La commission procède à l'audition commune avec la commission des lois de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur les moyens de la justice, dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015.
Dans le cadre de nos travaux sur les moyens de la justice à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement, nous accueillons, avec la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux. Merci de venir nous rendre compte d'une exécution qui a été pilotée par votre prédécesseur, Christiane Taubira. Nous avons déjà entendu les responsables de programme du ministère de la justice et les présidents des conférences nationales des juridictions. Le budget du ministère de la justice concerne à la fois l'administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse et les services judiciaires. Il a régulièrement augmenté depuis dix ans pour atteindre environ 8 milliards d'euros en 2015. Cette même année, le ministère s'est vu octroyé des moyens supplémentaires dans le cadre du plan de lutte antiterroriste.
Je rappelle que nous examinerons en octobre un projet de loi de programmation des finances publiques, qui fixera le budget triennal pour 2017-2019 des missions du budget général et donc de la mission « Justice ».
Monsieur le garde des Sceaux, nous sommes honorés de vous accueillir. J'espère que nous pourrons vous entendre aussi sur le projet de loi sur la Justice du XXIe siècle, avant la réunion de la commission mixte paritaire. Vous avez été président de la commission des lois de l'Assemblée nationale : vous auriez été surpris de ne pas entendre le ministre sur un texte aussi important !
Nous partageons votre préoccupation sur les crédits du ministère de la justice et ferons tout pour vous aider à obtenir les crédits nécessaires pour 2017. Mais ces crédits sont aussi la contrepartie des réformes du ministère. Trop de lois sont votées sans que la question des moyens n'ait été posée. La logique consistant à ne plus créer de places en prison et à rechercher de peines alternatives a trouvé ses limites. Nous avons beaucoup de questions à vous poser et sommes très intéressés par votre volonté de réhabiliter le service public de la justice qui souffre actuellement.
Merci de votre accueil et d'organiser cet exercice de vérité. On passe traditionnellement beaucoup de temps sur le projet de loi de finances, qui définit les intentions, et moins sur la loi de règlement, qui retrace les réalités. Vous avez entendu les directeurs de mon ministère et les présidents des conférences des magistrats du siège et du parquet, les mieux placés pour rendre compte de la réalité du terrain. Les témoignages sont édifiants. Je reprends à mon compte les propos de Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats, qui affirmait dans une tribune de presse que la justice vit à crédit et que les tribunaux sont en cessation de paiement.
Nos concitoyens ont d'ailleurs une image contrastée de la justice : 95 % des Français la trouvent trop complexe, 88 % trop lente et 60 % la jugent inefficace. En somme, comme aurait pu le dire Montesquieu, l'injustice n'est pas tant dans les jugements que dans les délais de jugement.
Le combat pour le budget est crucial. Je ne veux pas être un garde des Sceaux de papier, porteur de réformes impossibles à mettre en oeuvre faute de moyens. J'ai évoqué une justice en voie de clochardisation. Les mots ont choqué. J'assume mes propos car c'est la réalité qui est choquante. Il importe que le service public de la justice soit à la hauteur des attentes des citoyens. Ce combat n'est pas partisan et s'étendra nécessairement au-delà de la législature. Tous, élus, magistrats, responsables, devons trouver une solution.
Le ministère de la justice est celui des paradoxes. Premier paradoxe : le budget augmente mais l'institution est à la peine. J'ai lu avec attention les rapports de votre commission des lois. Yves Détraigne notait dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2016 que si la mission « Justice » était globalement préservée, la hausse des crédits profitait d'abord à l'administration pénitentiaire. Hugues Portelli soulignait que les loyers versés dans le cadre des partenariats public-privé enregistraient une hausse substantielle, accrue par la livraison des établissements pénitentiaires de Riom, Valence ou Beauvais. Entre 2006 et 2016, le budget du ministère est passé de 6 milliards à 8 milliards d'euros, soit une hausse de 30 %. Toutefois, hors pensions, le budget n'est plus en 2016 que de 6,6 milliards d'euros. Le principal bénéficiaire est l'administration pénitentiaire, car nous payons en priorité les loyers contractés dans le cadre des partenariats public-privé, sur lesquels nous n'avons aucune prise. Ils s'élevaient à 133 millions d'euros en 2015, seront de 170 millions d'euros en 2016 et dépasseront les 200 millions d'euros en 2017, notamment en raison de la livraison du futur palais de justice des Batignolles.
Deuxième paradoxe : alors que la situation budgétaire est tendue, les crédits ne sont que partiellement consommés. En 2015, l'écart entre budget voté et budget exécuté était de 125 millions d'euros. En 2014, il était de 145 millions d'euros. La cause ? Des techniques de régulation budgétaire qui ne datent pas de 2012, Michel Mercier le confirmera. La réserve de précaution, ou gel budgétaire, ne cesse d'augmenter : 5 % des crédits en 2011, 8 % en 2015. S'y ajoutent le surgel, les annulations de crédits en cours d'année - 138 millions d'euros en 2013, 116 millions d'euros en 2014 -, les arbitrages de fin de gestion et les reports de crédits - 55 millions d'euros reportés de 2015 à 2016. Je ne remets pas en cause la nécessité de ces mesures dans le contexte actuel, mais il est difficile d'établir une programmation immobilière dans ces conditions. Beaucoup d'élus se plaignent que la livraison d'établissements, prévus dans le plan triennal, soit reportée. Ce n'est pas la faute directe du ministère.
Si certains crédits sont annulés, d'autres sont ouverts pour faire face aux imprévus et à l'actualité. Le déblocage de crédits pour faire face aux inondations illustre le caractère précautionneux de la gestion du Gouvernement. Yves Détraigne se demandait comment seraient financées les mesures annoncées par le Président de la République en novembre devant le Congrès. Elles le seront grâce aux ouvertures de crédits liées aux plans de lutte contre le terrorisme (PLAT) 1 et 2, à hauteur de 110 millions d'euros.
Dernier paradoxe, alors que les chefs de cour, les syndicats ou les élus se plaignent d'effectifs insuffisants, les recrutements sont en-deçà du plafond d'emplois - et Yves Détraigne estime que le décalage systématique entre les crédits ouverts et dépensés affecte la sincérité du budget. Là encore, la question ne date pas d'hier. Ces écarts sont inévitables à cause des départs en retraite, des promotions ou du délai de formation des recrues. Mais cela rend illisible les efforts de création de postes : entre 2013 et 2016, le plafond d'emplois de l'administration pénitentiaire a augmenté de 2 857 postes, mais le nombre d'emplois créés est très inférieur et les vacances de postes augmentent : 541 en 2014, 546 en 2015. En 2016, le nombre de créations nettes de postes a été de 725 pour le PLAT 2. Tous les crédits non utilisés ne sont pas reportés et sont alors perdus : le taux de consommation des crédits pour les emplois pour l'ensemble des juridictions s'élevait à 97 % en 2013, à 98 % en 2014. Cela représente une perte de 600 équivalents temps plein (ETPT). Des annonces en cours d'année peuvent aussi intensifier la pression sur les services. Enfin, il faut 31 mois à l'École nationale de la magistrature pour former les lauréats. Finalement, pour un plafond d'emplois de 78 941 ETPT, le nombre réel de personnes employées en 2015 n'était que de 77 381. La situation s'améliore toutefois. Nous avons créé 1 342 emplois en 2015, 855 en 2014, 480 en 2013.
Oui, il faut réformer ce ministère. On ne peut toutefois le faire sans ressources. Les personnels doivent pouvoir se consacrer aux tâches pour lesquelles ils ont été recrutés : un magistrat doit juger, un éducateur doit accompagner les jeunes, etc. On leur a confié trop de tâches inutiles ou annexes. Les justiciables attendent une justice plus simple, plus accessible. Des réformes ont été engagées. Il faut aussi dégager des moyens pour assumer de nouvelles missions ; c'est le cas des extractions judiciaires, qui relevaient de la police et de la gendarmerie, et qui ont été confiées, à bon droit, au ministère de la justice.
Autre dossier, la carte des cours d'appel, qui sont toujours au nombre de 36 alors que la carte des régions a changé. Un préfet peut avoir trois ou quatre procureurs généraux comme interlocuteurs ! Pas moins de trois cartes se superposent au sein du ministère : celle de l'administration pénitentiaire, celle des services judiciaires et celle de la protection judiciaire de la jeunesse... La faiblesse du secrétariat général, de création récente, ne facilite pas les réformes. Il conviendrait aussi de moderniser la gestion des ressources humaines, en particulier en déconcentrant la gestion des personnels pénitentiaires. Avec 858 surveillants en formation à l'École nationale d'administration pénitentiaire d'Agen, le système pyramidal n'est plus adapté. Ces réformes, de bon sens, sont d'ailleurs préconisées par les parlementaires ou par la Cour des comptes. Sur recommandation de la Cour des comptes, nous allons débuter une mission d'inspection conjointe de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des services judiciaires sur la gestion des juridictions.
Il faut aussi savoir bien dépenser. Yves Détraigne a noté que des efforts importants ont été faits pour contenir l'inflation des frais de justice et apurer les dettes auprès des prestataires. Il faut saluer l'action de Christiane Taubira. De même, je me suis battu et j'ai obtenu un dégel de 107 millions d'euros, du jamais vu ! Il était indispensable de restaurer le crédit de la parole publique : 41 millions d'euros ont été consacrés aux frais de justice pour payer nos prestataires qui attendaient parfois depuis longtemps, à tel point que certains ont fait faillite, 27 millions d'euros ont été affectés au fonctionnement des juridictions, 18 millions d'euros à l'immobilier, 21 millions d'euros à l'informatique. En outre, j'ai redéployé 14 millions d'euros pour renforcer l'équipe du juge en recrutant des assistants de justice, des juges de proximité, des vacataires.
J'ai demandé aux chefs de cour et aux procureurs généraux, dont je souhaite renforcer le rôle de coordonnateurs, de payer leurs dettes, en fixant comme objectif que les délais de paiement ne dépassent pas deux mois. En 2015, ces délais atteignaient 43 jours en moyenne, contre 18 jours en moyenne pour le reste des ministères ! Cela tient à l'éparpillement territorial du réseau des ordonnateurs, à la multiplication des petites dépenses, depuis la cantine des détenus jusqu'à l'hébergement des mineurs par la protection judiciaire de la jeunesse, etc. Je suivrai avec attention la résorption des arriérés de paiement et rencontrerai régulièrement la directrice des services judiciaires pour faire le point. Je me battrai à nouveau dans le cadre de la loi de finances rectificative pour obtenir un nouveau dégel de crédits et j'espère que vous serez nombreux à me soutenir.
Enfin, il convient de remettre à niveau les crédits de fonctionnement et d'immobilier du ministère. Pour réformer, il faut trouver des moyens, sinon nous ne ferons qu'organiser la paupérisation. Je considère que nous n'avons pas les moyens de mettre en place la collégialité de l'instruction, d'autant que la co-saisine permet déjà de revenir sur une décision. Début juillet, je vous présenterai un rapport sur l'encellulement individuel. Je souhaite en profiter pour dresser un inventaire de la situation de l'immobilier pénitentiaire. Il importe que nous connaissions avec précision le nombre de places de prison ainsi que la vétusté des établissements - à Caen, certains détenus sont dans des cellules de cinq mètres carrés ! Nous devons déterminer le nombre de places dont nous avons besoin, dans quels établissements : maisons centrales, maisons d'arrêt, centres de détention, établissements pour mineur, etc. Je suis attentif à la question de l'aide juridictionnelle : les avocats ont besoin de prévisibilité. Pour conclure, la mission « Justice » représente 2,6 % des dépenses de l'État en 2015, contre 2,17 % il y a dix ans. Pourtant, les besoins restent immenses.
Merci pour cet exercice de vérité. Nous regrettons comme vous que la loi de règlement ne soit pas l'occasion d'un débat plus approfondi et c'est pourquoi nous organisons ces auditions. L'année dernière, nous avions invité d'autres ministères. Nous partageons votre diagnostic sur la faiblesse du secrétariat général et la nécessité de recentrer les professionnels sur leur coeur métier.
La commission des finances, tout comme la commission des lois, n'a cessé de dénoncer le gel des crédits, le surgel et la hausse de la réserve de précaution. Autant de procédés qui réduisent les prérogatives budgétaires du Parlement.
Je vous remercie pour votre franchise. Au-delà des incantations, à la veille du débat d'orientation des finances publiques, avez-vous eu des arbitrages budgétaires favorables ? Les plafonds d'emploi augmentent mais le nombre de magistrats en activité baisse et des postes restent vacants. Envisagez-vous des mesures exceptionnelles : maintien de magistrats en activité au-delà de l'âge de la retraite ? Concours exceptionnels de recrutement destinés aux avocats ?
Ma deuxième question porte sur les moyens des juridictions. Les présidents des conférences nationales ont évoqué l'obsolescence des téléphones, les problèmes informatiques... L'amélioration du fonctionnement de la justice ne passe-t-elle pas aussi par une modernisation des méthodes de travail ou des procédures ? Par exemple, pourquoi ne pas remplacer des extractions coûteuses de prévenus par la visioconférence ?
Enfin, le Conseil constitutionnel se prononcera bientôt sur une question prioritaire de constitutionnalité, déposée par les avocats de MM. Cahuzac et Wildenstein, sur la double sanction pénale et administrative en matière fiscale. Est ainsi posée la question du « verrou de Bercy », le monopole de l'administration fiscale pour le déclenchement de l'action pénale en matière de fraude fiscale. Certes, les parquets peuvent déjà s'autosaisir des affaires les plus importantes sur le fondement du blanchiment. Si le « verrou de Bercy » était remis en cause, les juridictions auraient-elles les moyens de prendre en charge ces affaires ?
J'ai également soulevé dans mes rapports budgétaires les difficultés liées au gel, au dégel ou aux annulations de crédits.
Nous devons maintenir nos efforts pour lutter contre le terrorisme. Dans quelle mesure les PLAT 1 et 2 permettent-ils un rattrapage pour compenser les effets de réformes votées sans avoir été accompagnées des moyens associés ?
Le secrétaire général du ministère, Éric Lucas, nous a indiqué que les problèmes d'ergonomie ou de fonctionnalités rencontrés par la plateforme des interceptions judiciaires (PNIJ) étaient en cours de résolution. Les représentants des forces de l'ordre semblent moins optimistes. Qu'en est-il ?
Vous avez évoqué la nécessité d'une remise à niveau des crédits du ministère. Quelles sont vos attentes ? Quelles mesures de gestion entendez-vous prendre pour mieux faire coïncider les effectifs réels et théoriques ? Nos auditions ont révélé l'existence de difficultés de gestion.
Ne regrettez-vous pas la mise à l'écart de la loi relative à l'exécution des peines votée début 2012, au vu du retard pris dans ce domaine ? Pour nous être rendus dans les prisons, nous confirmons votre constat : les conditions de détention sont contraires à nos engagements internationaux, et même à la décence la plus minimale.
Nous partageons également votre conviction qu'au-delà de la question des moyens, un effort interne doit être entrepris. Au tribunal de grande instance de Créteil, où je me suis rendu avec le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, les crédits de fonctionnement s'élèvent à 3 millions d'euros par an ; les frais de justice, à 8 millions d'euros... Sur quels leviers agir pour réduire ces frais ? Envisagez-vous de rétablir le droit de timbre, mis en place par Michel Mercier puis supprimé ? Peut-on récupérer une partie du produit des saisies de justice, notamment de drogue, dont la plus grande part va à la lutte contre la toxicomanie ?
En matière d'allégement des procédures, un inventaire s'impose. Dans certains cas - notamment le divorce contresigné par deux avocats - on reporte les économies sur les familles, avec des charges multipliées par cinq ou dix. Vous avez évalué à 4,5 millions d'euros l'économie pour les tribunaux ; d'après nos estimations, le coût pour le justiciable serait de 70 millions d'euros. Avez-vous des chiffres précis ?
Vous avez identifié - en citant mon rapport budgétaire - le véritable problème de la justice : le sous-financement. Les projets de loi sont accompagnés d'études d'impact qui sont parfois de pure circonstance. La justice est fatiguée de l'empilement des réformes qui se succèdent sans être menées à leur terme. Je salue votre discours de vérité à cet égard. Souhaitons qu'après la loi « Justice du XXIe siècle », l'accumulation prenne fin et que la justice reçoive enfin des moyens à la hauteur des enjeux.
Je ne sais si mon ministère a connu un âge d'or depuis Saint Louis... Son rôle est pourtant essentiel : chaque année, quatre millions de Français entrent dans un Palais de justice, tous par contrainte, et en espérant la protection du droit. C'est pourquoi j'insiste sur la notion de service public de la justice.
Quant à mon budget, je ne connais pas la fin du match. Le Gouvernement est entré dans une phase de discussions internes : nous avons fait connaître nos ambitions, qui seront mises en balance par le Premier ministre avec le réalisme des moyens. Exercice douloureux... Solidaire des efforts gouvernementaux, je serai par définition satisfait du budget qui me sera alloué. En inaugurant le tribunal de grande instance de Caen, le Premier ministre a annoncé hier son intention de prolonger la trajectoire budgétaire amorcée. Je m'en félicite. Ce n'est pas l'affaire d'un seul mandat.
Je souhaite que le budget 2017 s'appuie sur un constat partagé. Les attentes des magistrats, des fonctionnaires du ministère seront nécessairement déçues ; j'espère en tout cas obtenir l'indispensable. Nous comptons sur la conscience professionnelle et le dévouement des personnels. Rappelons qu'un Français consacre 61 euros par an au fonctionnement de la justice. Comparé au prix de l'abonnement à une chaîne privée, c'est un effort tout relatif.
L'appel à la technologie pour maîtriser les frais de justice se heurte au principe d'impartialité et d'indépendance du magistrat : une audience en vidéoconférence nécessitera toujours l'accord de ce dernier et de l'avocat. C'est le droit existant, et il n'est pas dans mes intentions de le modifier. Contingenter les frais d'enquête et le recours aux laboratoires, par exemple pour les analyses d'ADN, porterait atteinte à la liberté de l'investigation. Imaginons une affaire non élucidée pour des raisons financières...
C'est pourquoi j'insiste auprès des chefs de cour sur la coordination au sein des ressorts : ainsi, on pourrait lisser sur la semaine les procès d'assises au sein d'une juridiction d'appel au lieu de les tenir en même temps. Les présidents de tribunaux de grande instance sont plutôt allants, mais je n'ai pas de pouvoir de contrainte en la matière.
Depuis le plan Juppé, le ministère de la santé s'efforce, sans porter atteinte à la liberté des médecins, de contenir l'évolution des dépenses liées aux prescriptions. Peut-on s'en inspirer pour la maîtrise des frais de justice ?
Je ne puis vous répondre, ne connaissant pas en détail le mécanisme que vous évoquez.
Quelques mesures exceptionnelles sur les effectifs : nous avons amélioré les conditions de détachement, en particulier pour les professeurs d'université, élargi les responsabilités des magistrats réservistes honoraires, développé les passerelles pour une intégration directe. En matière de personnel, j'estime que le gros de l'effort est derrière nous. Les créations de postes ont été amplifiées dans toutes les écoles du ministère, ce qui n'est pas sans entraîner des problèmes d'intendance ; ainsi l'École nationale de la magistrature (ENM), qui manque déjà de place pour accueillir ses promotions actuelles, s'apprête à former les 12 000 à 15 000 juges prudhommaux et des juges consulaires. Les auxiliaires de justice et assistants de magistrats qui composeront l'équipe de justice, dont certains sont titulaires d'un doctorat, ont eux aussi vocation à recevoir une formation de déontologie que seule l'école pourra leur délivrer.
Nous avons consommé 80 % du PLAT 1 et veillerons à utiliser à plein les ressources du PLAT 2, même si cette utilisation a pu être présentée comme un effet d'aubaine.
Le Sénat s'est prononcé sur le verrou opposé par Bercy au sujet du non bis in idem. Je suis d'avis d'attendre l'avis du Conseil constitutionnel sur les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur ce thème. Le doyen Vedel disait que le Conseil constitutionnel avait la gomme mais pas le crayon ; ce crayon, c'est désormais la question prioritaire de constitutionnalité. De canon braqué sur le Parlement, il est devenu un acteur de son ordre du jour.
Pour rapprocher les effectifs théoriques de la réalité constatée, il convient de se garder des effets d'affichage. Nous organisons des concours déconcentrés : en Polynésie française, nous avons ouvert un concours pour le nouveau centre pénitentiaire de Papeari. 4 500 candidats se sont présentés pour 200 places. Nous avons raccourci la formation dispensée à l'école d'Agen, qui va accueillir deux promotions de 850 élèves en une année. Nous avons un problème de fidélisation du personnel dans l'administration pénitentiaire dont les agents, de catégorie C, s'en vont en moyenne trois ans après leur recrutement.
Les études d'impact sont incontestablement le moins beau bébé de la réforme constitutionnelle de 2008 ; elles n'ont pas les résultats attendus.
Vais-je rétablir le droit de timbre à 35 euros ? Non.
Dans la procédure de divorce, il convient de définir ce que peuvent apporter l'avocat, le notaire. Je crois à l'aide juridictionnelle, mais pour la financer nous devons d'abord la pérenniser. Un renforcement de la présence des avocats dans la procédure peut se traduire par un ajustement des unités de valeur, base de la rémunération...
La Plateforme nationale des interceptions judiciaires est un outil pertinent et une source d'économies : les prestataires nous coûtaient 55 millions d'euros par an. L'augmentation du coût de l'outil n'est pas, strictement parlant, un dépassement, mais le résultat d'un réajustement que nous avons demandé à Thalès. Toutes les options sont ouvertes, y compris la ré-internalisation qui coûterait cher, puisque jusqu'à présent les tâches sont effectuées par des agents mis à disposition par le ministère de l'intérieur. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. L'ergonomie a été améliorée, mais des dysfonctionnements inacceptables ont été mis en évidence par une mission de l'inspection générale. Des décisions seront prises avant la fin de l'année.
Vous avez évoqué les paradoxes de l'exécution : le gel, le dégel, le surgel... mais vous oubliez ce qu'en agriculture on appelle les gelées noires !
Le blocage, j'ai pu le constater lors de mon stage en juridiction, est humain et matériel ; la présidente de la conférence nationale des présidents de cour d'appel, que nous avons entendue la semaine dernière, demandait des postes de greffiers plutôt que de magistrats. La deuxième priorité concerne les moyens technologiques, à commencer par le raccordement Internet : sans débit correct, le logiciel le plus sophistiqué est inutile.
Je salue la clarté et la franchise de votre diagnostic : des moyens insuffisants qui impliquent des arbitrages sévères. Quelle place sera réservée à la protection judiciaire de la jeunesse ?
Ces interventions nous éclairent et nous interpellent. À peine 2,60 % du budget de l'État, c'est peu. Certains départements étant plus attractifs que d'autres, on entend dans les audiences de rentrée que des postes ne sont pas pourvus. Comment susciter des vocations ? Comment adapter le fonctionnement de la justice en termes de moyens humains, financiers, de communication interne, mais aussi d'effectifs de police, de gendarmerie et de renseignement ?
Merci de votre volontarisme, nous espérons qu'il produira ses fruits. La mission d'inspection conjointe sur les dépenses des juridictions s'accompagnera-t-elle d'une sensibilisation globale ? Dans les entreprises ou les collectivités, on identifie des sources d'économies en conduisant des audits organisationnels ; mais les méthodes de rationalisation ne sont pas dans l'ADN de la justice, même si vous avez commencé ce travail avec les assistants de justice. Les moyens vidéo sont disponibles à la prison de Strasbourg, mais les magistrats qui travaillent à proximité ne souhaitent pas les utiliser.
Gel, surgel et dégel, reports et annonces - on se perd dans le suivi des crédits. Quels ont été les moyens financiers réellement mis en oeuvre en 2015, et les annonces ont-elles un sens ? Quant à 2017, je ne vous demande pas le budget que vous attendez mais celui que vous estimez nécessaire. Vous avez évoqué une « base zéro » des prisons : quels sont les besoins prévisionnels et les modes de financement ? Enfin, suite aux propos de Philippe Bas, je m'interroge : comment valorise-t-on les saisies de drogue ?
Ce ministère de dimensions pourtant modestes en recouvre en réalité plusieurs : administration pénitentiaire et services judiciaires ont un fonctionnement différent. Sur près de 9 000 magistrats - un chiffre stable - plus de 7 000 sont au siège, inamovibles et mutés sur décision du Conseil supérieur de la magistrature : le ministre ne peut gérer les services judiciaires comme les services pénitentiaires.
Quelle part des frais de justice est-elle décidée par le ministère de l'intérieur, quelle part par la justice ?
Je comprends votre volonté de ne pas revenir au timbre mais qu'allez-vous inventer à la place ? J'ai confiance dans votre imagination...
Le ministère n'a pas les moyens techniques pour construire des prisons, les magistrats délégués à l'équipement ne sont pas des techniciens. Or construire des prisons est difficile, les partenariats public-privé coûtent cher, regrouper les détenus aussi. Il manque 10 000 places, alors que 85 000 personnes attendent la mise à exécution de leur peine...
À mon sens, le nombre de magistrats n'est pas loin de ce qui est nécessaire. Ceux qui continuent à exercer après l'âge de la retraite peuvent partir quand ils veulent, ce qui rend leur gestion difficile. Envisagez-vous une fusion des greffes de tribunaux d'instance et de grande instance qui libèrerait un grand nombre de postes ? Pour ce qui est de l'administration pénitentiaire, nous attendrons votre communication de juillet.
Entre un secrétariat général dont vous admettez la faiblesse, l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) et France Domaine, parvenez-vous à définir des orientations de politique immobilière et plus particulièrement des méthodes de montage des dossiers ? Une rationalisation est-elle envisageable, notamment pour les partenariats public-privé qui, comme l'a dit Michel Mercier, coûtent cher ?
D'après la Cour des comptes, votre ministère affiche le taux d'absentéisme le plus important, avec neuf journées de congé par fonctionnaire et par an.
Lors de notre visite au Parquet national financier (PNF), les magistrats ont insisté sur le ralentissement dû au manque d'effectifs dans les services d'enquête. Nous sommes prêts à vous soutenir sur ce dossier.
Par comparaison avec les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), le PNF n'est pas mal loti en termes d'effectifs. Les besoins sont satisfaits. Certes, sans enquêteurs, au PNF comme dans les JIRS, le magistrat se borne au constat. Toutefois, le ministère de l'intérieur nous fournit des officiers de police judiciaire.
Je vous répondrai par écrit sur l'absentéisme ; le phénomène n'est pas aussi intense dans toutes les branches du ministère. J'ai ainsi dénoncé publiquement la situation intolérable dans certains établissements pénitentiaires, en particulier à Remire-Montjoly, en Guyane. À la suite d'une inspection, j'ai prononcé des révocations. On ne peut tolérer que des membres du personnel exercent par ailleurs une autre activité.
Je plaide la même ignorance sur l'immobilier, même si l'APIJ, saluée récemment par le maire de Caen et reconnue pour la fiabilité de son expertise, donne satisfaction. Cependant, elle travaille dans les limites de ses moyens et les choix de terrain dépendent aussi des propositions des élus.
Vous connaissez sans doute, monsieur Mercier, la réponse à votre question sur la répartition des frais de justice ; nous débattons avec le ministère de l'intérieur, qui a assumé ses responsabilités sur la question des balises.
Nous avons fusionné les trois inspections en une seule inspection générale de la justice, et je ne suis pas hostile au principe des fusions. Mais celle des greffes me paraît une fausse bonne idée. Certes, l'idée s'entend dans la perspective du tribunal de première instance mais ce sujet n'est pas consensuel au sein de l'institution : si la conférence des présidents de tribunaux de grande instance y est favorable, les organisations syndicales, très hostiles, ont combattu l'article 13 de la loi sur la Justice du XXIe siècle qui l'envisageait.
Nous obtenons chaque année le reversement de 6 millions d'euros par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) sur la valorisation des saisies de biens, notamment ceux des trafiquants de drogue.
J'accorde une grande importance à la notion nouvelle d'équipe du juge. Elle a vocation à libérer les magistrats des tâches de gestion : nous avons ainsi créé des chefs de cabinet pour les chefs de juridiction. Certains présidents étaient initialement peu enthousiastes, mais la conférence des présidents se montre ouverte à l'installation d'administrateurs civils ou d'attachés sur ces fonctions.
Le personnel de la justice est tellement habitué à la gestion de la disette budgétaire que les gestes de bonne gestion sont bien pris. Toutefois la protection judiciaire de la jeunesse, particulièrement maltraitée, a perdu beaucoup d'effectifs. Nous lui avons rattaché 185 agents. Au total, cette petite administration de 4 000 personnes se montre extrêmement réactive au regard de ses responsabilités et de l'attente sociale, notamment outre-mer. Je tiens à dire le bien que je pense de son travail et de la compétence avec laquelle elle l'exerce.
Je le répète, je ne saurais évaluer les besoins de mon ministère en matière financière. Ils sont immenses, mes espoirs plus mesurés. J'ai appris le pragmatisme auprès de Michel Rocard ; comme lui, je ne crois pas au grand soir mais aux progrès de tous les instants. J'espère que l'Assemblée nationale et le Sénat se retrouveront autour d'un constat partagé sur le budget 2017.
Nous sommes très satisfaits de ce moment d'échange. Dans cet esprit de pragmatisme que j'ai, tout comme vous, appris de Michel Rocard, je vous souhaite bonne chance dans les arbitrages qui s'annoncent.
La réunion est levée à 19 h 35