Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi, à la demande du Gouvernement, Mme Marie-Caroline Bonnet-Galzy, dont la nomination est proposée pour la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale de santé publique (ANSP) à la suite du départ de M. Lionel Collet, appelé à exercer d'autres fonctions non moins éminentes. Je rappelle que l'article L. 1451-1 du code de la santé publique prévoit l'audition préalable par les commissions concernées, avant leur nomination ou leur reconduction, des présidents ou directeurs d'une dizaine d'agences sanitaires.
L'ANSP, plus communément désignée sous l'appellation « Santé publique France », a été officiellement créée le 1er mai 2016, en application de la loi de modernisation de notre système de santé. Elle résulte du regroupement de l'Institut de veille sanitaire (InVs), de l'Institut national pour la prévention et l'éducation à la santé (Inpes) et de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). Elle est ainsi investie d'une triple mission de surveillance, de prévention et d'alerte et de réponse aux urgences sanitaires, selon des modalités qui doivent lui permettre de bénéficier d'une plus grande efficience et d'une meilleure visibilité nationale et internationale.
Notre commission a, dès l'origine, accueilli très favorablement cette simplification du paysage des opérateurs sanitaires de l'État. Mais nous avons parallèlement souhaité être vigilants quant aux conditions du regroupement, s'agissant à la fois du maintien des moyens alloués à la nouvelle agence et de la conservation de sa capacité de réaction dans le domaine particulièrement sensible des réponses aux alertes sanitaires. Je vais sans plus attendre vous passer la parole afin que vous puissiez présenter votre parcours et les compétences que vous pensez pouvoir mettre au service de l'agence. Peut-être pourrez-vous également nous présenter votre conception de la fonction de président du conseil d'administration et aborder quelques-uns des enjeux auxquels doit faire face l'ANSP.
À l'heure où le Gouvernement entend faire de la prévention la première priorité de la politique de santé, quelles orientations stratégiques assigner à l'ANSP pour les prochaines années ? Comment éviter que les ressources mobilisées pour traiter les urgences sanitaires ne prennent le pas sur les autres missions de promotion de la santé ? Plus largement, quels types de relations l'ANSP doit-elle établir avec son ministère de tutelle et avec les autres agences sanitaires ? Telles sont quelques questions que nous nous posons. Je vous laisse la parole.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très honorée de me présenter à vous, dans le cadre de la proposition qui vous est faite de me nommer présidente de l'Agence nationale de santé publique. Après m'être présentée plus avant, à travers mon parcours et mes convictions forgées par mes différentes expériences dans l'administration de la santé et des territoires, je reviendrai sur le rôle de Santé publique France et sur celui que je serais appelée à jouer comme présidente non exécutive de cette structure nouvelle et déterminante dans le paysage de la santé.
A la différence de mon prédécesseur, le professeur Lionel Collet, aujourd'hui conseiller auprès de la ministre des solidarités et de la santé et dont l'implication a permis de lancer les fondements de Santé publique France depuis 2014, je ne suis pas médecin. J'ai choisi de rejoindre le service public après une formation de gestion et de management.
Mon parcours compte plus de vingt années d'expérience dans les ministères sociaux. J'ai choisi l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) à la sortie de l'Ena, puis j'ai rejoint l'AP-HP de 1990 et 1994. Directrice de cabinet du directeur général, j'y ai connu le développement du Sida, les enjeux de l'amiante, le sang contaminé, l'évolution profonde de la prise en charge pédiatrique, ainsi que les premières préhensions, par les médecins sentinelles, de la bronchiolite par le Minitel. J'ai été chef de l'Igas de 2000 à 2006, à un moment où se posait la question de l'évolution des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) et de l'élargissement de leurs missions aux soins de proximité. C'est aussi une période au cours de laquelle ont été développées les conventions d'objectifs et de performance, désormais systématisés ; l'Igas établissait le diagnostic préalable à leur conclusion. Enfin, j'étais également chef de l'Igas lorsqu'est survenue la canicule, qui fut pour nous riche d'enseignements. Se prémunir contre de tels risques est l'un des enjeux auxquels une organisation comme Santé publique France se doit de répondre. De 2006 à 2008, j'ai été secrétaire générale des ministères sociaux, avec une mission d'animation générale et de transversalité où j'ai appréhendé de nombreux enjeux, dans les domaines du travail et de l'emploi, avec le pilotage des inspections régionales, de la santé, avec la transformation des ARH en ARS, ou encore de la cohésion sociale. Durant cette période la propagation du virus H1N1 a motivé le démarrage de l'Eprus, l'achat de stocks de vaccins et l'organisation de la réserve sanitaire.
Par la suite, j'ai été en poste pendant cinq ans à la communauté urbaine de Lille puis j'ai été nommée commissaire générale à l'égalité des territoires. J'y ai constaté l'importance de l'inter-ministérialité et de la coordination des acteurs. Pour désenclaver et développer autant un territoire qu'un quartier considéré comme prioritaire, les fonctions de l'Etat - dans les domaines de la justice, de la police et de l'éducation - doivent être coordonnées avec les relais locaux, pour assurer la réussite des politiques de transports, de santé, d'accompagnement social et d'aménagement territorial. De tels enjeux se retrouvent à Santé publique France, puisque les impacts territoriaux doivent être attentivement scrutés, pour répondre aux attentes concrètes des populations qu'on ne saurait réduire à un simple échantillon statistique. Enfin, depuis 2016, je suis au Conseil d'Etat, où j'interviens en qualité de conseiller en service extraordinaire, comme conseil du Gouvernement dans la production des textes relevant de la section sociale.
Je reviendrai sur mes trois principales convictions, forgées au gré de mon expérience professionnelle et qui me portent à briguer la présidence de Santé publique France. Il est, pour moi, essentiel d'adapter et d'anticiper dans une société qui évolue très vite. J'ai choisi de rejoindre l'administration d'Etat dont les responsabilités sont déterminantes non seulement en termes d'intérêt général et de solidarité, mais aussi de régulation du marché et des acteurs économiques. Santé publique France est en charge de l'épidémiologie et de la veille sanitaire, afin de prévenir avant de guérir, de « passer du parcours de soins au parcours de santé » selon les termes de la ministre, et de mieux anticiper l'état de santé général de nos concitoyens. Ma seconde conviction concerne la mobilité professionnelle qui ouvre les points de vue et les coopérations. Il est ainsi très important de croiser des angles de vue différents et la diversité de mon parcours au sein des trois fonctions publiques est une grande chance à cet égard. Ainsi, la coordination et la coopération des acteurs, au niveau central et au niveau régional - qu'il s'agisse de l'Etat, des établissements publics, des collectivités locales, des associations et des acteurs économiques - représentent, à mes yeux, un enjeu majeur. Enfin, ma troisième conviction concerne les attentes de nos concitoyens pour lesquels les conditions de mise en oeuvre de nos politiques sur le terrain sont essentielles. La manière dont les choses sont perçues, comprises et appropriées détermine, en définitive, les résultats de l'action publique. Une telle réalité avive les enjeux de la promotion de la santé, de la communication, de la prévention, des liens avec la société civile vis-à-vis de laquelle Santé publique France entend faire évoluer ses relations.
À l'issue de vingt mois de préfiguration, sous la responsabilité du docteur François Bourdillon, aujourd'hui directeur général, Santé publique France est désormais dotée de l'ensemble des textes législatifs et réglementaires lui permettant d'exercer une mission concentrée sur l'état de santé de la population, le suivi des soins, des produits et des pratiques relevant d'autres agences.
Les six missions de Santé publique France sont précisées par l'article L.1413-1 du code de la santé publique : l'observation épidémiologique et la surveillance de l'état de santé des populations ; la veille sur les risques sanitaires menaçant les populations ; la promotion de la santé et la réduction des risques pour la santé ; le développement de la prévention et de l'éducation pour la santé ; la préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ; enfin, le lancement de l'alerte sanitaire. A travers ces six missions, le choix a été fait d'une continuité entre la promotion et la prévention de la santé, la veille, la surveillance et l'alerte, jusqu'à l'intervention effective.
Trois agences et un groupement d'intérêt public (GIP) ont ainsi été fusionnés : l'Institut national de veille sanitaire (INVS), qui existait depuis 1998 et constitue, pour ainsi dire, l'épine dorsale de Santé publique France, l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes), créée en 2002, l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), institué en 2007, ainsi que le GIP « addiction-drogue- alcool-info-service » (Adalis). Au total, Santé publique France représente quelque six cents équivalents temps plein, dont une petite centaine exerce au sein des cellules d'intervention en région (Cire), autrefois dépendantes de l'INVS et dont les effectifs étaient, pour moitié, fournis respectivement par l'INVS et les ARS. Celles-ci accueillent quinze Cire, dont trois outre-mer, qui constituent ainsi d'une sorte d'échelon régional en matière de veille épidémiologique.
Santé Publique France s'appuie également sur d'autres partenaires, comme les quarante-quatre centres nationaux de référence, généralement localisés dans les centres hospitalo-universitaires et qui sont spécialisés dans les pathologies, comme la lutte contre les maladies transmissibles, ainsi que le réseau national de santé publique qui transmet les données nécessaires sur l'ensemble du territoire national.
Comme je l'ai indiqué, j'ai eu à jouer un rôle de facilitateur indirect de ces trois établissements dans mes précédentes fonctions. J'ai ainsi pu mesurer combien il était important, pour la direction générale de la santé, d'animer ces agences, de s'assurer de leur coopération, d'éviter les redondances et ainsi de bien répondre à des questions telles que les achats de stocks ou l'organisation d'une réserve sanitaire susceptible de mobiliser jusqu'à deux mille personnes provenant en partie d'autres secteurs que celui de la santé. J'ai également pu constater que les ARS pilotaient un dispositif de vigilance et qu'à ce titre, leurs relations avec Santé Publique France étaient essentielles.
Le comité d'animation du système d'agences, institué par la loi, vient de voir son organisation et son fonctionnement précisés par décret. Placé auprès du directeur général de la santé, il répond à la nécessité de coordination des différentes actions et d'une plus grande mutualisation des moyens des agences.
Enfin, le nouveau système national des données de santé (SNDS) doit rendre accessibles les données, en garantissant l'anonymat tout en assurant, dans certains cas, une relative traçabilité, pour améliorer les capacités d'analyse, de recherche et d'innovation dans tous ces domaines. Santé publique France y contribuera avec ses propres données.
Ma nomination à l'agence intervient alors que toutes ces bases viennent d'être posées. L'ensemble de la structure a déménagé en février 2017 à l'est de Paris, à Saint-Maurice, où se trouvait l'INVS, l'emménagement définitif dans les nouveaux bâtiments étant prévu pour janvier 2019. J'arrive donc comme présidente non exécutive au sein d'une équipe très impliquée et qui a bénéficié d'une certaine continuité, avec le docteur François Bourdillon qui assurait les fonctions de directeur général de l'INVS et de l'Inpes et le professeur Lionel Collet qui présidait également l'Eprus. Je serai appelée à présider un conseil d'administration composé de trente-trois membres où l'Etat, avec neuf membres, détient toujours la majorité des voix, ce qui doit me conduire à veiller à ce que les autres membres trouvent leur intérêt dans les travaux conduits par le conseil. En outre, le conseil d'administration peut se réunir en formation restreinte, lorsque sont abordés des questions obéissant à des exigences de confidentialité spécifiques, par exemple en matière de défense.
Ma seconde responsabilité consistera à assurer l'unité de cette nouvelle structure et d'y porter la ligne stratégique du Gouvernement. Celle-ci repose sur la stratégie nationale de santé, en cours d'élaboration. Elle a d'ores et déjà mis en exergue des sujets incombant à Santé publique France : la prévention et la promotion de la santé, la résorption des inégalités sociales et territoriales ainsi que la place des citoyens dans la prise en charge de leur santé. Cette stratégie est élaborée pour cinq ans. Par ailleurs, le conseil d'administration examinera demain 22 novembre la convention d'objectifs et de performance qui se décline sur une même période. Il revient aussi à la présidence non exécutive de l'agence d'appuyer le directeur général et son équipe, de relayer leurs préoccupations auprès des tutelles, particulièrement dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons. Des liens sont à organiser avec le conseil scientifique et le comité d'orientation, comme en matière de dialogue avec la société, ainsi qu'avec le comité d'éthique et de déontologie. Enfin, tout marché, à partir d'un certain seuil, est examiné par le conseil d'administration.
Pour répondre à vos questions, monsieur le président, mes priorités vont se décliner en lien avec la stratégie nationale de santé et reprennent les grandes missions de Santé publique France, à travers six axes.
Premièrement, l'optimisation de la surveillance et la veille, par une approche combinée entre l'impact des facteurs de risque et les conséquences épidémiologiques des poly-expositions, mais aussi par une attention particulière sur les populations en situation précaire, comme les chômeurs et les titulaires de minima sociaux, ou encore les populations immigrées. Il nous faut également travailler sur les antibiorésistances, ainsi que sur l'obésité infantile.
Deuxièmement, il faut renforcer l'efficacité des actions de prévention et promotion de la santé, sans doute en rompant avec la communication institutionnelle et classique, au profit d'une réelle forme de marketing social, via les réseaux sociaux et des sites dédiés, à l'instar du « mois sans tabac ». Il nous faudra également convaincre du bien-fondé de la vaccination obligatoire, que nombre de sites internet scientifiquement contestables tendent à décrier. L'usage des écrans et des nouvelles technologies, par les enfants et les jeunes est l'un des sujets d'étude de l'agence. Dans toutes ses évaluations, il est d'ailleurs important d'intégrer les dimensions sociologiques, comportementales et économiques.
Troisièmement, Santé publique France doit préparer les réponses aux menaces et crises. Elle lance à cet effet un portail unique des signalements et devra également systématiser les analyses collectives de retour d'expérience ; à cet égard, la gestion de l'ouragan Irma fait l'objet d'une évaluation globale à l'issue de laquelle des pistes d'amélioration devraient être arrêtées.
Quatrièmement, l'agence entend contribuer, en termes d'expertise, aux politiques et études relatives à l'antibiorésistance, aux nouveaux enjeux de santé mentale et environnementale, aux nouveaux risques liés au travail. Il faudra également conduire des expertises spécifiques à l'outre-mer dont les enjeux épidémiologiques doivent être traités de manière spécifique.
Enfin, les deux derniers axes vont un peu de soi : l'efficience de la gestion et du pilotage, ce qui implique de parachever l'unité et la cohérence de fonctionnement de la structure regroupée à Saint-Maurice, et de bien répondre aux enjeux de systèmes d'information ; développer des partenariats institutionnels, de recherche, ainsi qu'avec la société civile. Santé publique France se veut vraiment à l'écoute de ses partenaires, dont un certain nombre - parmi lesquels deux associations - siègent à son conseil d'administration. La publication trimestrielle d'indicateurs sur l'état de santé, à l'instar des indicateurs économiques, serait un moyen de mieux toucher la société civile à travers une vision partagée de l'état sanitaire de notre société.
J'en viens aux deux autres questions que vous m'avez posées. Comment éviter que la mobilisation de ressources sur les urgences sanitaires s'effectue au détriment de la prévention ? Je ne vous cacherai pas qu'il s'agit là d'un risque permanent. Notre pays n'accorde pas de moyens suffisants à la prévention et il est en retard dans ce domaine. Or, les choix opérés ces dernières années ont conduit à répartir différemment les financements entre l'Etat et la sécurité sociale. Certains organismes, comme l'Agence de la biomédecine, sont intégralement financées par la sécurité sociale et, inversement, Santé Publique France ne dispose plus de financements directs de l'assurance maladie. Au titre du budget de l'Etat, le programme 204 de la mission « santé » porte les crédits dévolus à l'ANSP, à l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et à l'Institut national du cancer (Inca). Parmi ces quatre organismes, seule l'ANSP est en charge de la prévention. Mais c'est l'assurance maladie qui dispose des moyens les plus importants pour la prévention, près d'un milliard d'euros, au titre du fonds d'intervention régional (FIR), du Fonds national pour la prévention, l'éducation et l'information pour la santé (FNPEIS) et du fonds tabac. De fait, l'assurance maladie finance un certain nombre d'actions conduites par Santé Publique France, comme l'opération « le mois sans tabac » ou « tabac-infos-services ». Il y a bien volonté de sanctuariser le budget de la prévention au sein de Santé publique France, mais certaines situations de crise impliquent de mobiliser rapidement les moyens de l'Etat. Il convient de rester vigilant sur ce point et de pouvoir compter sur des financements associés. A cet égard, plusieurs parlementaires s'interrogent sur l'opportunité d'affecter des taxes dédiées à la prévention.
Enfin, quelles relations établir entre Santé publique France et son ministère de tutelle ? Les relations sont continues avec la direction générale de la santé qui pilote le système des agences. Il faut trouver le point d'équilibre avec les ARS qui entendent, conformément à leur mission d'origine, disposer d'une réelle capacité d'analyse territoriale. Elles ont ainsi besoin des socles épidémiologiques des Cire et de Santé Publique France, tout en gardant leur autonomie décisionnelle. Les conventions d'organisation - dont dix sur dix-sept ont été signées - permettent d'assurer un juste équilibre, en privilégiant l'organisation croisée. L'Anses vient de récupérer l'ensemble de la toxico-vigilance, conformément à ses compétences fixées par le législateur, et l'Inca, au titre de la lutte contre le cancer, est très présente dans les dispositifs anti-tabac, sans pour autant intervenir dans la prévention. Une meilleure coordination est nécessaire lorsque des dispositifs d'intervention doivent être mis en oeuvre.
Je vous remercie de votre intervention. Lors de l'examen de la loi de modernisation de notre système de santé, certaines inquiétudes s'étaient exprimées sur la reprise de différentes missions par une agence unique et sur les relations de celle-ci avec les ARS. Vous avez évoqué le FIR, qui nous paraît davantage servir à combler les déficits des hôpitaux qu'à financer la prévention ou la recherche. Comment les missions vont-elles s'articuler sur le terrain avec les ARS ? S'agissant de la prévention, quelles sont les relations entre Santé publique France et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) ? Faudrait-il supprimer cette dernière et vous confier l'ensemble de la lutte contre l'addictologie ?
Ma question porte sur les perspectives de coopération à l'échelle européenne. Des politiques européennes en faveur de la prévention existent et la France est souvent très en retard dans l'utilisation des fonds européens. Quelle synergie comptez-vous mettre en oeuvre avec d'autres agences européennes dont le périmètre d'intervention s'avère analogue à celui de votre propre agence ?
J'ai eu l'occasion de travailler avec vos services et votre prédécesseur, comme élue de la Guadeloupe, à l'occasion notamment de l'épidémie de chikungunya. L'Eprus a permis de relayer sur le terrain certains de nos personnels qui étaient eux-mêmes malades, et je me souviens, alors que j'étais cadre du laboratoire du CHU, de la réponse optimale de l'Eprus et de l'ARS. Certains techniciens sont d'ailleurs revenus en Guadeloupe pour y travailler suite aux excellentes relations nouées à cette occasion.
Vous avez parlé des GIP : je souhaiterais, à cet égard, rappeler l'exemple du GIP-Raspeg, en charge notamment du diabète, de l'hypertension et de la toxicomanie, qui a été exemplaire, comme a d'ailleurs pu le constater Mme Marisol Touraine lors de son passage en Guadeloupe. Elle a ainsi souhaité que ce modèle soit étendu. Santé publique France devrait se pencher sur le problème de l'évacuation sanitaire, car la Guadeloupe est un archipel. Nous travaillons beaucoup en complémentarité avec la Martinique et Saint-Martin. Une telle synergie génère de considérables surcoûts, du fait des distances entre les différentes structures hospitalières. La collecte de données pose également problème, faute d'une définition précise de ses modalités. Toutes les données concernant le chikungunya ne remontent pas, pour des raisons de confidentialité, en fonction des biologistes. La désignation de personnes référentes, auxquelles il incomberait de transmettre les données, me paraît, à cet égard, un préalable. Le bilan de l'activité du GIP-Raspeg a fait état de données lacunaires et ce, malgré les dotations en ce sens. Il faudrait donc que les données transmises soient à la hauteur des moyens financiers alloués. Enfin, les services de l'Etat ont conduit des simulations - comme l'exercice Richter - relatives à l'implication des autres Etats européens, aux côtés de la France, si venaient à survenir certains risques majeurs. Enfin, je vous remercie de veiller, une fois en fonction, à ce que l'intégralité de la collecte et la transmission des données fassent l'objet de procédures précises.
J'ai toujours cru à l'innovation et à l'expérimentation dans nos collectivités territoriales, qui permettent de répondre au mieux aux besoins des populations. Je pense, en l'occurrence, à la constitution d'un groupe de travail local sur la problématique de la prévention, composé des acteurs que sont notamment l'hôpital de proximité, le centre des addictions et les établissements scolaires. Cette problématique se décline en plusieurs thématiques, comme l'alimentation, les chutes chez les personnes âgées et les addictions. L'ARS est naturellement partenaire, mais on arrive à un moment donné à un blocage, lorsqu'il s'agit de financer les actions à mettre en oeuvre. Comment assurer la lisibilité et la viabilité de ces expérimentations, en lien avec l'ARS ? Faut-il nécessairement recourir à des appels à projets, dont l'adaptation locale n'est pas toujours aisée ?
Depuis des années, nous avons mis en oeuvre, en Aquitaine, un réseau de prise en charge pluridisciplinaire de proximité RéPPOP pour prévenir l'obésité pédiatrique, auquel les praticiens libéraux ont participé. Cette démarche se solde par un échec et un coût élevé. En effet, ce type de prévention dépasse, manifestement, l'enfant lui-même et concerne essentiellement les familles qui influencent son comportement. Quelle est votre approche de ce sujet pour les années à venir ?
Je comprends bien votre positionnement dans les domaines de la prévention, de la veille sanitaire, de la promotion de la santé et de la réduction des risques. En ce qui concerne la préparation et les réponses aux menaces en cas de crise sanitaire, la question me semble plus complexe, car il s'agit ici d'actions opérationnelles dans lesquelles il faut un chef de file et je ne vois pas bien comment se définit la gouvernance dans ce cas-là.
De nombreuses questions font référence à des processus dont je n'ai pas encore eu l'occasion de prendre effectivement connaissance.
Dans le budget de Santé Publique France, 60 millions d'euros - soit un tiers de la dotation de l'Etat - sont consacrés à la prévention. Mais il n'y a pas d'effet « cliquet », ce qui permet de dégager les financements nécessaires en cas de grave crise sanitaire.
S'agissant des liens avec la Mildeca, j'ai eu l'occasion de les évoquer avec le directeur de l'agence, François Bourdillon, qui s'est livré à des échanges approfondis avec tous les interlocuteurs ou partenaires de Santé publique France, dont la Mildeca. Celle-ci mène sur l'ensemble des addictions un travail interministériel mais n'a pas à conduire d'actions directes. Il n'y a donc pas de chevauchements entre ses missions et celles de Santé publique France.
S'agissant des relations avec l'Europe, tout le travail de constitution de Santé Publique France a été poursuivi en se référant aux systèmes étrangers. Je n'ai pas aujourd'hui en tête de coopération spécifique. Sur nombre de sujets, comme le tabac - alors que notre taux de prévalence demeure à 26 %, après celui de la Bulgarie et la Grèce, et motive l'augmentation à dix euros du paquet de cigarettes - nos dispositifs de prévention demeurent bien en-deçà de ceux de nos voisins européens. L'opération « mois sans tabac » a ainsi été initiée par les Britanniques. La coopération internationale est ainsi importante pour trouver les bonnes pratiques.
Sur tous les enjeux que vous avez évoqués, madame Jasmin, j'entends vos appréciations. Tout se fait en lien avec l'ARS qui assure le pilotage opérationnel. L'évacuation sanitaire concerne l'offre de soins et la question s'est posée lors de l'ouragan Irma. S'agissant de la remontée des informations, le territoire est restreint et l'anonymat n'est pas garanti en cas d'utilisation des données, d'où les réticences à les restituer en totalité, comme j'ai pu le constater dans le cadre de mes précédentes fonctions. J'ai bien noté votre évocation des exercices Richter.
Il est certain que l'ARS doit coordonner les expérimentations, mais la Cire a aussi vocation à choisir les études à croiser et à faire converger les demandes. Les ARS peuvent mobiliser les financements de l'assurance maladie et solliciter, en lien avec les Cire, notre propre capacité de financement. Certains appels à projets peuvent également être pilotés conjointement par les Cire et les ARS. Trouver la bonne articulation avec les ARS est effectivement une question cruciale.
La conférence des financeurs, qui rassemble les caisses de sécurité sociale, l'ARS, le président du conseil d'administration du CHU, le conseil régional, le conseil départemental, définit des priorités parmi les projets qui lui sont soumis.
C'est manifestement une bonne politique, mais je ne sais si cette démarche peut être systématiquement dupliquée.
S'agissant de l'obésité infantile, il me semble pertinent de travailler sur les familles dans leur ensemble. Il s'agit d'un sujet prioritaire et j'entends votre remarque du coût élevé de certaines actions au regard de leurs faibles résultats.
Enfin, en matière d'intervention, Santé publique France se situe en appui du pilote qu'est l'ARS sur le terrain. Cette relation se fonde sur des protocoles d'organisation qui sont d'ailleurs élaborés en fonction des retours d'expérience.
Les contrats de locaux de santé devraient être mis en place, à la condition d'impliquer les élus locaux. Représentante des collectivités au sein de la commission des droits des usagers de l'ARS et de la commission prévention, je suis également co-pilote de certains dispositifs. Le contrat local de santé assure la cohérence des différentes actions de santé publique et les collectivités. La plupart des problèmes que nous connaissons exige l'implication des élus locaux pour l'ensemble de la lutte anti-vectorielle. Dans ma commune, nos agents de la lutte anti-vectorielle ont été formés par l'ARS et jouent désormais un rôle essentiel, tant en matière d'éradication, de prévention et de formation. Ces contrats locaux de santé, bien que prévus par les textes, ne sont malheureusement pas mis en oeuvre de manière générale ; ce que je déplore. Il serait essentiel que vous puissiez impulser cette dynamique.
Ce sont en effet des outils majeurs qui sont en lien avec les ARS.
La réunion est close à 18 h 05.