Monsieur le Commissaire, nous sommes très heureux de vous recevoir au Sénat. Diplomate chevronné, Européen engagé, vous étiez prédisposé, par vos fonctions antérieures de ministre chargé des affaires européennes sous présidence tchèque de l'Union, à exercer celles de Commissaire européen à l'élargissement et à la politique de voisinage.
Le parlement français va bientôt ratifier la prochaine adhésion de la Croatie. Ce sera la dernière fois que nous nous prononcerons à la majorité simple sur un élargissement de l'Union ; à l'avenir, il faudra un référendum ou un vote à la majorité des trois cinquièmes. L'adhésion de la Croatie au 1er juillet 2013 nous offre l'occasion de vous interroger, de manière plus générale, sur l'élargissement aux Balkans occidentaux. L'opinion publique, qui estime que le précédent élargissement a été trop précipité, en perçoit mal la nécessité. Comment mieux le lui expliquer ?
La perspective de l'adhésion de l'Islande ou de la Turquie pose la question des frontières de l'Union et de la force d'attraction du projet européen. À l'heure où le centre du monde se déplace vers l'Asie, c'est la consolidation de l'Europe et sa capacité à résoudre ses propres crises qui nous permettront d'échapper au déclin.
À mon tour de remercier M. Füle d'être venu exprès de Bruxelles pour cette réunion conjointe de nos deux commissions. L'élargissement, c'est l'adhésion de la Croatie, que nous nous apprêtons à ratifier, mais aussi de l'Islande, avec le problème de la pêche, du Monténégro, de la Macédoine - ou plutôt, du FYROM -, de la Turquie...
Vous êtes également en charge de la politique de voisinage. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur l'Ukraine, notamment sur le sort de Mme Timochenko ? Quid de la Géorgie, de la Moldavie, de la Biélorussie et du déplacement du centre de gravité vers l'Asie ? Enfin, nos collègues vous interrogeront sans doute sur l'Union pour la Méditerranée, désormais présidée par M. Martin Schulz.
Je suis honoré de votre invitation. Malgré les défis et les incertitudes mondiales auxquels doit faire face l'Union européenne, la politique d'élargissement contribue à la paix et à la prospérité. L'Union européenne réfléchit à son avenir et doit rester ouverte à ceux qui, sur notre continent, souhaitent adhérer à ce projet démocratique commun, autour de valeurs partagées. Confrontée à des défis majeurs, l'Union européenne a tout intérêt à la stabilité politique dans la région. Les élargissements en cours relèvent d'une approche prudente, reposant sur une stricte conditionnalité et visant à maintenir une dynamique de réformes.
Notre principal objectif est de mettre l'état de droit au coeur de notre politique d'élargissement : priorité à la bonne gouvernance, aux réformes judiciaires, à la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, ainsi qu'aux réformes de l'administration publique. Les défis sont nombreux : renforcement de la liberté d'expression, consolidation de la stabilité économique et politique, soutien à une croissance durable, coopérations régionales et relations de bon voisinage. Les problèmes bilatéraux doivent être résolus dès qu'ils se posent, afin de ne pas ralentir ou bloquer le processus d'élargissement.
La Croatie démontre combien le processus d'adhésion est porteur de transformations. Grâce à l'application d'une stricte conditionnalité, elle est arrivée bien préparée au stade final. La France a été un soutien actif et a fourni beaucoup d'expertises techniques. Le rapport de suivi complet d'octobre 2012 estime que la Croatie a progressé dans tous les domaines, notamment dans les chapitres où le degré d'alignement sur les règles de l'Union était déjà élevé. Il juge que des efforts supplémentaires sont toutefois nécessaires sur certains points, notamment la concurrence (chapitre 8), les droits judiciaires et fondamentaux (chapitre 23) et les questions de justice, liberté et sécurité (chapitre 24).
Nous avons indiqué quelles étaient les actions prioritaires sur lesquelles la Croatie devait se concentrer. Je ne doute pas que le pays sera prêt à devenir membre de l'Union au 1er juillet 2013. Les gouvernants croates, que j'ai rencontrés récemment, travaillent activement pour répondre aux demandes de la Commission européenne. Cette dernière continue à suivre la préparation de l'adhésion en Croatie et publiera son dernier rapport de suivi au printemps 2013. Nous attendons avec impatience la ratification de la France.
En Serbie, le gouvernement tient son engagement de poursuivre la trajectoire européenne. Les bonnes intentions doivent désormais être traduites dans les faits. La dynamique des réformes a été revigorée, notamment en matière d'État de droit. En ce qui concerne le Kosovo, les récentes évolutions sont encourageantes. Les rencontres entre les premiers ministres serbe et kosovar le 19 octobre puis le 7 novembre ont préparé la mise en oeuvre de l'accord de gestion intégrée des frontières ou IBM. Une troisième réunion était prévue aujourd'hui même avec Catherine Ashton à Bruxelles. Nous espérons qu'elle débouchera sur des résultats concrets. La Serbie doit appliquer tous les accords qu'elle a signés et s'engager de manière constructive pour régler les divers problèmes. Je me suis moi-même rendu à Belgrade le 11 octobre dernier ; lors de leur déplacement du 31 octobre, Mmes Ashton et Clinton ont également encouragé le gouvernement serbe à prendre ses responsabilités. Nous sommes prêts à faire rapport aux États membres quand des progrès suffisants auront été réalisés et quand les relations avec le Kosovo se seront visiblement améliorées. Les critères pour ouvrir les discussions d'adhésion ont été définis par le Conseil en 2011. La normalisation complète des relations doit advenir, pas à pas, durant les négociations.
Dans le cadre du paquet élargissement 2012, la Commission européenne a adopté une communication sur l'étude de faisabilité d'un accord de stabilisation et d'association avec le Kosovo. Le Kosovo est très désireux d'ouvrir les négociations. Cependant, nous avons posé la condition de progrès préalables dans un certain nombre de domaines clés.
La Bosnie-Herzégovine n'a que peu progressé vers les critères politiques que nous lui fixons et manque toujours de structures institutionnelles coordonnées et durables. J'ai apprécié que tous les leaders politiques se soient engagés sur la même feuille de route. Le soutien public à l'adhésion doit aller de pair avec une volonté politique forte. La coalition des six principaux partis récemment formée devrait rendre possible des progrès dans les mois à venir.
La Commission européenne a recommandé, pour la quatrième fois, l'ouverture de négociations d'adhésion avec la Macédoine qui a depuis sept ans déjà le statut de candidat. Il est temps désormais de passer au stade suivant, de consolider les réformes. Le pays s'est bien préparé et les négociations avec l'Union européenne doivent permettre de progresser sur l'état de droit, la lutte contre la criminalité organisée, les relations interethniques. Le statu quo est de moins en moins tenable, les relations de bon voisinage sont une nécessité. Les recommandations de la Commission européenne ont eu un effet catalysateur, le dialogue avec la Grèce s'est intensifié, notamment sur la question du nom. Les négociations des 19 et 20 novembre derniers, sous l'égide des Nations Unies, ont été constructives. S'agissant du problème bilatéral avec la Bulgarie, les ministères des affaires étrangères des deux pays mènent des discussions concrètes. Nous espérons des résultats positifs.
Le Monténégro a réalisé des progrès continus dans des domaines-clés. Les chapitres « droits judiciaires et fondamentaux » et « justice, liberté et sécurité » seront ouverts plus tôt que prévu. Cependant les efforts devront s'intensifier sur l'état de droit et la lutte contre la criminalité organisée et la corruption. Les examens en cours s'achèveront à l'été 2013.
En Albanie aussi les progrès ont été significatifs ces douze derniers mois, avec des accords entre les partis politiques sur le processus de réforme et des réformes substantielles dans plusieurs domaines. S'il est encore trop tôt pour proposer l'ouverture de négociations d'adhésion, nous souhaitons accorder à ce pays le statut de candidat. L'adhésion est conditionnée à des réformes parlementaire, électorale et administrative, ainsi qu'à des progrès en matière de droits fondamentaux. Il est important de maintenir l'Albanie ancrée dans une perspective européenne pour consolider sa stabilité politique.
La Turquie est un pays clé pour l'Union, de par son économie dynamique, sa situation stratégique et son rôle régional, particulièrement manifeste depuis le début de la crise syrienne. Pourtant le processus d'adhésion est aujourd'hui à l'arrêt. Nous avons mis en place un « agenda positif » pour aider la Turquie à revenir dans la course. Un premier résultat a été obtenu sur la question des visas pour les citoyens turcs, en attendant de les en dispenser complètement. Il est important de relancer les négociations, peu à peu abandonnées faute de consensus entre États membres. Une nouvelle impulsion dans les discussions aiderait la Turquie à avancer et combler ses lacunes persistantes en matière de droits fondamentaux, à commencer par la liberté d'expression. Enfin, il faudra que le pays applique pleinement le protocole additionnel à l'accord d'Ankara à tous les États membres, y compris Chypre. Sur ce dernier point, il est temps de reprendre les négociations, sous l'égide des Nations Unies. Nous sommes prêts à apporter soutien politique et conseils techniques en la matière.
L'Islande répond pleinement aux critères politiques et ses préparatifs d'adhésion sont fort avancés. Les négociations progressent dans un esprit constructif. La prochaine conférence intergouvernementale d'adhésion est prévue le 18 décembre. L'adhésion fait débat en Islande ; l'Union présentera un paquet qui permettra aux Islandais, le moment venu, de se prononcer en connaissance de cause. Nous comptons sur le soutien de la France.
Ma priorité, en prenant mes fonctions, était de tirer les leçons du passé pour que le processus d'élargissement retrouve sa crédibilité. La politique d'élargissement n'est pas crédible si les nouveaux membres doivent rester soumis à des vérifications après leur entrée dans l'Union. La Croatie est le premier pays à se voir imposer les nouvelles règles, sur la base de critères plus exigeants. Les États membres se sont vus octroyer un droit de contrôle accru, et les critères doivent désormais être adoptés à l'unanimité.
Désormais, les critères sont plus rigoureusement appliqués. Ces pays qui ont connu des régimes totalitaires pénibles ne doivent pas seulement adopter une nouvelle législation : ils doivent aussi la faire vivre et nous voulons voir des résultats concrets. La Croatie a tenu ses promesses dans la dernière étape du processus de négociation. Le rapport de suivi a créé un sursaut des autorités croates. Elles ont pris conscience qu'il restait encore des problèmes à régler. Je suis convaincu qu'elles ont la volonté et la capacité d'assumer leurs responsabilités. Le processus de suivi et de contrôle fonctionne. Il prendra fin avec l'adhésion. Je ne doute pas que la Croatie sera prête à assumer ses obligations ; j'espère pouvoir vous l'annoncer officiellement en mars prochain.
Les négociations d'adhésion pour le Monténégro ont été lancées en juin dernier. C'est le premier pays à emprunter le nouveau processus d'élargissement. Les chapitres 23 et 24 étant ceux qui traitent des valeurs et principes de l'Union, nous ne voulons pas attendre : ils seront ouverts dès l'entame du processus. Nous aurons toujours la possibilité, pendant les trois à quatre ans que dureront les négociations d'adhésion, d'introduire de nouveaux critères de référence au sein de ces deux chapitres. Les États membres auront la main : ils pourront accélérer, ralentir, voire stopper le processus si un pays candidat ne tient pas ses promesses en matière d'état de droit.
Nous voulons tirer les leçons du passé, présenter un élargissement crédible, des résultats crédibles, même s'il y a beaucoup à faire dans nos propres pays. Merci de m'avoir invité : il est précieux de pouvoir se parler directement.
Merci, monsieur le commissaire, pour cette présentation précise et complète. Vous avez évoqué le rapport de suivi sur la Croatie et confirmé la date du 1er juillet 2013. Quel bilan tirez-vous du processus de suivi et de contrôle ? En êtes-vous satisfait ? Quid du litige bancaire entre la Croatie et la Slovénie ? Enfin, au 1er juillet, la Croatie aura douze députés et un commissaire, mais aucun portefeuille ne se libère avant le 31 octobre 2014... Allez-vous couper un portefeuille en deux et, si oui, lequel ?
Je suis très satisfait du rapport de suivi, qui est extrêmement complet. Après le rapport complet, le suivi est actualisé tous les six mois, en priorité sur les chapitres 8, 23 et 24, les plus importants. Les États membres participent en envoyant leurs experts sur place.
Les problèmes entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine sont réels. La semaine dernière à Zagreb, j'ai rappelé au Premier ministre que nous attendions la ratification de l'accord frontalier entre les deux pays. Nous étions préoccupés par le retard pris par la Bosnie-Herzégovine pour préparer le déplacement de la frontière extérieure de l'Union - qui entraîne des problèmes difficiles et coûteux en matière de commerce, de sécurité ou de santé. Nous avons donc organisé en octobre dernier une réunion entre les cinq commissaires concernés, le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères bosniaques pour traiter des problèmes liés à la gestion de la frontière. Au 1er juillet, la frontière ne sera plus considérée par la Bosnie-Herzégovine comme un défi, mais comme une opportunité. Les réunions trilatérales se poursuivent : le 19 décembre à Bruxelles, puis à nouveau en février.
La Croatie a aujourd'hui le statut d'observateur au Parlement européen et une délégation croate participe déjà aux délibérations du Conseil. Le traité prévoit que l'on augmente le nombre de commissaires pour tenir compte d'une nouvelle adhésion ; la Croatie aura donc son commissaire, à moins que les États membres n'en décident autrement.
Le traité énonce quatre critères pour l'adhésion à l'Union. Ainsi, le pays candidat doit être capable de faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle au sein de l'Union. Estimez-vous que tel est le cas de tous les pays membres, et des pays qui envisagent d'adhérer ? La situation actuelle est préoccupante sur le plan économique.
La concurrence est en effet l'un des problèmes de l'Union européenne. Nous essayons de renforcer la gouvernance économique dans l'Union ; les politiques menées visent à soutenir la croissance et l'emploi. La question de la concurrence mérite d'être abordée de manière précise et chiffrée. Nous estimons que la Croatie est capable de répondre à cette concurrence dans le marché intérieur, malgré certaines lacunes structurelles, dont la faiblesse des investissements étrangers. Avec mon collègue Olli Rehn, nous avons adressé aux autorités croates une lettre les incitant à s'attaquer aux réformes structurelles.
Merci aux présidents Carrère et Sutour d'avoir élargi cette audition aux sénateurs qui n'ont pas la chance d'être membre de la commission des affaires étrangères ou de la commission des affaires européennes. Merci à M. le commissaire pour ses précieuses indications.
L'élargissement répond au souhait de voir nos valeurs partagées au sein d'une même entité économique, mais l'Union européenne est aujourd'hui le maillon faible de la croissance mondiale. La concurrence interne pose d'évidents problèmes. La Commission européenne a-t-elle les moyens d'exercer ses prérogatives de contrôle ? Chypre, qui est membre de l'Union depuis 2004 et de la zone euro depuis 2008, vient de solliciter l'assistance financière de l'Union. Les deux tiers de son produit intérieur brut sont constitués, comme au Luxembourg, de revenus financiers. Où en est le contrôle prudentiel des banques chypriotes ? Combien cela va-t-il coûter à la communauté ? En cas de sinistre, comme en Grèce, ce n'est pas l'Union européenne qui règle la note, mais les budgets nationaux, via des prêts bilatéraux ou l'abondement du mécanisme européen de stabilité...
Avant d'élargir l'Europe, soyons sûrs que la Commission européenne exerce effectivement ses prérogatives de surveillance et de contrôle prudentiel, sans lesquels on court le risque d'un chaos généralisé. J'ai le sentiment que l'on ne sait pas très bien ce qui se passe à Chypre, alors que les engagements des banques chypriotes représentent sept à huit fois le PIB national. Quelles seront les conséquences pour nos finances publiques ?
Je comprends votre préoccupation, mais le sujet ne relève pas vraiment de la politique d'élargissement. Ce n'est pas moi qui vais trancher le débat sur la crédibilité de la zone euro. Les manquements de certains États membres qui ne peuvent plus répondre aux critères sont très fâcheux. Les échecs systémiques de la zone euro ont donné l'impression que chaque banque peut prêter de la même manière, sur la même base, quelle que soit sa nationalité. Or faute de mécanisme de coordination des politiques économiques et fiscales européennes, il n'y a pas de moyen pour protéger ces banques contre les effets ciblés du marché financier.
Lors de la présentation du rapport de suivi en octobre dernier, j'ai souligné que notre priorité était de nous attaquer de manière proactive aux problèmes monétaires, en particulier dans les Balkans, afin que ces problèmes ne soient pas importés dans le reste de l'Union.
Les pays candidats doivent, bien sûr, respecter l'acquis communautaire mais aussi se préparer d'emblée à remplir leurs futures obligations d'États membres de l'Union économique et monétaire. La semaine dernière, la Commission, lors de la présentation du projet de renforcement de l'UEM, a beaucoup insisté sur ce point.
Lors d'une mission, il y a deux mois, j'ai rencontré le représentant spécial de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine, M. Peter Sorensen. À l'entendre, les principaux responsables politiques du pays ne parviennent pas à s'accorder sur la réforme constitutionnelle prévue par les accords de Dayton et qui doit assurer le respect de la Convention européenne des droits de l'homme. Or l'Europe en a fait un préalable à l'ouverture des négociations d'adhésion. De quels moyens disposons-nous pour obtenir une avancée constitutionnelle, fût-ce a minima, en Bosnie-Herzégovine ? Compte tenu de la paralysie actuelle, ne faudrait-il pas imposer une date butoir au-delà de laquelle la perspective d'adhésion, indispensable de mon point de vue, serait déclarée remise en question ?
Je comprends votre scepticisme : la plupart des élites politiques de ce pays vivent encore dans le passé. Cela dit, je ne vois qu'une solution pour sortir de cette impasse : travailler à rapprocher la Bosnie-Herzégovine de l'Europe, s'appuyer sur les changements qui interviennent çà et là en attendant la réforme constitutionnelle qui viendra un jour ou l'autre. Sur la question des droits de l'homme, j'en suis d'accord, il y a urgence.
Quels sont les outils à notre disposition ? Pour combattre la lassitude, nous devions faire oeuvre de créativité. D'où l'ouverture d'un dialogue à haut niveau avec les représentants des partis politiques et des autorités de Bosnie-Herzégovine. Lors de la première réunion en juin dernier à Bruxelles, nous avons expliqué en quoi consistait une demande d'adhésion crédible pour l'Union européenne. Les participants ont accepté une feuille de route détaillant des objectifs à atteindre avant la fin de l'année. Autrement dit, plus l'Europe implique un futur candidat, plus elle dispose d'outils pour influencer son développement et l'aider à avancer. Une deuxième réunion a eu lieu à Sarajevo la semaine dernière pour établir un bilan : le premier objectif fixé dans la feuille de route de juin est manqué.
Le secrétaire général du Conseil de l'Europe a suggéré la méthode suivante : lorsque la Bosnie-Herzégovine présentera un projet de révision constitutionnelle concret à son parlement, l'Union européenne prendra des dispositions pour l'entrée en vigueur de l'accord de stabilisation et d'association ; si ce dernier porte ses fruits, Sarajevo pourra alors présenter une demande d'adhésion crédible.
Entre-temps, nous avons travaillé à la mise en place d'un mécanisme de coordination entre les différents niveaux de pouvoir en Bosnie-Herzégovine. Ce mécanisme, je veux le souligner, ne retire pas une once de pouvoir à nos interlocuteurs. L'idée est qu'ils parlent d'une seule voix sur les questions européennes.
En tout cas, depuis la réorganisation de la coalition au pouvoir, on observe une nouvelle dynamique : nos interlocuteurs nous ont eux-mêmes demandé un nouveau délai, le mois de février ou de mars de l'année prochaine, pour commencer à appliquer la feuille de route. Ils en ont effectivement besoin. L'Europe, vous le voyez, progresse en Bosnie-Herzégovine.
Monsieur le commissaire, n'y voyez pas de la provocation mais ne pensez-vous pas, pour dire les choses avec un peu de rugosité, que mieux vous accomplirez votre travail, plus vous affaiblirez l'Europe ? Les négociations ressemblent à s'y méprendre à une campagne d'évangélisation aux droits de l'homme quand notre intérêt est d'intégrer des pays qui apportent à l'Europe un surcroît de puissance économique et diplomatique. Que peut bien signifier l'élargissement quand l'Union n'a pas de politique commune de défense, de l'énergie et de diplomatie européenne ? Comment peut-on évoquer l'adhésion de la Turquie quand ce pays occupe un État membre, fait reculer la laïcité et maltraite extraordinairement les Kurdes ? Au fond, quel est la finalité de l'élargissement : une Europe plus forte avec la Bosnie-Herzégovine ou une Bosnie-Herzégovine plus forte avec l'Europe ? N'inversons pas l'objectif !
Le processus d'adhésion est très rigoureux : un pays qui respectera les chapitres 23 et 24 de l'acquis communautaire n'affaiblira pas l'Europe, je vous le garantis.
L'adhésion de la Turquie ? J'aurais presque pu signer votre déclaration à condition d'ajouter que l'Union doit être un modèle à suivre. Donnons à la Turquie la possibilité de remplir ses obligations. Quoi qu'il en soit, tous les États membres auront leur mot à dire. Quid de notre capacité d'absorption ? L'entrée de la Pologne a-t-elle diminué l'Europe ? Non ! Celle de la République tchèque ? Non plus. Certains membres n'auraient pas intérêt à l'élargissement ? Je ne le crois pas, l'Union y gagne dans sa globalité. D'après les projections démographiques, la population européenne passera de 500 millions aujourd'hui à 250 millions dans dix ans. Dans le même temps, un pays comme l'Égypte, qui compte déjà 80 millions d'habitants, va voir sa population fortement augmenter. Notre intérêt est de transformer notre voisinage par l'élargissement en lui faisant adopter nos principes et nos valeurs. Dans un monde de plus en plus globalisé, la taille restera un critère primordial, un facteur d'influence.
Suis-je trop ambitieux ? Voyez : la France et l'Allemagne se sentent dorénavant suffisamment en sécurité pour envisager l'élargissement que la Grande-Bretagne soutient. Dans l'histoire de la construction européenne, élargissement et intégration sont toujours allés de pair ; l'un n'est jamais allé sans l'autre.
Soyons prudents dans l'analyse de la crise : ses origines sont à chercher dans nos propres erreurs, et non dans l'élargissement. Au contraire, celui-ci entraîne toujours un approfondissement de l'intégration.
Je comptais vous interroger sur la Bosnie-Herzégovine. Vous avez répondu avec détermination à M. Billout, je n'y reviens pas. En revanche, vous sembliez moins optimiste concernant la Macédoine. En effet, on y trouve de la corruption, des atteintes à la liberté de la presse et une forte criminalité. Peut-on espérer une évolution de ce pays à court terme ?
Autre pays des Balkans occidentaux : la Serbie, candidate depuis trois ans. En mai dernier, un président de la république d'inspiration très nationaliste y a été élu. Ce pays, et c'est son droit, n'est pas membre de l'Otan ; en revanche, il a signé un accord de partenariat stratégique avec la Russie, entre autres sur l'énergie. Le nouveau gouvernement serbe est également très entouré d'experts chinois. Qu'en est-il de son autonomie politique dans ces circonstances ? La Serbie ne doit pas servir de cheval de Troie à des grandes puissances étrangères qui veulent un accès plus facile au grand marché européen.
En 2010, la commission des affaires européennes m'avait chargée de suivre l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Islande. Je suis également membre du groupe parlementaire d'amitié France-Pays du Nord. Le négociateur en chef de l'Union européenne m'avait fait part de son optimisme. Quatre points restaient toutefois litigieux : la protection de l'environnement, en particulier la chasse à la baleine, l'agriculture, la pêche et l'entrée dans l'UEM. Pensez-vous pouvoir les dépasser ? Concernant la pêche, les eaux très poissonneuses de l'Islande représentent une formidable opportunité pour les pêcheurs européens et, en particulier, français. Une victoire des conservateurs aux élections législatives de 2013 modifiera-t-elle la perspective européenne de l'Islande ou existe-t-il un consensus national sur l'entrée dans l'Union ?
Ne pas travailler à l'élargissement serait une abnégation des valeurs européennes. Nous aurions connu les mêmes problèmes de gouvernance dans les frontières européennes de 1981, ceux-ci étaient en germe avant les élargissements. Malheureusement, quelle que soit la qualité technique de votre travail, ils engendrent beaucoup de scepticisme, et les menaces que les responsables de Hongrie et de Roumanie font peser sur la démocratie n'arrangent rien. L'élargissement, comme l'école, mérite une grande refondation.
Un renforcement des critères d'adhésion, pourquoi pas ? Mais quand la Hongrie, membre de l'Union depuis des années, ne respecte pas la liberté de la presse et certaines libertés économiques, l'Europe se montre très frileuse...
Souvenez-vous : il y a quelques années, on parlait, non pas de la Hongrie, mais de l'Autriche. Le résultat des élections représentait un cauchemar pour l'Europe qui y réagit par une décision que je qualifierai de nucléaire. Ce ne sont ni les Slovaques, ni les Tchèques, ni les Hongrois qui créent des difficultés au sein de l'Union ; disons-le clairement même si vous avez soulevé un point important. L'adhésion suppose de remplir des critères, un processus qui fait l'objet de contrôles. Une fois le pays devenu État membre, il existe encore des garanties : si la Hongrie ne respecte pas l'acquis communautaire, par exemple sur l'indépendance de la Banque centrale, l'Europe lancera une procédure contre elle et le pays comparaîtra devant les juges. Pour autant, nous avons tiré les leçons de ces dernières années : plus l'on est précis sur le respect des critères d'adhésion durant l'élargissement, plus l'on est efficace. Un acte de candidature ne représente-t-il pas le gage le plus sûr qu'un pays puisse donner ?
Ma priorité, lorsque je suis arrivé à la Commission européenne, était la crédibilité de la démarche. L'an dernier, j'ai mis l'accent sur le pouvoir transformateur de l'élargissement. Voyez la Croatie : depuis son acte de candidature en 2003, le pays a totalement changé ! Cette année, j'ai mis l'État de droit au centre de la démarche d'adhésion.
Du reste, le changement ne procède pas d'un coup de baguette magique, il se mesure à des effets concrets, à l'implication du pays. Prenons l'Islande : dix chapitres ont été clos plus rapidement que prévu. Ce pays est déjà membre de l'espace Schengen et de l'espace économique européen. Evidemment, cela ne signifie pas qu'il n'y ait plus de problème. La majorité des Islandais était pour continuer l'adhésion il y a six mois, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Peut-être observera-t-on un changement d'attitude après les élections. Nous pouvons trouver un compromis ménageant les spécificités de l'Islande dans le respect de l'acquis communautaire, j'en suis persuadé. La pêche ? Il y a deux ou trois ans, des maquereaux sont apparus dans les eaux islandaises ; un jour, ils se déplaceront ailleurs. Les Islandais ont aussi intérêt à une pêche durable. Moi, je leur tiens toujours le même discours : donnez-vous la possibilité de négocier un « paquet » pour qu'on puisse avancer.
La Serbie ? Des relations diplomatiques avec des pays tiers comme la Russie ou la Chine ne sont en rien contradictoires avec l'entrée dans l'Union européenne. Nous formulerons des exigences concrètes, y compris en matière de politique de sécurité. Le pays devra donner des preuves tangibles de son engagement pour que la Commission recommande son adhésion aux États membres.
Sans ignorer les difficultés, veillons à ne pas envoyer un signal négatif à cette région où la réconciliation demeure fragile. Je n'apprécie guère les discours de l'actuel président serbe, surtout ceux du temps où il dirigeait son parti. Reste qu'il a, contrairement à son prédécesseur, remis sur les rails la coopération régionale. Ce qui aura des conséquences sur le Kosovo. Notre aide est nécessaire, mais cela n'exclut ni la franchise ni la fermeté.
La Macédoine ? Après des années de négociations, laisser ce pays multiethnique à la porte de l'Union européenne et de l'Otan serait prendre le risque de voir, tôt ou tard, les relations se tendre entre populations. Les trois réunions que nous avons tenues avec ce pays cette année ont été concluantes. L'agenda européen, et non plus le programme nationaliste, est au coeur du débat public. Une loi contre la diffamation et les discriminations a été adoptée. La dernière fois, le Premier ministre a reconnu l'importance d'entretenir de bonnes relations de voisinage et de mener une réforme politique. Mis bout à bout, ces avancées forment un climat favorable aux négociations. Les négociations progresseront si nous parvenons à trouver dès le début une solution aux principales difficultés. Dans le cas contraire, la discussion s'arrêtera. Je suis confiant : notre intérêt à tous est de progresser.
Je soulignerai, pour finir, notre volonté de respecter les intérêts propres de chaque État membre. Il n'est pas question, pour la Commission, de prendre une décision qui irait à leur encontre. Nous le dirons clairement au Conseil européen.
Merci. J'avais parlé au début de l'audition de « notre commissaire » ; le possessif était amplement justifié. Nous avons peu parlé de la politique de voisinage avec les pays de l'Est et de la Méditerranée, ce sera peut-être l'occasion d'une nouvelle rencontre.