Nous accueillons aujourd'hui M. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations institutionnelles, de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux.
Monsieur Timmermans, je suis très heureuse de vous recevoir à l'Assemblée nationale, pour la première fois depuis la mise en place des nouvelles institutions européennes, conjointement avec la commission des affaires européennes du Sénat. C'est pour nous un moment important puisque vous êtes le principal correspondant au sein de la Commission.
Comme j'avais eu l'occasion de vous le dire lors de notre entretien en marge de la COSAC en décembre dernier, il est pour nous primordial de rencontrer les commissaires européens et vous êtes à cet égard notre interlocuteur privilégié. Vous avez conseillé à vos collègues d'être très disponibles s'agissant des parlements nationaux.
L'approche générale de notre commission est de constituer, sur le plan français comme sur le plan européen, une force positive d'influence et de proposition, afin de redonner une perspective politique à l'Union européenne, dont nous avons collectivement cruellement besoin.
Or, les réponses apportées par la Commission européenne dans le cadre du « dialogue politique » nous ont le plus souvent semblé très formelles. Parallèlement, le contrôle de subsidiarité demeure trop exclusivement « négatif ». Il constitue par essence le pouvoir de dire « non », de dénoncer l'intrusion européenne dans des compétences nationales.
Dès lors, comment faire pour que ces différents instruments deviennent de véritables outils, plus positifs, des parlements nationaux ?
Pensez-vous qu'il serait utile de modifier la procédure du « carton jaune », en étendant par exemple le délai de réaction accordé aux parlements nationaux ? Ou d'étendre le contrôle de la subsidiarité des textes à la question de la proportionnalité, plus pertinente ?
Que pensez-vous d'un mécanisme de « carton vert », qui viserait à permettre à un nombre significatif de parlements de proposer des amendements ou une idée de législation européenne ?
Pour rapprocher l'Union européenne des citoyens, le traité de Lisbonne a permis la mise en oeuvre d'un mécanisme qui me tient particulièrement à coeur : l'initiative citoyenne européenne.
Or, la Commission européenne a choisi une interprétation restrictive des conditions de recevabilité de ce type d'initiatives, rejetant par exemple l'initiative « Stop TTIP ». En ce qui concerne le peu d'initiatives ayant passé ce filtre - trois en tout -, les réponses de la Commission ont été décevantes : je pense par exemple à l'initiative « Right 2 water », qui l'a conduite à proposer une consultation publique et une meilleure information des citoyens européens sur l'accès à l'eau, alors que les signataires plaidaient pour l'exclusion de la gestion de l'approvisionnement en eau des règles du marché intérieur.
La nouvelle Commission européenne aura-t-elle une attitude plus favorable à ces initiatives populaires ? Il me semble que la défiance des citoyens en Europe augmente chaque jour et que si un de leurs outils est mis en cause, cela ne les rassure pas sur la volonté politique de la Commission.
Vous êtes également en charge des droits fondamentaux. Deux mois après la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) déclarant non conforme au droit communautaire la proposition d'accord d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, pourriez-vous nous indiquer ce qu'il va advenir de ce processus d'adhésion, et, si possible, selon quel calendrier ?
Parallèlement, comment améliorer le contrôle des droits fondamentaux dans les États membres par l'Union européenne ? Lors de notre entretien en décembre, nous avions longuement évoqué le problème de la Hongrie et il pourrait être intéressant que vous nous présentiez votre point de vue sur cette question.
En outre, dans le contexte des événements dramatiques que nous venons de vivre en France et au Danemark, il est apparu que les droits fondamentaux sont peu connus, en particulier chez les plus jeunes. Peut-on améliorer leur connaissance dans toute l'Union européenne, de façon à ce qu'ils soient davantage partagés ? Pourriez-vous faire des propositions en ce sens, qui pourraient être relayées par les États ?
Par ailleurs, comme vous le savez, notre commission a adopté le 28 janvier dernier une proposition de résolution relative au programme de travail de la Commission européenne pour 2015, dont vous avez eu la charge.
Dans cette proposition, nous avons plaidé en faveur de propositions ambitieuses, permettant de répondre notamment aux deux défis majeurs auxquels l'Union européenne doit faire face : l'urgence sociale et l'urgence environnementale.
Nous demandions notamment le maintien du paquet législatif relatif à l'économie circulaire, mis en cause par la logique de la simplification. Pouvez-vous nous assurer que la nouvelle directive censée le remplacer sera présentée dès 2015 et sera au moins aussi ambitieuse que la précédente ?
Cette proposition de résolution invitait également la Commission européenne à être très vigilante dans la conduite des négociations du traité de libre-échange avec les États-Unis et rappelait le refus par notre Assemblée du mécanisme d'arbitrage des différends entre les États membres et les investisseurs. Quelles garanties pouvez-vous nous donner sur ces sujets ?
Enfin, je voudrais conclure sur la nécessité de ne pas perdre le fil, l'élan, de la démarche stratégique qui a été initiée depuis le printemps dernier, après les élections européennes, par le Conseil européen d'abord, mais aussi par le président Jean-Claude Juncker, dans son discours très politique, très européen, du 15 juillet dernier devant le Parlement européen, où il indiquait : « Nous devons répondre aux attentes des citoyens européens, à leurs attentes, à leurs angoisses, à leurs espoirs, à leurs rêves. ». L'Europe a en effet crucialement manqué d'une perspective politique au cours des dernières années.
Le président Juncker a fixé des objectifs ambitieux pour constituer cette feuille de route, en matière notamment de lutte contre le changement climatique et de développement des énergies renouvelables, de politique industrielle, énergétique en particulier, et de politique extérieure - soulignant que « Nous avons besoin d'urgence d'une politique extérieure et de sécurité commune ». Il a évoqué aussi fortement la défense des services publics en Europe, la mise en place de salaires sociaux minimaux et de revenus minimaux d'insertion garantis.
Beaucoup de ces objectifs résonnent avec les propositions de notre commission et, plus largement, de cette assemblée.
Comment la Commission européenne entend-elle, collectivement, faire vivre et concrétiser cette démarche stratégique, dans la durée de son mandat, dans un contexte difficile de risque de repliement national, voire nationaliste ?
N'a-t-elle pas un rôle de facilitateur plus fort que ce qu'on a encore vu aujourd'hui entre l'Eurogroupe et la Grèce ? Ne doit-elle pas prendre son bâton de pèlerin pour sauver la face de tous, ce qui permettrait à l'Europe de repartir d'un bon pas ?
S'agissant de l'Ukraine, la Commission fonde-t-elle de l'espoir sur le fragile cessez-le-feu qui vient d'être signé ? On nous a dit souvent ces derniers temps que la Commission était celle de la dernière chance : j'aimerais bien qu'on ne nous dise pas qu'il en est de même de ce cessez-le-feu. Nous avons construit ensemble une Europe de la paix : il faut qu'elle démontre son efficacité. Vous avez, par vos fonctions, un rôle particulier à jouer à cet égard, de même que sur le projet de « mieux légiférer », dont j'espère que vous nous direz également quelques mots.
Je me félicite, Monsieur le premier vice-président, de la tenue de cette audition à l'occasion de votre visite à Paris. Vous occupez une fonction déterminante dans l'organigramme de la nouvelle Commission européenne aux côtés du président Juncker. Nous souhaitons avoir des relations régulières et fructueuses avec vous et nous vous accueillerons avec beaucoup de plaisir au Sénat. De même, nous voulons nouer des contacts fréquents avec l'ensemble des commissaires.
Vous êtes en particulier chargé de bâtir « un nouveau partenariat avec les parlements nationaux ». Nous y sommes naturellement très attentifs. Les parlements nationaux doivent jouer tout leur rôle pour renforcer la légitimité démocratique de l'Union européenne. Ils exercent aujourd'hui un contrôle de la subsidiarité, comme l'a prévu le traité de Lisbonne. Ils doivent aussi pouvoir jouer un rôle de proposition, à travers ce que l'on appelle le « carton vert ». Le Sénat l'a fait. Notre Commission des affaires européennes a adopté un avis politique sur le programme de travail de la Commission européenne, que nous vous avons adressé. Nous approuvons globalement la démarche de rationalisation que vous avez retenue et vous suggérons aussi d'agir concrètement dans des domaines clés pour l'avenir de l'Union : l'énergie et le numérique. Dans le contexte des attentats terroristes à Paris et ces derniers jours à Copenhague, nous vous demandons également une action résolue contre le terrorisme. Sur ce point, nous devrions d'ailleurs être en mesure de proposer un panel de mesures fin mars-début avril.
Vous avez par ailleurs pour mission de veiller aux procédures de préparation des actes délégués et des actes d'exécution pour vous assurer de leur appropriation politique. C'est à nos yeux essentiel. Nous nous sommes inquiétés au Sénat de la place croissante prise par ces actes sans véritable contrôle politique.
La Commission des affaires européennes a en outre adopté un avis politique, qu'elle vous adressera, sur le plan d'investissement pour l'Europe. Nous approuvons le principe de ce plan. Il est de nature à favoriser l'emploi, la croissance ainsi que la compétitivité en Europe. Mais des incertitudes demeurent sur plusieurs points.
Nous défendons la possibilité pour les collectivités territoriales de bénéficier du plan d'investissement. Elles peuvent lui apporter une contribution essentielle. Les critères de sélection des projets doivent, selon nous, aboutir à une couverture équilibrée du territoire européen.
Nous insistons sur le caractère additionnel des crédits à mobiliser pour ne pas compromettre la mise en oeuvre des programmes européens déjà approuvés. Nous craignons en particulier un recyclage des fonds structurels alloués à la politique de cohésion. Ces crédits doivent être préservés. Nous sommes dubitatifs sur la crédibilité d'un effet de levier de 1 à 15 pour mobiliser 315 milliards d'euros auprès d'investisseurs privés à partir de 21 milliards d'euros de crédits publics. Il est par ailleurs dommage que le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) ne permette pas de financer des infrastructures au moyen de subventions, ce qui risque de restreindre le nombre de projets éligibles. Les parlements nationaux devront exercer un contrôle sur la mise en oeuvre du plan d'investissement. Le Sénat entend bien en effectuer un suivi, en particulier sur la place des collectivités territoriales.
Par ailleurs, la situation de la Grèce nous préoccupe. Il faut trouver un accord réaliste. Je rappelle que nos contribuables sont directement concernés - la caution de la France s'élevant à 42,8 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 20 milliards d'euros de réassurance, soit en tout environ 1 800 euros par contribuable - et que la contribution de l'Allemagne est encore supérieure. Certains engagements doivent être tenus. Comment voyez-vous les choses ? Quelles peuvent être les bases d'un accord ?
Enfin, un cessez-le-feu a été mis en place en Ukraine : la Chancelière allemande et le Président français ont joué un rôle actif pour parvenir à ce résultat. Mais nous en connaissons tous la fragilité. Que peut faire l'Union pour encourager un règlement durable ?
vice-président de la Commission européenne, chargé des relations institutionnelles, de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux. - Merci de votre accueil.
Pour moi, la relation entre les institutions européennes et les parlements nationaux est depuis longtemps très importante. J'ai été membre de la Convention européenne et ai lancé l'idée du « carton jaune » avec quelques collègues, alors qu'elle n'était pas très populaire à l'époque, notamment dans les institutions européennes.
J'ai vu les propositions de certains parlements nationaux à cet égard ainsi que la volonté de certains d'entre eux d'avoir un dialogue avec la Commission européenne pour améliorer le fonctionnement du « carton jaune ». Je suis ouvert à ce dialogue.
Mais j'ai constaté que ce qui est présenté comme un contrôle de subsidiarité devient parfois un contrôle de fond. Le but de cette procédure est de contrôler si l'Union européenne a une compétence dans le domaine proposé et si l'instrument choisi par la Commission est proportionnel à l'objectif que l'on veut atteindre. Or si le fond ne devrait pas faire l'objet du « carton jaune », on pourrait beaucoup gagner à développer le contrôle de la proportionnalité.
Quant au « carton vert », il ne signifie pas la même chose pour tous les parlements, ce qui nécessite de clarifier les choses. En outre, le traité impose des limites : seule la Commission européenne peut faire des propositions, même si, au titre de l'article 225, le Parlement européen peut lui faire des suggestions. Je vois à cet égard une possibilité politique, et non juridique, d'engager les parlements nationaux. Cela étant, seule une minorité d'entre eux s'intéressent à cette question. Il faut trouver un équilibre, sachant que pour vos deux assemblées, l'objectif est d'améliorer les décisions prises à l'échelle européenne, alors que pour certains parlementaires britanniques, il consiste à essayer de retirer des compétences aux institutions européennes au profit des États. Si je ne conteste pas la légitimité de cette dernière approche, il faut clarifier les intentions des uns et des autres. Nous sommes à votre disposition pour en débattre, mais ce n'est pas le rôle de la Commission de lancer un groupe de travail sur le rôle des parlements nationaux.
S'agissant de l'initiative citoyenne européenne, elle n'a pas en effet été pleinement utilisée. Si la réponse de la Commission a été de fait très formelle jusqu'à présent pour des raisons juridiques, elle aurait pu utiliser cet instrument pour engager un débat plus politique avec les signataires des initiatives. Je veillerai à ce que ce soit le cas à l'avenir. Et si on constatait que les contraintes juridiques étaient trop contraignantes, on pourrait réviser le règlement d'application.
Concernant l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) - à laquelle j'ai toujours été favorable afin de mieux protéger les citoyens européens -, la CJUE a eu une position très stricte, ce qui soulève de multiples difficultés, que je déplore, même s'il y a lieu de respecter cette position.
Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord pour améliorer le contrôle de l'État de droit dans les États membres. Le Conseil a décidé au mois de décembre, à l'initiative de quatre États membres, d'instaurer un débat plus politique en son sein. La Commission a des responsabilités bien précises dans ce domaine, fixées par le traité, que je prends très au sérieux. Je suis d'ailleurs en train d'analyser certaines situations dans plusieurs pays, touchant par exemple à la liberté de la presse ou à la position de certaines minorités. Il nous faut avoir un débat plus politique à cet égard, dans un contexte marqué par le développement de l'antisémitisme, de l'islamophobie, de l'homophobie, qui devraient pourtant être des problèmes du passé. Robert Badinter me disait par exemple ce matin qu'il n'aurait jamais imaginé entendre à nouveau les propos contre les juifs qu'il avait connus sous l'Occupation. L'Union européenne a pour tâche primordiale de combattre la haine contre autrui, dont l'antisémitisme est toujours une des premières illustrations.
Il faut donc renforcer l'effort européen en faveur de l'État de droit dans les États membres, ce qui suppose une action de leur part, mais aussi de répondre à des problèmes de société. On a constaté à cet égard une certaine paralysie des États car, lorsque M. Haider est entré dans le gouvernement autrichien, ils ont fortement réagi, avant de se rendre compte que ce n'était pas l'attitude la plus efficace. Il faut trouver des instruments juridiques et politiques pour améliorer cette situation.
Je prends bien note des priorités d'urgence sociale et environnementale. L'économie circulaire reste d'ailleurs une priorité de la Commission. On a retiré le paquet législatif, non pour des raisons de simplification, mais parce qu'il ne couvrait qu'une partie du sujet et qu'il pouvait être amélioré sur le fond. Nous vous ferons donc une proposition complète cette année, dès que possible.
Concernant le TTIP, j'ai bien noté la position de vos assemblées sur le mécanisme d'arbitrage. J'ai bien conscience des craintes en la matière et crois que nous pouvons avoir un accord sur un système qui vous convienne, mais cela n'est pas garanti. Je note que dans les accords bilatéraux, existe généralement un système d'arbitrage.
S'agissant de la Grèce, nous avons bien sûr besoin d'un compromis, mais, comme l'a dit Pierre Moscovici, il appartient à ce pays de faire une contre-proposition. J'espère qu'elle le fera et ai pleine confiance dans la volonté de l'Eurogroupe, Pierre Moscovici et Jean-Claude Juncker de trouver une solution acceptable par tous.
Quant à la situation en Ukraine, elle est très compliquée. J'ai beaucoup admiré l'action de François Hollande et Angela Merkel à cet égard, au nom de l'Europe et soutenue par tous les dirigeants européens, la Haute représentante, le président de la Commission et celui du Conseil européen. C'est une façon pragmatique et efficace de mettre en oeuvre une décision européenne et d'organiser la politique extérieure de l'Union. Mais l'Ukraine a besoin de réformes fondamentales, de combattre une corruption importante, de revoir son économie et le contrôle des oligarques. Je rappelle qu'il y a vingt-cinq ans, la Pologne était dans une situation économique pire que celle de l'Ukraine, alors que son PIB est quatre à cinq fois supérieur à celui de ce pays aujourd'hui. Et il est difficile d'entendre des dirigeants ukrainiens dire qu'ils n'ont pas le temps de faire des réformes en raison de la guerre sévissant à l'est du pays. Il faut aider l'Ukraine et la Russie à trouver un compromis dans la même direction que l'accord de Minsk, de même qu'il faut aider l'Ukraine, qui dispose d'atouts considérables, à devenir un État viable.
Par ailleurs, les marchés communs de l'énergie et du numérique sont des priorités pour la Commission. Nous avons beaucoup de possibilités pour créer des investissements dans ce domaine mais la Banque européenne d'investissement (BEI) nous dit que l'effet de levier que nous pensons pouvoir atteindre est défini de façon encore modeste. Nous mettrons le dispositif en place sous peu. Il y a beaucoup de fonds non utilisés qui pourraient être investis dans des projets d'infrastructures et produire des revenus intéressants à long terme.
Concernant la lutte contre le terrorisme, sur laquelle je me suis longuement entretenu aujourd'hui avec Bernard Cazeneuve, la Commission est à la disposition des États membres. Il n'est pas question de mettre en cause les compétences des uns et des autres : les Européens attendent de nous une action concertée européenne avec les États membres. Nous le ferons pour mieux faire fonctionner le système de Schengen, qui n'est pas le problème, mais une partie de la solution. On doit renforcer le contrôle des frontières extérieures, la possibilité de partager les données, de créer un espace où les services de renseignement puissent échanger davantage d'informations. La Commission peut y aider. On doit aussi mettre en place un système européen de PNR - d'enregistrement des données des passagers. Comme l'a dit Alain Lamassoure, on a le choix entre un système européen harmonisé - qui offre plus de garanties - et 28 systèmes nationaux ayant des modes de protection des données privées différents.
En ce qui concerne les actes délégués et d'exécution, ils constituaient la réponse du traité de Lisbonne aux défis de la comitologie. Je ne suis pas tout à fait sûr que le système actuel soit meilleur. J'agirai pour éviter l'abus de ce type d'actes, mais je dois faire face à des objectifs contraires de la part du Parlement européen et du Conseil. Il faut trouver un compromis à cet égard et, si les parlements nationaux veulent nous y aider, je leur en serai reconnaissant.
S'agissant du recyclage des fonds pour les politiques structurelles, je ne crois pas que vos craintes soient justifiées, mais je vous demande de me laisser le temps d'analyser ce point et vous ferai parvenir une réponse ultérieurement.
Une de vos attributions consiste à simplifier et alléger la production législative de l'Union européenne, problème auquel nous sommes tous sensibles. On est en effet confronté à des masses de textes souvent obscurs et tatillons qui conduisent les citoyens européens à se détourner de la construction européenne. Comment pensez-vous mener à bien cette tâche gigantesque ?
S'agissant de l'immigration, qui est d'abord de la responsabilité des États - lesquels ne sont pas à la hauteur en la matière -, ne peut-on espérer que la Commission prenne des initiatives, à la fois sur le traitement des réfugiés, leur répartition et l'avenir du système de Schengen ?
Si Schengen est peut-être la solution, elle n'est pas vraiment réglée pour l'instant. Les frontières ne sont pas étanches et, entre la Turquie et la Grèce, il y a de véritables problèmes qu'il faut régler de façon urgente. Compte tenu des événements dramatiques qui se sont produits en France ou au Danemark, il faut prendre des mesures concrètes. La Commission ne doit-elle pas faire des propositions pour augmenter substantiellement les crédits de Frontex, qui sont insuffisants ?
S'agissant du PNR, il faut aussi aller très vite. Or certains groupes du Parlement européen y semblent réticents et auraient saisi la Cour internationale de justice (CIJ). Comment ferez-vous dans ces conditions pour adopter cette mesure et combien de temps cela prendra-t-il ?
Concernant le plan Juncker d'investissement, nous avons, avec mon collègue Didier Marie, fait adopter une proposition de résolution et un avis politique. Quand on voit ce qui va vers les entreprises pour la recherche et le développement, dès l'instant où l'Union européenne considère que les PME et les entreprises de taille intermédiaire comportent moins de 3 000 salariés, on peut penser qu'on peut avoir une action à travers les banques ou les banques publiques d'investissement. Mais si nous voulons développer l'économie numérique au niveau européen, les porteurs de projet sont des collectivités locales : la Commission peut-elle prendre en compte leurs demandes à cet effet ?
Ma question porte sur l'économie circulaire. J'ai bien entendu votre ambition concernant cette formidable opportunité pour transformer notre vieux modèle linéaire très gaspilleur, hyperdépendant des ressources et qui ne crée plus vraiment de valeur sur notre continent.
Il est urgent d'en sortir et d'enclencher cette dynamique avec toutes les parties prenantes. On ne peut réussir à cet égard qu'en allant au-delà de simples objectifs sur les déchets. La ressource doit être placée au centre de notre modèle.
Les grands axes à retenir à cet effet sont de limiter le gaspillage et l'obsolescence programmée, donner la priorité à la préservation, soutenir l'écoconception et permettre que les achats publics intègrent des critères autres que le moins-disant économique, au profit d'objectifs sociaux et environnementaux. En outre, le statut du déchet ne permet pas aujourd'hui de créer de la valeur.
Par ailleurs, comment avoir une TVA qui fasse la différence entre les produits, pour favoriser ceux intégrant des éléments recyclés, ayant une durée de vie plus longue ou réutilisés en seconde main, au lieu d'encourager une économie du jeté et du linéaire qui nous conduit à l'échec ?
Est-il si nécessaire que l'Union européenne adhère à la CEDH alors que les États membres ont signé cette convention ?
La semaine dernière, nos collègues Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière nous ont présenté une proposition de résolution concernant les politiques européennes de lutte contre l'immigration irrégulière. Or les tragédies qui viennent de se produire, notamment en Méditerranée, nous démontrent malheureusement que l'action conduite au niveau européen n'est pas suffisante. Ces drames nous rappellent que les pays de transit ne doivent pas être seuls à agir et que le niveau européen semble être le plus adéquat pour assurer la surveillance aux frontières extérieures de l'Union. On a parlé notamment du plan « Mare nostrum » mis en place par l'Italie : il s'agit d'un problème européen, qu'il serait urgent de régler. Quel est votre avis à ce sujet ?
Par ailleurs, le 21 janvier dernier, le collège des commissaires a débattu sur le thème : comment renforcer la sécurité et prévenir le terrorisme ? Vous avez d'ailleurs estimé indispensable que la Commission continue d'identifier les faiblesses ou les failles qui existent dans l'application et l'utilisation des outils de coopération actuels et qu'elle évalue s'il convient de mettre en place des mesures ou des mécanismes complémentaires. Pensez-vous que la mise en commun d'informations précises et actualisées sur les menaces terroristes en encourageant une plus grande confiance entre les États membres, afin de favoriser ce partage de renseignements entre eux et les agences de l'Union - Europol, Eurojust et Frontex -, pourrait être une piste de réflexion à développer ?
Enfin, un récent arrêt de la CJUE a invalidé la directive sur la conservation des données. Il apparaît indispensable de retravailler ce texte avec une approche plus prudente et solide compte tenu du risque d'éventuelles restrictions des libertés et de la prise en compte des médias sociaux. La Commission va-t-elle entreprendre ce travail ?
S'il est un enjeu principal, c'est de donner aux Européens le sentiment que le fonctionnement de l'Union européenne est démocratique, ce qui implique qu'il soit lisible et contrôlé par les citoyens. Comment renforcer ce sentiment, notamment dans la zone euro ?
Deuxièmement, n'est-il pas temps d'harmoniser les fiscalités pour éviter que ce domaine ne soit régi par autant de conventions fiscales entre les États membres ?
Troisièmement, concernant l'asile, ne faut-il pas reformuler les principes de Dublin pour que les pays aux frontières de l'Union n'aient la responsabilité de l'ensemble de la charge - ce qui n'est pas possible et provoque des drames ?
Enfin, je crois aussi que Schengen est plus la solution que le problème. Mais pouvons-nous arriver rapidement à un processus commun de contrôle de l'espace correspondant et d'identification des entrées et des sorties ? Acceptera-t-on l'usage de la biométrie à cette fin ?
Pensez-vous qu'un jour l'Union européenne deviendra un État ? Sa gouvernance n'en serait-elle pas facilitée ?
Quel est votre avis au sujet de la sécurité sanitaire européenne, dont on ne parle pas assez et qui fait l'objet de positions contradictoires de l'Union ?
Compte tenu de l'urgence s'agissant du PNR, y a-t-il une procédure de contournement par le biais du Conseil permettant de trouver une mesure exceptionnelle pour le mettre en place ?
Par ailleurs, peut-on, au-delà de la protection de la frontière de l'espace Schengen, se donner les moyens d'une politique de défense européenne ?
La simplification de la législation européenne est difficile car elle suppose un changement de culture de l'organisation. La logique, à la Commission comme au Parlement européen, est : « je légifère, donc j'existe ». Nous savons tous, en tant que responsables politiques, qu'il y a toujours une tentation de légiférer quand se pose un problème. Or on doit sortir de cette logique et revoir ce qu'on a pu faire par le passé. D'autant qu'on est confronté à une surtransposition des règlements européens, qui est un fait en France et nuit aux PME, lesquelles n'ont pas les moyens d'influence et juridiques des grandes sociétés. Nous avons au contraire le devoir de rallier à nous ces PME, ce qui suppose également un changement de culture.
Il y a aussi une tendance, à la Commission et au Parlement européen, d'accepter les propositions d'autrui sous réserve qu'il accepte les nôtres, ce qui conduit à de nombreux projets, sans qu'on examine vraiment s'ils correspondent tous à ce dont la société a besoin. On a fait cet effort de simplification avec le programme de travail de la Commission, dont on a retiré 80 propositions - dont 50 n'intéressaient personne. Cet exercice doit être refait sans cesse avec les parlements nationaux et les PME, qui étaient massivement pour la construction européenne il y a dix ans, alors qu'elles ne semblent plus s'y intéresser. Si on réussit à créer une situation plus avantageuse pour elles, elles pourraient réaliser un chiffre d'affaires plus important et embaucher davantage, 80 % des salariés de l'Union européenne travaillant en leur sein. C'est le noyau dur de mon travail.
Concernant l'immigration, l'action à entreprendre est complexe : les États membres doivent agir prioritairement, la Commission devant les aider à trouver un consensus et à améliorer le système de Schengen, sachant qu'il faut aussi se poser la question de savoir pourquoi des gens qui sont nés dans nos pays se tournent contre nous et s'engagent dans une idéologie nihiliste et une action meurtrière. Y répondre passe par de nombreux autres facteurs que Schengen, tels que l'éducation, le rôle des médias ou les valeurs républicaines. Cela dit, il nous faut un système permettant d'identifier les vrais réfugiés politiques, sachant qu'il y a un réseau de criminels cyniques qui, pour 4 500 euros, envoient dans des bateaux de pauvres gens à la mort. Il convient d'aller aussi à la source des problèmes en trouvant des solutions aux conflits régionaux. De même, nous devons agir ensemble en matière de politique étrangère et de défense et mettre tous les moyens à la disposition de la justice pour trouver ces criminels.
Reste que maintenant, le système ne fonctionne plus : l'Allemagne a eu 200 000 réfugiés l'an dernier. Et, au regard de la population, le quota le plus important de réfugiés est en Suède, non en Italie ! Il y a donc un problème européen, pour lequel il ne peut y avoir de solutions uniquement nationales. Il y a d'ailleurs une prise de conscience à cet égard dans tous les États membres. Ce débat doit être mené au sein du Conseil et la Commission sera à la disposition des États membres pour les aider en cas de besoin.
S'agissant de la sécurité, le danger vient autant de l'intérieur que de l'extérieur de nos sociétés. Les terroristes se tournent contre le fondement de notre liberté, qui est la liberté d'expression, héritière directe de la Révolution française, avec comme première cible la communauté juive. C'est un défi pour les valeurs européennes elles-mêmes, qui appelle une réponse européenne.
Quant aux crédits de Frontex, leur montant ne constituerait pas un problème - sachant qu'on a toujours été capable de les augmenter en cas de besoin. Je vérifierai ce point. En tout cas, Frontex pourrait faire davantage et constitue une partie de la réponse au défi, en aidant par exemple les Italiens à poursuivre ou à améliorer le dispositif Triton.
Concernant le PNR, le Parlement européen a adopté une résolution qui devrait nous donner la possibilité de prendre une décision assez rapide, sous réserve de préciser la période pendant laquelle on retiendrait les données, les personnes auxquelles les règles seraient applicables et la façon dont serait pris en compte l'arrêt de la Cour sur la conservation des données. Mais il faut avoir l'accord du Parlement européen - qui s'est avéré plus coopératif la semaine dernière qu'auparavant.
À cet égard, j'ai toujours été frappé par la contradiction qu'il peut y avoir parfois entre les positions des parlementaires nationaux et celles des députés européens, pourtant élus par les mêmes citoyens, et le manque de dialogue entre eux.
Nous avons un problème de fond sur le fonctionnement de l'économie numérique. Certains disent par exemple qu'Uber est une bonne idée, mais je ne sais si c'est tout à fait vrai et si cela nous apportera des bénéfices. Nous devons analyser toute une série de questions, dont la place des collectivités locales. Le vice-président Ansip s'y attelle et le vice-président Katainen réfléchit au potentiel du numérique dans le cadre du plan Juncker.
Monsieur Lambert, je ne peux vous répondre aujourd'hui sur la modification du régime de la TVA. Mais il est vrai qu'on ne peut se limiter à la question des déchets. Nous devons réécrire notre projet sur l'économie circulaire. On voulait, par exemple, dans la proposition qui avait été présentée, forcer les États membres à diminuer rapidement les déchets, mais sans exclure la possibilité de les brûler, ce qui était contre-productif.
En matière fiscale, on a assisté à un véritable dumping. La position de la Commission est claire : elle veut que les entreprises paient leurs impôts là où elles font des bénéfices.
S'agissant de la CEDH, l'Union européenne a intérêt à y adhérer, car cela obligerait directement les institutions européennes à respecter ce texte.
Pour le reste, je suis convaincu que l'Union européenne ne deviendra jamais un État. Ce n'est pas dans le sens de l'histoire. Mais nous sommes confrontés à l'énorme défi de créer une politique vraiment européenne en matière de relations extérieures, de défense, de lutte contre le terrorisme, d'environnement ou d'union énergétique.