Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, sous la présidence de M. Gilbert Barbier, président, la mission d'information a d'abord procédé à l'audition de M. Claude Béraud, professeur honoraire à l'Université de Bordeaux.
a tout d'abord fait état de trois dates importantes dans l'histoire de la prise de conscience de la nécessité de mesurer non seulement l'efficacité, mais aussi la sécurité sanitaire des médicaments : en 1938, la première intoxication massive aux Etats-Unis par un médicament a conduit à la création de la Food and Drugs administration (FDA), initialement chargée de vérifier le caractère non toxique des médicaments ; en 1942, à la suite de la multiplication de cas de décès dus à la prise de thalidomide, le gouvernement français a rendu obligatoire la déclaration des cas de décès liés à une intoxication médicamenteuse et la mise en oeuvre d'essais cliniques préalablement à la mise sur le marché des médicaments ; en 2004-2005 enfin, l'affaire du Vioxx et du Celebrex a mis en lumière la nécessité de contrôler la sécurité sanitaire des médicaments.
Il a reconnu que la procédure actuelle d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments ne s'attache pas à vérifier la sécurité sanitaire de ceux-ci, mais uniquement leur efficacité par rapport à un produit de référence. Les laboratoires mettent en place des protocoles d'essais entachés d'un certain nombre de biais méthodologiques : ainsi, les patients retenus pour les tests sont sélectionnés de façon à limiter les risques d'effets secondaires et le produit de référence est souvent sous-dosé de façon à mettre en lumière une plus grande efficacité du nouveau médicament. Prenant l'exemple du Vioxx, il a observé que les études fournies par le laboratoire sur ce médicament faisaient état d'une fréquence plus importante des accidents cardiovasculaires chez les patients traités par ce médicament que chez ceux traités par le médicament de référence, à savoir le Naproxène, mais ces études mettaient cette fréquence accrue sur le compte de l'absence d'effet protecteur cardiovasculaire dans le cas du Vioxx, et non sur un défaut du médicament lui-même. Telle est la raison pour laquelle il a insisté sur la nécessité pour l'Agence du médicament d'avoir ses propres experts, notamment en termes de méthodologie et de statistiques, de façon à analyser les protocoles et les choix méthodologiques utilisés dans les études organisées par les laboratoires.
S'agissant de la commission de la transparence aujourd'hui intégrée à la Haute autorité de santé, M. Claude Béraud a indiqué que celle-ci se réunit tous les quinze jours pour examiner un minimum de quarante dossiers par séance et que cet ordre du jour chargé rend impossible un examen approfondi des études fournies par les laboratoires.
Il a ensuite insisté sur la nécessité de garantir l'indépendance des experts, considérant que ceux qui ont testé le médicament sont certes ceux qui le connaissent le mieux, mais qu'ils ne sont pas les mieux placés pour apprécier son intérêt en termes de santé publique. Il a toutefois estimé que la déclaration d'intérêt n'est pas l'instrument le plus efficace pour y parvenir et il a exprimé sa préférence pour un dispositif de publicité des débats, aussi bien lors de l'attribution de l'AMM que devant la commission de transparence. Il a observé qu'aux Etats-Unis, les réunions de la FDA concernant les autorisations de mise sur le marché de médicaments sont enregistrées et que leurs comptes rendus sont publiés sur internet. Les votes sont nominatifs et le compte rendu fait état des explications de vote de chacun des membres de la commission. Les réunions s'y tiennent en deux temps : une première partie est consacrée à l'audition du laboratoire concerné tandis que la seconde, qui aboutit au vote sur l'AMM, se déroule hors de la présence des industriels.
a expliqué que les industriels attachent plus d'importance à la décision de la commission de la transparence qu'à l'autorisation de mise sur le marché elle-même : dès lors que le médicament est au moins aussi efficace que le produit de référence et qu'il n'est pas notoirement dangereux, l'AMM est presque automatique. A l'inverse, les laboratoires maîtrisent mal le processus de fixation du niveau d'amélioration du service médical rendu (ASMR) par la commission de la transparence. Il a toutefois reconnu que celle-ci ne s'attache encore une fois qu'à l'efficacité relative du médicament, celle-ci permettant de fixer son taux de remboursement par la sécurité sociale, et non à son degré de sécurité sanitaire. Il a enfin regretté la présence de représentants de l'industrie pharmaceutique au sein de la commission de la transparence, estimant qu'elle conduit à une autre forme de pression sur les autres membres de la commission.
s'est étonnée de l'influence des représentants des laboratoires au sein même de la commission de la transparence, estimant que, compte tenu de leur nombre respectif, les autres membres de la commission auraient les moyens d'emporter la décision. Elle s'est également étonnée du fait que le compte rendu des décisions de la commission puisse être dicté en présence de ces mêmes représentants.
a insisté sur le fait que les décisions sont en général prises de manière consensuelle et rarement mises aux voix. Il a confirmé que le compte rendu des décisions est établi devant les représentants des laboratoires.
s'est interrogé sur le niveau auquel devrait être traitée la question de la sécurité sanitaire des médicaments et a indiqué sa préférence pour une prise en compte de cette question dès l'AMM.
s'est inquiété de la multiplication des AMM accordées à des médicaments qui n'apportent rien de plus en termes d'efficacité et d'ASMR, considérant que cette multiplication pose un problème de iatrogénie. Il s'est également indigné du fait que les laboratoires s'exonèrent de leur obligation de mener des essais cliniques préalables en promettant de mettre en place des études post-AMM.
a admis que la question de la sécurité sanitaire devrait être traitée en amont de la commission de la transparence. Il a par ailleurs souligné que le nombre des essais préalables à l'AMM ne garantit pas l'absence de tout risque sanitaire, compte tenu des biais qu'ils sont susceptibles de présenter. Il a ainsi expliqué que les laboratoires ciblent leurs demandes d'AMM sur des pathologies précises et limitent, dès lors, leurs essais à ces indications, alors qu'il serait plus sûr, en termes de santé publique, que ce soit l'agence du médicament qui définisse les indications pour chaque médicament au vu d'essais plus exhaustifs.
Il s'est également inquiété de la multiplication des AMM attribuées à des médicaments qui agissent uniquement sur des critères intermédiaires, mais qui n'ont pas d'effets sur le plan terminal : tel est le cas, par exemple, des médicaments efficaces pour réduire le taux de cholestérol sanguin, mais qui n'ont pas d'effets pour diminuer la mortalité ou les accidents cardiovasculaires graves. Il en a conclu que beaucoup d'AMM sont attribuées pour des raisons purement économiques : dès lors que le médicament est efficace et non dangereux, il a l'assurance d'obtenir une AMM au nom du respect de la concurrence et de la libre entreprise.
s'est étonnée de l'incapacité de la commission de la transparence à dénoncer les biais constatés dans les études fournies par les laboratoires à l'occasion de l'examen de l'ASMR de certains médicaments.
a expliqué que la dénonciation de ces biais se heurte à l'absence de transmission du dossier d'AMM aux membres de la commission de la transparence. Il a également expliqué que la commission ne peut pas savoir a priori comment le médicament va être utilisé et donc, si ses conditions d'administration seront similaires à celles testées en laboratoire. Il a par ailleurs indiqué que le prix fixé par le comité économique des produits de santé (CEPS) pour chaque médicament n'avait rien à voir avec son efficacité ou son service médical rendu.
a considéré que les AMM devraient être dorénavant réservées aux médicaments plus efficaces que les produits de référence existants et que la commission de la transparence devrait s'abstenir de fixer une ASMR lorsque le laboratoire est dans l'incapacité de fournir un réel point de comparaison.
s'est interrogée sur le rôle des visiteurs médicaux, qui sont souvent accusés d'inciter les médecins à élargir leurs prescriptions.
a observé qu'un nombre croissant de médecins refuse désormais de recevoir des visiteurs médicaux. Il a estimé que ces derniers sont incapables d'apporter aux praticiens une information fiable, mais il s'est interrogé sur la capacité du système de santé français à remplacer le système des visiteurs médicaux par un dispositif plus efficace d'informations sur les innovations thérapeutiques.
En conclusion, M. Claude Béraud a douté de la possibilité de modifier réellement la règle selon laquelle les AMM sont attribuées presque automatiquement dès lors que le médicament est efficace et non dangereux. Il a expliqué qu'on peut en revanche limiter la portée de certaines AMM à des indications précises, à des populations pour lesquelles les autres médicaments sont inefficaces ou encore aux populations pour lesquelles des études post-AMM ont été menées. Il a estimé que les essais post-AMM gagneraient à être organisés et coordonnés par une agence, également chargée de l'information du public et des prescripteurs. Cette mission devrait être confiée à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) plutôt qu'à la Haute Autorité de santé (Has), car l'Afssaps est déjà compétente en matière de publicité sur les médicaments.
Puis la commission a procédé à l'audition de M. Jacques Caron, président de la commission nationale de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
a souhaité connaître les procédures nationales et européennes qui règlementent la surveillance des médicaments après leur mise sur le marché, ainsi que le rôle de la commission nationale de pharmacovigilance dans ce cadre. Elle a demandé des précisions sur la composition de la commission et les procédures selon lesquelles ses avis sont rendus. Elle s'est enfin interrogée sur l'efficacité du système en matière de sécurité des patients et de qualité des soins.
a rappelé que le système français de pharmacovigilance est décentralisé en trente et un centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), dont le premier a vu le jour en 1974. Les CRPV ont pour vocation de recueillir les notifications d'effets indésirables des médicaments effectuées par les médecins, les pharmaciens et, dans une moindre mesure, les sages-femmes et les chirurgiens-dentistes. Ces notifications sont ensuite saisies dans la base de données nationale de l'Afssaps.
Il s'agit donc d'un système d'alerte spontané, par définition non exhaustif. Près de 10.000 effets indésirables sont constatés chaque année par ce biais, soit 25 % des notifications recueillies au niveau européen, ce qui place le système de pharmacovigilance français en tête en termes de résultats. Toutefois, il ne donne qu'une image partielle de la situation. En effet, une enquête a été menée en 1998 dans les hôpitaux français, faisant état d'un total de 130.000 effets indésirables observés chaque année en leur sein.
a demandé si le système pâtit de l'insuffisante mobilisation des médecins en matière de pharmacovigilance.
a estimé que les résultats obtenus en France sont satisfaisants, même si le dispositif peut encore être amélioré.
a souhaité savoir si le développement des moyens de notification en ligne peut constituer une source d'amélioration.
a estimé que l'informatisation du système n'aura pas de répercussion majeure sur son utilisation par les professionnels de santé, dans la mesure où ils continueront à notifier directement les effets indésirables constatés au CRPV. En revanche, le centre répercutera ensuite ces résultats à l'Afssaps via Internet, ce qui simplifiera singulièrement les procédures administratives.
Il a rappelé que les CRPV ont également d'autres missions : l'information et la formation initiale et continue des médecins sur les médicaments, ainsi que les expertises demandées par l'Afssaps sur tel ou tel produit.
Le comité technique de pharmacovigilance, qui regroupe les responsables des CRPV, se réunit une fois par mois pour étudier les produits pour lesquels de nombreux effets indésirables ont été signalés. Le comité peut décider de lancer une alerte ou de demander une enquête plus approfondie. Le temps de réactivité du système dépend donc du degré d'acuité plus ou moins fort du signal d'alarme envoyé par les praticiens.
a fait valoir que le système institutionnel de pharmacovigilance est souvent devancé par les laboratoires pharmaceutiques.
a considéré qu'il s'agit de la conséquence logique du double système de pharmacovigilance existant, celui de l'Afssaps et celui de l'industrie, le second étant souvent plus réactif, dans la mesure où les laboratoires disposent de données au niveau mondial.
a demandé si ces données sont connues des laboratoires grâce aux informations recueillies chez les praticiens par les visiteurs médicaux.
a indiqué que l'information est également transmise directement par les médecins aux laboratoires. Quand une enquête est décidée par le comité technique, la commission nationale de pharmacovigilance recueille l'ensemble des informations disponibles sur le produit concerné dans la base de données de l'Afssaps et au sein du laboratoire.
a souhaité connaître les règles applicables à la commission nationale de pharmacovigilance pour la publicité de ses travaux.
a précisé que les procès-verbaux du comité technique et de la commission nationale de pharmacovigilance peuvent être consultés sur demande.
a considéré que ce système ne garantit pas l'information de l'ensemble des citoyens.
a fait valoir que de nombreux médecins et journalistes consultent régulièrement ces procès-verbaux. Il a indiqué que l'Afssaps organise également des conférences de presse sur les décisions de pharmacovigilance les plus importantes et qu'à partir du deuxième trimestre de l'année 2006, en application de la réglementation européenne, les procès-verbaux, y compris les avis contradictoires exprimés, seront accessibles sur le site Internet de l'agence.
a estimé que la directive de 2004 aurait pu être appliquée par l'Afssaps de manière anticipée en matière de publicité des travaux des commissions.
a indiqué que des difficultés pratiques d'organisation de la mise en accessibilité des documents l'en ont empêchée.
Il a indiqué que, lorsque l'enquête de pharmacovigilance décidée par le comité technique est terminée, le dossier est présenté devant la commission nationale de pharmacovigilance. Celle-ci compte trente-huit membres : six le sont de droit et représentent la direction générale de la santé (DGS), l'Afssaps, la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la commission nationale des stupéfiants et des psychotropes et la commission nationale de pharmacovigilance vétérinaire de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Les trente-deux autres sont des experts (médecins, pharmaciens, toxicologues, etc.) et des représentants des laboratoires et des malades nommés par le ministre chargé de la santé.
La commission se réunit tous les deux mois pour examiner les dossiers, dont les rapporteurs sont membres du comité technique. Dans un premier temps, le laboratoire est invité à exposer ses arguments. Pour ce faire, il peut même disposer de ses propres experts. La commission délibère ensuite et rend un avis au directeur général de l'Afssaps (suspension ou retrait du médicament, modification de l'information, lettre aux prescripteurs, communiqué de presse, etc.) qui est libre de le suivre ou de prendre une décision différente. A chaque réunion, la commission examine en moyenne trois à cinq dossiers, soit une trentaine par an.
a demandé si la pharmacovigilance est aujourd'hui correctement et suffisamment enseignée dans les facultés de médecine et de pharmacie.
a estimé que l'enseignement en pharmacovigilance, et plus généralement en matière de médicament, est notoirement insuffisant. Il a souhaité que les formations en pharmacologie et en thérapeutique soient renforcées. Une meilleure connaissance des praticiens dans ce domaine conduirait en outre à une diminution des prescriptions.
s'est interrogée sur la possibilité d'élargir le système de notification des effets indésirables aux patients eux-mêmes.
a reconnu qu'il s'agit d'une question récurrente au sein de l'Afssaps. Une expérience a été menée en ce sens auprès de patients séropositifs, mais ne s'est pas avérée concluante par rapport aux effets déjà notifiés par les professionnels de santé.
Une seconde expérience est actuellement en cours pour essayer de mettre en place un système de notification indirecte par les patients via les associations de malades. Une vingtaine d'entre elles participent à cet essai.
Il a estimé qu'un système de notification commune par le praticien et le patient serait plus efficace et éviterait les démarches individuelles destinées à la seule réparation du préjudice.
Il a rappelé que les pharmaciens ont un rôle essentiel à jouer lors de la délivrance du traitement, même s'ils notifient encore peu aux CRPV (en 2005, 87 % des notifications étaient le fait des médecins).
a demandé si les visiteurs médicaux ont une responsabilité dans l'information, parfois incomplète, des médecins sur les effets secondaires néfastes des médicaments.
a rappelé que la visite médicale permet à de nombreux médecins de s'informer sur les nouvelles thérapeutiques. Il a reconnu que l'information dispensée dans ce cadre n'est pas toujours objective et a estimé que la mise en oeuvre de la charte, qui oblige le visiteur médical à fournir le service médical rendu (SMR) et l'amélioration du service médical rendu (ASMR) du médicament, pourra remédier à cette situation. Il a toutefois jugé illusoire de demander aux délégués médicaux de dresser un panorama complet des effets indésirables possibles durant leur visite.
a demandé si certains accidents sont dus à une mauvaise utilisation des dénominations communes internationales (DCI) par les prescripteurs.
l'a démenti. Il a précisé que les accidents sont également nombreux chez les enfants, pour qui la prescription est souvent délicate. Il a estimé, à cet égard, que les laboratoires doivent améliorer l'information inscrite sur les conditionnements des médicaments destinés aux enfants.