Commission d'enquête sur l'immigration clandestine

Réunion du 13 décembre 2005 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

La commission a tout d'abord entendu M. Patrick Delouvin, responsable des questions « réfugiés » d'Amnesty international.

Debut de section - Permalien
Patrick Delouvin

a exposé qu'Amnesty international s'opposait au renvoi de toute personne vers un pays où elle risque de subir des violations de ses droits fondamentaux, mais reconnaissait le droit pour les Etats de contrôler l'accès à leur territoire. Il a toutefois indiqué que ceux-ci devaient respecter les engagements qu'ils avaient pris dans le cadre des textes internationaux de protection des droits de l'homme et des droits des réfugiés, citant plus particulièrement le principe de non-refoulement inscrit dans la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951. Il a également rappelé les principaux textes de droit international destinés à assurer la protection des immigrants.

Il a indiqué qu'Amnesty international menait des actions afin que la France signe et ratifie la convention internationale du 18 décembre 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille, qui permettait une protection tant des immigrants réguliers que des immigrants irréguliers.

Il a rappelé l'importance des articles 31 et 33 de la convention de Genève relative au statut des réfugiés, à laquelle la France est partie, qui prévoient d'une part, l'interdiction des sanctions pénales pour l'entrée ou le séjour irrégulier des immigrants et, d'autre part, le non-refoulement des réfugiés sur les frontières des territoires où leur vie serait menacée en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques.

Il a souligné également le respect dû aux stipulations de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, aux termes duquel l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale pour toute décision le concernant, indiquant que ces stipulations devraient conduire, selon l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), à faire bénéficier les mineurs étrangers isolés d'une admission sans condition sur le territoire français.

Il a en outre évoqué l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, qui interdit aux Etats parties d'expulser, de refouler ou d'extrader une personne vers un autre Etat où il y a des motifs de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. Il a précisé que dans son troisième rapport périodique sur la France, le Comité contre la torture s'était dit préoccupé en particulier par le caractère expéditif de la procédure prioritaire d'examen des demandes déposées aux frontières ou dans les centres de rétention qui ne permettrait pas une évaluation des risques visés à l'article 3 de cette convention.

Evoquant les accords négociés au sein du Conseil de l'Europe, M. Patrick Delouvin a rappelé que la France était soumise aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale du 4 novembre 1950, soulignant que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe avait considéré que la procédure accélérée créait des risques de refoulement et de refus d'accès à des garanties de procédure minimales. Il a mis en exergue le fait que M. Alvaro Gil Roblès, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe avait considéré qu'en France les centres de rétention étaient loin de respecter la dignité humaine et avait craint que de vrais demandeurs d'asile puissent se voir renvoyer vers leur pays d'origine du fait qu'il n'aurait pu rédiger leur demande en français, faute de pouvoir trouver et rémunérer un interprète.

Il a indiqué qu'Amnesty international appelait également la France à signer et à ratifier la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du 3 mai 2005, précisant que ce texte comportait deux mesures de protection applicables aux immigrants, même irréguliers : le respect d'un délai de rétablissement et de réflexion d'au moins 30 jours, ainsi que la délivrance d'un permis de séjour aux personnes coopérant avec les autorités dans le cadre d'une enquête ou d'une procédure pénale.

S'agissant des mesures adoptées dans le cadre de l'Union européenne, M. Patrick Delouvin a regretté que la priorité soit donnée à la lutte contre l'immigration clandestine et au contrôle aux frontières plutôt qu'à la protection des personnes en quête d'une protection. Il a souligné la progression de la coopération intergouvernementale dans ce domaine, notamment avec la création du G5, au détriment de l'intégration européenne et sans regard démocratique. Il a précisé que des travaux très importants étaient en cours au niveau européen afin d'assurer une gestion contrôlée de l'immigration aux frontières extérieures de l'Union, ce qui conduisait à faire baisser le nombre des demandes d'asile de 700.000 à 300.000.

Il a relevé que la politique européenne en matière d'immigration était marquée par un déséquilibre entre la nécessaire protection de l'étranger et l'accroissement du contrôle aux frontières, ce qui a conduit à la création de l'Agence des frontières extérieures de l'Union européenne en octobre 2004, à l'établissement d'un réseau d'officiers de liaison « immigration » dans les pays tiers, au renforcement des moyens d'interception en mer et au développement des accords de réadmission avec les Etats tiers. Il a observé que ces mesures restreignaient l'accès aux procédures d'asile et incitaient les étrangers à utiliser des filières d'immigration clandestine.

a insisté sur le fait que l'Union européenne avait accentué l'externalisation de l'asile, dans la mesure où elle incitait les Etats tiers d'origine des immigrants à combattre eux-mêmes l'immigration clandestine et à renforcer les moyens de surveillance des frontières. Il a souligné que le contrôle de l'immigration avait été, en quelque sorte, « déporté » vers les pays tiers et que l'Union européenne encourageait l'examen des demandes d'asile hors de son propre territoire. Il a craint que le souhait, émis par la Commission européenne, que l'Union européenne contribue à la mise en place dans certains pays tiers de procédures d'asile, à l'amélioration des conditions d'accueil des réfugiés et à l'enregistrement de ces derniers, ne conduise les Etats membres à refuser d'accepter d'examiner eux-mêmes les demandes d'asile qui leur seraient ensuite soumises.

Il a par ailleurs craint que le système institué par le règlement Dublin II faisant porter à l'Etat membre sur le territoire duquel l'étranger a pénétré la première fois sur le territoire de l'Union européenne la responsabilité de l'examen de la demande d'asile ne conduise les Etats membres à renforcer leurs contrôles aux frontières. Il a estimé que la directive relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié risquait de créer de nouvelles catégories de déboutés du droit d'asile, ce dont le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés s'était inquiété.

Evoquant la législation française sur les étrangers, M. Patrick Delouvin a souligné les risques de voir un étranger renvoyé dans son pays d'origine avant d'avoir pu accéder à la procédure d'asile, soulignant que des étrangers entrés de manière irrégulière en France et contrôlés avant d'avoir pu demander l'asile, voyaient leur demande traitée selon la procédure prioritaire qui emportait l'absence de titre de séjour et de droits sociaux, la suppression du caractère suspensif du recours devant la Commission des recours des réfugiés ainsi que le traitement de la demande d'asile par l'OFPRA en 15 jours. Il a ajouté que ces étrangers étaient en général placés en rétention administrative et privés du droit à un interprète.

Il a observé que des étrangers pouvaient se trouver en situation irrégulière en France du fait de l'application du règlement Dublin II, soit en raison du rejet de leur demande d'asile dans un autre Etat membre sur le territoire duquel ils avaient accédé au territoire communautaire, soit en raison de leur hésitation à déposer une demande d'asile en France de peur d'être empêchés de se rendre dans un autre Etat membre pour y rejoindre leur famille ou leur communauté.

a enfin souligné que des étrangers pouvaient se trouver en situation irrégulière, dans la mesure où leur demande d'asile avait été rejetée en raison de la précarité dans laquelle ils vivaient et des nouveaux obstacles juridiques liés à la réforme du droit d'asile. Il a évoqué le cas de certains demandeurs attendant parfois quatre ans pour obtenir le statut de réfugié à la suite du rejet de leur demande d'asile par l'OFPRA, du rejet de leur recours par la Commission des recours des réfugiés puis du réexamen positif de leur demande par cette dernière.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

ayant souhaité savoir si Amnesty international avait des observations particulières sur l'immigration clandestine dans les départements et collectivités d'outre-mer, M. Patrick Delouvin a souligné la diversité des situations rencontrées, évoquant en particulier le cas des immigrants Haïtiens en Guadeloupe et en Guyane, souvent privés de la possibilité de demander l'asile. Il a toutefois reconnu que des tentatives pour améliorer l'accès des demandeurs d'asile étaient en cours, en particulier grâce au renforcement de la présence de l'OFPRA en Guadeloupe.

ayant demandé quelles étaient les conditions de vie des demandeurs d'asile en France, M. Patrick Delouvin a constaté que les moyens de l'Etat en faveur de l'hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) avaient fortement progressé mais restaient insuffisants, de nombreux demandeurs d'asile n'y étant pas accueillis et bénéficiant seulement d'une allocation mensuelle de 300 € pour une durée d'un an, alors que la procédure d'asile dépassait en général cette durée. Il a relevé qu'en 2004, seuls 10 % des demandeurs d'asile adultes avaient pu être hébergés en CADA. Il a souligné que l'accès aux centres provisoire d'hébergement restait également difficile, leur nombre n'ayant pas augmenté depuis de nombreuses années. Il a estimé que les demandeurs hébergés en CADA avaient statistiquement plus de chance de voir leur demande acceptée, puisqu'environ 60 % d'entre eux obtenaient le statut de réfugié.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Mermaz

a souhaité connaître, d'une part, les conditions dans lesquelles Amnesty international était saisi par les demandeurs d'asile et intervenait à leur côté et, d'autre part, les effets concrets de son action.

Debut de section - Permalien
Patrick Delouvin

a indiqué qu'Amnesty international comportait environ 20.000 militants regroupés en 380 groupes locaux, mais qui n'avaient pas pour seul objet la protection et l'aide des demandeurs d'asile. Il a souligné que l'association intervenait, selon les cas et les besoins, au niveau de l'OFPRA, des préfectures, de la Commission des recours des réfugiés ou des ministères concernés, l'une des modalités d'intervention de cette association consistant également à alerter les pouvoirs publics et la société civile sur certaines situations. Il a insisté sur le fait que l'association travaillait non seulement au plan local ou national, mais également au niveau européen. Il a réitéré sur ce point ses craintes sur l'externalisation de l'asile par l'Union européenne, évoquant en particulier les accords conclus avec la Libye et le Maroc. Il a estimé que le « taux de réussite » de l'intervention d'Amnesty international restait néanmoins insuffisant.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

a insisté sur la nécessité d'accompagner les demandeurs d'asile dans leurs démarches, rappelant que l'association France Terre d'asile avait indiqué lors de son audition par la commission d'enquête que près des trois-quarts des demandeurs ayant fait l'objet d'un accompagnement se voyaient accorder le statut de réfugié. Elle a demandé si les droits des demandeurs n'avaient pas été réduits par la mise en oeuvre de mesures de contrôles plus stricts, telles que les contrôles en sortie d'avion.

Debut de section - Permalien
Patrick Delouvin

a précisé qu'Amnesty international avait parfois dû alerter la Commission des droits de l'homme du Conseil de l'Europe sur certaines situations difficiles créées par ces nouvelles procédures. Il a remarqué la baisse très importante des demandes d'asile aux frontières extérieures, passées de 10.000 en 2002 à environ 2.000 en 2005.

Il a expliqué que cette baisse provenait du renforcement des obstacles à l'accès des étrangers à l'asile, résultant en particulier des contrôles opérés par les officiers de liaison « immigration » lors de l'embarquement dans les pays de provenance. Il a cité l'exemple du Burkina Faso, où ces officiers contrôlaient les personnes après les contrôles effectués par les autorités locales de police. Il a également évoqué les sanctions qui pouvaient être prononcées par les transporteurs ayant permis l'entrée irrégulière d'étrangers sur le territoire national, les contrôles « en porte d'avion » à Roissy, ainsi que l'absence d'application systématique du « jour franc » qui permettait l'éloignement des étrangers quelques heures seulement après leur arrivée sur le territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Demuynck

a souhaité connaître la proportion des demandeurs d'asile qui risquaient, de retour dans leur pays d'origine, d'être soumis à des dangers.

Debut de section - Permalien
Patrick Delouvin

a expliqué que la question était de savoir combien de demandeurs d'asile déboutés étaient effectivement renvoyés dans leur pays d'origine, indiquant que la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale avait évalué ce nombre à 20 % des déboutés. Il s'est inquiété qu'une augmentation des refus d'octroi du statut des réfugiés soit souhaitée par le ministère de l'intérieur, regrettant par ailleurs que les récentes circulaires ministérielles ne rappellent pas expressément les cas dans lesquels le renvoi de demandeurs d'asile dans leur pays de provenance était impossible.

Il a jugé qu'il était très difficile de savoir quelle était la situation des déboutés du droit d'asile une fois ces derniers renvoyés vers leur pays d'origine, soulignant que même dans les pays où étaient présentes des associations de protection des droits de l'homme, tels que la Turquie ou le Congo, il était difficile d'obtenir des informations, Amnesty international recevant par ailleurs peu d'informations de la part des préfectures sur les conditions dans lesquelles les demandeurs déboutés avaient été remis aux autorités de leur pays d'origine. Il a rappelé les situations dramatiques rencontrées dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

Interrogé par M. Georges Othily, président, sur la présence de représentants d'Amnesty international dans les départements et collectivités d'outre-mer intervenant dans le cadre des procédures d'asile, M. Patrick Delouvin a regretté que son association ait une structure trop limitée, liée au refus de bénéficier de subventions publiques, pour avoir des délégués chargés exclusivement de l'accompagnement des demandeurs d'asile en outre-mer.

La commission a ensuite entendu Mme Jacqueline Costa-Lacoux, membre du Haut conseil à l'intégration et directrice de l'Observatoire des statistiques de l'immigration et de l'intégration.

Debut de section - Permalien
Jacqueline Costa-Lacoux

a d'abord souligné que l'immigration clandestine n'était, par définition, pas dénombrée et qu'elle renvoyait à une réalité complexe et mouvante. Les analyses qui pouvaient être effectuées il y a dix ans, au moment, par exemple, de l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard, sont ainsi déjà dépassées. En outre, chaque pays est confronté à des flux migratoires différents, ce qui ne facilite pas le dialogue entre les responsables. Mme Jacqueline Costa-Lacoux a témoigné de la vivacité des échanges qui opposent à Bruxelles les représentants de la France, surtout préoccupés par l'immigration africaine, aux représentants de l'Allemagne, davantage concernés par l'immigration en provenance d'Europe de l'est.

a proposé de dresser une typologie des diverses formes d'immigration clandestine, avant de présenter les méthodes de mesure de l'immigration clandestine.

Elle a, en premier lieu, distingué la notion d'immigré clandestin de celle d'étranger en situation irrégulière. L'immigré clandestin tente de s'installer sans autorisation sur notre territoire, soit par ses propres moyens, soit en empruntant des filières, qui doivent être combattues par une coopération internationale appropriée.

Les étrangers en situation irrégulière, en revanche, ont eu un statut régulier, qu'ils ont ensuite perdu : ils ont pu pénétrer sur le territoire grâce à un visa, ou bénéficier de titres de séjours « précaires », tels qu'une autorisation provisoire de séjour (APS), ou se voir notifier le non-renouvellement de leur titre de séjour, et ont choisi de se maintenir sur le territoire alors qu'ils n'y étaient plus autorisés. Mme Jacqueline Costa-Lacoux a évoqué le cas des étrangers en situation régulière qui perdent leurs papiers et risquent de se voir rejeter dans l'illégalité, faute de pouvoir prouver la régularité de leur séjour. D'autres étrangers sont ressortissants d'Etats où l'état civil n'est pas fiable ou est incomplet. Elle a également mentionné la situation des ressortissants des dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne, qui doivent, en application de règles transitoires, demander un titre de séjour s'ils veulent être autorisés à travailler dans un autre Etat membre, mais qui n'accomplissent pas tous cette formalité. Elle a enfin cité le cas des étudiants qui se maintiennent sur notre territoire sans autorisation, après avoir achevé leurs études.

a ensuite indiqué qu'il existait, pour tenter d'évaluer l'ampleur de l'immigration clandestine, des sources fiables mais partielles, et des sources indirectes.

Certaines données sont en effet précisément connues mais ne donnent qu'une image partielle du phénomène de l'immigration irrégulière. On dispose ainsi de statistiques sur le nombre de personnes interpellées, poursuivies et condamnées pour infraction à la législation relative au séjour. Mme Jacqueline Costa-Lacoux a insisté sur le problème posé par le cumul d'infractions : c'est souvent à l'occasion de la commission d'une autre infraction que les étrangers en situation irrégulière sont repérés. On connaît également le nombre de personnes qui font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire, que l'on peut comparer au nombre de mesures d'éloignement effectivement exécutées, ou encore le nombre de décisions prises en application d'un accord de réadmission.

Les sources indirectes permettent d'évaluer le nombre d'immigrés clandestins en faisant l'hypothèse que les personnes identifiées représentent une certaine proportion des étrangers présents irrégulièrement sur le territoire. On peut ainsi procéder à des extrapolations :

- à partir du nombre de demandes de titre de séjour déposées rapporté au nombre de demandes refusées ou de non-renouvellements de titres de séjour ;

- à partir du nombre d'attestations d'accueil demandées présentées, comparé à celui des attestations validées et refusées ;

- à partir des infractions relevées par l'inspection du travail, mais l'irrégularité peut porter sur le séjour ou sur le travail ;

- à partir du nombre de déboutés du droit d'asile qui n'ont pas fait l'objet d'une reconduite à la frontière ;

- en comparant le nombre de mineurs entrés sur le territoire au titre du regroupement familial à celui des mineurs qui ont obtenu un titre de séjour à leur majorité ;

- à partir du nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), en tenant cependant compte du fait que les étrangers en situation irrégulière recourent peu aux soins médicaux et que des bénéficiaires de l'AME peuvent être régularisés ;

- ou encore à partir du nombre d'enfants scolarisés dont les parents sont en situation irrégulière, qui peut être estimé entre 15.000 et 20.000.

a indiqué qu'elle laissait le soin au ministère de l'intérieur de fournir à la commission d'enquête des données sur les résultats de la lutte contre les trafics de main-d'oeuvre ou sur le coût de la lutte contre l'immigration clandestine pour les services. Elle a noté que le Home Office britannique avait réalisé un rapport pour évaluer le bénéfice retiré par l'économie britannique de la présence d'immigrés clandestins, ce qui montre que différentes approches sur le sujet peuvent coexister.

Elle a ajouté qu'il était difficile de déduire d'indicateurs de pression migratoire, comme les placements en zone d'attente ou les refus d'admission sur le territoire, des conclusions sur le nombre de personnes en situation irrégulière présentes sur le territoire. Rappelant qu'elle avait été auditionnée à l'Assemblée nationale pour rendre compte de ses travaux sur l'état-civil et l'immigration clandestine à Mayotte, elle a estimé que l'on ne disposait pas d'outils suffisants pour mesurer l'immigration clandestine dans les départements et collectivités d'outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Mermaz

Rappelant que le début de la sagesse consistait à savoir que l'on ne sait rien, M. Louis Mermaz a cependant regretté que l'exposé présenté à la commission contienne si peu de données chiffrées.

Debut de section - Permalien
Jacqueline Costa-Lacoux

a fait valoir qu'elle ne voulait pas, en tant que scientifique, avancer des données non étayées. Elle a rappelé que le Haut conseil à l'intégration avait choisi, en accord avec le comité scientifique de l'Observatoire, de n'étudier que l'immigration régulière et que son rapport sur ce point faisait désormais l'unanimité. Le prochain rapport au Parlement contiendra, en revanche, des données sur l'immigration irrégulière.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

a demandé à Mme Jacqueline Costa-Lacoux si elle n'avait pas cependant déjà accès à certains chiffres.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

a douté que l'on puisse réfléchir aux problèmes d'intégration et d'immigration sans disposer de données chiffrées.

Debut de section - Permalien
Jacqueline Costa-Lacoux

a répété que l'on disposait d'un nombre de plus en plus important de statistiques validées sur les flux d'immigration régulière et qu'il y aurait un chapitre sur l'immigration irrégulière dans le prochain rapport au Parlement. Elle a ajouté que, trois jours avant la date prévue de remise de ce rapport au Premier ministre, M. Patrick Stéfanini, secrétaire général du comité interministériel de contrôle de l'immigration, avait constaté que les statistiques fournies par le ministère de l'intérieur en matière de titres de séjour, qui sont élaborées par des entreprises sous-traitantes, manquaient de fiabilité. Alors que la France accueille chaque année environ 17.000 travailleurs saisonniers, les statistiques du ministère ne recensaient par exemple que trois saisonniers dans le département du Var. En conséquence, il a été décidé de repousser la sortie de ce rapport à la fin du mois de janvier 2006.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

a souhaité obtenir des informations sur le nombre de personnes victimes de la « double peine ».

Debut de section - Permalien
Jacqueline Costa-Lacoux

a indiqué que les mesures d'éloignement du territoire obéissaient à des règles complexes et qu'elles pouvaient être décidées par les autorités judiciaires ou administratives. La double peine a en principe été supprimée et on ne dispose pas de données sur ce point pour l'année 2004.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

a demandé quel était le statut du Haut conseil à l'intégration.

Debut de section - Permalien
Jacqueline Costa-Lacoux

a répondu que le Haut conseil, qui compte vingt membres, avait été créé en 1989 et qu'il avait été présidé, successivement, par M. Marceau Long, Mme Simone Veil, M. Roger Fauroux et Mme Blandine Kriegel. Un de ses membres dirige l'Observatoire, qui est rattaché au Haut conseil.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

En réponse à M. Philippe Dallier, qui a souhaité connaître les moyens dont disposait l'Observatoire, Mme Jacqueline Costa-Lacoux a expliqué que l'Observatoire des statistiques de l'immigration et de l'intégration s'appuyait sur les données fournies par l'ensemble des ministères concernés, ainsi que par l'Institut national d'études démographiques (INED) et l'Institut national des statistiques et des études économiques (INSEE), et qu'il pouvait solliciter d'autres organismes si nécessaire. L'Observatoire effectue un travail de collecte et de mise en cohérence de ces données et remplit aussi une mission de réflexion et de proposition, notamment pour améliorer la fiabilité des données. Un chargé de mission, souvent secondé par un stagiaire, travaille à plein temps pour l'Observatoire. L'équipe de direction devrait être bientôt renforcée par l'arrivée d'un directeur-adjoint. Le groupe statistique rassemble les représentants des administrations et des autres organismes qui contribuent aux travaux de l'Observatoire et un conseil scientifique garantit la rigueur de ses travaux.

La commission d'enquête a enfin entendu M. François Julien-Laferrière, professeur à l'Université de Paris-Sud, directeur de l'Institut d'études de droit public.

Debut de section - Permalien
François Julien-Laferrière, professeur à l'Université Paris-Sud, directeur de l'Institut d

Indiquant qu'il enseignait depuis quelques mois à l'étranger et n'était donc pas au fait des projets récemment avancés par le Gouvernement, M. François Julien-Laferrière, professeur à l'Université Paris-Sud, directeur de l'Institut d' a souhaité introduire son propos par deux observations.

Il a en premier lieu relevé qu'il n'était pas indifférent de parler d'immigration clandestine ou d'immigration irrégulière, les immigrés clandestins -ceux qui ont la volonté de se soustraire à la connaissance et au contrôle des autorités- ne représentant qu'une fraction relativement limitée des immigrés qui sont en situation irrégulière au regard de la loi et de la réglementation.

Il a en second lieu jugé qu'il était important de cerner les causes de l'immigration irrégulière si l'on souhaitait tenter de trouver des solutions à ce problème et surtout éviter de recourir à celles qui ont montré les limites de leur efficacité.

A ce propos, rappelant qu'il s'intéressait au droit des étrangers depuis une trentaine d'années, M. François Julien-Laferrière a observé que les mesures prises pendant cette période avaient toujours été des mesures allant dans le sens de davantage de restrictions aux possibilités d'entrée sur le territoire national et de davantage de sanctions des infractions à la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers, tandis que croissait dans le même temps le nombre des étrangers en situation irrégulière.

Constatant donc un décalage entre l'objectif politique et les moyens juridiques employés pour l'atteindre, il a conclu à l'utilité d'un effort de réflexion de fond sur le problème de l'immigration, tel celui dont avait procédé l'ordonnance du 2 novembre 1945 mais qui n'a pas été renouvelé depuis.

Il a observé que les conditions actuelles n'avaient plus rien à voir avec celles de l'immédiat après-guerre, ni quant à la situation française ni quant à la situation mondiale : les mouvements de population ne sont plus les mêmes, de nouveaux types d'immigration sont apparus et les populations concernées présentent des caractéristiques très différentes de l'image que l'on a de la population française classique, ce qui rend plus difficile le fonctionnement du modèle d'intégration classique. M. François Julien-Laferrière a souligné que toutes ces évolutions étaient liées entre elles et devraient être reliées aux causes de l'immigration, qui sont dans la plupart des cas des causes économiques et tiennent à la différence des niveaux de vie et des modes de vie.

Il a noté que le droit n'était pas fait pour résoudre ces problèmes, dont la solution dépasse largement la compétence des juristes. Le droit, a-t-il rappelé, est une technique au service d'une politique : il faut donc qu'il y ait d'abord une politique clairement définie pour qu'ensuite le droit puisse venir l'appuyer.

A cet égard, M. François Julien-Laferrière a relevé que, depuis une trentaine d'années, la France avait une « politique de non-immigration » mais pas de politique de l'immigration, et qu'il ne pouvait dès lors y avoir de solution juridique permettant de contrôler l'immigration.

En conclusion, il a noté que, s'il n'appartenait pas au juriste de définir une politique, celui-ci pouvait en revanche aider à formaliser les règles qui doivent être appliquées, et sanctionnées en cas de non-application.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

a demandé à M. François Julien-Laferrière s'il avait pu observer des exemples étrangers de politiques d'immigration « identifiables ».

Debut de section - Permalien
François Julien-Laferrière, professeur à l'Université Paris-Sud, directeur de l'Institut d

a répondu qu'il revenait du Mexique, qui est un pays d'émigration. Il a noté à ce sujet que, si les Etats-Unis avaient pu longtemps offrir un modèle, ou du moins un exemple, de politique d'immigration susceptible d'être transposé ou adapté dans d'autres pays, ce n'était plus le cas : les Etats-Unis vivent désormais, comme a vécu la France, sur une marge d'immigrants irréguliers -un million pour les seuls Mexicains- qui lui permet de disposer d'une main-d'oeuvre bon marché et qui est un moteur de l'économie.

Il a indiqué que le Canada, en revanche, avait une véritable politique d'immigration, qui a le mérite d'être claire, et une politique d'asile peut-être aujourd'hui moins claire mais qui l'a été jusqu'à il y a cinq ou six ans. Il a souligné le caractère volontariste de la politique canadienne de l'immigration, qui tend à maîtriser l'immigration en faisant appel à des étrangers répondant à des critères de compétence technique et linguistique -la connaissance des deux langues officielles du Canada. Quant à la politique de l'asile, moins suspicieuse que celle des Etats européens, elle a apporté une meilleure réponse au besoin de protection des demandeurs d'asile et donc créé moins de déboutés restant sur le territoire national.

a cependant douté qu'une politique d'immigration sur le modèle canadien, fondé sur des critères « objectifs » à la limite des critères ethniques ou de nationalité, puisse être envisageable en France à court ou moyen terme, précisant que les quotas d'immigration étaient certes définis en fonction du marché du travail mais que, la demande excédant l'offre, une deuxième sélection était faite sur la base de critères d'intégration à la société canadienne, ce qui pouvait friser les quotas par nationalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

a fait état de la volonté du gouvernement canadien d'encourager, dans la région de Vancouver, l'immigration d'étrangers d'origine asiatique afin de lutter contre le vieillissement de la population.

Debut de section - Permalien
François Julien-Laferrière, professeur à l'Université Paris-Sud, directeur de l'Institut d

a estimé que ce choix pouvait s'expliquer par la capacité d'intégration des immigrants d'origine asiatique, et aussi par la présence dans l'Ouest canadien, depuis plusieurs générations, d'une importante population d'origine asiatique.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

a alors demandé à M. François Julien-Laferrière si, selon lui, les textes applicables à l'entrée et au séjour des étrangers devraient être une nouvelle fois modifiés, ou remplacés par un texte entièrement nouveau.

Debut de section - Permalien
François Julien-Laferrière, professeur à l'Université Paris-Sud, directeur de l'Institut d

S'interrogeant sur la récente codification, qui présentait le grave inconvénient d'associer des textes applicables à des situations de nature très différente, l'accueil et le séjour des étrangers, d'une part, et le droit d'asile, d'autre part, M. François Julien-Laferrière a observé que les textes en vigueur avaient déjà maintes fois été « toilettés », ce qui avait eu pour conséquence de nuire à leur cohérence et de les rendre difficiles à appliquer, leur analyse révélant d'ailleurs un certain nombre de contradictions et de lacunes. Il a donc indiqué qu'il inclinerait plutôt à préconiser l'élaboration d'un texte entièrement nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Othily

Invité par M. Georges Othily, président, à donner des exemples des contradictions et des lacunes qu'il avait dénoncées, M. François Julien-Laferrière a tout d'abord cité les dispositions relatives à la protection contre l'expulsion, qui pouvaient déboucher sur des solutions contradictoires en fonction du type de procédure d'expulsion choisi, contradictions aggravées par le recours à des notions imprécises.

Il a par ailleurs estimé que l'on pouvait relever certaines lacunes dans le régime de l'asile, mais aussi dans le régime de l'entrée sur le territoire, qui ne permet pas de définir clairement les conditions dans lesquelles un étranger peut être autorisé à entrer sur le territoire national. Il s'est également interrogé sur la portée des dispositions de l'ancien article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (article L. 213-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) qui permettent de refuser l'entrée sur le territoire à un étranger « dont la présence constituerait une menace pour l'ordre public », notant que cette menace était difficile à apprécier dans le cas d'un individu qui, par définition, ne se trouvait pas encore sur le territoire national, et qu'une telle rédaction pouvait par conséquent autoriser des appréciations extrêmement subjectives.

En conclusion de ce débat, M. Georges Othily, président, a demandé à M. François Julien-Laferrière de bien vouloir communiquer à la commission d'enquête un relevé des contradictions et des lacunes des textes rassemblés dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.