Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la mission procède à l'audition de Mme Zeynep Or, directrice de recherche à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).
Nous recevons cet après-midi Mme Zeynep Or, directrice de recherche à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé. Mme Or est économiste de formation et elle a centré ses travaux de recherche sur le financement des établissements de santé, ainsi que l'efficience et la qualité des soins.
Vous avez réalisé plusieurs publications sur la T2A et votre expertise ne se limite pas à la France. Vous participez par exemple au projet de recherche européen « Euro DRG », soutenu par la Commission européenne, qui vise à comparer le rapport coût-efficacité et la qualité des soins des différents systèmes hospitaliers européens.
Ces questions sont au coeur du travail que nous avons lancé sur la tarification à l'activité et le financement des établissements hospitaliers. Nous sommes donc particulièrement intéressés par une approche comparative entre la T2A française et les modes de tarification en vigueur dans les principaux pays développés. Nous souhaiterions également connaître les principales conclusions que vous tirez, au vu de vos travaux, sur la T2A française, ses forces et ses faiblesses, et les axes d'amélioration ou de réforme envisageables.
La T2A est devenue le mode de paiement le plus répandu en Europe. Les pays qui ne l'ont pas encore mise en place sont en voie de le faire. Les objectifs sont largement partagés : assurer une plus grande transparence dans le financement, en le liant à la production des soins ; rendre le financement plus équitable, avec un même prix pour le même service ; améliorer l'efficience, en incitant à mieux utiliser les ressources hospitalières. Au-delà d'un principe de base commun, l'architecture de la T2A varie d'un pays à l'autre en fonction de leurs besoins et contraintes propres. En France, la T2A est introduite depuis 2005, mais ses résultats paraissent mitigés.
Mon exposé consistera à résumer les principes de base de la T2A, à présenter les différents paramètres d'ajustement possibles, à discuter les différents modèles en vigueur et à donner mon appréciation personnelle sur le modèle français.
Chaque mode de financement présente ses avantages et ses inconvénients. Le budget global permet de maîtriser les coûts, sans se préoccuper de l'activité. La T2A encourage l'activité et l'efficience technique. Elle comporte en revanche des risques de sélection des patients ou de réduction du niveau de prise en charge lors du séjour. Il n'y a pas de modèle idéal.
Avec la T2A, les ressources des établissements sont fonction de leur activité, décrite par groupes homogènes de séjours (GHS). A chaque groupe homogène de malade (GHM) correspondent différentes prestations offertes à un même profil de malade. Le prix est identique pour une même prestation. Les tarifs sont connus avant la réalisation de l'activité. C'est le principe du paiement prospectif.
Dans la pratique, la T2A incite à augmenter le nombre de patients traités et à limiter les actes pour un même patient. Les établissements reçoivent généralement d'autres financements pour couvrir les coûts liés à des activités de recherche et d'enseignements, à des soins particuliers, aux contraintes locales telles que les prix de l'immobilier ou les écarts de coût du personnel médical.
La T2A stimule l'activité hospitalière. N'oublions pas que dans un pays comme le Royaume-Uni, il s'agissait d'un objectif politique important, afin de diminuer les délais d'attente pour les patients. Elle vise aussi à réduire les différences de coût entre les établissements pour une même prestation et à renforcer leur efficience en améliorant le processus de production de soins et l'organisation de celle-ci.
Recourir à la T2A suppose de relever plusieurs défis. Il faut tout d'abord effectuer une classification homogène des prestations hospitalières, ce qui est loin d'être évident. Pour des pathologies aussi simples que l'accouchement ou l'appendicite, on constate que le nombre de GHM et les critères retenus dans chacun d'entre eux varient considérablement selon les pays. Il faut également assurer des tarifs « justes », maîtriser les coûts et garantir la distribution des soins en fonction des besoins de la population, ainsi que leur qualité. Les établissements sont incités à cibler les prises en charges les moins graves, celles qui sont relativement simples et homogènes. La T2A n'a en aucun cas vocation à permettre une couverture optimale des besoins. Il est donc nécessaire de prévoir des mécanismes régulateurs additionnels
Parmi les effets pervers les plus couramment imputés à la T2A, on peut citer le risque d'induction de la demande par les hôpitaux eux-mêmes, le transfert des coûts sur d'autres structures, que ce soit en soins de suite ou à domicile, la sélection des patients et des prises en charge les plus rentables, notamment la chirurgie légère et programmée, ainsi que des incidences sur la pertinence ou la qualité des soins : prestations injustifiées, augmentation de l'intensité des actes techniques, réduction inadéquate de la durée des séjours ou morcellement des séjours, le tout pour optimiser la rémunération. Il reste difficile de définir les soins strictement nécessaires.
Face à ces défis, les pays qui mettent en oeuvre la T2A ont adopté des solutions différentes quant au lien entre financement et activité, à la définition des GHM, aux domaines couverts (MCO, soins de suite, psychiatrie, consultations hospitalières), aux mécanismes de maîtrise des coûts et à la détermination des tarifs.
On constate que si dans la plupart des pays (Allemagne, Royaume-Uni, France, Portugal, Suède), la T2A lie directement le financement à l'activité, dans d'autres (Autriche, Irlande, Portugal), les GHM servent à déterminer les dotations budgétaires des établissements. La part des ressources liées à l'activité est également variable selon les pays : près de 100 % en Autriche, environ 80 % en Allemagne et en France, 60 % au Royaume-Uni.
La classification des séjours en GHM s'avère un exercice difficile. Il faut trouver l'équilibre entre la précision de la classification et les incitations à l'efficience. Plus le nombre de groupes augmente, en différenciant non seulement les situations cliniques mais aussi les choix thérapeutiques, plus le modèle s'approche du paiement à l'acte. Les études réalisées aux Etats-Unis montrent que lorsque l'on est passé d'environ six cents à mille cent GHM, l'hétérogénéité de chaque groupe n'en a été qu'assez peu réduite.
Avec 2 318 GHM en 2009, la France a adopté une classification médico-économique très complexe, source de difficultés de pilotage et d'insuffisante lisibilité. Un tel nombre de GHM nécessite des bases d'information très détaillées, avec un risque accru de sous-financement lorsque ces informations ne sont pas correctement collectées. L'enquête nationale des coûts est critiquée du fait de l'étroitesse de l'échantillon dans lequel les CHU sont sur-représentés. On peut s'interroger sur la pertinence de certains GHM qui n'ont fait l'objet que d'un seul séjour par type d'établissement de l'échantillon. On constate aussi que quarante GHM représentent à eux seuls la moitié des séjours.
En termes de nombre de GHM, la France se situe au-dessus des autres pays. L'Angleterre n'en compte que 1 389, l'Allemagne 1 200, les Etats-Unis 1 100, la Suède 983.
La T2A est généralement associée à un objectif de maîtrise des dépenses. La solution la plus souvent retenue consiste à établir un contrat type volume-prix par GHM, basé sur deux paramètres : un niveau d'activité cible pour chaque établissement, correspondant en moyenne à son activité historique et aux besoins locaux, et un niveau de paiement au-delà de l'activité cible. Ce dernier peut être plus élevé que le tarif de référence si l'on souhaite encourager l'activité considérée, ou moins élevé si on souhaite la limiter.
La France se distingue par l'absence de contrat volume-prix au niveau de chaque établissement. La régulation s'effectue au niveau macro-économique, en fonction de l'objectif des dépenses d'assurance maladie. Les tarifs diminuent en cas d'augmentation de l'activité hospitalière globale.
Le système français présente à mes yeux plusieurs inconvénients. Il n'effectue pas de distinction entre les différentes activités réalisées, alors que certaines sont plus faciles que d'autres à développer. Il ne tient pas compte de l'effort individuel des établissements et apparaît à ceux-ci opaque et peu prévisible. A niveau et gamme équivalents d'activité, un établissement peut se voir « sanctionné » dans son financement à cause de décisions prises dans d'autres établissements en matière d'activité.
On peut estimer que pour mieux contribuer à l'efficience du système, les tarifs devraient donner un signal-prix unique à l'ensemble des établissements. Ils devraient refléter les coûts effectifs constatés dans les établissements efficients et favoriser les bonnes pratiques médicales.
En France, le principe de base selon lequel à un GHM correspond un seul tarif n'est plus respecté. On le voit par exemple pour le traitement du cancer du sein, pour lequel existent plusieurs tarifs, et on dérive vers un paiement à l'acte. L'administration procède à des ajustements complexes et opaques pour calculer les tarifs finaux, dits « de campagne », à partir de tarifs bruts eux-mêmes différents des coûts. Les tarifs sont de plus en plus déconnectés des coûts supportés par les établissements.
Je voudrais maintenant vous donner un aperçu rapide de trois exemples étrangers.
Le système américain présente avec le système français beaucoup plus de similitudes qu'on ne le pense. La part de l'offre de soins privée est importante et il existe une véritable concurrence public-privé. Toutefois, aux Etats-Unis, un même type d'acte peut-être rémunéré différemment dans l'établissement, selon l'affiliation du patient, qui détermine le financeur. Les financements relèvent pour un tiers de Medicare, qui prend en charge les retraités, pour un tiers des assureurs privés et pour un tiers de Medicaid, dont relèvent les bénéficiaires de l'aide sociale. Chaque financeur négocie ses prix avec l'établissement, mais en pratique, la tarification des ressortissants de Medicare sert de référence. Le tarif de base est calculé à partir d'un coût moyen par patient, standardisé pour éliminer les différences liées aux coûts de structure, telles que celles résultant de la plus ou moins grande spécialisation des établissements ou de leur gamme d'activité. Les prix sont ajustés en intégrant les facteurs exogènes du marché, comme l'immobilier ou le coût du personnel, les coûts liés aux activités d'enseignement, la prise en charge des populations précaires. Il n'y a pas de convergence tarifaire. Des établissements de types différents seront tarifés différemment. Les prix sont également modulés selon les priorités de santé publique.
Aux Etats-Unis, les revenus des établissements peuvent être ajustés en fonction de la qualité. Ainsi, Medicare a décidé de ne plus payer les séjours imputables à une non-qualité des soins fournis, par exemple à la suite d'infections nosocomiales, d'erreurs opératoires flagrantes ou de corps étrangers oubliés sur le patient. Les établissements qui ne fournissent pas d'indicateurs de qualité voient leurs budgets réduits.
L'Angleterre dispose d'un système national de santé garantissant la gratuité de l'accès aux soins. Les médecins généralistes (gatekeepers) en constituent les pivots. Ce sont eux qui dirigent leurs patients vers les hôpitaux. Ils jouent un rôle déterminant dans le choix de l'établissement. Dans un tel système, les bases de données sont logiquement intégrées, si bien qu'il est possible de suivre l'ensemble du parcours du patient, de sa visite au généraliste jusqu'à l'hospitalisation, en passant par les consultations de spécialistes. Les tarifs de base sont calculés à partir du coût moyen. Celui-ci est établi en collectant l'information sur l'ensemble des hôpitaux. Les tarifs sont ajustés en fonction des recommandations de santé publique ou d'objectifs spécifiques. Par exemple, les établissements sont incités à reporter vers les soins primaires les activités des services d'urgence qui ne sont pas réellement justifiées. Les services d'urgence bénéficient d'une tarification à 100 % dans la limite de leur volume d'activité sur l'année précédente. Au-delà, les tarifs diminuent de 50 %.
L'Angleterre a également introduit des paiements supplémentaires liés à la qualité. Des objectifs locaux de qualité sont assignés aux établissements. Ceux-ci bénéficient d'un bonus pouvant aller jusqu'à 1,5 % si ces objectifs sont atteints. Les tarifs encouragent également les pratiques considérées comme efficaces, pertinentes ou bénéfiques en termes de qualité : c'est le best practice tarif qui se substitue alors aux coûts moyens observés.
En Australie, les coûts sont calculés selon une approche « bottom-up », c'est-à-dire à partir des données recueillies au niveau des patients. Les tarifs sont identiques pour des hôpitaux similaires par leur taille ou leurs missions, mais un contrat volume-prix est également négocié au niveau des établissements. Les tarifs sont ajustés en fonction des priorités politiques. Les établissements reçoivent un prix fixe par GHM jusqu'à une activité cible. Au-delà, ils bénéficient d'un financement additionnel incitant à traiter en priorité les patients réclamant les soins les plus urgents.
Que conclure de ces expériences étrangères ? La mise en application de la T2A varie largement d'un pays à l'autre. Dans certains cas, les GHM sont utilisés pour fixer les budgets, dans d'autres, ils déterminent directement les paiements. Les classifications des patients et des séjours ne sont pas identiques. Il existe également des différences dans la construction des échelles des coûts et dans les ajustements opérés sur les tarifs. Tout ceci entraîne d'importantes répercussions sur l'efficience des établissements et le fonctionnement du marché hospitalier.
On constate également que la T2A est toujours combinée à d'autres mécanismes de paiement. Par exemple, les prestations peu courantes ou de coût très élevé font l'objet de remboursements séparés. Les systèmes sont raffinés et ajustés de manière continue
Dans ce panorama d'ensemble, comment la France se situe-t-elle ?
La T2A y apparaît associée à une classification médico-économique par nature très complexe. La qualité des données collectées pour calculer les coûts est sujette à caution. Les méthodes de calculs des tarifs sont opaques et complexes, avec un passage des coûts aux tarifs bruts, puis des tarifs brut aux tarifs de campagne, qui n'est pas lisible pour les établissements. Le mécanisme de régulation prix-volume joue exclusivement au niveau macro-économique. Il ne rend pas compte de la réalité des évolutions au niveau des établissements et des besoins de la population. A ce jour, il ne me paraît pas évident que la T2A ait apporté en France les bénéfices attendus.
En conclusion, il faut rappeler que tout système de paiement doit fournir des incitations appropriées aux producteurs de soins et être en adéquation avec les objectifs sociaux tels que la qualité des soins, l'équité d'accès, l'efficience des établissements. Il doit garantir que ceux-ci sont payés de manière équitable pour assurer les soins nécessaires. La T2A est un mode de tarification complexe qui présente un certain nombre de risques nécessitant des ajustements réguliers et soigneux pour obtenir les bénéfices attendus. Il faut prévoir des mécanismes régulateurs pour assurer une couverture optimale des besoins en soins, ainsi que l'équité et la qualité des soins.
S'agissant plus particulièrement de la France, il me paraît important de veiller à ce que les mécanismes tarifaires introduits ne compromettent pas la capacité du système à fournir des soins complexes, ni ne mettent en danger l'équité d'accès aux soins en fragilisant les établissements publics.
L'efficacité de la T2A pourrait à mon sens être renforcée en introduisant davantage de transparence, ce qui suppose de s'appuyer sur un recueil d'informations détaillé des coûts et de la qualité des soins, en identifiant les établissements efficaces, en cherchant à mieux comprendre les différences dans les pratiques médicales, en assurant un suivi de la qualité à la fois par l'évaluation des pratiques redondantes et inefficaces et par l'analyse du résultat des soins. Il serait nécessaire de mettre en oeuvre une approche moins macro-économique et plus contractuelle, en donnant des signaux clairs aux établissements. Il faudrait intégrer la qualité et l'efficience dans les tarifs et les paiements, en accord avec des objectifs locaux. Les tarifs pourraient être mieux utilisés en vue de modifier le comportement des établissements, car la T2A offre la possibilité de mieux suivre le processus de soins, l'efficience et la qualité des soins à l'hôpital.
Les pays que vous avez étudiés ont-ils adopté la T2A pour les soins de suite et de réadaptation (SSR) et pour la psychiatrie ? Ont-ils mis en oeuvre un processus de convergence entre secteur public et secteur privé ?
Sur les 2 300 GHS que vous évoquiez, quarante seulement suffisent à assurer la moitié de l'activité des établissements de santé. Avez-vous des informations sur les autres GHS ?
Vous nous avez expliqué que Medicare ne prend plus en charge les séjours en cas d'infection nosocomiale. Qui le fait ? Le patient ou l'établissement ?
Le nombre d'actes chirurgicaux sur le territoire national est constant et le secteur public reprend des parts de marché sur le secteur privé. Quel est votre sentiment sur cette situation ?
Aucun pays n'applique la T2A pour la psychiatrie. Les Etats-Unis ont commencé avec le champ MCO avant d'étendre la T2A au champ SSR. En Angleterre ou en Allemagne, le passage à la T2A pour le champ SSR est en cours. Une réflexion a été entamée en Angleterre concernant les soins psychiatriques mais il s'agit là d'un sujet complexe et peu consensuel.
Pour certains GHS, nous n'avons pu recenser qu'un séjour par établissement. Quel est alors l'intérêt de définir un tarif ? A l'inverse, d'autre GHS très hétérogènes recouvrent en réalité des coûts très différents. Il y a en effet un véritable enjeu de simplification de la classification.
Concernant les affiliés de Medicare, ce sont les établissements qui supportent les coûts en cas d'infection nosocomiale. Une publication récente de l'Irdes sur les événements indésirables évitables à l'hôpital (oubli de corps étranger, erreur de côté au moment de l'opération, etc.) montre que leur coût est très élevé. Cela encourage la DGOS à suivre de très près l'initiative américaine.
Pour l'activité chirurgicale, nous constatons en effet un rattrapage du secteur public. Il est difficile d'en tirer des conclusions sur le dynamisme des établissements de santé et sur les bienfaits de la concurrence entre public et privé. Le développement d'activités de chirurgie relativement standardisées dans le secteur public permet de compenser les coûts engendrés par des activités telles que la prise en charge des patients atteints du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), qui n'existent quasiment que dans le secteur public. La France est dans une situation particulière car peu d'autres pays ont un secteur privé aussi actif. Si l'Angleterre essaie d'encourager la création d'établissements privés pour la chirurgie ambulatoire, 98 % des établissements de santé restent publics. En Allemagne, 16 % de l'activité est exercée dans le privé. En France, 90 % des opérations de la cataracte et 56 % de la chirurgie en général sont réalisées dans le secteur privé. Le phénomène de spécialisation des établissements privés sur quelques opérations pour lesquelles ils développent une compétence pointue est accentué par la T2A qui les incite à délaisser les activités médicales et obstétriques.
La T2A est en théorie un gage d'équité en ce qu'elle doit permettre d'appliquer le même prix au même service. Or il est très difficile d'effectuer des comparaisons entre ces services et les tarifs sont de plus en plus déconnectés des coûts. L'introduction d'indicateurs de qualité risque d'accentuer la variabilité des coûts et des tarifs.
Effectivement, l'objectif est de payer le même prix pour le même service, à condition d'être en mesure de définir le contenu de celui-ci. Avant même de s'interroger sur la pertinence des tarifs, il faut se poser la question de celle du système de classification. Ensuite, le prix doit nécessairement refléter les coûts réels des établissements de santé.
On nous a expliqué que le calcul des coûts ne servait qu'à hiérarchiser les tarifs dans le cadre de l'enveloppe fermée qu'est l'Ondam. En est-il de même dans les autres pays ?
La logique est la même aux Etats-Unis ou en Angleterre : on calcule des coûts qui doivent correspondre à une réalité.
Le tarif idéal devrait correspondre au coût estimé pour fournir le soin idéal. Est-on en mesure de calculer cela ? Rien n'est moins sûr. Pour inciter les établissements à être efficients, il faut parvenir à déterminer les tarifs sur la base des coûts réels moyens observés dans les établissements les plus efficients. Si l'on se fonde sur la moyenne de l'ensemble des établissements, il n'y a aucune incitation à être plus efficient. Je ne parle même pas de l'intégration de critères de qualité qui est très complexe. L'Angleterre s'est engagée dans cette voie, ce qui a nécessité avant toute chose d'être en mesure de s'accorder sur une définition commune des « bonnes pratiques médicales » que devraient valoriser les tarifs.
La France est pourtant parvenue à modéliser 2 300 GHS.
Les médecins disent qu'ils passent plus de temps à coder qu'à remplir les dossiers médicaux.
C'est un vrai problème et la complexité du système multiplie également le risque d'erreurs.
Les Etats-Unis ont adopté la T2A en 1980. En 2009, ils ont 1 100 GHS. La France est passée à la T2A en 2004, elle en a déjà 2 300. Quelle productivité de notre part !
J'étais la semaine dernière à l'hôpital de Toulon. Des investissements coûteux ont été effectués pour construire un nouvel établissement et regrouper ainsi les anciens hôpitaux de Toulon et de la Seyne-sur-Mer. L'amortissement annuel de ces investissements représente 28 % du budget de l'hôpital. Faut-il continuer de financer des investissements patrimoniaux de ce type à partir du budget des hôpitaux, et donc de la T2A, ou ne convient-il pas de mettre en place un système différent qui permettrait de retirer l'immobilier du budget des hôpitaux ?
Effectivement, c'est un sujet dont on peut discuter. Personnellement, je pense que les investissements patrimoniaux ne devraient pas être financés par la T2A.
Je note qu'en Angleterre et aux Etats-Unis, le revenu des établissements peut être ajusté en fonction de critères de qualité. Lorsque des sanctions sont appliquées aux établissements, qui paye ?
C'est l'établissement qui paye. Il faut donc qu'il trouve une autre source de financement lorsqu'il est sanctionné.
Les Etats-Unis semblent s'engager dans une logique de construction de deux échelles tarifaires différentes pour les secteurs public et privé, ce qui va dans le sens inverse de la démarche de convergence intersectorielle menée en France.
La diversité des producteurs de soins est encore plus grande aux Etats-Unis qu'en France. Des cliniques ambulatoires sont notamment apparues qui se spécialisent dans la prise en charge de chirurgies légères. Les coûts sont donc très différents selon le type d'établissement et les échelles tarifaires sont effectivement distinctes.
Aux Etats-Unis, des hôtels hospitaliers prennent en charge les patients à l'issue de leur hospitalisation. Comment sont-ils financés ?
Je pense que c'est l'assurance complémentaire de chacun qui assure le paiement de ces prestations. Cela dit, les modes de prise en charge sont très divers. Il existe notamment des systèmes d'assurance très intégrés comme ceux proposés par Kaiser permanente où les patients bénéficient d'un paquet de soins par type de prise en charge.
Comment est assuré le financement des activités de recherche et des investissements dans les autres pays ?
Tous les pays ont mis en place des mécanismes équivalents à celui des Migac. En France, les critères d'attribution des missions d'enseignement de recherche de référence et d'innovation (Merri) sont aujourd'hui beaucoup plus transparents que par le passé et permettent de prendre en compte la diversité des établissements. C'est le volet aides à la contractualisation, spécifique à la France, qui demeure le moins transparent.
En effet. La question du financement de l'investissement est d'autant plus pertinente qu'il semble difficile de lui apporter une réponse certaine. J'ai récemment participé à une étude comparative sur cinq pays avec d'autres chercheurs. Aucun d'entre eux n'a été en mesure de nous dire clairement comment les investissements sont financés dans son propre pays. En France, l'investissement devrait être couvert par les tarifs mais les aides à la contractualisation y contribuent également dans une proportion cependant difficile à apprécier. En Allemagne et en Angleterre, l'investissement est en théorie couvert par les tarifs. Je ne pense pas que ce soit le cas pour les Etats-Unis.
Si l'on s'en tient à un point de vue purement économiste, il n'y a aucune justification à ce que les investissements soient financés par les tarifs.
Nous estimons avoir en France l'un des meilleurs systèmes de santé au monde alors que le système anglais a plutôt mauvaise réputation. Pourtant, en vous écoutant, je réalise que le système hospitalier anglais est en pointe dans bien des domaines : les bases de données intégrées permettent un suivi du patient, ce qui est l'objectif recherché avec plus ou moins de succès par le dossier médical personnel (DMP) ; les critères de qualité sont pris en compte dans les tarifs qui sont construits à partir des meilleures pratiques observées ; l'idée d'une trajectoire idéale et d'une tarification pour l'ensemble du parcours de soins, qui nous a été présentée dans d'autres auditions comme un moyen d'améliorer la T2A, est également présente. Quel est votre analyse sur ces comparaisons entre les deux systèmes ?
Chacun a ses points forts et ses défauts. A son arrivée au pouvoir, Tony Blair a lancé une réforme profonde du système de santé britannique, le National Health Service (NHS), avec pour objectif d'amener la part du PIB consacrée aux dépenses de santé à la moyenne constatée dans les autres pays de l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Comme les autres systèmes bismarckiens, et contrairement au système anglais, beveridgien et intégré, la France a un problème de fragmentation de la prise en charge des patients. Nous avons donc beaucoup à apprendre de l'Angleterre en termes d'intégration et de recherche de solutions innovantes pour assurer l'efficience du système de soins.
Le système anglais est difficilement compatible avec notre culture et notre conception de ce que doit être la prise en charge des patients. Les décisions de soigner ou non sont en Angleterre fortement guidées par des études statistiques. La France est encore très éloignée de cette logique d'arbitrage des soins.
Je ne suis pas tout à fait d'accord. Les études comparatives que nous avons menées montrent que l'Angleterre et la France ont en réalité des profils assez proches en termes de prise en charge des patients à l'hôpital et de durée de séjour.
C'est le cas lorsqu'il s'agit de soigner les pathologies traditionnelles. Il en va différemment pour les soins apportés aux personnes âgées ou pour la cancérologie.
Les comparaisons internationales montrent que l'Angleterre est plus avancée que nous dans le domaine des soins en fin de vie. Elle a notamment su mettre en place de véritables structures d'accompagnement.
Afin d'illustrer le problème de fragmentation de la prise en charge des patients en France, je vais vous faire part d'une anecdote. Une personne de mon entourage âgée de soixante-quinze ans a été opérée à l'hôpital Georges Pompidou, dont nous savons qu'il dispose du meilleur service de cardiologie d'Europe. A la suite de l'opération, la patiente a développé des troubles respiratoires qui n'ont pas été traités en raison du manque de coordination entre les services. Elle a fini par sortir avant de revenir deux semaines plus tard en soins intensifs. Après trois semaines en soins intensifs, elle a été transférée dans une unité de soins palliatifs. Or cette personne était simplement épuisée du fait de la longueur du temps passé en soins intensifs et de l'absence de prise en charge adaptée. Le fait de pouvoir se reposer en soins palliatifs lui a permis de se remettre progressivement et elle est aujourd'hui toujours en vie.
L'espérance de vie est moins élevée en Angleterre qu'en France mais plus élevée si l'on se concentre sur l'espérance de vie sans problème grave de santé. Les Anglais auraient-ils un système de prévention et des modes de vie meilleurs que les nôtres ? Une fois de plus, cela va à l'encontre de certaines idées reçues.
Les délais d'attente sont, eux, un véritable problème dans le système anglais. C'est une difficulté que nous ne rencontrons pas du tout en France. De la même façon, le fait pour un patient anglais de pouvoir choisir son généraliste est très récent, alors que cela semble une évidence en France.
Le système des health maintenance organizations (HMO) aux Etats-Unis est également particulier.
Aux Etats-Unis, la prise en charge est excellente pour les patients qui bénéficient d'une bonne couverture maladie. Pour les autres, les difficultés d'accès aux soins sont réelles.