La Mission commune d'information procède à l'audition, sous forme de table ronde, de MM. Arnaud de La Tour, président et François Roux, délégué général du Prisme (Professionnels de l'intérim, services et métiers de l'emploi) ; MM. Patrick Suet, président du comité fiscal de la Fédération bancaire française (FBF), secrétaire général de la Société Générale et Pierre Reynier, directeur des affaires fiscales de la Fédération bancaire française (FBF) ; MM. Jean-François Lequoy, délégué général, Philippe Haon, président du comité fiscal, François Tallon, directeur des affaires fiscales et Jean-Paul Laborde, directeur des affaires parlementaires de la Fédération française des sociétés d'assurance ; M. Laurent Vronski, directeur général d'Ervor, vice-président de CroissancePlus, Mmes Florence Dépret, directrice déléguée de CroissancePlus et Gwenaelle Pierre, chargée de mission ; Mmes Marie-Christine Coisne, présidente de la commission fiscalité des entreprises du Medef, Marie-Pascale Antoni, directrice des affaires fiscales et Audrey Herblin, directrice de mission à la direction des affaires juridiques du Medef.
Notre mission commune d'information s'intéresse à la substitution de la contribution économique territoriale (CET) à la taxe professionnelle (TP) : je préfère cette formulation à celle de « suppression de la taxe professionnelle ». Les sénateurs membres de la mission représentent des départements industriels, ou des territoires plus ruraux. Je signale que la Fédération nationale des travaux publics devait être présente à cette table ronde mais qu'elle n'a pas trouvé la possibilité d'être représentée aujourd'hui.
J'apprécie, Madame la présidente, que vous parliez de substitution, car si les entreprises réclamaient depuis de longues années la suppression de la taxe professionnelle, elles ont obtenu... la création de deux impôts. Nous espérions une simplification...
L'impact économique de la réforme est considérable pour un certain nombre d'entreprises. Le rapport du gouvernement conclut que 60 % d'entre elles sont gagnantes - en nombre et pas en valeur absolue, je le précise, car notre tissu industriel est composé de très nombreuses TPE et PME. Une enquête interne du Medef, tous secteurs confondus, aboutit au pourcentage de 61 %. Selon le gouvernement, il y a 20 % de perdantes, 27 % selon notre étude ; 20 % de situations stables selon le gouvernement, 12 % selon nous.
Nous n'avons pas accès aux chiffres du gouvernement, je le regrette, car cela nous permettrait d'expliquer les écarts. Nos observations sont faites à partir de nos propres études. Il serait bon que les entreprises aient accès aux données publiques ... Mesdames et Messieurs les parlementaires, si vous rencontrez des problèmes pour obtenir l'information, sachez que pour nous, c'est pire encore !
Les perdants, je pense que nous en avons la même définition que le gouvernement, sont les entreprises qui ont acquitté en 2010 un montant de CET supérieur à ce qu'elles auraient payé en taxe professionnelle la même année, si celle-ci avait été encore en vigueur. Les pourcentages d'évolution font peur, les montants en valeur absolue un peu moins : 38 % des entreprises perdantes subissent une augmentation d'impôt inférieure à 10 % et les autres 62 % se partagent équitablement entre 10, 20, 30 et 50 % d'augmentation, parfois 100 %. Il y a eu de très grandes gagnantes, de très grandes perdantes... C'est sans doute le prix de la modernisation de l'impôt et des efforts de soutien sectoriel...
La cible principale, le secteur industriel, dont il s'agissait d'alléger les coûts et d'améliorer la compétitivité, a été effectivement bénéficiaire ; certaines activités ont profité d'une réduction de charge fiscale jusqu'à 80 %, cas rare mais qui mérite d'être cité : pour elles, c'est une bouffée d'air bienvenue. A la surprise générale, certaines entreprises industrielles n'ont rien gagné, voire ont légèrement perdu. Ce sont celles qui ont peu de foncier, des équipements importants et beaucoup de main-d'oeuvre. Je précise que nos enquêtes statistiques sont récentes et issues de réponses volontaires ; aucun commissaire aux comptes ne les certifie mais elles engagent nos membres.
Parmi les entreprises gagnantes, 30 % enregistrent moins de 10 % de réduction d'impôt, 25 % entre 30 et 50 % de réduction, 15 % entre 10 et 20 %. Pour la plupart des entreprises industrielles, le ratio CET sur valeur ajoutée taxable est de l'ordre de 2,5 %.
Outre les statistiques nationales, nous avons mené une enquête à l'échelle d'un département, la Seine-Maritime : les effets de la réforme diffèrent selon la taille des entreprises. Les plus grandes bénéficiaires ont un chiffre d'affaires compris entre 500 000 euros et 2 millions : elles enregistrent une réduction d'impôt de 63 %. Entre 2 et 5 millions de chiffre d'affaires, la réduction est de 46 % ; et de 26 % entre 5 et 10 millions. La dégressivité est nette. Au-delà de 25 millions d'euros, la hausse est d'environ 7 %. Le commerce paye 4 % d'impôt supplémentaire en masse globale ; il y a dans ce secteur plus de perdants que de gagnants. Les services sont gagnants, de 8 %, mais certains métiers sont clairement perdants.
Nous qui représentons toutes les entreprises de France pouvons dire qu'il y a plus de gagnants que de perdants. Pour l'industrie et les secteurs induits, la réforme a apporté un vrai soulagement. « Qu'en ont-ils fait ? » demandez-vous : les économies ont servi en premier lieu à remplacer l'outil de production ou à renforcer les capacités, ainsi qu'à recruter et conserver des positions sur les marchés par une meilleure compétitivité.
Le Prisme est le syndicat des entreprises d'intérim, lesquelles représentent 550 000 équivalents-temps plein travaillés et 40 000 recrutements en CDI, soit 10 % de la création nette d'emplois. Notre métier sert le pays, d'autant que les embauches sous statut précaire donnent souvent lieu à une consolidation ; 27 % des intérimaires sont finalement embauchés en CDI. Notre chiffre d'affaires est composé pour 85 % de masse salariale, si bien que nous sommes propulsés bien tristement champions de France des perdants. Le ministre, à l'époque, avait annoncé qu'il n'y en aurait pas... Nos 1 200 entreprises de tailles diverses et leurs 6 500 agences irriguent l'ensemble du territoire. Depuis la loi Borloo, elles ont pris des parts importantes sur le marché du recrutement. Or pour 95 % de nos entreprises, il faut parler non pas d'augmentation mais d'explosion de l'impôt : 700 % ! Les marges étant faibles, c'est entre un quart et la moitié de celles-ci qui ont été dégradées et l'on déplore 180 cessations d'entreprises depuis la mise en oeuvre de la réforme il y a un an et demi, dans une période où l'emploi suscite pourtant bien des préoccupations... Nous sommes de bons citoyens, nous ne demandons pas un retour en arrière, mais au moins que le délai de mise en oeuvre de la réforme soit étalée non pas sur cinq mais sur huit à dix ans : elle serait alors plus acceptable.
Dans le secteur financier, les effets constatés ont été ceux annoncés. L'essentiel du secteur bancaire acquittait la taxe professionnelle plafonnée à 1,5 % de la valeur ajoutée, désormais il faut y ajouter la CET : la hausse moyenne due à la réforme est pour le secteur de 20 % environ. La charge totale pour les plus grandes entreprises est de 180 millions d'euros. Ces données étaient inscrites dans la mécanique de la réforme, cela n'a donc pas été une surprise. Le secteur est également l'un des principaux bénéficiaires de l'écrêtement, qui a lissé la hausse. Méfions-nous des statistiques : oui, il y a des gagnants mais ce sont de toutes petites structures, qui pèsent peu en termes économiques ou en emplois.
Ce qui était prévu s'est réalisé, mais dans des circonstances particulières, celles d'une crise bancaire : les établissements ont acquitté à la même époque 500 millions d'euros de taxe systémique. Au total, la charge est lourde. Etre banquier aujourd'hui en France revient plus cher, quel que soit le niveau de l'activité. Le timing de la réforme n'a pas été excellent.
La répartition de la valeur ajoutée entre communes, et entre départements, est d'une singulière complexité. Il aurait été si simple d'utiliser les statistiques de l'Insee pour évaluer le nombre d'emplois rattachables à chaque commune ! Au lieu de quoi les entreprises doivent se livrer à de savants calculs - et les refaire chaque fois que la définition retenue est modifiée par l'administration. J'ajoute que la valeur ajoutée est toujours considérée comme positive, mais en période de crise elle peut être négative, sans possibilité de report sur les exercices suivants : il y a là une forme de double imposition.
CroissancePlus n'est pas une organisation sectorielle mais transversale, qui réunit les entreprises de croissance, services ou industrie. Nous saluons une réforme qui allège la pression fiscale sur les entreprises - en particulier les entreprises de croissance, qui ont besoin de financements importants. Une enquête auprès de nos membres montre que les entreprises de services sont plutôt perdantes, les industrielles plutôt gagnantes. On constate cependant des différences sensibles selon la situation géographique. Ervor, implanté en deuxième couronne de l'Ile-de-France, est le dernier fabricant français de compresseurs d'air, incorporés dans de nombreux biens d'équipement. Nos clients sont à 90 % extra-européens. Avec la réforme, notre impôt a augmenté de 10 % : 80 000 au lieu de 70 000 euros, pour un chiffre d'affaires de 9 millions d'euros. Une grande part de la taxe est assise sur le foncier, bien plus coûteux en Ile-de-France qu'au milieu des Pyrénées : mais nous sommes implantés ici depuis 1945 et nous ne prendrons pas le risque de perdre notre personnel en nous déplaçant. Autre exemple : ConcoursMania, qui organise des jeux promotionnels en ligne, paye dix fois plus après qu'avant, 20 000 euros pour un chiffre d'affaires de 7 millions d'euros contre 2 000 euros pour 5 millions d'euros auparavant. Bouchages Delage, qui fabrique des bouchons pour vins et spiritueux, paye 180 000 euros, soit un niveau stable, pour un chiffre d'affaires compris entre 16 et 18 millions d'euros. Les disparités géographiques et de situation sont profondes.
Comme une partie de la taxe est assise sur la valeur ajoutée, les bons élèves sont pénalisés. Cependant, l'évolution globale va dans la bonne direction, car tout ce qui contribue à alléger les taxes sur l'outil de production industrielle est appréciable. Les entreprises de croissance sont souvent de grosses exportatrices, or je rappelle que la parité de l'euro est très défavorable.
Je veux vous livrer quelques pistes de réflexion. Les entreprises vertueuses, qui embauchent sur le territoire national, ne pourraient-elles bénéficier de dégrèvements de CET ? Elles continueraient ainsi à embaucher. La taxe pour les chambres de commerce est obligatoire, il faudrait la rendre optionnelle et privatiser en quelque sorte leurs activités : car étant financées par une contribution obligatoire, elles se soucient peu de compétitivité sur les services qu'elles offrent - dont certains sont également proposés par des entreprises privées. Enfin, il n'y a pas eu suppression mais transformation de la taxe professionnelle ; les collectivités locales ayant besoin de se financer, je crains qu'elles ne soient tentées à l'avenir de créer encore de nouvelles taxes...
Notre secteur est soumis, en plus des impôts de droit commun, à des prélèvements spécifiques, taxe sur les salaires et taxe sur les conventions d'assurance. Comme pour les banques, une hausse de 10% du montant de CET par rapport au montant de taxe professionnelle était anticipée ; c'est ce qui est arrivé.
Il existe 357 entreprises régies par le code des assurances et soumises à la taxe professionnelle puis à la CET. Les entreprises de prévoyance et de mutualité sont, elles, exonérées. Les entreprises d'assurance n'ont pas le droit de cumuler une activité en assurance-vie et en incendie, accidents et risques divers (IARD), sauf à créer des filiales. Les formes d'organisation varient, certaines sociétés ont un réseau commercial propre, d'autres recourent à des intermédiaires externes. Les immeubles sont ainsi répartis différemment d'un groupe à l'autre.
Le secteur est soumis à des impôts spécifiques. La taxe sur les salaires atteint 11 % de la masse salariale brute, soit 3 800 euros par emploi et par an. C'est la contrepartie de l'exonération de TVA, qui se paye cependant déjà en rémanences... Quant à la taxe sur les conventions d'assurance, elle fournit un produit de 6 milliards d'euros...
Il est difficile de tirer aujourd'hui des conclusions définitives, mais il était prévu que le secteur des assurances soit globalement perdant. Nos entreprises étaient naguère au régime plafonné de 1,5 % de la valeur ajoutée, le nouveau dispositif ajoute la contribution foncière économique (CFE). La prise en compte du chiffre d'affaires de groupe pour déterminer la valeur ajoutée nous pénalise en raison de la taille importante de nos entreprises, la moitié d'entre elles dégageant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros. L'assujettissement à la CFE pèse fortement sur les gros investisseurs immobiliers que nous sommes. La même valeur ajoutée est imposée d'abord dans la filiale immobilière, puis au niveau de l'assureur, par remontée de dividende ou écritures comptables.
Dans le projet de réforme, le secteur financier était bien identifié comme perdant. Nos propres estimations le confirmaient, nous anticipions une hausse de 10 % avec de forts écarts à la moyenne en fonction des implantations territoriales. Les premiers éléments dont nous disposons vont en ce sens. Nous n'avons pas encore de vision d'ensemble mais une tendance se dessine. Le taux de progression est compris entre 4 % et 40 %, ce qui se traduit, en montants d'imposition, par des centaines de milliers voire des millions d'euros supplémentaires. Quelles en sont les conséquences économiques ? Si les entreprises d'assurance ne peuvent se délocaliser, il en va autrement des fonctions supports.
La réforme des valeurs locatives cadastrales portant sur les locaux à usage commercial ou professionnel risque aussi d'aggraver la hausse de l'imposition, je songe aux locaux de centre-ville. La CFE s'alourdira, donc la CET.
Si le temps de parole est proportionnel aux dommages causés par la réforme, je peux m'exprimer sans garder l'oeil sur la pendule ! L'administration prend son temps ! Le taux de la taxe des chambres de commerce nous a été communiqué très tardivement, deux à trois jours avant l'acompte de juin. De même pour la localisation des intérimaires. Là, l'instruction fiscale, qui nous a contraints à développer une application informatique en deux à trois semaines, est d'une absurde complexité : un intérimaire qui travaille plus de trois mois dans une commune est rattaché à celle-ci, mais à moins de trois mois, il est localisé au siège de l'agence. Et s'il effectue trois mois dans une commune et trois dans une autre, il est reversé à la commune de l'agence ! Les délais comme les modalités de calcul sont inadmissibles, inqualifiables.
A moins de 7,6 millions d'euros de chiffre d'affaires, les PME du secteur ont vu leur prélèvement multiplié par sept. Pour 3 millions de chiffre d'affaires, une entreprise qui payait 5 000 euros de taxe professionnelle verse 35 000 euros de CVAE, entre un tiers et la moitié de son résultat. Le clivage est net entre les PME et les grandes entreprises et les plafonnements imaginés ne suffisent pas. Nous demandons un allongement de la période de lissage et un plafonnement de la nouvelle taxe pour les entreprises à forte intensité de main-d'oeuvre.
Une petite bonne nouvelle cependant... Les déclarations de taxe professionnelle étaient très difficiles à remplir. Aujourd'hui, la complexité est moindre, les éléments fonciers figurant dans la liasse fiscale. Il est vrai que la déclaration des effectifs aurait dû être fondée sur les statistiques Insee, car ceux qui ont à déclarer et ceux qui ont à recouvrer se donnent beaucoup de mal pour un jeu à somme nulle.
Lors de la mise en route, oui, mais en régime de croisière, la déclaration CFE est faite une fois pour toutes et la déclaration de valeur ajoutée est simplifiée grâce à la liasse fiscale.
Les déclarations d'après réforme sont un jeu d'enfant à côté de celles de l'ancienne taxe professionnelle, pour les groupes en tout cas : j'en ai fait l'expérience dans une vie antérieure. Il y a certes une exception : les entreprises d'intérim, secteur sur lequel nous nous étions longuement interrogés lors de la discussion de la loi : vos suggestions sur la méthode nous auraient été utiles, alors.
Nous les avions faites !
Les modalités prévues par le gouvernement étaient plus simples, mais les parlementaires ont voulu coller au terrain et rattacher les éléments de territorialisation que sont les effectifs. Il est vrai qu'en utilisant les déclarations automatisées des données sociales (DADS) on aurait pu faire plus simple...
Vous avez critiqué le fait que les entreprises ne disposaient pas des informations nécessaires. Les élus locaux que nous sommes sont logés à la même enseigne. Nous aurions dû recevoir les données avant le débat budgétaire. Cela n'a pas été possible. Je voulais, en défendant un amendement au projet de loi de finances, avoir l'assurance que nous disposerions des chiffres en février. On m'a répondu que la mission d'information n'avait qu'à les établir. Finalement, le gouvernement s'est engagé à fournir les informations en juin au plus tard. On commence seulement à avoir les données à l'échelon départemental !
Vous avez, les uns et les autres, beaucoup parlé de pourcentages, moins de valeur absolue. Or des pourcentages de hausse peuvent paraître faramineux, mais que payaient les entreprises concernées auparavant ? Les collectivités peuvent certes jouer sur la CFE pour restaurer leur marge de manoeuvre financière ; elles n'en ont pas pris encore la pleine mesure, mais qu'en sera-t-il demain ? Je précise néanmoins que la cotisation ne peut varier qu'entre deux bornes...
En valeur absolue, les masses ne sont pas nulles : pour les cinq grands réseaux bancaires, 180 millions d'euros supplémentaires ; pour la Société générale, 500 euros par salarié.
Je ne parlais pas spécialement du secteur bancaire. Quelques secteurs étaient dans le collimateur, nous le savons bien...
Je dirige la Sonepar, une entreprise de négoce technique, gros pourvoyeur d'emplois. Le lien entre les fabricants et les consommateurs de produits techniques interdit souvent la délocalisation ; mais quand on n'a plus d'argent, on ne recrute plus, on ne travaille plus. Pour mon entreprise, l'augmentation a été de 50 % : je ne savais pas que j'étais « dans le collimateur » ! Quant aux banquiers, personne ne les aime mais on a besoin d'eux...
Nos entreprises souffrent. Dans notre secteur, avec la CET, nous sommes passés de 10 à 16 millions, soit une augmentation de 200 euros par salarié. Ce n'est pas rien.
Nous n'avons toujours pas une vision très claire de la réforme. Les chiffres ne sont pas suffisamment stabilisés pour permettre une analyse sérieuse. En 2006, avant le plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée, j'avais fait une étude sur le poids de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée des entreprises : le secteur industriel contribuait à hauteur de 9,6 % tandis que celui des banques et des assurances contribuait à 1,5 %. Ces écarts ne pouvaient perdurer.
Ce que vous nous dites ne nous permet pas, pour l'instant, de nous prononcer sur d'éventuelles modifications de la CET. On pourrait sans doute prendre les codes APE et voir ce que donne la réforme... Bien évidemment, nous ne voulons pas pénaliser l'emploi. Il me semble en revanche important de réfléchir à une modulation de l'imposition en fonction des efforts de création d'emplois.
Nous sommes aujourd'hui au-delà des objectifs de rééquilibrage... Peu d'entreprises peuvent, à l'heure actuelle, supporter des hausses d'impôts, même si c'est pour contribuer aux budgets des collectivités territoriales. L'objectif devrait plutôt être de réduire les impôts des entreprises qui payent trop que d'augmenter ceux des entreprises qui ne payent pas assez.
La CET a été conçue pour favoriser les entreprises mais aussi pour tenir compte des impératifs des collectivités territoriales. La taxe professionnelle a été créée dans les années 1970 et elle a ensuite été modifiée à de multiples reprises ; pour la CET, il en ira probablement de même.
Nous avons prévu de nous rendre dans quatre départements très dissemblables pour examiner le tissu économique, mesurer l'impact de cette réforme et, éventuellement, proposer des améliorations.
La collectivité que je préside a adopté hier son budget sans même connaître le montant de la compensation de l'Etat pour 2011. N'ayant plus de leviers fiscaux en faveur de l'activité économique, les régions ont perdu leur capacité à agir. Ce qui leur importe, c'est la visibilité et une appréciation du dynamisme éventuel de leurs ressources. La taxe professionnelle avait de nombreux défauts mais son grand mérite était que son montant et sa progression étaient connus. Il n'en va plus de même aujourd'hui. Sur le terrain, je n'ai rencontré que des mécontents, même si l'on me dit que certaines entreprises y ont gagné.
Nous aimerions nous aussi avoir davantage de visibilité. En quelques années, le monde des entreprises a complètement changé. Les lois et les règlements sont de plus en plus contraignants tandis que les incertitudes concernant les ventes et les marchés ne font que croître. Les entreprises sont conduites, jour après jour, à réduire leurs coûts fixes. Et les variations d'activités sont considérables : en juin, mon entreprise connaissait une progression de 10 %, fin novembre, elle était à 0 %, ce qui l'a contrainte à renoncer à des investissements et à des embauches. Personne ne nous garantit nos ventes ni nos marges...
Durant la crise de 2009, certaines entreprises ont connu une chute de leur activité de 40 %, voire de 60 %. Certaines n'ont pas survécu, d'autres y sont parvenues au prix d'efforts considérables. Elles ont ajusté leurs coûts, mais les prélèvements obligatoires n'ont pas diminué. Il était urgent d'alléger les taxes sur les entreprises, notamment dans le secteur industriel, ce qui a été fait avec la CET. Pourtant, la taxe professionnelle ne représentait que 40 % du total des prélèvements avant impôt sur les sociétés ; grâce à la réforme, cette part est passée à 35 %, mais tous les autres prélèvements demeurent et certains ont même augmenté, sans parler des taxes sectorielles. Certaines entreprises n'y résistent pas, d'autres préfèrent partir.
Nous nous réjouissons que les parlementaires aient compris l'importance des entreprises pour la croissance. En revanche, il faudrait d'urgence diminuer de 30 % les prélèvements obligatoires qui pèsent sur ces dernières. Cela leur donnerait une bouffée d'air. Les entreprises sont d'accord pour participer à l'effort de solidarité dans le cadre de l'impôt sur les sociétés, qui ne touche que les bénéfices. Mais en ponctionnant avant bénéfice, on pénalise la croissance.
Certaines entreprises gagnent à la réforme, d'autres moins ; ce qui est certain, en revanche, c'est que les collectivités y perdent. Les entreprises étaient d'ailleurs beaucoup plus favorables qu'elles à cette réforme.
L'incertitude pèse sur les unes comme sur les autres : les collectivités élaborent des budgets dans un flou total, Bercy se révélant incapable de leur dire précisément quelles seront leurs dotations. Année après année, elles parviendront sans doute à y voir plus clair.
La taxe professionnelle avait pour qualité d'établir une relation directe entre l'activité d'une entreprise et le territoire. La collectivité savait quelle était la contribution de chaque entreprise qui pouvait, en contrepartie, débattre avec elle de ce qui était fait de son impôt. Aujourd'hui, la relation est bien plus floue.
Je préside une agglomération qui produisait beaucoup de taxe professionnelle et qui accueille un grand nombre de sites Seveso, avec toutes les mesures de précaution et de surveillance afférentes. Il y a une interpénétration très forte entre l'industrie et l'urbanisme, ce qui a donné lieu à un partenariat intelligent entre le milieu productif et la collectivité ; et le fondement de ce partenariat, c'était la taxe professionnelle. Nous ne vivons plus les choses comme cela aujourd'hui.
Le milieu industriel y a gagné avec la CET, mais la collectivité y a perdu, non pas en terme financier, puisque l'Etat compense - même si je doute qu'il en soit encore ainsi dans dix ans - mais en terme de relations avec le monde économique.
Mon agglomération est un des derniers sites industrieux lourds du pays, et nous aimons cette situation ; ce qui nous conduit à accepter des implantations difficiles. Mais combien de temps encore l'opinion publique va-t-elle accepter les contraintes dès lors qu'elle aura le sentiment de ne plus bénéficier de contreparties ? La solution d'aujourd'hui n'est pas totalement satisfaisante. Il faut maintenir une relation territoriale entre les entreprises et les collectivités accueillantes.
Les flux économiques sont fluides, monsieur le sénateur. On ne peut plus attacher les entreprises.
Pour éviter les distorsions, il aurait fallu supprimer totalement la taxe professionnelle, car elle pénalisait les entreprises vertueuses qui investissaient.
Un exemple : mon entreprise, Ervor, emploie 49 salariés. Personne, ici, ne la connaît. Pourtant, nous sommes démarchés par des maires de villes chinoises qui nous proposent de délocaliser notre activité chez eux...
Les relations privilégiées avec les collectivités ? Dans ma zone industrielle, il n'y a pas eu d'enrobé depuis quarante ans, pas d'éclairage public dans ma rue, des nids de poule partout et je ne parle même pas des problèmes de sécurité. Le lien avec la collectivité, je ne le vois pas...
L'exportation, c'est le futur de l'industrie, mais cela implique aussi qu'elle soit délocalisable. Or, notre entreprise fait 90 % de son chiffre d'affaire à l'exportation. Si nous avions une filiale en Belgique, nous pourrions, par le jeu des cessions, y transférer notre valeur-ajoutée et donc ne plus payer de CET. La taxe professionnelle était un très mauvais impôt.
Pour nous, le lien entre l'entreprise et la collectivité est très important. Il faut savoir aussi que les sénateurs ne partagent pas tous la même vision de la taxe professionnelle. Pour ma part, j'estime que le lien avec le territoire est suffisamment important après la réforme puisque la CET prend en compte le nombre de salariés et le foncier, ce qui a l'avantage de permettre une péréquation territoriale.
La question qui se pose est de savoir si la CET est préférable à la taxe professionnelle et si elle est perfectible. Je pense qu'elle est meilleure car elle est mieux corrélée à la valeur ajoutée.
Préféreriez-vous une réforme de l'impôt sur les sociétés ? J'entends bien que vous souhaitez que la valeur ajoutée négative puisse être reportée, mais les collectivités ont besoin de recettes pérennes.
Dans le secteur des banques et des assurances, la valeur ajoutée inclut les amortissements. Si bien que ces derniers, qui ne sont pas déduits lorsque la valeur ajoutée est négative, se retrouvent dans les bases d'imposition. A la sortie, le secteur est taxé sur une plus-value qui intègre les amortissements, d'où une double imposition. Mais ce sujet est très technique et nous y reviendrons.
Nous sommes sensibles au sujet que vous évoquez, monsieur Delebarre, mais il concerne plus la répartition des ressources entre les collectivités que les entreprises à proprement parler.
Celles des banques qui ont beaucoup d'établissements étaient soumises à un système comparable à celui qui vient d'être mis en place. Elles étaient imposées sur la valeur ajoutée qui était répartie arbitrairement en fonction des bases locatives, et non pas des emplois. C'était beaucoup plus simple et cela correspondait à la même réalité : les entreprises sont rationnelles, elles ne gardent pas d'immeubles vides sans salariés. Si la part des valeurs locatives dans la CET augmentait, les collectivités y trouveraient leur compte puisque la part des emplois dans l'industrie lourde est plus faible.
A la Société Générale, j'ai mené une étude interne pour voir si les départements de province avaient gagné avec cette réforme ou si la taxe restait concentrée en région parisienne. Il en résulte que la hausse est moins prononcée en région parisienne qu'en province. L'objectif de rééquilibrage a donc été atteint.
Nous entendons souvent dire que le secteur des services n'est pas délocalisable. Certes, mais il peut mourir. Le secteur de l'intérim a connu la crise la plus grave depuis sa création : 30 % d'activité en moins et 120 000 ETP remis sur le marché. Pourtant, nous avons réussi, à force de pugnacité, à retrouver en un an et demi notre niveau d'avant crise alors qu'il nous avait fallu cinq ans lors de la crise de 1993. Or, quand une agence d'intérim ferme, c'est 150 ETP qui se retrouvent sur le marché du travail dont la moitié ne peut accéder à une autre agence. L'impact sur l'économie est loin d'être négligeable puisque notre rôle est d'aider les PME qui hésitent à recruter.
Nous demandons donc à bénéficier d'un étalement pour affronter la prochaine crise.
Je me félicite de cette réforme qui permet de réduire la fiscalité des entreprises. Une taxe qui pénalise les bons élèves de la classe est, par essence, mauvaise. Elle les incite à quitter le pays. Il faut réduire le montant des taxes qui pèsent sur toutes les entreprises.
Les études et les pilotes qui ont été faits pour réformer les valeurs locatives foncières nous inquiètent car ils concluent à des déplacements de fiscalité considérables. Comme nous semblons être à un point haut des valeurs immobilières, il serait prématuré de remplacer le référentiel cadastral par un référentiel de marché : il est urgent de suspendre toute révision des valeurs locatives foncières qui risquent de produire des transferts de fiscalité non maîtrisables. Nous demandons un moratoire.
Certes, mais la révision des valeurs locatives a essentiellement pour but de permettre leur comparaison, et pas nécessairement l'augmentation des taux. Aujourd'hui, les valeurs locatives ne sont pas comparables d'un endroit à un autre, d'où de réelles distorsions d'une collectivité à une autre pour un même niveau de fiscalité. Le danger, c'est que certaines d'entre elles en profitent pour « se refaire »...
Nous redoutons surtout que la révision entraîne des déplacements considérables de masses financières entre entreprises et entre secteurs, dans des proportions non mesurables et non souhaitées. Les entreprises sont prêtes à assumer l'injustice actuelle mais elles veulent des paramètres stables ; tout le reste de leur environnement est instable.
C'est sans doute pour cette raison que cette réforme est restée dans les tiroirs de M. Charasse !
Depuis, il y a eu ces fameux pilotes dont les résultats sont inquiétants. On risque de reprendre à l'industrie une partie de l'avantage qu'elle a trouvé à la réforme de la taxe professionnelle...
J'ai participé dans mon département à une modification des valeurs locatives ; à l'époque, nous n'avions fait porter la réforme que sur l'habitat. Or, si l'habitat collectif en a bénéficié, tel n'a pas été le cas, loin de là, pour l'habitat individuel. C'est un système de vases communicants...
En fait, il s'agit d'une masse globale que l'on répartit différemment. Je comprends votre inquiétude. Si l'on veut une approche plus équitable du coût de la valeur locative, on ne peut se contenter de toucher au seul secteur économique. Comme je l'ai dit en commission des finances, il faudrait travailler sur tout le foncier.
Les élus ont été échaudés par de récentes simulations sur la péréquation entre les collectivités locales : les résultats étaient loin de correspondre à leurs attentes ! Nous serons donc très attentifs en ce qui concerne la révision des valeurs locatives.
Si le lien entre les collectivités locales et les entreprises s'est un peu rompu, c'est que la CET est devenue une sorte d'impôt national.
La taxe professionnelle a été créée en 1976 pour remplacer la patente. Elle a été corrigée en 1979 et l'assiette de la valeur ajoutée a été proposée par la commission Voisin. Aujourd'hui, cette assiette est consacrée mais on a réintégré brutalement les salaires, ce qui entraîne pour les secteurs à forte main d'oeuvre des augmentations faramineuses qui pourraient être amorties grâce à un étalement. Il est difficile pour un contribuable d'admettre que ses impôts soient multipliés par sept en quatre ans. Certains secteurs professionnels ont obtenus un étalement sur dix ans, ce qui nous semble plus acceptable.
Mme Coisne a parlé d'une étude portant sur la Seine-Maritime. Est-il possible d'en disposer ?
Je vais demander l'autorisation des auteurs de cette étude mais je pense qu'ils n'y verront pas d'inconvénient.
Merci d'avoir participé à cette table ronde. Le gouvernement a essayé d'améliorer le dispositif, mais il reste perfectible. Nous prendrons en compte les remarques qui nous ont été faites cet après-midi.