Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales au Commissariat général à l'égalité des territoires. M. Bevort est accompagné de M. Philippe Cichowlaz, chef de la mission des affaires européennes.
Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) est issu du regroupement de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, du Secrétariat général du comité interministériel des villes et de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. Il évoluera prochainement en une Agence nationale de la cohésion des territoires.
Le CGET est placé sous l'autorité de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, que nous avons prévu d'auditionner. Il appuie le Gouvernement dans la lutte contre les inégalités territoriales et le soutien aux dynamiques territoriales, en concevant et animant les politiques de la ville et d'aménagement du territoire avec les acteurs locaux et les citoyens. Ses champs d'intervention sont interministériels : accès à l'emploi, aux soins et aux services au public, cohésion sociale, inclusion numérique, aide aux mobilités, attractivité économique, transitions écologique et numérique, redynamisation des territoires fragiles et des centres-villes en déprise, etc.
Le CGET est actuellement organisé en trois directions : ville et cohésion urbaine, développement des capacités des territoires et, celle qui nous intéresse le plus aujourd'hui, stratégies territoriales.
L'audition du CGET est évidemment un moment incontournable des travaux de notre mission d'information car ce service a une vision d'ensemble de la gestion et de la consommation des fonds européens en France. Il a d'ailleurs publié une brochure très complète sur les fonds européens structurels et d'investissement 2014-2020.
Notre mission d'information souhaite dresser un bilan de l'utilisation des fonds européens dans notre pays. Où en est la programmation en cours ? Quelle est votre appréciation du transfert aux régions de la gestion des fonds européens ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées ? Ce transfert de gestion est-il complet ? Le constat est-il différencié selon les régions, y compris en outremer ? La situation de notre pays est-elle vraiment caractérisée par une sous-utilisation chronique des fonds européens ou l'analyse est-elle à nuancer ? Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous sur les propositions de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel ? Comment pourrait-on améliorer la gestion des fonds européens ? Voici quelques-unes des questions qui intéressent notre mission d'information.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Colette Mélot, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
La mission d'information que vous conduisez arrive à point nommé. Elle se déroule au lendemain des élections européennes, ce qui permet probablement de mener des travaux plus sereins sur ce sujet, et à la veille d'un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne. La question de la sous-utilisation des fonds européens a fait l'objet d'un traitement médiatique important, mais, en réalité, cette problématique ne concerne pas tous les fonds européens, mais plutôt un fonds, et même un programme : le programme LEADER. Le premier message que je souhaiterais faire passer est que ce programme connaît des difficultés bien spécifiques, et médiatisées, alors que son montant ne s'élève qu'à 700 millions d'euros sur sept ans. Si les difficultés rencontrées par le programme LEADER ne peuvent être niées, elles ne concernent pas la totalité des fonds que le CGET coordonne, dont le montant s'élève à 27 milliards d'euros sur sept ans.
L'intitulé de votre mission fait le constat d'une sous-utilisation chronique des fonds européens. Actuellement, nous nous situons à mi-chemin de la programmation actuelle, qui concerne les années 2014 à 2020 mais peut se prolonger jusqu'à fin 2023. Le bilan que nous pouvons tirer de la sous-utilisation est celui d'une comparaison avec la programmation précédente qui a atteint un niveau de programmation de 99 %. Le taux de certification des montants s'élève, selon les fonds, entre 95 % et 99 %. Certes, des marges de manoeuvre existent, mais les fonds européens sont utilisés de façon importante et utile.
La programmation actuelle se caractérise par un contexte particulier, avec un changement dans l'architecture de gestion, et donc dans la répartition des rôles. L'adoption par le Parlement de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi « MAPTAM », s'est traduite par une décentralisation partielle de ces fonds. Il est alors légitime de s'interroger sur les conséquences de cette décentralisation : a-t-elle compliqué la tâche ? La consommation des fonds est-elle moindre ?
On constate que la consommation des fonds est restée stable, dans des proportions sensiblement équivalentes et comparables à celle des autres pays européens. Ce constat est réalisé aussi bien par la commission européenne que par le CGET, car nous disposons d'un rôle de collecte de données et de restitution de celles-ci, en lien avec Régions de France. Par conséquent, il n'y a rien de chronique dans la sous-utilisation des fonds européens et la programmation actuelle est globalement en ligne avec la programmation antérieure. Il faut rester constamment mobilisé pour s'approcher au plus du taux de 100 % de consommation.
Concernant le programme LEADER, le CGET n'est pas compétent sur ce programme dont l'autorité de coordination est assurée par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation.
Le CGET est l'héritier de la DATAR, mais, à la différence d'aujourd'hui, à l'époque de la DATAR, les fonds n'étaient pas décentralisés. Trois missions actuellement exercées par le CGET permettent d'avoir un éclairage sur l'utilisation des fonds européens, sous réserve des modifications qui seront éventuellement apportées par la proposition de loi qui créera l'Agence nationale de cohésion des territoires.
La première mission concerne la coordination de la gestion des Fonds européens structurels et d'investissement (FESI). Nous assumons les rôles, définis par la législation européenne, de coordination inter-fonds, de coordination sur le Fonds européen de développement régional (FEDER), ce qui implique des compétences renforcées sur ce fonds, et nous sommes également autorité de gestion sur le programme nationale d'assistance technique, appelé Europ'Act. Cette première mission implique une double coordination, de l'État et des régions. À ce titre, le CGET assure le secrétariat du comité État-Région qui organise le dialogue avec les régions. Au titre de cette première mission de coordination, le CGET doit s'assurer que les fonds sont bien connus et que les actions qu'elles financent sont bien identifiées comme ayant bénéficié de ces fonds européens.
La deuxième mission n'a pas de traduction législative : il s'agit du chef de file interministériel, en particulier dans le cadre des négociations relatives au prochain CFP. Nous représentons la France dans les réunions sur la définition de la politique de cohésion, même si le ministère du travail exerce un rôle prépondérant pour le Fonds social européen (FSE). Nous portons une position interministérielle, sous l'autorité de la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault.
La troisième mission consiste à appuyer les autorités de gestion dans la mise en oeuvre des fonds. Cet appui technique porte sur les contenus, la méthode de programmation et la valorisation des fonds européens. Il est exercé lorsque qu'un problème rencontré est commun à plusieurs fonds, au titre de notre fonction de coordination inter-fonds, et lorsqu'il touche au FEDER, pour lequel nous sommes autorité de coordination. En revanche, cet appui technique n'est pas de notre ressort pour le programme LEADER, ce rôle étant alors dévolu au ministère de l'agriculture, compte tenu de la nature spécifique de ce fonds.
Cette mission d'appui technique permet d'accompagner les régions et les services déconcentrés de l'État, en particulier pour les questions d'éligibilité des aides, mais aussi pour les enjeux relatifs aux aides d'État. Le programme Europ'Act, dont nous assurons la gestion en directe pour le compte de l'ensemble des autorités de gestion, a mis en place le système « Synergie » qui permet de suivre l'utilisation et de piloter le FEDER, le FSE, le FEADEr et le FEAMP disposant de leurs propres systémes d'information. Enfin, le CGET porte une attention particulière aux politiques publiques mises en oeuvre par le ministère de la cohésion des territoires, en particulier en matière de développement urbain. Le choix a été fait de concentrer 10 % des crédits des FESI sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le CGET assume également un rôle important concernant la coopération territoriale européenne (CTE), dont l'enveloppe s'élève à près d'un milliard d'euros sur les 27 milliards d'euros de FESI dont la France bénéficie entre 2014 et 2020. Enfin, le CGET a un rôle particulier dans la mobilisation des instruments financiers. Ce mode de financement a été encouragé par la Commission européenne au début de l'actuelle programmation, comme alternative aux subventions. L'adéquation de ces instruments financiers avec les besoins des autorités de gestion est un vrai sujet.
Il existe des marges de manoeuvre pour améliorer les conditions d'utilisation des fonds européens. Le Président de la République a appelé à une refondation profonde de la politique de cohésion, ce qui constitue une opportunité à saisir pour dialoguer avec l'Europe, d'une part, et sur l'architecture de gestion de ces fonds, d'autre part. Toutefois, le bilan des conditions de l'utilisation des fonds européens est globalement positif : compte tenu du fait que ce sont des fonds dont la mise en oeuvre est exigeante, la régularité de ces fonds est très contrôlée. Je ne connais pas de politique en France qui fasse l'objet d'autant de contrôles. À ce titre, l'enjeu de la surrèglementation est important ; il faut veiller à ne pas aller au-delà des exigences de la réglementation européenne, ce qui implique de soulever la question des simplifications à y apporter. L'efficacité des fonds est évaluée avec une constance qu'aucune autre politique publique, a fortiori territoriale, ne connaît. Il faut maintenir ce niveau de rigueur, tout en simplifiant la vie des porteurs de projets.
La complexité des règles relatives à la gestion et aux contrôles de ces fonds européens provient également de la volonté des États contributeurs nets de s'assurer que ces fonds soient correctement utilisés par les bénéficiaires nets. Le contrôle de ces fonds est le même, quelle que soit l'intensité de l'aide versée, c'est-à-dire que le corpus de règles de contrôle auquel il faut se conformer est le même, qu'un programme bénéficie de 300 euros par habitant et par an de fonds européens dans les Etats et régions les moins développées, ou de 10 euros par an et par habitant dans les Etats et régions les plus riches. Cette équivalence peut paraître excessive puisque, dans le cas de faibles montants, l'effet de levier est moindre. Toutefois, la part des fonds européens dans l'investissement public peut être très significative pour les États membres bénéficiaires du fond de cohésion, jusqu'à 80 % pour certains d'entre eux. La négociation des règles de contrôle relève cette difficulté à pondérer les exigences selon la nature des écarts de développement.
Pouvez-vous nous donner des éléments chiffrés sur le nombre d'agents et le budget affecté à la gestion des fonds européens dans chaque conseil régional ? Le transfert de l'autorité de gestion aux régions s'est-il réellement traduit par un transfert des agents auparavant dédiés à cette mission au sein des services préfectoraux ? Vous avez mentionné les exigences en matière de contrôle des fonds européens. La programmation 2014-2020 s'est-elle traduite par des exigences accrues en matière de contrôle et d'audit des fonds ? Pouvez-vous nous indiquer le montant des crédits « dégagés » d'office chaque année ? Enfin, je souhaiterais savoir s'il est possible de bénéficier de fonds qui, après avoir été affectés, n'ont pas été utilisés.
Pour vous répondre sur le dégagement d'office, il faut regarder à la fois le taux de programmation et le taux de certification. Sur le FEDER, au 31 décembre 2018, 70 % des montants sont programmés, contre 74 % en moyenne dans l'Union européenne. Sur le FSE, on est à 73 % de programmation, contre 69 % en Union européenne. Concernant le taux de certification, la France est globalement au-dessus de la moyenne européenne. Pour le FEDER, le taux de certification en France est de 25 %, contre 22 % au niveau de l'Union européenne, et à 38 % sur le FSE, contre 27 % dans l'Union européenne. Le FEAMP connaît plus de difficultés, mais son enveloppe est moindre, et le FEADER est surtout en décrochage pour le seul programme LEADER.
Jusqu'à présent, il n'y a pas de dégagement d'office en France. Au 31 décembre 2018, les dégagements d'office sont circonscrits et limités. Aujourd'hui, la règle du « n+3 » s'applique, mais dans la prochaine programmation, la règle sera celle du « n+2 ».
Votre question touche à la fongibilité des fonds. Les difficultés de programmation sur un fonds constituent-elles de l'argent perdu ? Non, car les autorités de gestion peuvent réaffecter les sommes au sein d'un même programme jusqu'à certaines limites bien entendu. L'exercice de programmation vise à garantir la montée en puissance des fonds, c'est un exercice acrobatique pour les autorités de gestion. Entre l'absence de dégagement d'office et la capacité de transférer la programmation des fonds au sein d'un programme voire entre programmes dans des cas particuliers, il n'y a pas de perte de crédits européens, même sur les crédits du FEADER. Le moment de vigilance sera la période 2021-2023, au cours de laquelle il faudra certifier les dépenses au terme de la programmation. Cet exercice de gestion ne constitue pas une difficulté politique ; il s'agit le plus souvent d'une difficulté de programmation habituelle que traitent les gestionnaires.
Sur les conditions de transfert de personnels des agents d'État vers les conseils régionaux, la situation est très variable d'une région à l'autre. Le cadre de gestion des fonds européens ayant beaucoup évolué, même si le nombre d'agents de l'État assurant la gestion des fonds a bien été transféré aux régions, ce nombre ne permet plus de couvrir les besoins. Les taux de programmation sont extrêmement variables d'une région à l'autre, ce qui s'explique par des choix de gestion interne différents, et des difficultés qui ne sont pas corrélées à la richesse de ces régions.
Pour le FEDER par exemple, on pourrait comprendre en première lecture que la dernière année de programmation théorique serait 2020, dans les faits vous pouvez programmer bien au-delà, en théorie jusqu'en 2023 si vous êtes certain de pouvoir certifier les dépenses avant le 31/12/2023. De même, le taux de certification à atteindre fin 2020 n'est que de 38 %. La clôture de la programmation aura lieu en 2023, ce qui signifie qu'entre 2020 et 2023, il faudra encore certifier 62 % de la programmation.
Les autorités de gestion, l'État hier et aujourd'hui les régions, utilisent le dégagement d'office comme un instrument de pilotage. L'objectif est d'éviter de rendre de l'argent à l'Union européenne, ce qui implique de concentrer ses efforts en termes de ressources humaines sur la programmation. Une fois que la programmation sera terminée, pour l'essentiel fin 2020, les ressources humaines se concentreront principalement sur la certification. Le pilotage en fin de programmation est ainsi très complexe, d'autant que la clôture ne sera définitive qu'après les campagnes de contrôles, soit en 2025. Pour les dégagements d'office, seuls deux programmes interrégionaux ont perdu des sommes marginales. Il n'y a rien de pire que d'avoir des dégagements d'office pour les autorités de gestion, ce n'est pas compréhensible pour les bénéficiaires potentiel du territoire, ce qui explique que le dégagement d'office est presque devenu un instrument de management.
Pour la prochaine programmation, les propositions de règlement de la commission européenne prévoient de doubler le rythme de certification, ce qui va encourager les autorités de gestion à privilégier l'efficacité dans leur programmation, et l'utilisation immédiate des fonds. Or, ceci n'est pas toujours compatible avec la nature des porteurs de projets, les degrés de maturation des projets, et les prises de risques des porteurs de projets.
Concernant les transferts d'agents de l'État, cet exercice a été compliqué car les agents en charge de la certification de la précédente programmation n'ont pas cessé d'exercer leurs fonctions en 2013. L'État ne pouvait pas se priver de ses agents les plus compétents à une période charnière, la fin de programmation. De plus, les agents de l'État n'étaient pas forcément volontaires pour intégrer la fonction publique territoriale. Par ailleurs, certains d'instructeurs étaient dans des services déconcentrés de l'État sur des fractions d'emploi à temps plein (ETP). Les calculs de transferts d'ETP ont été réalisés en partie sur la base de fractions individuelles, et non de transferts physiques. Il a fallu ainsi que les nouvelles autorités de gestion anticipent la formation des nouveaux agents. Or, il faut au minimum six mois pour former un agent sur l'instruction et la certification des fonds européens au regard du degré de technicité que cela requiert. Les autorités de gestion ont eu beaucoup de difficultés à recruter en interne ; la plupart des candidatures ont été externes. Heureusement, de nombreux masters proposent aujourd'hui des formations en ce sens. On a donc constaté un déficit d'appropriation au début de la programmation par ces nouveaux agents, d'autant que la fusion des régions a complexifié le processus.
L'ensemble de ces défis cumulés était très lourd à relever et les retards pris au début d'une période sont difficilement rattrapables sauf au prix de très lourds efforts.
Cette mission d'information intervient à un moment important. J'ai relevé avec attention vos explications sur l'articulation complexe entre les deux programmations, la fin de la précédente programmation qui relevait de la responsabilité des services de l'État, et la nouvelle qui revient aux régions.
Concernant la rigueur du contrôle de l'utilisation des fonds européens, est-elle réellement la même partout en Europe ? Certains États membres, notamment en Europe de l'Est, appliquent-ils correctement ces règles ?
Par ailleurs, la surrèglementation est un sujet d'inquiétude. La commission des affaires européennes du Sénat s'assure d'ailleurs, depuis 2018, qu'il n'y ait pas de sur-transposition des directives européennes dans les textes législatifs que nous examinons.
Enfin, était-ce réellement pertinent que l'État transfère la gestion des fonds européens aux régions, alors qu'elles devaient elles-mêmes absorber les conséquences de la fusion des régions ? La décentralisation de la gestion des fonds a pu entraîner une mise en oeuvre et des performances différentes de ces fonds, d'une région à l'autre. Sur la question des transferts de personnel, les agents de l'État n'ont pas automatiquement été transférés dans les régions, nécessitant ainsi de former de nouvelles équipes aguerries à ces sujets. Que sont devenus ces agents d'État qui disposaient de ces compétences lorsqu'ils n'ont pas été transférés ?
L'actuelle programmation a été marquée par deux phénomènes concomitants qui ont pu perturber la gestion des programmes : la mise en place de nouveaux exécutifs en début de programmation, d'une part, et la fusion des régions, d'autre part. Or, on constate que les taux de programmation ne sont pas corrélés à la question de la fusion des régions : celles qui réussissent le mieux ne sont pas forcément celles qui ont été épargnées par la fusion. En revanche, les scores de programmation sont les meilleurs, et l'utilisation des fonds européens est la plus cohérente, dans les régions qui ont connu une certaine stabilité politique et pour lesquelles l'enjeu européen, loin d'être considéré comme un sujet étranger à la politique de développement régional, a été mobilisé par l'exécutif comme un des leviers majeurs de développement de cette politique régionale.
Les taux de programmation des fonds européens peuvent être comparés à ceux des contrats de plan État-Régions (CPER), qui ont démarré en même temps. L'utilisation de ces crédits est plus compliquée ; elle est soumise à des aléas politiques importants. Pour ces deux outils de programmation, les CPER et les fonds européens, il a fallu articuler leur mise en oeuvre qui a été négociée une première fois avec un exécutif pour un diagnostic initial, puis une seconde fois avec un nouvel exécutif un an après seulement, et dans le cadre d'un périmètre des régions modifié.
L'articulation de ces deux outils et des exécutifs changeants a été complexe à mener, ce qui a nécessairement pesé sur la consommation des crédits. Cette question est toujours d'actualité pour la prochaine programmation puisque le Gouvernement va lancer concomitamment une nouvelle génération de CPER, une nouvelle programmation de fonds européens à partir de 2021, et les exécutifs vont être à nouveau renouvelés au tout début. Or, les fonds européens constituent un outil extrêmement structurant, qui n'a de sens que lorsqu'ils sont intégrés dans une politique régionale globale. Pour certaines régions, comme les régions ultrapériphériques, les fonds européens peuvent représenter jusqu'à 30 % de l'investissement public. L'administration territoriale fonctionne lorsqu'elle est portée politiquement. Or, répéter deux fois en début de programmation une phase d'apprentissage ne constitue pas des conditions favorables.
Sur la question de la rigueur de la gestion de ces fonds dans les États membres de l'Europe de l'Est, les fonds européens y représentent une part considérable de l'investissement public, en particulier dans les pays dits « en transition », c'est-à-dire dont le revenu national brut par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne de l'Union européenne. Ils présentent une architecture de gestion plus simplifiée et financent principalement des grands projets d'infrastructures. En France, seules les régions ultrapériphériques peuvent financer de tels projets d'infrastructures avec les fonds européens. Toutefois, ils sont bien soumis aux mêmes contrôles que les autres États membres et, dans les phases de certification, ils n'ont pas montré jusqu'à présent des situations alarmantes.
L'Union européenne est marquée par deux lignes de fracture, est-ouest et nord-sud. La France se situe au carrefour de ces fractures : elle emprunte, pour ses règles de gestion, des caractéristiques à l'Espagne et l'Italie, et à d'autres égards, elle se rapproche de l'Allemagne ou de la Pologne.
Le renforcement des règles de gestion et d'audit provient de l'intégration de nouveaux États membres qui ont encouragé les contributeurs nets à accroître les règles de certification.
La question de la proportionnalité des contrôles fait l'objet de nombreuses discussions au Conseil de l'Union européenne, c'est-à-dire l'idée d'ajuster les exigences de contrôles en fonction du montant de l'aide. L'autre versant de la proportionnalité est de conditionner les contrôles à la qualité de la gestion constatée. Lorsqu'un pays est vertueux, les contrôles pourraient être allégés. Mais, comment peut-on apprécier la gestion vertueuse d'un pays ?
Concernant la surrèglementation, parfois il peut s'agir davantage d'un problème d'inadaptation chronique des règles nationales préexistantes par rapport à la logique communautaire qui relève d'une logique plus anglo-saxonne. Un exemple actuel est celui de la gestion de la TVA. Est-elle éligible ou non aux fonds européens ? Si vous pouvez récupérer la TVA, il est logique que les fonds européens ne la cofinancent pas. Toutefois, encore faut-il savoir si la TVA est récupérable au moment du montage du dossier. Or, en France, on ne sait parfois si la TVA est récupérable ou non que plusieurs années après d'où la difficulté d'instruction. Ce sujet n'est pas une préoccupation pour beaucoup d'États membres. Ici, c'est bien un problème de compatibilité de l'application des règles nationales et européennes.
Par ailleurs, on rencontre parfois une volonté politique de programmer les fonds avec des règles très encadrantes. Dans ce cas, il est vrai que certaines autorités de gestion peuvent rajouter d'autres critères aux critères européens, par exemple pour ne cibler qu'une seule partie du financement de l'efficacité énergétique. On peut ainsi s'apercevoir en cours de programmation qu'une priorité politique choisie n'est pas compatible avec la capacité des porteurs de projets à satisfaire ces différents critères, pas conforme à la capacité d'absorption par les territoires que l'on espérait.
Les fonds européens doivent se piloter, de la définition politique jusqu'à la mise en oeuvre technique, et c'est l'une des conditions de leur succès, mais aussi une de leurs difficultés, et qui s'expriment de façon différente d'une autorité de gestion à l'autre. Ils ne doivent pas être utilisés comme de simples disponibilités budgétaire venant cofinancer les dispositifs existants et cela principalement en raison des lourdeurs de gestion tout à fait particulières qui pèsent sur eux.
Sur le plan local, on constate que les services instructeurs ont souvent du mal à trouver une compatibilité entre les projets présentés et les objectifs et sous-objectifs à respecter pour bénéficier des fonds européens. Cette difficulté est-elle propre à la France ?
La comparaison est délicate à réaliser car la France est un pays intermédiaire. Par exemple, aux Pays-Bas, pays plutôt riche qui bénéficie d'un montant réduit de fonds européens, 10 euros par habitant et par an environ, le choix a été fait de massifier l'intervention des fonds européens. Ainsi, pour le FEDER, les fonds européens ne cofinancent principalement que les politiques d'innovation et d'excellence. La France, elle, bénéficie d'une plus forte intensité en fonds européens, avec près de 35 euros par an et par habitant, elle ne va pas pouvoir réserver ces crédits que pour une seule priorité politique. Ainsi, il faut toujours comparer les États membres en tenant compte du prisme territorial du pays, de son niveau de développement et des niveaux de financement qui lui sont alloués.
La Commission européenne pilote de plus en plus les programmes par la performance. À l'avenir, si la mise en oeuvre des fonds européens ne satisfait pas des indicateurs préalablement établis, vous ne pourrez plus bénéficier de cofinancement européen. Ces indicateurs de performance donneront moins de souplesse. La complexité vient de tout le monde, y compris de la Commission européenne qui souhaite protéger le contribuable européen.
Dans le cadre de votre mission visant à favoriser l'égalité des territoires, considérez-vous que les fonds européens bénéficient plutôt aux territoires les plus défavorisés, ruraux ou périphériques ? Concernant le retard dans la mise en oeuvre des fonds européens, les équipes au plan local passent beaucoup de temps en fin de programmation sur la certification des dépenses, au lieu de préparer la prochaine programmation, ou de clarifier les règles d'allocation des financements, ce que souhaiteraient les bénéficiaires. On attend plusieurs années avant de connaître « les règles du jeu ». Auriez-vous des propositions concrètes à formuler pour accélérer la mise en oeuvre des fonds ? Seriez-vous en mesure de proposer des solutions pour réduire la complexité de leur mise en oeuvre, tout en conservant une rigueur nécessaire ? Il semble que la lourdeur administrative est un mal français, alors que la Commission européenne vise plutôt à satisfaire des règles minimales de bonne gestion.
Il faut garder à l'esprit la vocation initiale de la politique de cohésion. Deux types d'objectifs ont toujours cohabité. Le premier est l'objectif de rattrapage économique des régions les moins développées, pour atteindre le niveau de développement moyen. Cet objectif a permis la transition de certains États membres comme la Belgique, la Hongrie, la Pologne. Le second objectif est d'accompagner les territoires que l'ouverture des frontières a rendus plus vulnérables, notamment en l'absence d'une convergence fiscale et sociale. La crise économique de 2008 a bouleversé le paysage des inégalités en Europe. La crise n'a pas enrayé le phénomène de rattrapage, mais elle a particulièrement touché les régions intermédiaires. Les régions développées, comme l'Ile-de-France, n'ont pas tellement été touchées. En revanche, les régions moyennes ont vu leur rattrapage économique stoppé, avec le développement d'inégalités infrarégionales importantes.
Comment mobiliser la politique de cohésion pour répondre à ce nouveau paysage des inégalités ? Si on considère, comme l'a fait le Gouvernement en 2014, que la réduction des inégalités territoriales suppose de mettre en situation les acteurs territoriaux, alors la décentralisation de la gestion des fonds était la bonne réponse. Si à l'inverse, on considère que la mission de favoriser l'égalité est une mission régalienne, alors il appartient plus que jamais à l'État de guider cette politique. Vous comprendrez qu'il ne m'appartient pas de me prononcer sur ce choix. En tout état de cause, si on veut toucher les territoires les plus fragiles, les autorités de gestion sont bien positionnées pour utiliser ces outils. Si on plaide pour la simplicité, alors cela revient à demander à l'État de reprendre la main et de piloter les fonds européens de façon plus éloignée de l'échelon local. Le nouveau paysage des inégalités appelle toutefois à un pilotage plus fin, au plus près des porteurs de projets.
En 2014, l'État et les présidents de régions se sont mis d'accord pour consacrer 10 % des crédits aux quartiers prioritaires dans le cadre de la politique de la ville. La législation européenne prévoit que 5 % des crédits soient dédiés au développement urbain. Il ne s'agit donc pas de surrèglementation, mais du choix de l'affichage d'une politique sociale et territoriale très marquée, les quartiers prioritaires de la ville ne concernant qu'une partie du développement urbain. Malheureusement, pour répondre à votre question, nous ne disposons pas de données précises sur la nature des projets par rapport à la classification des territoires. Par exemple, je ne peux pas vous indiquer le nombre de communes, parmi celles ayant bénéficié d'un type de financement précis, qui sont classées en zone de revitalisation rurale, etc. Ce qui est certain est que, plus on favorise les projets visant à développer l'attractivité et la compétitivité, plus les projets concernés se situent dans les métropoles. C'est pourquoi la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, a défendu l'idée de réserver des crédits pour les territoires dans la prochaine programmation. À ce stade de la discussion, 15 % des crédits pourraient potentiellement être dédiés au développement rural et urbain.
La programmation précédente a révélé des expériences très variées entre les régions dans l'utilisation des fonds, y compris dans la mobilisation des agents des conseils régionaux, même si ces derniers n'étaient pas encore autorités de gestion de ces fonds. Par exemple, l'Auvergne s'était très fortement mobilisée ; il y avait une véritable volonté de se tourner vers les financements européens. Au contraire, Rhône-Alpes mobilisait les fonds européens, mais sans volonté d'afficher la place de l'Europe dans les politiques menées. Ces deux régions ayant été dirigées par la même majorité politique, il n'y a là aucun jugement de valeur à cet égard dans mes propos.
Ainsi, la fusion des régions a compliqué le démarrage de la programmation étant donné qu'on a fusionné des agents ayant des pratiques différentes et qui portaient un regard différent sur ces outils. Se sont ajoutées les difficultés liées au recrutement, que vous avez évoquées. Dans le cas de deux régions qui ont fusionné, et que cette fusion s'est traduite par un changement de catégorie de région pour l'une d'entre elles, comment peut-on mener les mêmes politiques, avec moins d'agents dédiés à la gestion des fonds européens, alors que les besoins des populations locales restent les mêmes ?
Sur la question de la sur-transposition et de la surrèglementation, l'expérience des fonds « Massif central » m'a montré la difficulté de faire coexister les besoins de six régions et vingt-deux départements ; ce n'est pas toujours simple pour respecter les équilibres des territoires.
Il me semble que, dans l'élaboration des programmes, nous avons été confrontés au fait que, en France, nous n'attendons pas le même effet de levier de la mobilisation de financements publics que dans le reste de l'Union européenne. À certains moments, nous avons essayé d'introduire de la souplesse, notamment en ce qui concerne les mesures environnementales, mais cette pratique était contraire à la législation européenne, en dépit d'une volonté partagée par les acteurs locaux sur la finalité de ces fonds européens. Comment agir, dans le cadre d'une proximité territoriale, pour que ces fonds soient réellement utilisés ?
Le transfert de l'autorité de gestion aux régions aurait pu faire l'objet d'une étude d'impact plus approfondie, notamment de ses conséquences de ses inégalités territoriales.
La solidarité territoriale provient de la péréquation, et c'est l'État qui peut seul la mettre en oeuvre. Dans chaque département, il y a un préfet qui peut assurer cette proximité territoriale et faire la synthèse des difficultés spécifiques d'un département. Il est dommage de décider dans la précipitation.
Vous avez dressé un constat plutôt positif de l'utilisation des fonds européens, en termes de taux d'engagement et de consommation. Toutefois, même si les marges d'amélioration sont faibles, elles existent, et ces retards sont préjudiciables pour les porteurs de projet, notamment dans la région Hauts-de-France que je connais bien. Il faut que l'égalité des territoires soit au coeur des préoccupations.
Les freins à l'utilisation des fonds européens sont, bien entendu, les contrôles. Ils peuvent être allégés par l'application de remboursements sur la base de coûts forfaitaires. L'autre problème est celui de la trésorerie. Prenons l'exemple du canal Seine-Nord : le blocage provient du cofinancement apporté par l'État. On ressent un besoin d'accompagnement des territoires pour bénéficier de cette manne des fonds européens.
Je m'associe au constat de mon collègue Benoît Huré sur la nécessité de présenter des études d'impact plus approfondies, et sur le besoin de garder une présence importante de l'État dans le pilotage des fonds européens. J'ai d'ailleurs présenté un rapport sur ce sujet lorsque j'étais députée européenne, et c'est la conclusion à laquelle j'étais arrivée.
Je partage l'idée que l'État doit veiller à l'égalité des territoires dans le cadre de l'utilisation des fonds. Les régions qui ont pu bénéficier de ces fonds sont celles qui ont eu les moyens de mobiliser l'expertise nécessaire pour monter les dossiers, autrement dit les régions les plus aisées, et les métropoles.
La politique de cohésion a été fortement remise en cause au début des années 2000, à la suite de la publication du rapport Sapir. Toutefois, elle a été sauvée grâce au fait que les grandes stratégies pour l'Union européenne, la stratégie de Lisbonne et de Göteborg, ont privilégié la compétitivité et l'innovation, d'une part, et le développement durable, d'autre part. L'idée de la politique de cohésion est de donner des chances à des territoires en les dynamisant, de se donner les moyens de la concurrence avec les États-Unis et la Chine, tout en respectant des principes de cohésion. Dans les pays intermédiaires ou plus développées, ces objectifs ont entraîné une concentration thématique dans les régions et territoires les plus dynamiques. Or, il est très difficile de favoriser les équilibres territoriaux lorsque l'on consacre une part importante de ces crédits à l'innovation et de la recherche. On peut souvent manquer de porteurs de projets potentiels dans les territoires les moins développés qui disposent pourtant de davantage de crédits. D'un côté, les allocations financières donnent des moyens conséquents pour les régions en décrochage, mais, en même temps, la nature des projets financés en matière de compétitivité favorise les régions les plus développés. Par ailleurs, les coûts de gestion de ces fonds sont élevés. Entre choisir trois priorités à financer, ou en choisir dix, les coûts de gestion ne sont pas les mêmes. On s'aperçoit par ailleurs que les taux de cofinancement européen ne sont pas utilisés à leur maximum : au lieu de mettre 50 % de FEDER sur un projet, vous allez parfois cofinancer deux projets à 25 %, mais cela coûte deux fois plus cher en coûts de gestion. Il y a un équilibre à trouver entre les choix politiques et les choix de gestion qui in fine doivent se rejoindre.
Jusqu'où peut-on également accompagner les porteurs de projets ? Il ne s'agit pas de ne plus accompagner les petits porteurs de projets, mais dans certains domaines d'intervention, les coûts de gestion sont trop élevés pour agir sans discernement. Les coûts de gestion d'un projet FEADER sont d'environ 5 000 euros ; or sur certains programmes LEADER, on trouve encore des exemples rares heureusement de projets situés entre 50 et 500 euros. Le coût d'instruction d'un projet FEDER est de 12 000 euros environ. L'équilibre à trouver est à mi-chemin entre le politique et la gestion, mais la gestion est devenue également un problème politique. Si le coût de gestion est trop élevé, l'autorité de gestion ne dispose plus de moyens suffisants pour animer un territoire et bien utiliser ces fonds. Sur le programme LEADER, il existe aujourd'hui 340 groupes d'action locale (GAL) en France. L'enveloppe du programme est de 680 millions d'euros, soit 280 000 euros par GAL et par an. Aide-t-on les territoires ruraux les plus en difficulté avec LEADER ? C'est une vraie question. Avec un nombre réduit de GAL, 50 par exemple, vous pouvez faire de la cohésion territoriale, mais avec 340 GAL, l'objectif n'est pas le même, il s'agit de l'animation de territoires ruraux, pas de cohésion territoriale à proprement parler compte-tenu de la faible intensité financière par habitant.
La question de l'échelle de l'intervention et de l'action publique se pose dans la gestion des fonds européens. Comment plaquer un modèle national sur des modèles régionaux qui ont leur propre légitimité ? Pour les quartiers prioritaires de la ville, certaines régions ont choisi de sélectionner 30 quartiers prioritaires, d'autres 3, les effets sont nécessairement différents. Il faut trouver le juste équilibre pour faire rentrer une dimension européenne soit dans un nombre limité de territoires, soit en ciblant davantage les priorités à financer. L'équation n'est pas simple.
Nous avons souhaité rectifier l'impression selon laquelle les fonds européens sont sous-utilisés, engendrée par les difficultés du programme LEADER. En dépit des difficultés rencontrées en début de programmation, ça ne marche pas si mal au regard du taux de programmation atteint. Pour autant, je ne voudrais pas délivrer un constat selon lequel la gestion des fonds européens fonctionne parfaitement. La promotion de l'égalité des territoires reste une nécessité. Nous plaidons aujourd'hui pour une meilleure concentration et pour des objectifs et stratégies définis. Nous regardons avec jalousie nos partenaires européens qui concentrent leurs crédits européens, par exemple sur l'innovation en Finlande, et qui font des fonds européens un axe de transformation du pays. En France, les fonds européens sont mobilisés sur tout type de politique publique. Notre stratégie, en accord avec les régions, consiste à confirmer le choix du Gouvernement d'une décentralisation de la gestion des fonds. Cela ne signifie pas que l'État disparaît. Les crédits européens sont l'occasion d'inventer un partenariat entre l'État et les régions qui échappe à cette opposition un peu stérile entre, d'une part, un État qui disparaît parce qu'il avait laissé la main aux régions, et des régions, d'autre part, qui auraient tout le pouvoir dans le pilotage. Nous arriverons à utiliser ces fonds de façon pertinente, à développer des leviers de transformation et de cohésion, et donc à assurer l'égalité des territoires, à la condition de travailler ensemble.
Par ailleurs, les difficultés évoquées de l'actuelle programmation résultent d'un démarrage compliqué, avec la désignation de nouveaux exécutifs et une phase d'apprentissage. Il ne faut pas refaire la même erreur en 2021. La qualité du partenariat entre l'État et les régions sera déterminante en la matière. La gestion des 27 milliards d'euros, peu ou prou, que nous recevrons lors de la future programmation, en 2021, dépend de ce que nous construisons aujourd'hui. Le temps européen est très lent et nécessite de se mobiliser maintenant pour engendrer des bénéfices politiques et sociaux dans plusieurs années. Nous avons la possibilité aujourd'hui de construire un partenariat fin, intelligent, et qui ne se traduit pas par un retrait de l'État.
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l'État devrait reprendre en mains la gestion des fonds européens. Vous avez posé les bonnes questions du débat, à savoir le degré de concentration thématique par rapport à la lutte contre les inégalités territoriales. L'histoire des fonds de la politique régionale nous rappelle que les axes prioritaires n'ont été définis qu'à partir des années 1990 ; auparavant, les États membres se partageaient les crédits de la politique de cohésion. Ces axes ont évolué au cours du temps, soulignant l'évolution de l'approche régionale au niveau européen. La difficulté de l'actuelle programmation tient aussi à des raisons structurelles avec la fusion des régions, mais aussi le renouvellement des exécutifs. Or, la mandature européenne viendra toujours percuter les mandats locaux.
Je partage votre constat sur le fait que la confirmation de la décentralisation ne veut pas dire que l'État est totalement absent. La clé de la réussite réside dans le fait d'être au plus proche des territoires. On n'a pas le droit de ne pas l'être, au regard des fractures territoriales qui existent aujourd'hui en France. Il suffit de relire La France périphérique de Christophe Guilluy, ou encore L'Archipel français de Jérôme Fourquet, pour bien comprendre la nécessité de revenir à cette proximité, à condition que celle-ci n'empêche pas une politique d'être efficace. Il faut questionner la place des territoires dans cette articulation de l'État et de l'Europe. La question de l'appropriation de l'Union européenne est centrale. L'émiettement des fonds européens sur l'ensemble des territoires permet, certes, de dire que l'Union européenne est présente partout. La concentration thématique ne doit pas, à l'inverse, oublier les territoires.
La réunion est close à 19h10.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.