Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen

Réunion du 14 février 2017 à 14h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition du contre-amiral Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'état-major opérations aéronavales, et du commissaire en chef Thierry de La Burgade, de l'État-major de la Marine.

Le 26 janvier dernier, nous avons auditionné le contre-amiral Patrick Augier, secrétaire général adjoint de la mer.

La lutte contre l'immigration illégale par voie maritime est en effet devenue l'une des priorités de l'action de l'État en mer et cette activité, conduite sous l'égide de Frontex, est assurée par le secrétariat général de la mer.

Comment le domaine fonctionnel spécialisé dans les opérations aéronavales, que vous dirigez à l'état-major de la Marine, et qui est l'autorité de coordination de la fonction garde-côtes, se complète-t-il avec le SGMer ? Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent vos missions au titre des opérations maritimes de Frontex ? Quelles sont les difficultés, également juridiques, auxquelles la Marine doit faire face dans le cadre de ces opérations ? La Marine a-t-elle accès aux bases de données Schengen ? Avez-vous participé à la récente évaluation Schengen de la France et quelles sont ses principales conclusions ?

Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel, en abordant plus spécifiquement les limites maritimes et leur contrôle. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête MM. Bernard-Antoine Morio de l'Isle et Thierry de La Burgade prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'État-major Opérations aéronavales

Merci de me donner l'occasion de rappeler le rôle de la Marine nationale dans ses fonctions si nécessaires de protection de l'espace européen.

Nous sommes engagés face à deux grandes menaces : l'immigration clandestine, d'une part, le trafic de drogue, d'autre part.

Contre l'immigration clandestine, notre action se déploie sur trois zones de Frontex : la zone Triton, en Méditerranée centrale, où nous engageons des patrouilleurs de haute mer ; la zone Indalo, où nous engageons surtout des remorqueurs de haute mer ; enfin la zone Hera, où nous intervenons avec des Falcon 50 basés à Dakar. Nous intervenons également dans la Manche, où des passages se font sur des voiliers ou des embarcations de fortune, avec leur lot de naufragés.

Une incise sur notre action contre les pêches illégales outremer. Nous assurons une présence permanente en Guyane où la pêche illégale est fréquente ; dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), notre présence est également nécessaire contre la résurgence de pêches illégales que notre action a fait reculer, mais pas disparaître ; enfin, nous luttons, en Nouvelle-Calédonie, contre les blue boats depuis quelques mois, ces flottilles vietnamiennes qui pêchent la holothurie, ou « concombre de mer », laquelle est nécessaire à la vie de certains coraux ; cette semaine encore, nous avons intercepté des navires vietnamiens.

Contre le trafic de drogue, nous travaillons en coordination avec le centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N), basé à Lisbonne. L'essentiel de nos efforts se situent aux Antilles, d'où la drogue est réexpédiée, mais nous intervenons aussi dans le Pacifique, autour de la Polynésie française où nous avons récemment conduit une prise de quelque 1,4 million de tonnes de cocaïne.

Quel rôle et quels moyens de la Marine nationale dans cet ensemble d'actions ? Nous adoptons, conformément au Livre Blanc de 2013, une posture permanente de sauvegarde maritime ; 59 sémaphores, 33 bâtiments et 14 aéronefs sont engagés dans des missions d'alerte et de surveillance, ce qui représente quelque 1 830 personnels en métropole et 300 outre-mer, sous la coordination du préfet maritime.

L'année 2016 a été marquée par notre engagement dans l'opération Sophia, pour laquelle nous avons mobilisé cinq patrouilleurs de haute mer, deux frégates de type Lafayette - pour 160 jours de mer - et 130 heures de vol de nos Falcon 50, pour un coût total de 6 millions d'euros. Cet engagement est à comparer à notre mobilisation dans Frontex : 14 jours de patrouilleur de haute mer et 24 heures de vol de nos Falcon 50.

Depuis le début de cette année, nous sommes fortement engagés dans Frontex, nous avons participé à une mission d'un mois, avec trois opérations où nous avons sauvé 283 naufragés. Nous poursuivrons notre engagement dans Sophia jusqu'au terme du mandat actuel.

Debut de section - Permalien
Thierry de La Burgade, commissaire à l'État-major de la Marine

La Marine nationale est engagée dans trois types d'opérations concomitantes : celles de Frontex, celles qui relèvent de la politique européenne de sécurité et de défense commune, au premier chef Sophia, enfin les opérations qui relèvent de l'OTAN, en particulier la mission de renseignement que nous menons en mer Égée.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Sur les 170 agents que la France s'est engagée à affecter au corps européen des garde-frontières et garde-côtes, il nous est indiqué que 25 proviendraient de la Marine nationale : est-ce exact ?

Quelles sont vos relations de travail en matière d'information avec vos différents partenaires, en particulier les organisations comme Europol ? On parle de plus en plus d'interopérabilité, comment y participez-vous ? Quel partage d'information ?

Enfin, on nous a signalé qu'il y aurait des décalages, parfois, dans les délimitations maritimes selon la Marine nationale et la police aux frontières, ou bien encore que les échanges d'informations ne seraient pas à l'optimum entre elles : qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'État-major Opérations aéronavales

Une réunion interministérielle, le 29 septembre 2016, a fixé la clé de répartition des 170 agents que la France mobilise dans le nouveau corps de garde-frontières et garde-côtes : 125 pour le ministère de l'Intérieur, 20 pour les Douanes et 25 pour la Marine nationale. Cependant, il ne s'agit pas de détacher des personnels ad hoc, mais bien de mobiliser nos ressources dans les missions désignées ; concrètement, les missions que nous réalisons, par exemple avec nos Falcon 50, représenteront l'équivalent des 25 personnels dont la mobilisation nous échoit.

Debut de section - Permalien
Thierry de La Burgade, commissaire à l'État-major de la Marine

Les échanges d'informations avec nos partenaires se font à travers un système d'information spécifique développé par la DGA, Spationav version 2. Ce système de surveillance en temps réel des approches maritimes donne une image tactique de la situation maritime, en regroupant les informations recueillies par des capteurs disposés le long des côtes - ceci à destination du préfet maritime et des centres opérationnels de la marine. Ces centres opérationnels ont eux-mêmes une cellule de coordination de l'information maritime en leur sein, à vocation interministérielle, qui est chargée d'agréger et d'interpréter les nombreuses informations et signaux qui remontent jusqu'aux centres, dont elles informent le préfet maritime - lequel décide d'engager des moyens.

Au sein de Frontex, nous participons aux échanges d'informations qui alimentent Eurosur sur les flux migratoires et nous échangeons des informations dans le cadre de nos relations bilatérales avec nos voisins - belges, britanniques, espagnols et italiens. La Marine n'étant pas une force répressive, elle n'a pas vocation à être dans Europol. En revanche, un démembrement de la Marine nationale, la gendarmerie maritime, représentant quelque 1 100 équivalents temps plein, entretient des liens directs avec Europol sur les affaires judiciaires de son ressort.

Le système d'information Schengen est destiné au contrôle des personnes à terre plutôt qu'en mer, où les personnes que nous secourons sont des naufragés - je rappelle qu'en mer, il n'y a nulle obligation de décliner son identité ni de se déclarer tant qu'on effectue un transit inoffensif, et que ce n'est qu'une fois le pied posé à terre que le naufragé devient un migrant.

Debut de section - Permalien
Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'État-major Opérations aéronavales

Le rapport d'information des députés Alain Marleix et Jean-David Ciot sur le rôle de la Marine nationale en Méditerranée est élogieux pour nos forces. Si l'on recherche un critère d'évaluation, la proportion de morts dans la traversée de la Méditerranée indique que notre action est efficace : nous déplorons bien sûr qu'il y ait eu cinq mille décès l'an passé, mais ils représentent 1,4 % de l'ensemble des traversées clandestines. Quant à l'opération Sophia, nous ne saurions disposer de chiffres précis, mais nous savons que l'efficacité est directement fonction de la qualité du renseignement, c'est ce que nous recherchons.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

La Marine nationale coordonnant l'action de l'État en mer, avez-vous constaté des dysfonctionnements ou incidents entre les différents acteurs qui y participent ? Y a-t-il des cas où vous deviez arbitrer entre différentes priorités d'intervention en mer, faute de moyens ?

Debut de section - Permalien
Thierry de La Burgade, commissaire à l'État-major de la Marine

La Marine nationale ne coordonne pas l'action de l'État en mer, c'est l'affaire du préfet maritime et du secrétariat général de la mer.

Juridiquement, c'est l'agence Frontex qui sollicite la participation des États membres aux opérations qu'elle décide. Concrètement, une sorte de « bourse de moyens » se tient deux fois par an à Varsovie, où les États membres annoncent les moyens qu'ils mettent à disposition de l'agence. Ensuite, chaque opération est déléguée à un État hôte qui la coordonne en tout point. En zone Indalo, par exemple, les opérations sont coordonnées par l'Espagne qui a signé des accords avec le Maroc et l'Algérie. Lorsque nous engageons des moyens, l'Espagne nous assigne une zone de patrouille, nous mettons en place notre dispositif de surveillance et c'est l'Espagne, sur la base des informations que, parmi d'autres, nous lui communiquons sur cette zone qui décide des suites, conformément au droit international, aux accords avec ses voisins du Sud et à l'opportunité. L'opération Triton, elle, est coordonnée par l'Italie et, concrètement, le centre italien de coordination de sauvetage maritime est informé des embarcations en détresse - et ce sont les Italiens qui, selon les conditions météorologiques, le type d'embarcation, la détresse, décide de l'intervention pour conduire les naufragés vers le port de déroutement, généralement italien. Un véritable trafic existe au large de la Libye, avec une méthode éprouvée consistant à envoyer des embarcations de misère au large des côtes, pour appeler aussitôt les secours européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

À Bruxelles, le système européen de surveillance des frontières Eurosur et les programmes de l'agence Frontex nous ont été présentés, en particulier les équipes d'intervention rapide Rabit (Rapid Border Intervention Teams), qui peuvent intervenir dans un délai très court en cas de crise aiguë : y avez-vous recours ? La Marine nationale, ensuite, a-t-elle accès aux images satellites produites par les différentes agences, en particulier dans les situations d'urgence, ou bien devez-vous toujours en passer par le préfet maritime ?

Debut de section - Permalien
Thierry de La Burgade, commissaire à l'État-major de la Marine

Le dispositif Rabit a une vocation terrestre beaucoup plus que maritime, il n'a pas été déployé en mer - on peut imaginer que Frontex y recoure dans un cas exceptionnel, par exemple si un flux tout à fait inhabituel de personnes était constaté entre l'Albanie et l'Italie.

Les images satellitaires passent par la préfecture maritime et le centre maritime, où toutes les données utiles sont traitées, y compris celles qui sont transmises par les navires privés et commerciaux quand ils signalent des situations anormales.

Debut de section - Permalien
Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'État-major Opérations aéronavales

Il est très important de disposer de toutes les informations utiles, ce qui est hors de portée des navires seuls. C'est bien pourquoi le contrôleur opérationnel, dans les centres opérationnels de la marine, joue un rôle crucial : c'est lui qui agrège les informations et qui les interprète, avant de nous les communiquer.

Face aux opérations de sauvetage, en particulier au large des côtes libyennes, le vrai problème est juridique : c'est parce qu'il nous est interdit d'intervenir dans les douze mille nautiques des eaux territoriales libyennes qu'un tel trafic se développe, que les passeurs peuvent tranquillement conduire leurs victimes au seuil des eaux territoriales dans des embarcations de fortune. Nous n'attrapons quasiment pas les passeurs : notre intervention n'a pas d'incidence militaire ou policière, elle est seulement humanitaire.

Debut de section - Permalien
Thierry de La Burgade, commissaire à l'État-major de la Marine

On peut comparer la situation de Mayotte, où nous faisons face à un flux d'une dizaine de milliers de migrants par an, dans une situation juridique tout à fait différente qu'en Méditerranée. À Mayotte, nous attrapons des passeurs, nous faisons des reconduites à la frontière, dans le respect du droit international - avec des moyens juridiques d'intervenir, notre action a une incidence directe, tangible.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Vous nous dites là que le problème est moins technique que juridique et politique ? Qu'il tient au mandat que le pouvoir politique vous confie ?

Debut de section - Permalien
Thierry de La Burgade, commissaire à l'État-major de la Marine

C'est cela. Il faut voir aussi qu'en 2013, l'opération italienne Mare Sicuro, en mettant des moyens permanents de sauvetage au large des côtes libyennes, a créé une sorte d'appel d'air - les chiffres le démontrent, on est passé d'environ cent mille, à plusieurs centaines de milliers de migrants par an.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Confirmez-vous que l'enjeu numérique est aujourd'hui de ce côté-ci plutôt que dans la mer Égée ?

Debut de section - Permalien
Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'État-major Opérations aéronavales

C'est certain, les flux sont désormais beaucoup plus importants entre la Libye et l'Italie qu'en mer Égée. L'origine géographique des migrants aussi a changé : on trouvait avant une majorité de Syriens, d'Irakiens et d'Afghans ; on trouve désormais davantage de Nigériens et d'Erythréens.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Il faut sauver les naufragés, mais comment intégrez-vous la menace terroriste, avez-vous en particulier des moyens pour identifier les personnes que vous embarquez ou accompagnez à bon port ?

Debut de section - Permalien
Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'État-major Opérations aéronavales

Nous faisons un premier contrôle, déclaratif, à bord, puis les contrôles ont lieu à terre.

Debut de section - Permalien
Thierry de La Burgade, commissaire à l'État-major de la Marine

Nous n'avons pas de moyens biométriques à bord, le contrôle y est seulement déclaratif. Cependant, nous sommes en lien avec les services de renseignement.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Il faut faire la différence entre les migrants et les naufragés que vous recueillez, auxquels nous avons le devoir de porter assistance. Vous parlez de 5 000 morts en Méditerranée l'an passé : d'où tenez-vous ce chiffre, dont plus d'une association et plus d'un expert disent qu'il est sous-évalué ? D'une manière générale, considérez-vous disposer de suffisamment de moyens techniques et en personnel face au nombre de naufragés en Méditerranée ?

Debut de section - Permalien
Bernard-Antoine Morio de l'Isle, sous-chef d'État-major Opérations aéronavales

Les responsables de l'agence Frontex seraient mieux à même de vous répondre sur les moyens d'ensemble ; nous ne maîtrisons qu'une partie des données. Sur le nombre de décès en mer, c'est une estimation, mais je crois qu'elle est proche de la réalité : lorsqu'une embarcation approche des côtes, nous la survolons et faisons une estimation assez précise de ses capacités. Je crois ce chiffre fiable.