La délégation a procédé à l'audition de Mme Isabelle Germain, présidente de l'Association des femmes journalistes.
après avoir rappelé le thème d'étude retenu par la délégation pour son rapport d'activité annuel, et l'organisation, le 20 février 2007, d'une audition publique, sous la forme d'une table ronde, sur le thème : « Les femmes ont-elles toute leur place dans les médias ? », a noté que les femmes étaient relativement présentes dans les professions des médias, en particulier pour la présentation des journaux télévisés, mais s'est interrogée sur leurs marges de manoeuvre réelles en matière de définition de la politique éditoriale. Elle a ensuite présenté l'intervenante et rappelé que celle-ci était également journaliste au magazine « L'usine nouvelle ».
a rappelé que l'Association des femmes journalistes (AFJ), qui compte actuellement une centaine de membres, soit une part réduite du nombre total de femmes journalistes, avait été créée en 1981, dans le but de promouvoir l'image et la place des femmes dans les médias, c'est-à-dire la place des femmes journalistes et la place des femmes dans le contenu de l'information. Elle a indiqué que les femmes occupaient, dans les médias, la même position que dans beaucoup d'autres professions, à savoir qu'elles étaient relativement nombreuses « à la base », mais nettement moins présentes « au sommet », et a estimé que cette situation avait des conséquences concrètes sur la façon dont l'information était présentée.
Elle a évoqué l'organisation par l'AFJ, la veille, d'un dîner précédé d'une rencontre avec Mme Dominique Méda à propos de son dernier livre, intitulé « Le deuxième âge de l'émancipation », dans lequel celle-ci souligne les difficultés auxquelles les femmes continuent d'être confrontées pour concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. Elle a indiqué que ce livre appelait en particulier l'attention sur les insuffisances des politiques publiques en matière de garde des enfants, seulement 45 % des enfants de moins de trois ans étant confiés à une structure de garde prise en charge par la collectivité. Elle a ainsi relativisé l'affirmation, véhiculée par les médias, selon laquelle la forte natalité constatée en France serait liée à la qualité des modes de garde mis en place par les pouvoirs publics, et a parlé de « déformation de la réalité » en évoquant les propos tenus au sujet des progrès de la situation des femmes. Elle a regretté la trop faible médiatisation des idées développées dans cet ouvrage.
a également illustré ses propos avec les organigrammes des rédactions des grands médias, qui font apparaître que peu de femmes occupent des fonctions de responsabilité. Elle a fait observer que les hommes continuaient d'y détenir les clefs du pouvoir et qu'il était dès lors difficile pour les femmes de faire valoir une vision de la société différente de celle des hommes, les femmes relayant d'ailleurs souvent le discours masculin dominant.
Elle a indiqué que, depuis 1995, l'AFJ participait pour la France à une étude quinquennale, qui consistait à recenser, le même jour, dans la presse de 76 pays, le genre des personnes citées dans les informations publiées. Elle a indiqué que la dernière de ces enquêtes, réalisée en mai 2006, sur la base du dépouillement de sept quotidiens, dont deux quotidiens régionaux, faisait ressortir qu'en France, ces personnes étaient à 82 % des hommes et à 18 % seulement des femmes, à comparer à une moyenne mondiale de 24 % de femmes citées. Elle a souligné que cette proportion n'avait quasiment pas évolué depuis 1995.
a précisé que les femmes apparaissant dans les médias étaient le plus souvent soit anonymes, soit en position de victime, soit citées comme ayant un lien familial avec un homme, alors que les hommes étaient très majoritairement cités avec leurs fonctions. Elle a pris l'exemple d'un exemplaire d'un célèbre hebdomadaire français qui, à l'exception des publicités, ne montre une femme pour la première fois qu'à la page 40. Elle a également fait observer que, contrairement aux hommes, les femmes citées dans la presse ne l'étaient généralement qu'avec leur prénom, comme si elles n'avaient pas de nom. Elle a ajouté que les femmes étaient quasiment absentes de certaines rubriques des journaux, en particulier les pages consacrées au sport ou à l'économie, et que, dans les pages culturelles, où elles apparaissaient plus souvent, c'était généralement comme muses d'un artiste, mais plus rarement comme artistes elles-mêmes ou auteurs.
En termes de présence dans les médias, elle a indiqué que les hommes politiques étaient les plus souvent cités, et que les femmes les plus régulièrement citées étaient également des responsables politiques. Elle a noté que, le jour choisi pour réaliser cette étude, le 10 mai 2006, la presse évoquait de façon récurrente l' « affaire Clearstream », dont les protagonistes étaient très majoritairement masculins, à l'exception du ministre de la défense et du maire de Lille.
Elle a relevé qu'une femme citée sur quatorze l'était en tant que victime, contre un homme sur vingt-et-un, qu'une femme citée sur six était anonyme, contre un homme sur trente-trois, faisant observer que l'anonymat des hommes était souvent utilisé dans un souci de protection, tandis que les femmes étaient généralement mentionnées comme témoins populaires, et non comme actrices ou expertes.
a indiqué que cette étude quinquennale visait à sensibiliser les journalistes à la question de la représentation des femmes dans l'information, ainsi que l'opinion publique, les enseignants par exemple, mais également les femmes exerçant des fonctions de responsabilité qui, selon elle, s'affirment moins naturellement que les hommes et ont besoin de prendre confiance en elles. Elle a également noté que l'AFJ décernait autrefois un prix de la publicité la moins sexiste, c'est-à-dire celle qui ne propageait pas de stéréotypes sexués.
Elle a toutefois regretté que l'AFJ ne parvienne pas à mobiliser davantage de femmes journalistes, ce qu'elle a expliqué par un manque de disponibilité et, parfois, par la crainte de s'afficher comme « féministe ».
a constaté que, lors d'émissions de télévision auxquelles elle avait participé, un journaliste avait présenté Hélène Lazareff, fondatrice du magazine « Elle », comme « la femme de » Pierre Lazareff, tandis qu'un autre journaliste avait relativisé le phénomène des violences envers les femmes.
prenant l'exemple de Mme Ségolène Royal, a fait observer que l'aspect physique ou la façon de s'habiller d'une femme politique étaient généralement plus commentés que ses idées, et que sa compétence à exercer le pouvoir était remise en cause dès qu'elle commettait une « bourde », ce qui n'était pas le cas pour un homme politique.
a fait remarquer que Mme Edith Cresson s'était trouvée, en son temps, dans une situation comparable.
s'est interrogée sur le niveau de formation et de rémunération des femmes journalistes.
a indiqué que les écoles de journalisme comprenaient près de la moitié de filles parmi leurs élèves. Elle a ajouté que les femmes journalistes étaient souvent plus diplômées que les hommes, mais qu'elles se heurtaient au « plafond de verre » au cours de leur carrière professionnelle. En effet, elle a souligné qu'elles étaient généralement moins rémunérées que leurs collègues masculins, qu'elles représentaient le plus grand nombre des pigistes avec un statut précaire et surtout qu'elles accédaient plus difficilement aux fonctions de responsabilité. Elle a également noté qu'elles travaillaient plus fréquemment à temps partiel, même si cette organisation du temps de travail était moins répandue dans le journalisme que dans d'autres professions.
s'est demandé si une femme occupant un poste de responsabilité au sein d'une rédaction se montrait solidaire de ses collaboratrices.
a répondu que tel n'était généralement pas le cas. Elle a ajouté que certaines femmes journalistes, croyant satisfaire les attentes de leur hiérarchie masculine, faisaient parfois de la surenchère dans l'« antiféminisme ». Elle a par ailleurs fait remarquer que les femmes journalistes suspectées de féminisme, comme elle-même, étaient souvent mal considérées par leurs collègues, y compris les femmes. Enfin, elle a noté qu'à la difficulté plus grande pour une femme d'obtenir un poste de responsabilité s'ajoutait fréquemment une charge de travail plus lourde pour une femme exerçant des fonctions au sein d'une équipe de direction. Elle a cité une étude récente de l'association « Grandes écoles au féminin », selon laquelle les femmes consacrent autant de temps à leur travail que les hommes, cette étude infirmant ainsi le préjugé, extrêmement répandu, selon lequel la maternité serait un obstacle à la carrière des femmes. Elle a également dénoncé un autre préjugé, selon lequel nommer une femme en âge d'avoir des enfants à un poste de responsabilité constituerait une prise de risque.
s'est demandé si la nomination de femmes journalistes à certaines fonctions, en particulier à la télévision, n'était pas exagérément déterminée par leur aspect physique.
a confirmé cette impression et a noté que les journalistes chargées de couvrir l'actualité à l'Assemblée Nationale, notamment, étaient généralement jeunes et jolies.
constatant que l'AFJ rassemblait essentiellement des journalistes de la presse écrite, a souhaité savoir si cette association comptait également des adhérentes issues des médias audiovisuels, et s'est demandé si la situation de certaines femmes journalistes à la télévision ne dissimulait pas la réalité d'une situation plus défavorable aux femmes dans l'ensemble de la profession.
a confirmé que les quelques « stars » de la télévision n'étaient pas représentatives de la situation d'ensemble des femmes journalistes. Elle a également attiré l'attention sur la tendance à la précarisation de la situation professionnelle des journalistes, marquée par de faibles rémunérations, un important « turnover » et le recours des rédactions à un nombre croissant de collaborateurs extérieurs occasionnels.
s'est étonnée de la passivité de l'opinion publique face à l'utilisation des femmes comme « faire valoir » dans les médias.
a estimé que les médias reflétaient une image de la société plus sexiste que dans la réalité.
faisant part de son étonnement devant les chiffres relevés dans l'étude quinquennale de l'AFJ, s'est interrogée sur les moyens d'améliorer cette situation. Elle s'est demandé si la situation des femmes n'était pas plus difficile encore dans le journalisme qu'en politique, les dispositions législatives relatives à la parité permettant désormais aux femmes d'accéder plus facilement à des mandats électifs.
a acquiescé à ces propos et a souligné la pertinence du choix du thème d'étude de la délégation, qui peut sans doute contribuer à faire prendre conscience à l'opinion publique de la réalité de la situation des femmes dans les médias.
a estimé que les femmes, après avoir conquis leur indépendance physique puis financière, devaient maintenant conquérir leur indépendance morale.
a souligné le rôle essentiel des médias pour atteindre cet objectif, dans la mesure où ils contribuent à formater l'opinion publique.
a abondé dans le même sens et a évoqué également les publicités sexistes, qui ne semblent guère choquer. Elle a également regretté l'hypocrisie du discours consistant à déplorer l'absence de « vivier » de femmes susceptibles d'accéder à des fonctions de responsabilité, alors que les conditions requises pour créer ce « vivier » ne sont pas réunies, comme par exemple pour l'accès des femmes aux conseils d'administration des grandes entreprises. Elle a constaté que les femmes étaient bloquées dans leur carrière avant même d'avoir la possibilité d'accéder à ces viviers.
a fait observer qu'un discours identique était tenu s'agissant de l'accès des femmes aux responsabilités politiques.
a noté que la question de la compétence des hommes n'était en revanche jamais posée.
a estimé que les causes de cette situation étaient profondes et qu'elles étaient à rechercher dans l'éducation reçue dès la petite enfance, les filles et les garçons n'étant pas élevés de la même façon.
constatant que le mot « féminisme » était devenu péjoratif, s'est demandé quel autre terme utiliser pour faire avancer la cause des femmes.
a indiqué qu'elle se revendiquait comme féministe et a estimé qu'il convenait d'expliquer que le féminisme n'était rien d'autre que la défense légitime des droits des femmes.
a considéré que le féminisme ne devait pas être caricaturé et que, selon elle, il constituait un prolongement naturel de la démocratie, tout en convenant qu'une femme se présentant comme féministe prenait le risque de ne plus être écoutée.
se référant à l'évolution positive de la tonalité des débats parlementaires relatifs à la parité en politique, a fait remarquer que la cause des femmes avait tout de même connu de réels progrès au cours des dernières années.
a fait observer que la présence des hommes dans un secteur d'activité était toujours liée au pouvoir, et que ce phénomène se retrouvait dans les médias : les hommes sont plus nombreux dans la presse politique ou économique, alors que les femmes sont nettement plus présentes dans la presse professionnelle, moins prestigieuse, ou dans la presse dite féminine.
Elle a d'ailleurs qualifié de « schizophrène » la politique éditoriale de la presse féminine française, qui publie des articles féministes et, en même temps, enferme les femmes dans une image et des rôles stéréotypés. Elle a noté que cette presse était généralement financée par l'industrie cosmétique et diffusée par des groupes de presse dirigés par des hommes.
a précisé que les femmes représentaient un peu moins de la moitié des effectifs des journalistes et que les écoles de journalisme comptaient actuellement 48 % de filles parmi leurs élèves.
s'est demandé si une femme directrice de l'information dans un grand média pouvait être considérée comme une exception.
a estimé que, si la situation s'améliorait quelque peu, un tel cas pouvait être considéré, aujourd'hui encore, comme exceptionnel. Elle a également fait remarquer que les présentatrices de journaux télévisés intervenaient généralement le week-end, les journaux de la semaine étant présentés le plus souvent par des hommes.
Elle a regretté que les femmes ne se mettent pas suffisamment en avant et que l'on considère trop souvent l'égalité entre les hommes et les femmes comme un acquis.
En conclusion, Mme Gisèle Gautier, présidente, a proposé à l'intervenante de se joindre à l'audition publique organisée par la délégation, sous forme de table ronde, le 20 février, afin de renforcer l'aspect contradictoire du débat.