Commission des affaires européennes

Réunion du 21 mars 2019 à 9h40

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Mes chers collègues, la venue à Paris d'une délégation de sénateurs italiens vient d'être annulée en raison d'un vote de confiance que sollicite le Gouvernement italien. Elle est reportée au 11 avril : nous pourrons alors évoquer les relations bilatérales, notamment dans le contexte du Sommet européen avec la Chine.

Nous sommes donc réunis aujourd'hui pour entendre la communication de notre collègue Jacques Bigot, de retour de Bucarest, où il a participé récemment à la réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint (GCPC) d'Europol.

Lors de notre mission à La Haye il y a un an, nous avions rencontré les responsables des bureaux français d'Europol, agence qui est installée à La Haye, comme Eurojust, avec laquelle elle coopère. Europol s'apparente à une plateforme d'échange d'informations, par voie de « messages » sécurisés, entre les services nationaux de police, de gendarmerie et des douanes. En outre, l'agence met à disposition des États membres des expertises spécifiques sur des thématiques émergentes à l'instar de la cybercriminalité et des cryptomonnaies, qui sont au coeur d'une actualité brûlante.

Nous avions alors appris que la coopération policière réalisée à travers Europol ne cessait de croître. Plus d'un million de messages ont été échangés en 2017, soit plus du double par rapport à 2013. Ces deux dernières années, et cela n'est pas sans lien avec le terrorisme, la France a fortement augmenté son activité avec l'agence, si bien que notre pays est l'un des premiers contributeurs, derrière l'Allemagne ; nous devrons propager une telle information pour profiter de cet outil avec pertinence.

Il sera donc intéressant, dans ce contexte d'activité accrue, de savoir quel regard porte sur Europol le groupe de contrôle parlementaire chargé de veiller au respect des libertés fondamentales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

J'ai participé à la quatrième réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol, à Bucarest, les 24 et 25 février derniers.

Cette instance est chargée d'assurer « le contrôle politique des activités d'Europol dans l'accomplissement de sa mission, y compris en ce qui concerne leur incidence sur les libertés et les droits fondamentaux des personnes physiques ». Elle se réunit deux fois par an, en septembre à Bruxelles et à la fin du mois de février ou au début du mois de mars dans la capitale du pays qui assure la présidence de l'Union européenne.

La réunion a notamment été l'occasion d'entendre plusieurs responsables d'Europol et de permettre aux parlementaires membres du groupe de contrôle de relancer la collaboration de leur propre pays avec l'agence.

La directrice exécutive d'Europol, Catherine de Bolle, qui a pris ses fonctions l'année dernière, a souligné la montée en puissance de l'agence en 2017 et expliqué que les États membres y font de plus en plus appel. Ainsi, le nombre d'objets de leur base de données a augmenté de 23 % en 2018, tandis que le nombre de requêtes des États membres augmentait de 64 %. La stratégie « Europol 2020 + » vise à poursuivre ce mouvement tout en développant le rôle de l'agence, qui passerait de la collecte de l'information au traitement de celle-ci et renforcerait sa réponse à la cybercriminalité, qui mérite d'être traitée au niveau européen. Pour cela, sa directrice exécutive souhaite qu'Europol soit « à la pointe de l'innovation et de la technologie ». Cela implique naturellement des investissements importants dans les technologies de l'information et de la communication.

Catherine de Bolle nous a fait part de ses interrogations sur les moyens dont disposera l'agence dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 pour faire face à cette montée en puissance. La proposition actuellement sur la table prévoit une diminution de 10 % des moyens d'Europol, qui s'explique en partie par la mise en oeuvre du parquet européen, financée partiellement par le redéploiement des crédits de l'agence. Toutefois, les rôles du parquet européen et d'Europol ne se confondent pas, et la présidence de la commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures du Parlement européen en est bien consciente.

Nombre des préoccupations des parlementaires ont porté sur les conséquences du Brexit : d'une part, un possible retour de la violence le long de la frontière irlandaise en cas d'absence d'accord, et, d'autre part, un risque d'affaiblissement de la coopération policière du fait du départ des Britanniques. En effet, la directrice exécutive considère que la coopération se poursuivra mais note que certains outils, comme le mandat d'arrêt européen ou le système d'échange d'informations, ne seront plus disponibles, a fortiori en cas de Brexit dur. Plusieurs parlementaires sont également intervenus pour souligner la nécessité, concernant le sujet des migrations, d'une meilleure coopération d'Europol avec les autres agences européennes, à commencer par Frontex. Les choses avancent, mais nous avons encore des progrès à faire.

Enfin, Catherine de Bolle s'est réjouie du rôle actif des parlementaires et a souligné que nous devions être les relais d'Europol à l'égard de nos Parlements et de nos instances. Elle nous a encouragés à nous rendre au siège de La Haye ; Sophie Joissains et moi-même saisirons cette occasion les 25 et 26 avril prochains et vous en rendrons compte ultérieurement.

Le directeur adjoint des opérations nous a ensuite présenté l'état des menaces cybercriminelles en 2019, au sein desquelles il a notamment distingué les menaces liées aux monnaies virtuelles comme le cryptojacking : cette criminalité est florissante et dépasse les frontières, mais une opération au Royaume-Uni a conduit à l'arrestation d'un individu ayant détourné 10 millions d'euros de monnaie virtuelle.

Il a également évoqué la subtilisation de données personnelles afin de mener des cybercrimes, les marchés noirs du darknet, contenus invisibles difficiles à détecter, et enfin les contenus pédopornographiques. La cybercriminalité est un enjeu majeur pour la coopération organisée par Europol.

Par ailleurs, Sir Julian King, le commissaire anglais à la sécurité de l'Union, est intervenu brièvement pour souligner la réalité et la complexité des menaces et le bienfondé d'un outil comme Europol, ce que nous avons tous reconnu.

La réunion a été l'occasion d'aborder la question de la protection des données traitées par Europol, qui fait partie de la mission du groupe de contrôle. Depuis 2016, le traitement des données personnelles est attribué à un contrôleur européen de la protection des données, Giovanni Buttarelli. Concrètement, le contrôle est effectué par un conseil de coopération réunissant le superviseur européen et les superviseurs des États membres, et dont le président est François Pellegrini, par ailleurs commissaire à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Les recommandations faites à Europol permettent l'évolution de la législation.

Nous avons eu un échange sur la nomination du délégué du groupe de contrôle au conseil d'administration d'Europol. À mon sens, il faut conserver le système actuel qui prévoit de nommer un membre du pays qui détient la présidence de l'Union européenne. Certes, cette alternance tous les six mois n'est pas optimale pour contrôler mais c'est le système de la présidence tournante de l'Union qui est alors en cause. Néanmoins, cette discussion a été reportée en septembre, voire à plus tard.

Le groupe de contrôle parlementaire conjoint tiendra sa prochaine réunion sous présidence finlandaise, en septembre prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Ce sujet est appelé à prendre de plus en plus d'importance avec la montée en puissance de la cybercriminalité et des monnaies virtuelles. De nouveaux métiers verront ainsi le jour.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Mes questions sont très techniques. En quoi le parquet européen peut-il impacter de 10 % en un an le budget d'Europol ? C'est un mauvais signe pour le développement de l'agence, dont les missions mériteraient pourtant d'être accrues. Toutefois, les informations ne lui parviennent pas assez tôt, et sans réelle coordination ou volontarisme de la part des États. Une telle diminution budgétaire aura-t-elle des conséquences sur l'efficacité future de l'agence ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Europol s'occupe beaucoup des cyberattaques, qui ont encore sévi il y a quelques mois dans le cadre de l'affaire Skripal, avec des tentatives d'intrusion dans les données d'Europol. Nous avions rédigé il y a quatre ou cinq ans un rapport relatif à Europol et à Eurojust, qui s'inquiétaient déjà de l'élargissement du phénomène et de l'ampleur des missions qui leur sont attribuées. Mais la coopération, déjà difficile au sein d'un État membre, est toujours compliquée entre les différents pays. La question du budget est centrale, mais le coût du parquet européen relève plutôt de la justice et d'Eurojust. En tout état de cause, on est encore assez loin d'une organisation policière au niveau européen digne de ce nom. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Mes questions ont trait plus précisément à l'incidence du Brexit sur le fonctionnement de l'agence et de ses personnels - environ 50 personnes -, dont le sort n'a pas été tranché. En cas de Brexit dur, le Royaume-Uni ne participera plus aux décisions et aux choix stratégiques de l'agence, dont le fonctionnement repose notamment sur le système d'information Schengen (SIS), qui véhicule aussi ses mandats d'arrêt européens. Quelle lisibilité peut-on avoir en la matière ? On minimise l'impact du départ du Royaume-Uni sur les contrôles aux frontières ou sur le terrorisme ; or nous avons constaté d'énormes difficultés dans le réajustement des systèmes européens de coordination des fichiers. Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur ce point ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Face à une criminalité qui n'est plus limitée aux frontières, nous devons évidemment accepter une baisse de souveraineté et une organisation commune. Peut-être les États devraient-ils se doter de systèmes informatiques communs extrêmement performants pour travailler sur la cybercriminalité.

Monsieur Gattolin, vous m'interrogez sur les finances d'Europol. Le parquet européen est un instrument supplémentaire, à budget constant, voire qui risque de diminuer avec le départ du Royaume-Uni : il y a donc des redéploiements à effectuer.

Madame Jourda, compte tenu des incidences du Brexit, il faudra trouver une solution, mais ce ne sera pas facile, surtout si le retrait britannique intervient en absence d'accord. L'an dernier, le directeur d'Europol était anglais, de même que le président de la commission Libertés du Parlement européen et que le commissaire : ils avaient déjà la nostalgie de ce qui allait manquer à tout le monde !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Espérons qu'ils auront une certaine influence sur le gouvernement anglais pour qu'il accepte de collaborer. Globalement, les coopérations avancent dans le bon sens, mais il faut être conscient que le parquet européen a un objectif bien précis : poursuivre les atteintes aux intérêts de l'Union. Ce domaine est étroit bien que fondamental. En effet, l'Office européen de lutte antifraude nous a récemment expliqué que, les parquets des États membres étant débordés, ils ne poursuivent pas toujours ces délits. Dans les régions frontalières, des progrès énormes de coopération ont été réalisés, mais cette orientation devra encore être maintenue.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

La coopération entre la police, la gendarmerie et les douanes est de plus en plus efficace. Qu'en est-il avec les services de renseignement, y compris le renseignement militaire, des différents pays ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

C'est l'un des problèmes majeurs aujourd'hui, car il est très délicat de travailler hors de ses frontières avec des États tiers, dont les modes de fonctionnement sont différents, d'autant plus pour les services de renseignement. On est loin du compte ! En 2017, la plupart des informations de la base de données d'Europol venait de la France et de l'Allemagne. Apparemment, la situation commence à évoluer, mais des marges de progression très importantes existent en la matière.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

La possibilité d'élargissement des compétences du parquet européen prévue par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne entretient malheureusement une certaine confusion qui peut expliquer les questions sur son budget. En tout état de cause, ces mesures doivent être adoptées à l'unanimité.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

À la veille d'échéances importantes, on ne sait pas comment parler de l'Europe à nos concitoyens eurosceptiques, mais très soucieux de leur sécurité. Peut-être pourrions-nous, dans le cadre de nos travaux, relayer une communication sur les moyens d'assurer la sécurité, bien au-delà de nos frontières.

Par ailleurs, la rigueur budgétaire de certains de nos concitoyens français ou de nos amis européens est un obstacle, car il est impossible de renforcer le rôle de l'Europe avec moins d'argent. À titre de comparaison, le mouvement de création d'intercommunalités s'est plutôt bien passé, car le transfert de compétences a été généralement assorti de l'attribution de moyens financiers correspondants aux intercommunalités. En conséquence, globalement, la masse des impôts locaux payée par nos concitoyens est restée identique. Si nous retenions cette approche à l'échelon européen, nous serions plus cohérents.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Il faudrait se doter d'un Federal Bureau of Investigation (FBI) européen pour lutter contre les actions transfrontières mais cela prendra du temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

Lors des attentats de 2015, les terroristes circulaient sans difficulté entre la Belgique et la France. Nos concitoyens y ont vu un manque flagrant de coordination entre les deux pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Il faut effectivement améliorer la coopération, la réflexion doit se poursuivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Mes chers collègues, merci de ces échanges. Nous prévoyons de communiquer prochainement au sujet de la valeur ajoutée de l'Union européenne. Et je rappelle la tenue hier au Sénat du colloque sur le Brexit intitulé « Le jour d'après » qui se précise, puisque le 29 mars et le 23 mai vont bientôt arriver... Ceux d'entre nous qui sont membres du groupe de suivi « Retrait du Royaume-Uni et refondation de l'Union européenne » seront conviés à apporter leur contribution.

Il est certain que le FBI européen serait l'idéal. D'ailleurs, avec Frontex, on arrive progressivement à une agence de garde-frontières et de garde-côtes. L'Europe, c'est le temps long - il faut que nos concitoyens le comprennent -, et il faut plus d'argent - c'est là que le bât blesse.

Monsieur Bigot, Madame Joissains, nous vous remercions de continuer à travailler sur ces questions qui paraissaient au départ un peu absconses, mais qui vont devenir extrêmement concrètes.

La réunion est close à 10 h 10.