Commission des affaires européennes

Réunion du 25 novembre 2014 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. le président Jean Bizet et moi-même sommes heureux d'accueillir Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et M. Peter Friedrich.

Mme Annegret Kramp-Karrenbauer est aujourd'hui ministre-présidente de Sarre. Elle a commencé sa carrière publique en 1984 comme conseillère municipale de Püttlingen puis est entrée au Bundestag en 1998. En 1999, elle fut élue au parlement de Sarre et elle a rejoint en 2000 le gouvernement de la Sarre où elle a occupé différentes fonctions ministérielles. Mme Kramp-Karrenbauer est devenue ministre-présidente de la Sarre le 10 août 2011. Elle a présidé en 2008 la Conférence permanente des ministres de l'éducation des Länder et elle est plénipotentiaire chargée des affaires culturelles franco-allemandes depuis août 2011.

M. Peter Friedrich est devenu en 1992 suppléant du président régional de l'organisation de jeunesse du Bade-Wurtemberg, puis en 1997 président régional de la même organisation. Parallèlement, il devient membre du comité directeur du SPD. En 2005, il fut membre du Parlement fédéral allemand et, depuis mai 2011, il est ministre chargé du Bundesrat, de l'Europe et des affaires internationales du Land de Bade-Wurtemberg, ce qui fait de lui un membre du Bundesrat. Depuis mai 2011, il est également président de la commission des questions de l'Union européenne au Bundesrat.

Nous vous avons invités car nous sommes en train d'examiner le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République qui vise à mieux répartir les compétences entre les différents niveaux de collectivités. La commission des lois a nommé deux rapporteurs, M. Jean-Jacques Hyest, membre du groupe UMP, et M. René Vandierendonck, membre du groupe socialiste. Ce choix démontre notre volonté de parvenir à un large consensus sur cette réforme et c'est pourquoi il nous a semblé utile de comparer notre organisation territoriale à la vôtre, qui est fort différente. Notre pays est traditionnellement centralisé et les collectivités territoriales dépendent fortement de l'État pour leur financement, la part des impôts étant minoritaire dans leurs ressources.

Le texte vise à renforcer le pouvoir des régions au détriment de celui des départements. En outre, et cela vous étonnera sans doute, notre gouvernement a souhaité redessiner la carte des régions, chose qui serait impensable dans votre pays. Nos régions ne sont pas héritières d'une longue histoire mais le fruit d'une décision politique nationale.

Votre système fédéral nous intéresse car, en dépit de notre centralisation historique, notre pays accorde depuis 1982 de plus en plus de pouvoirs aux collectivités.

Enfin, la Constitution confie au Sénat le soin de représenter les collectivités territoriales, si bien qu'il examinera ce projet de loi avant l'Assemblée nationale. La commission des lois poursuivra donc son travail jusqu'à la mi-décembre avant que ne commence le débat dans l'hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

À mon tour, je salue Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et M. Peter Friedrich. Je me permets également de saluer votre ambassadeur, Mme Susanne Wasum-Rainer, avec laquelle nous avons des contacts suivis.

À l'occasion de la réforme de la PAC de 2011, des membres du Bundesrat étaient venus nous rendre visite pour que nous parvenions à une position commune : lorsque c'est le cas, la France et l'Allemagne se font plus aisément entendre à Bruxelles.

Nos systèmes respectifs sont largement le résultat des legs de l'histoire. Le fédéralisme a marqué l'unité allemande alors que la France privilégiait un système unitaire qui s'est décentralisé depuis une trentaine d'années avec, parfois, des tentatives de recentralisation.

Comment gérer au mieux nos services publics, comment prendre en charge l'action sociale, comment favoriser le développement économique dans nos territoires, quelles infrastructures devons-nous réaliser, comment promouvoir un développement durable ? Voilà quelques-unes des grandes questions auxquelles toutes nos collectivités doivent apporter des réponses. Pourrez-vous donner des précisions sur les moyens financiers et humains dont vous disposez pour exercer vos compétences ? Les nouvelles règlementations européennes induisent des préoccupations communes : nous échangerons prochainement avec M. Friedrich au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) lors de la session à Rome. La commission des affaires européennes a récemment émis un avis politique après un débat sur le paquet déchets qui inquiète les collectivités, qu'elles soient françaises ou allemandes.

Nous portons aussi une attention toute particulière aux fonds structurels : la consommation des crédits n'est pas toujours satisfaisante. Nous devons donc identifier les blocages.

Enfin, nous travaillerons avec la commission des affaires économiques sur le plan d'investissement de 300 milliards d'euros que la Commission européenne va présenter.

Debut de section - Permalien
Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-présidente du Land de Sarre

Cette invitation témoigne d'une profonde confiance entre votre pays et le mien et de l'intense et fructueux échange que nous entretenons.

Aujourd'hui, 60 % des enfants de Sarre apprennent le français, soit le taux le plus élevé de tous les Länder. Le gouvernement de Sarre a présenté en janvier dernier un ambitieux projet pour l'avenir européen puisqu'il souhaite que la Sarre devienne plurilingue en l'espace d'une génération, le français complétant l'allemand. La Sarre sera alors le seul Land plurilingue de la République fédérale d'Allemagne. Des éducateurs de langue maternelle française accompagneront dès le plus jeune âge la génération qui vient de naître.

La Sarre veut être le médiateur des intérêts français et une porte d'entrée sur l'Allemagne.

La Sarre va créer des pôles de compétitivité, des clusters, sur le modèle français. Nous souhaitons commencer par l'industrie automobile qui est aujourd'hui le secteur industriel le plus important avec 80 000 employés au niveau transfrontalier. Cette coopération suppose de comprendre et de connaître son partenaire. La coopération transfrontalière entre nos deux pays est unique en Europe et elle va permettre de construire l'avenir.

Mon quotidien est marqué par les acquis de notre coopération. Ainsi en est-il de l'université franco-allemande de Sarrebruck qui permet à plus de 5 000 étudiants par an de passer la moitié de leurs études en Allemagne et l'autre moitié en France, du secrétariat franco-allemand des échanges en formation professionnelle avec plus de 4 000 apprentis par an dans 50 domaines d'apprentissage, du lycée franco-allemand avec plus de 1 000 élèves. La coopération franco-allemande universitaire concerne 450 étudiants et 2 500 jeunes ont déjà obtenu un double diplôme. Il existe aussi un réseau de 100 crèches bilingues en Allemagne et en France.

Chaque jour, 18 000 frontaliers se rendent en Sarre, 1 000 en Lorraine et 8 000 au Luxembourg. Environ 70 % des importations et des exportations sarroises sont réalisées dans l'Union ; 106 filiales et succursales d'entreprises françaises sont enregistrées en Sarre où elles y emploient 3 000 personnes et 67 entreprises sarroises avec 119 succursales sont implantées en France.

Des textes permettent de signer des accords et des traités au niveau régional : nous voulons garantir la sécurité juridique des structures de coopération afin de maintenir la continuité des réseaux et des structures transfrontalières. Le droit à l'expérimentation en France nous semble opportun car il donnera aux régions transfrontalières une certaine autonomie, notamment pour gérer les fonds européens.

Les régions transfrontalières sont confrontées à des défis particuliers : la grande région Saar-Lor-Lux est un réseau de coopération dont l'intensité est unique dans l'Union européenne : un État national souverain, le Luxembourg, collabore avec succès avec des Länder fédérés mais aussi avec la Lorraine et la Wallonie.

En France, nous sommes confrontés aux défis des différentes structures administratives. Il serait souhaitable que votre réforme territoriale renforce les relations franco-allemandes en prenant en compte l'importance des régions transfrontalières.

Vive la France, vive l'Allemagne et vive la coopération transfrontalière !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci pour cette intervention qui a touché le coeur de mes collègues. Vous avez montré votre intérêt pour le droit à l'expérimentation et pour la coopération transfrontalière qui peut aller au-delà de nos régions respectives.

Merci aussi de vous être exprimée en français.

Debut de section - Permalien
Peter Friedrich, chargé du Bundesrat, des Affaires européennes et internationales

ministre du Land de Bade-Wurtemberg, chargé du Bundesrat, des Affaires européennes et internationales. - Merci pour votre invitation. Le Bade-Wurtemberg et la France ont une frontière très perméable de 184 kilomètres. Ma région n'aurait jamais existé sans Napoléon et divers Länder ont dû leur création à la France. A contrario, Montbéliard était la résidence du duc de Wurtemberg au XIVème siècle. Nous avons donc des liens étroits depuis très longtemps. Les Allemands se rappelleront toujours du discours de Charles de Gaulle en 1963 sur le traité d'amitié franco-allemand... Le Bade-Wurtemberg est proche de l'Alsace et il s'agit du premier foyer de coopération européenne. Nous avons un euro-campus avec Fribourg, Strasbourg, Karlsruhe et Bâle. Notre région accueille plusieurs dizaines de milliers de frontaliers chaque jour. Il s'agit d'un exemple vraiment réussi d'intégration européenne. N'oublions pas les 400 jumelages entre nos villes.

Nous voulons développer la formation en alternance avec l'accord-cadre sur la formation professionnelle ainsi que la transition énergétique bien que nous n'ayons pas les mêmes intérêts de part et d'autre. Pour les déchets, nos initiatives mutuelles pourraient déboucher sur des projets de coopération à l'exportation.

Votre réforme territoriale sera certainement décisive pour votre pays mais aussi pour la coopération transfrontalière. Le maire de Kehl, lors de son départ, a dit que pendant ses seize ans de mandat, il avait travaillé en bonne intelligence avec Strasbourg, mais qu'il n'avait toujours pas compris comment la mairie fonctionnait. Et M. Ries peut en dire de même pour la mairie de Kehl. Mais ces incompréhensions n'empêchent pas de travailler ensemble.

Votre réforme territoriale ne peut aboutir à une parfaite homogénéité entre nos institutions. En revanche, nos relations doivent être parfaites. Notre système fédéral tient au fait que l'État allemand est né très tard et que les Länder, les communes et les villes ont toujours joué un rôle de premier plan. Leur autonomie en matière de recettes n'est pas totale. En revanche, elle l'est pour les dépenses. Notre système fiscal nous permet de collecter directement certaines taxes. Le Bade-Wurtemberg compte 10,5 millions d'habitants et son budget annuel s'élève à 40 milliards d'euros.

L'échelon national est compétent en matière de défense et d'emploi, mais la plupart des organes d'exécution sont aux mains des Länder et des communes.

La loi accorde aux Länder des dotations financières et un pouvoir de décision. Ils jouent un rôle national très important : le Bundesrat est la seule chambre parlementaire au monde qui est constituée de gouvernements. En matière de droit européen, le Bundesrat a quasiment le même rôle que l'État fédéral. Bien qu'ils n'aient pas de pouvoir en matière de politique étrangère, ils mènent des politiques d'accompagnement, notamment en matière transfrontalière. Dans le domaine éducatif et culturel, le Bundesrat représente la République fédérale d'Allemagne et il dispose d'une représentation à Bruxelles. Enfin, il a conclu des partenariats régionaux, notamment avec l'Alsace et la région Rhône-Alpes.

Nous avons constamment des débats sur l'évolution du fédéralisme, en particulier sur la répartition des moyens financiers entre l'État fédéral et les Länder. Nos compétences sont réparties entre les différents échelons et, parfois, nos marges de manoeuvre sont un peu limitées, surtout en matière européenne.

Je ne vais pas vous donner de conseils sur le découpage de vos régions mais nous espérons que nous pourrons continuer à travailler ensemble. Je crains que nous nous retrouvions avec des régions immenses ce qui diluerait l'intérêt des projets transfrontaliers.

Nous avons mis en place un certain nombre de structures transfrontalières, comme les eurodistricts ou la conférence franco-germano-suisse du Rhin supérieur. Si nous arrivons à tirer profit de notre potentiel géographique, nous aurons sans doute plus d'écoles et d'universités que d'autres régions plus centrales, à condition de travailler de façon transfrontalière. Avec la France, nous avons affaire à des trinités de compétences : le département, la région et l'État. Nous espérons que la réforme dira qui est compétent et dans quel domaine. La répartition des compétences est plus importante que le découpage des régions.

Comme l'a dit Mme Kramp-Karrenbauer, vive l'amitié franco-allemande !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mes collègues ont beaucoup apprécié votre intervention qui nous a permis de comprendre comment vous perceviez notre pays, même si vous avez pris soin de ne pas interférer avec nos débats en cours.

Vous appelez de vos voeux une meilleure répartition des pouvoirs entre l'État et les régions alors que le projet de loi insiste plutôt sur la répartition de ceux-ci entre les départements et les régions : la définition des compétences est au coeur de nos réflexions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Les répartitions de compétences vous semblent plus importantes que le tracé des régions, mais notre gouvernement a commencé autrement.

Depuis des décennies, la France a du mal à faire émerger un modèle de formation par alternance aussi performant que le vôtre. En Allemagne, les métiers manuels sont bien plus valorisés que chez nous. Comment faire pour améliorer les choses en dépassant le cadre transfrontalier ?

Nos régions n'arrivent souvent pas à consommer les fonds structurels européens. Comment faites-vous ? Avec les nouvelles modalités de répartition, les régions qui ne consomment pas la totalité des fonds qui leur sont attribués se voient pénalisées l'année suivante par de moindres dotations.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Nos collègues députés auraient dû écouter M. Friedrich : leur regard aurait peut-être été moins hexagonal lors du découpage des régions.

Vous évoquez des coopérations transfrontalières mais aussi des difficultés avec la France dues aux diverses strates de compétences. En Allemagne, qui est compétent en matière d'université, de recherche et d'emploi ? Nos régions ne seraient-elles pas mieux à même de traiter de ces questions ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Est-il préférable d'avoir des dotations garanties par la Constitution ou une autonomie fiscale contingente ?

Vous prônez l'expérimentation pour les territoires transfrontaliers. Enfin, vous souhaitez la simplification des compétences dans notre pays. Comment adapter la règlementation à la diversité des situations et des territoires, sachant que nous sommes soumis à un contrôle de légalité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Je remercie nos invités. En France, l'Allemagne est une référence, mais j'ai cru comprendre que la répartition des compétences n'y est pas toujours aussi claire, car les Länder sont le bras armé de l'État fédéral, d'où certains chevauchements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Pour améliorer les relations transfrontalières avec la Sarre et le Bade-Wurtemberg, il faut l'Alsace-Lorraine !

La France cherche à doter les grandes régions de compétences économiques. Qu'en est-il en Allemagne ? Nous sommes focalisés sur nos très grandes entreprises alors que l'économie allemande semble plus portée par les entreprises elles-mêmes que par le politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

La réforme des métropoles va se faire dans les Bouches-du-Rhône contre l'avis de 109 maires sur 119. En Allemagne, qui est compétent en matière sociale et de droit du sol ?

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Le budget de la région Rhône-Alpes s'élève à 2,5 milliards d'euros, alors que le Bade-Wurtemberg dispose de 40 milliards d'euros.

Dans le débat sur la réforme territoriale, il y a les tenants du département et ceux de la région. Dans le Bade-Wurtemberg, comment s'exerce la répartition des pouvoirs entre le Länder et le Länderkreis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Même au Sénat, certaines régions sont plus fortes que d'autres : les Normands dirigent cinq commissions sur sept, plus la questure !

J'ai longtemps fait partie de l'inspection générale de l'éducation nationale. Quoique l'un de ses ministres l'ait comparée à un mammouth, sa structure centrale est assez faible ; beaucoup de compétences sont exercées au niveau local, mais toujours a minima : les budgets sont gérés depuis Paris, les inspecteurs d'académie n'ont pas tout pouvoir, le nombre d'enseignants par discipline étant déterminé au niveau central... Les seules compétences véritablement décentralisées sont la construction des établissements et la gestion des agents techniques et de service. Ce ministère serait depuis longtemps plus efficace s'il était davantage décentralisé. Comment nos amis allemands gèrent-ils leur système éducatif ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Les Länder subventionnent-ils les projets d'investissement des districts et des villes qui les composent ? Qui s'occupe de la construction et de l'entretien des routes ? Qui décide de l'implantation des collèges ? Les districts, enfin, ont-ils des compétences en matière de développement économique ?

Debut de section - Permalien
Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-présidente du Land de Sarre

Nous n'avons pas la même conception de l'État. L'Allemagne fédérale a toujours eu une structure décentralisée : les Länder sont l'ossature de la République. Il n'est pas faux de parler de « mythes » : 90 % des parents allemands vous diraient qu'ils préfèrent le système d'éducation centralisé à la française. Or les Länder ont les compétences de la politique scolaire, de la gestion de la police et d'une partie de celle de la justice. Il en résulte une concurrence entre Länder, du fait notamment que les structures scolaires ne sont pas partout les mêmes. Près de 60 % des écoliers de Sarre apprennent le français, mais ne retrouvent pas cette possibilité s'ils déménagent, par exemple, en Rhénanie-Palatinat. L'équivalent allemand du baccalauréat varie d'une région à l'autre. L'étude « Pisa » a révélé les difficultés qui découlent de ces disparités. La perception des problématiques varie d'un Land à l'autre - à l'exception de la formation en alternance : l'administration fédérale contribue à son organisation, en coordination avec les employeurs et les syndicats, afin de définir les différents métiers et les contenus enseignés. C'est un aspect de notre système qui fonctionne très bien. L'enseignement supérieur est, lui, du ressort des Länder, même si l'État fédéral s'est beaucoup engagé, ces dernières années, dans le domaine de la recherche et si la Loi Fondamentale a été modifiée en ce sens. Les Länder débattent actuellement d'une extension de cette coopération à l'enseignement secondaire.

En matière de sécurité intérieure, seule la police aux frontières relève de l'État fédéral. L'administration de la justice dépend elle aussi largement des Länder. La coopération avec l'État s'est cependant améliorée dans ce domaine comme dans celui de l'éducation. Les cadres des forces de police suivent des formations communes et nombre de tactiques sont développées en commun. Des effectifs peuvent, en cas de besoin, être détachés d'un Land à l'autre.

Les finances des Länder présentent d'importantes différences. La Sarre, région industrielle, a été rattachée tardivement à l'Allemagne, si bien que les sièges de ses grands groupes se trouvent plutôt au Bade-Wurtemberg, qui perçoit l'essentiel des recettes fiscales. Un système de péréquation est donc nécessaire, tant entre Länder qu'entre échelon fédéral et régional. C'est une pierre d'achoppement de nos négociations.

Le développement de notre économie bénéficie de certains programmes européens ; les Länder en pilotent d'autres. La Sarre s'attache à les concerter pour en obtenir le meilleur impact. Nous souhaitons pouvoir proposer des zones industrielles à des prix intéressants afin de soutenir les entreprises qui créent des emplois.

La question des infrastructures est d'actualité : outre les autoroutes, construites et entretenues par l'État, les projets des Länder concernant leur propre réseau routier sont annoncés dans le cadre de plans de transport. Nous avons également besoin d'infrastructures numériques établissant des connexions rapides, notamment grâce à la fibre optique : c'est un argument important pour attirer les entreprises.

La coopération transfrontalière a fait en quelques années des progrès considérables, même si des difficultés surgissent parfois lorsque nous traitons avec des régions autonomes. Le sommet des grandes régions européennes peut être une occasion d'étonnement : nous ne savons pas toujours qui, parmi les représentants de différentes institutions françaises, est notre véritable interlocuteur. Ils ne sont d'ailleurs pas toujours d'accord entre eux, ni bien au fait des intérêts qu'ils défendent.

Le droit à l'expérimentation doit être défini en adoptant le point de vue des citoyens. Certains habitants de la Sarre se rendent quotidiennement en Moselle ; pour eux, le passage transfrontalier est une réalité bien plus concrète que l'État fédéral : Paris est plus proche que Berlin. Mes concitoyens aspirent à une bonne qualité de vie, à un accès facile aux emplois et à la sécurité, sans obstacle aux frontières. Les policiers français doivent pouvoir poursuivre un malfaiteur en Allemagne, avec leurs armes, sans autorisation spéciale ; un malade doit pouvoir accéder aux urgences de l'hôpital le plus proche, même s'il se trouve de l'autre côté de la frontière.

La formation en alternance est l'un des aspects concrets du phénomène transfrontalier. Près de 8 % des jeunes de Sarre sont au chômage et, du fait de l'évolution démographique, six cents places d'apprentis n'ont pas été pourvues. La Lorraine, elle, compte plus de 20 % de jeunes chômeurs. Une convention-cadre permet désormais aux jeunes Français de suivre une formation en alternance dont la partie pratique se déroule en Allemagne, tandis que les cours ont lieu en France. L'inverse est proposé aux Allemands. Si les divers aspects administratifs ont été réglés, des obstacles culturels subsistent dans les esprits. Les parents français restent réticents à l'égard de la formation en alternance, en dépit d'exemples de réussite : je me suis rendue en janvier dernier dans la première section franco-allemande d'un lycée professionnel qui forme des mécaniciens de l'avionique. Elle a attiré de nombreux élèves parce que la partie française a organisé un concours de recrutement, chose impensable en Allemagne car synonyme d'élitisme. Notre ambition est de créer un réseau de lycées professionnels franco-allemands, notamment dans le domaine social et paramédical. Une action concertée en ce sens, notamment avec la Lorraine dont nous partageons beaucoup d'intérêts, a davantage de chances de réussir. Les éducateurs, comme les personnels soignants de part et d'autre de la frontière, devraient être formés ensemble. La difficulté sera évidemment d'adapter l'apport allemand aux spécificités françaises.

Certaines de nos entreprises qui apparaissent comme de grands groupes à l'étranger sont pour nous des petites et moyennes entreprises (PME), même si elles emploient plusieurs milliers de salariés. Elles sont les véritables moteurs de l'innovation qui permet à l'économie allemande de progresser. La Sarre compte ainsi plusieurs producteurs d'équipement minier qui, dans le passé, réalisaient 90 % de leur chiffre d'affaires en Rhénanie-Westphalie ou en Sarre, et 10 % à l'étranger. Cette proportion s'est inversée : la technologie de cette industrie est désormais exportée vers les mines colombiennes ou chinoises, pour un chiffre d'affaires annuel de 260 millions d'euros concentré dans une PME familiale qui n'est pas cotée en bourse. Voilà l'intérêt d'être plus novateur et plus flexible : les PME forment un tissu économique plus résistant aux crises que quelques grands groupes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci, madame la ministre-présidente. Votre réponse très complète nous a fait toucher du doigt la puissance des Länder allemands lorsqu'ils interviennent dans des domaines d'action dont certains échappent évidemment à nos présidents de région.

Debut de section - Permalien
Peter Friedrich, chargé du Bundesrat, des Affaires européennes et internationales

La réalité est une composition complexe de divers éléments : les citoyens allemands ont sur notre efficacité un point de vue analogue à celui des citoyens français sur celle de leur administration. Nous avons, nous aussi, beaucoup d'améliorations à faire. Le président Bizet m'interrogeait sur l'emploi des fonds européens : ils font l'objet en Allemagne d'une gestion décentralisée, particulièrement efficace pour la répartition du Fonds social européen (FSE).

Nos communes jouissent d'une grande liberté d'autogestion : elles disposent de leur budget et d'une compétence règlementaire en matière d'aménagement, d'urbanisme ou encore de gestion des déchets. Les districts sont organisés sur le même modèle : des compétences leurs sont attribuées et ils remplissent des missions, notamment pour le Bund. Les communes perçoivent elles-mêmes certains impôts, et peuvent en faire varier le taux. Les districts sont financés par une redevance des communes et par une subvention du Land. Nous nous efforçons de ne pas laisser la concurrence fiscale s'introduire entre nos territoires, l'évasion fiscale étant une préoccupation générale.

Les Länder sont compétents en matière d'éducation : ils sont les employeurs des enseignants et des chercheurs. Les communes mettent les locaux à disposition et déterminent les sites des nouveaux établissements. Outre ses 100 000 enseignants, le Bade-Wurtemberg emploie encore 40 000 policiers : ce sont ses deux principaux ensembles de salariés. Le Land est également compétent en matière de justice et en matière fiscale - d'où des velléités de concurrence pour attirer les entreprises. Si le Bund fait les lois, elles sont mises en oeuvre par nos agences, comme les caisses d'assurances maladie, d'assurance chômage ou de retraite, qui se gèrent elles-mêmes. Les chambres de commerce et d'industrie, ou encore d'artisanat, assurent, elles aussi, des missions de service public, notamment en matière de formation professionnelle et de contrôle économique.

L'application uniforme des lois est assurée par les juridictions, dont la hiérarchie est dominée par la Cour constitutionnelle. Leur jurisprudence est particulièrement importante dans le domaine des médias.

Les plans locaux d'urbanisme, les cadastres et, en général, le droit foncier sont du ressort des communes. Elles peuvent, lorsqu'elles se voient chargées de missions incombant normalement au Land, demander à en être relevées par l'intermédiaire du district.

Si le Bade-Wurtemberg abrite les groupes Daimler, Mercedes-Benz, Porsche, Bosch ou Hugo Boss, ils ne représentent que 2 % de notre économie. Le reste repose sur les PME qui se gèrent elles-mêmes.

La coopération transfrontalière devrait autoriser des collectivités territoriales des deux pays à se réunir en districts administratifs auxquels elles délégueraient des missions. La langue n'est pas nécessairement un obstacle : notre coopération avec la Suisse allemande n'est pas plus facile qu'avec la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci pour vos réponses, monsieur le ministre. Les Français ont parfois une réputation d'arrogance, mais nous sommes aussi capables d'admettre humblement que nous sommes moins bien organisés que nos voisins. Nos échanges auront fait apparaître nos préoccupations communes, tout en facilitant l'acceptation de nos différences. Je laisse à Jean Bizet, orfèvre en matière de relations franco-allemandes, le soin de conclure notre séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Vous nous avez apporté, monsieur le ministre, des pistes de réflexion nouvelles pour le moment où nous nous pencherons sur les compétences de nos collectivités. Dans les régions transfrontalières comme la Sarre, l'esprit européen a bien plus d'influence qu'ailleurs. Le droit à l'expérimentation avait jadis été évoqué dans certaines régions, l'exemple allemand nous incite à l'essayer à nouveau.

La formation en alternance est un enjeu fondamental qui mérite que l'on aille au-delà de la coopération transfrontalière. La sélection des élèves français par concours lui apporterait un prestige supplémentaire.

La péréquation financière est également au coeur de nos réflexions, de même que la mise à plat de la fiscalité locale. Voilà plus de vingt ans que je la défends : la mutualisation entre nos structures va dans le sens de l'histoire.

Vous avez parlé du numérique : c'est un point sur lequel nous pourrions avancer de concert. Le rapport de nos collègues Gaëtan Gorce et Catherine Morin-Desailly sur la gouvernance européenne de l'internet a fait apparaître notre communauté de vision sur l'enjeu du Big data. Nous ne pourrons la mettre en oeuvre qu'ensemble.

J'ai noté avec intérêt que vous aviez décentralisé la consommation des fonds structurels. Nous devrions peut-être nous en inspirer : la Basse-Normandie a manqué récemment d'obtenir 4 millions d'euros du cadre financier pluriannuel.

Vous nous donnez, dans l'ensemble, l'impression d'un grand pragmatisme : lorsqu'un Land ne peut assurer la mise en oeuvre de telle ou telle opération, vous n'hésitez pas à la déléguer. Nous aurons donc toujours intérêt à observer ce qui se passe de l'autre côté de ce qui ne doit plus être une frontière, dans le cadre de l'Europe élargie. Essayons de nous enrichir de nos différences.

La réunion est levée à 18 h 15.