées, tout en justifiant son vote négatif à la fin par un manque de réformes dans le financement de l'audiovisuel public. Au-delà de la modernisation de la redevance, la question de la réforme ne porte-t-elle pas sur le périmètre de l'offre de chaînes du service public pour réaliser des économies ?
L'Europe nous contestait le droit d'appliquer le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au livre numérique, mais les choses semblent évoluer positivement. Qu'en est-il pour la presse en ligne ? Mediapart a décidé unilatéralement d'appliquer le taux réduit de TVA, d'où un contentieux avec Bercy. Faire la différence entre médias papier et numérique n'a plus aucun sens. Sait-on quelles évolutions pourraient intervenir dans ce domaine à moyen terme ?
Sur la réforme des aides au transport postal de la presse, il semblerait que la presse de loisir et de divertissement serait exclue des aides de l'État. Mais comment faire la différence entre les diverses publications ?
À France Télévisions, il y a beaucoup de chaînes, beaucoup de personnel, beaucoup de directeurs aussi semble-t-il...
Pour regarder le sport, il faut la plupart du temps passer par les chaînes payantes. En vertu de ses missions de service public, France Télévisions diffuse des émissions culturelles, la messe le dimanche, mais donnons-lui les moyens d'être compétitive face aux chaînes privées pour diffuser du sport ! Si je ne suis pas partisan d'augmenter la redevance, pourquoi ne pas rétablir la publicité après 20 heures, puisque les émissions sont de toute façon patronnées ou sponsorisées par telle ou telle enseigne ?
Le passage au numérique des salles de cinéma est très coûteux : dispose-t-on de données pour les salles rurales ? Les fermetures se sont-elles multipliées du fait de ce nouvel équipement nécessaire mais dispendieux ?
La commission des finances serait bien inspirée de se pencher sur le nombre hallucinant de chefs dans le secteur audiovisuel public. En outre, les prestataires privés du secteur public, qui ont été formés sur les chaînes publiques, gagnent très bien leur vie. Bref, il y a des pistes d'économies.
Dans les années 1970-80, on entendait : « heureux les pauvres en télévision, le royaume de Guy Lux leur appartient ».
Quelles sont les parts d'audience des chaînes d'information en continu trash du privé, comme I-Télé et BFM, et du public, comme France 24, et comment peuvent-elles évoluer ?
N'étant pas ministre de la culture et de la communication, je ne pourrai répondre à toutes vos questions ! Je ne dispose que des documents budgétaires et ne reçois pas les confidences du Gouvernement.
Ce dernier a publié le 7 novembre 2015 un décret étendant aux publications nationales de périodicité au minimum hebdomadaire et au maximum trimestrielle le dispositif qui existe actuellement pour les quotidiens nationaux d'information politique et générale à faible ressource. Cette aide est conditionnée à d'autres critères, dont l'absence de condamnation définitive pour racisme, antisémitisme ou incitation à la haine et à la violence des directeurs de la publication au cours des cinq années précédant la demande d'aide. Je ne sais quelle est la situation des directeurs de Valeurs actuelles ou de Minute au regard de ces conditions.
Le débat sur le périmètre de l'audiovisuel public existe, mais n'a pas été tranché. Lors de son audition, la présidente de France Télévisions ne m'a pas répondu sur ce point, qui nécessitera sans doute beaucoup de méthode, de dialogue et de discussion, notamment dans le cadre de la négociation du nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM). En revanche, il a été acté que le projet de chaîne d'information en continu numérique fera l'objet d'une coopération entre les différentes sociétés de l'audiovisuel public.
Qu'on évoque le périmètre de l'offre des chaînes de France Télévisions ou le retour de la publicité entre 20h30 et 21h00, on en revient finalement toujours à la problématique du financement de l'audiovisuel public.
Or, le Gouvernement n'ayant pas le courage d'aborder la question de l'assiette, il mène une politique de Gribouille, qui ne permet pas de définir le nombre de chaînes, ni de se prononcer sur une chaîne d'information qui incarnerait la présence internationale de la France, ni encore de mutualiser les effectifs. On peut être plus efficace, grâce aux nouvelles technologies, sans augmenter les coûts : c'est l'ancien ministre du budget qui vous le dit.
En ce qui concerne l'aide à la politique du livre et à la lecture, l'essentiel des interventions en faveur du livre sont portées par le Centre national du livre, opérateur de la mission financé par deux taxes affectées.
La France demande depuis longtemps l'application du taux réduit de TVA pour la presse en ligne et doit continuer à porter ce débat avec force et fermeté : je suis convaincu que nous finirons par l'emporter.
S'agissant de l'adaptation au numérique des salles de cinéma, je vous renvoie au rapport pour avis de notre collègue députée Virginie Duby-Muller, qui consacre une partie entière à cette problématique. Il contient sans doute un grand nombre d'informations précises sur les conséquences du passage au numérique pour les exploitants de salles, ainsi que sur la nécessité de garantir une présence vivante de ces infrastructures culturelles dans nos territoires ruraux.
Enfin, en ce qui concerne l'aide au transport postal de la presse, à ma connaissance, la ministre de la culture doit présenter une communication sur ce sujet en conseil des ministres d'ici la fin du mois de novembre. Nous en saurons alors un peu plus sur cette question qui vous tient à coeur.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Médias, livres et industries culturelles », ni ceux du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».
La réunion est levée à 9 h 33.