La mission a procédé à l'audition de M. Philippe Josse, directeur du Budget, sur les évolutions du périmètre de la protection sociale, et M. François Carayon, sous-directeur à la direction du budget.
a indiqué qu'une approche plus globale des finances publiques constitue le point de départ du raisonnement sur la situation financière actuelle de notre pays. Celle-ci comporte quatre éléments : le déficit public, la dette publique, l'ensemble des prélèvements obligatoires et l'ensemble des dépenses publiques. Ces dernières, d'un montant total de 900 à 950 milliards d'euros, comprennent le budget de l'Etat pour 268 milliards, les dépenses entrant dans le champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit environ 400 milliards qui deviennent 430 à 450 milliards pour l'ensemble des organismes sociaux, et les dépenses des collectivités territoriales, soit 200 milliards.
Pour les institutions européennes, comme dans la plupart des pays européens, aucune différence n'est faite en France entre dépenses de l'Etat et dépenses de la sécurité sociale, l'analyse portant sur l'entité unique des finances publiques. Il est donc indispensable de favoriser autant que faire se peut une approche globale.
De ce point de vue, des progrès importants ont été réalisés depuis deux ans. Ainsi, à la suite du rapport Pébereau, une véritable prise de conscience collective sur l'excès d'endettement public de la France est apparue. La mise en place de la conférence nationale des finances publiques et du conseil d'orientation des finances publiques a permis, pour la première fois, de mettre autour d'une table l'ensemble des acteurs de la dépense publique : ministres et représentants du pouvoir exécutif, présidents des caisses de sécurité sociale, représentants des collectivités territoriales et parlementaires. L'organisation conjointe d'un débat d'orientation budgétaire et sur les finances sociales est également un apport important, même si sa caractérisation sociale pourrait être un peu plus prononcée, ainsi que le souhaite, à juste titre, la commission des affaires sociales du Sénat. L'organisation, dans cette seule assemblée pour l'instant, d'un débat sur les prélèvements obligatoires en présence des ministres sociaux et financiers s'inscrit dans la même logique positive. Il en est de même de l'obligation édictée par la Lolf de rendre cohérent le rapport social, économique et financier annexé au projet de loi de finances avec, d'une part, le programme de stabilité, d'autre part, le cadrage du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, dernière innovation, la lettre de cadrage du Premier ministre envoyée cette année aux ministres prévoit non seulement les grandes lignes d'élaboration du projet de loi de finances, mais encore celles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin d'en mieux coordonner la préparation.
La question de la fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale est extrêmement complexe et ne peut, en l'état actuel, recevoir de réponse tranchée. Malgré tous les progrès réalisés, on dispose encore d'un système peu satisfaisant. Ainsi, l'existence de deux textes fait que l'on concentre le débat sur les frontières des champs couverts et sur « qui paye quoi », ce qui en restreint la portée et, surtout, ce qui ne répond pas à un intérêt direct des citoyens. Par ailleurs, avec deux textes, on constate une réelle difficulté à définir des stratégies cohérentes, et cela sur des questions aussi essentielles que le volume global des prélèvements obligatoires ou certaines politiques sectorielles, comme la politique familiale. Enfin, il n'y a pas de justification théorique évidente pour l'attribution d'une dépense au budget de l'Etat ou aux caisses de sécurité sociale selon sa nature. En effet, le budget de l'Etat, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, comporte de nombreuses dépenses de guichet, telles que les prestations aux anciens combattants ou les aides aux agriculteurs. A l'inverse, on trouve dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale un certain nombre de dépenses discrétionnaires, comme les dépenses d'action sociale des caisses, notamment de la caisse nationale d'allocations familiales. Aussi bien le besoin d'une coordination aussi poussée que possible entre les deux textes se fait-il sentir avec acuité, comme en témoignent les conclusions du récent rapport Lambert-Migaud.
a ensuite indiqué que pour faire évoluer la situation, quatre schémas théoriques peuvent être envisagés. Le premier, « Amélioration de l'existant », consiste à poursuivre dans la voie frayée depuis deux ans. Cela pourrait se faire à partir de trois actions : élaborer une lettre de cadrage unique, ce qui vient d'être réalisé ; créer un objectif national de dépenses pour la famille afin de permettre un meilleur pilotage de cette branche par la dépense ; anticiper les arbitrages du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui, jusqu'à maintenant, étaient pris à la dernière minute, soit en août-septembre. Pour atteindre ce dernier objectif, il convient de commencer l'élaboration du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale en même temps, d'organiser très en amont les réunions sur les réformes structurelles, d'arrêter l'arbitrage sur le niveau des dépenses avant le débat d'orientation budgétaire de manière à assurer un véritable débat d'orientation des finances sociales, de déconnecter les arbitrages sur les recettes de ceux sur les dépenses avec des décisions dès le mois de juillet, enfin de lancer l'idée d'un comité d'alerte pour les dépenses de la branche famille.
Le deuxième schéma est celui de la « Juxtaposition des textes ». Il consisterait à n'organiser qu'une seule discussion générale avec, en première partie, le budget de l'Etat et, en deuxième partie, le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le seul gain réel de cette approche serait la mise en cohérence des discussions et du débat politique tout en conservant les deux textes. Cela reviendrait, d'une certaine manière, à étendre le débat actuel du Sénat sur les prélèvements obligatoires à l'Assemblée nationale et à l'appliquer à l'ensemble des dépenses publiques. On pourrait même envisager un vote global sur les grands objectifs de dépenses publiques, dont le détail serait ensuite précisé dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le troisième schéma, « Pot commun de recettes », a pour objet d'organiser, d'un côté, le vote de l'ensemble des recettes publiques, de l'autre, l'examen des dépenses, pour l'Etat selon les règles de la Lolf, en crédits limitatifs, et pour la sécurité sociale, en mode évaluatif. L'avantage principal serait une grande cohérence de la politique des prélèvements obligatoires. L'inconvénient majeur serait la perte de la logique de solde des comptes sociaux et de la responsabilisation par la recette. A cet égard, il faut toutefois souligner le danger d'un pilotage exclusivement par le solde, car il expose à un surcroît de dépenses lorsque la situation des recettes est bonne et à un accroissement des prélèvements obligatoires lorsque la conjoncture est mauvaise. Un pilotage pluri-annuel par la dépense est donc nécessaire, comme le montrent certaines décisions récentes contestables, pour l'Unedic en 2000 ou pour la création de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), conçue, en fait, afin d'utiliser les excédents de la branche famille.
Le quatrième schéma est celui de la « Fusion pure et simple ». Les dépenses familiales et maladie deviendraient des programmes du budget général, les caisses étant les opérateurs de l'Etat. Ce scénario rejoint les propositions de M. Philippe Marini dans son dernier rapport sur les prélèvements obligatoires. Une telle fusion exclurait néanmoins l'assurance chômage, vrai modèle de gestion par les partenaires sociaux, la vieillesse, tant en ce qui concerne le régime général qu'a fortiori les régimes complémentaires, et les accidents du travail - maladies professionnelles.
L'intégration de la branche famille dans le budget de l'Etat est la plus légitime, même si elle ne repose sur aucune justification théorique liée aux distinctions entre assurance et solidarité, contributif et non contributif, impôts et cotisations. En effet, d'un point de vue pragmatique, il incombe aujourd'hui à l'Etat de gouverner presque entièrement le dispositif, la gestion paritaire étant assez illusoire par différence avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), et l'Etat finance une part considérable des dépenses à travers l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation de parent isolé (API) et les aides personnelles au logement. En outre, la politique fiscale est très présente dans ce domaine, notamment à travers le quotient familial. Enfin, cette fusion aurait le mérite de supprimer les cofinancements dont les effets sont toujours pernicieux, que ce soit par des politiques conjointes, des politiques partagées ou des partages d'impôts.
a ensuite précisé que la direction du budget a actuellement pour mission la seule mise en oeuvre du premier schéma, celui de l'amélioration de l'existant.
Le vrai problème actuel des politiques publiques est celui de leur soutenabilité, notamment par les générations futures, ainsi que celui de leur performance. Il est donc essentiel de s'intéresser à la dépense, avant même de se pencher sur les questions de financement ou de solde.
En effet, les perspectives du vieillissement démographique pourraient avoir un impact de trois points de produit intérieur brut (PIB), soit 60 milliards d'euros, soit encore l'équivalent d'une deuxième contribution sociale généralisée (CSG).
Face à une telle situation, plusieurs voies sont fermées : laisser filer l'endettement public, c'est-à-dire entrer dans la spirale insoutenable de la dette ; augmenter les prélèvements obligatoires, car cela entraînerait des problèmes de compétitivité internationale (le seuil actuel de quarante-quatre points de PIB constitue déjà un niveau de prélèvements obligatoires très élevé), d'acceptabilité par le corps social et d'équité intergénérationnelle. La seule voie possible est donc celle de la maîtrise de la dépense, ce qui nécessitera des réformes structurelles, comme le rendez-vous de 2008 en matière de retraites.
La socialisation des besoins humains est sans doute à son maximum en France mais, aujourd'hui, l'ensemble du système doit être mis sous contrôle.
a alors souhaité avoir des précisions sur la spécificité des dépenses à caractère social, la manière d'assurer la transparence, la clarté et la lisibilité des dépenses sociales en cas de budgétisation de celles-ci, le rôle des partenaires sociaux, la réflexion en cours sur le financement de la protection sociale, la manière de faire face à la croissance inéluctable des dépenses sociales d'environ 1 à 1,5 point de plus que le PIB, le montant des dépenses de l'Etat supportées par l'assurance maladie, les possibilités d'améliorer les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, l'insuffisance du cadrage pluriannuel de l'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les solutions à apporter aux déficits du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipssa), les conditions de détermination de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et l'existence de modèles étrangers. Ces questions s'inscrivent dans le cadre du souci permanent de la commission des affaires sociales du Sénat d'obtenir l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.
a indiqué qu'en matière de dépenses, il ne peut y avoir de distinction absolue entre ce qui relève de l'Etat ou de la sécurité sociale. Les dépenses de vieillesse, d'accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) et de chômage restent essentiellement financées par le travail, conformément aux principes de la sécurité sociale mis en place en 1945. A l'autre extrémité du spectre, de nombreuses prestations relevant de la solidarité, notamment les minima sociaux, peuvent relever à la fois des caisses et de l'Etat. Ainsi, l'AAH et l'API sont versées par la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) mais financées par l'Etat, les aides personnelles au logement sont mises en oeuvre par la Cnaf avec un financement mixte et le RMI fait intervenir les caisse d'allocations familiales (Caf) et les départements. Les dépenses d'assurance maladie sont un mélange de solidarité et de logique assurantielle rendant toute distinction difficile. L'imputation des dépenses peut alors se faire selon des critères pragmatiques : qui pilote la dépense ? de quelle logique relève l'affectation des recettes ? Comme exemple de réflexion, on peut évoquer le cas des recettes de la branche famille, qui progressent actuellement de façon plus dynamique que les courbes démographiques.
Le rôle des partenaires sociaux est en France bien plus important que leur seule association à la gestion des caisses. Ils sont en effet consultés, voire associés, aux grandes décisions du Gouvernement, notamment au sein des instances récemment créées que sont le Conseil d'orientation des retraites (Cor), le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), le Haut conseil de l'assurance maladie (HCAM) et le Conseil d'orientation des finances publiques. Cette méthode constitue un grand progrès. Il faut néanmoins observer que, depuis la création du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le partage des rôles est de moins en moins clair entre parlementaires et partenaires sociaux.
La distinction entre impôt et cotisation n'a que peu d'intérêt car il s'agit, dans tous les cas, d'un prélèvement obligatoire. Le seul paramètre à prendre en compte est l'efficacité économique du prélèvement. Dans l'ensemble, les pays de l'Union européenne ont un taux de recettes sociales fiscalisées supérieur à celui de la France, dont la protection sociale demeure alimentée à 60 % par des cotisations.
La mise en place d'une TVA sociale est une question complexe et politique. Elle doit se faire à l'aune de plusieurs critères : l'efficacité économique ainsi qu'une plus grande clarté et une plus grande cohérence dans le financement du système. La réforme adoptée en Allemagne ne relève que pour partie de la TVA sociale, puisque la hausse de la TVA n'a pas été équilibrée par une baisse équivalente des prélèvements sociaux. En outre, il faut observer qu'elle a été précédée de très importantes réformes structurelles et qu'elle bénéficie d'une conjoncture désinflationniste.
S'il est vrai qu'avec la TVA sociale, la charge fiscale est répartie différemment entre produits importés et produits nationaux, ses conséquences en termes de prix sont d'abord liées à la situation concurrentielle ou non du secteur, ainsi qu'aux circonstances au moment de sa mise en oeuvre et à l'ampleur des mesures d'accompagnement prévues.
En tout état de cause, il faut se méfier des partages d'impôt, ce qui signifie que toute augmentation de TVA devra être affectée au budget de l'Etat, seules les dépenses faisant, le cas échéant, l'objet d'une nouvelle répartition. La pire des solutions serait d'attribuer un peu de CSG à l'Etat et un peu de TVA à la sécurité sociale.
a souhaité savoir quelles pourraient être les conséquences d'une augmentation aujourd'hui de la TVA sur la croissance et sur l'emploi.
a insisté sur l'importance du contexte économique et des réformes. Compte tenu de la situation de notre pays, il paraît difficile d'y envisager une transposition parfaite de la réforme allemande.
L'évolution des dépenses sociales suit actuellement une courbe supérieure à celle de la croissance du PIB. Il n'est toutefois pas évident que cette situation se maintienne en l'état. En effet, des comparaisons internationales montrent que, pour l'assurance maladie, le financement public est, en France, de deux points supérieur à la moyenne européenne. Des gains d'efficacité existent, et pas seulement par la suppression de prestations.
La rectification des frontières entre budget de l'Etat et sécurité sociale doit se faire selon la méthode du faisceau d'indices, en particulier dans le champ de la famille. Le réseau des Caf est en effet de plus en plus utilisé comme un guichet de proximité pour toutes sortes de dispositifs, dont le RMI, qui d'ailleurs ne transite pas par les comptes de la Cnaf.
La procédure d'élaboration de l'annexe B de projection pluriannuelle du projet de loi de financement de la sécurité sociale intervient en principe en cohérence et au même moment que celle du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances.
Sur la manière de prévoir l'évolution de l'Ondam, deux difficultés doivent être soulignées : les fréquents changements de périmètre ainsi que l'absence de justification au premier euro de cet objectif de dépense.
a précisé que, sur ce point, des améliorations devraient pouvoir intervenir dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 grâce à des progrès sur l'analyse tendancielle et sur l'évaluation de l'impact des mesures nouvelles. Il est important de ne pas limiter l'approche à l'évolution en pourcentage de l'Ondam, mais de se pencher aussi et surtout sur le contenu des dépenses couvertes par l'Ondam.
a ensuite fait observer que la solidarité nationale finance, d'ores et déjà, 88 % des dépenses du Ffipsa. Pour trouver une solution à la situation structurellement déficitaire de ce fonds, trois approches sont possibles : considérer que le Ffipsa est un régime de protection sociale autonome qui, modulo les mécanismes de compensation, doit s'autofinancer, ce qui signifie un retour à l'équilibre par une augmentation des cotisations et une maîtrise des prestations ; estimer que s'agissant d'un régime de protection sociale comme un autre, il revient à l'ensemble des régimes de protection sociale de prendre en charge le déficit du Ffipsa grâce à une décision du législateur financier social en ce sens ; rappeler que le Ffipsa était auparavant un budget annexe équilibré grâce à une subvention budgétaire et que celle-ci, actuellement prévue « le cas échéant », s'impose à l'Etat en raison du caractère particulier du secteur agricole.
Les trois solutions ont leur justification, ce qui signifie que chacune des trois parties identifiées devra faire un effort, la difficulté étant évidemment de paramétrer celui-ci pour chacune.
Puis M. Philippe Josse est revenu sur le dispositif du comité d'alerte qui est une très bonne chose et qui pourrait être étendu, comme l'a annoncé le Premier ministre lors de la dernière conférence des finances publiques. Il permet de concentrer l'attention sur la dépense et d'instruire les débats du Parlement.
Enfin, M. François Carayon a fourni quelques éléments de réflexion sur les exemples étrangers. Dans tous les pays, par exemple au Japon, on observe le souci permanent d'une vision d'ensemble et d'un pilotage global des finances publiques. La comparaison avec les pays étrangers fait partie des points inscrits dans la lettre de la mission actuellement menée par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) sur le rapprochement entre budget de l'Etat et finances sociales. Par ailleurs, dans le cadre de l'examen par la Commission européenne des programmes de stabilité, des données globales standardisées existent pour chaque pays membre de l'Union.