Avec Simon Sutour, retenu ailleurs aujourd'hui, nous avons participé à la réunion plénière de la 59ème Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) qui s'est tenue à Sofia les 18 et 19 juin.
Première remarque sur la forme de ces réunions interparlementaires : le trop grand nombre d'interventions liminaires - une dizaine au total - finit par lasser et laisser un temps beaucoup trop limité pour l'expression des parlementaires. Beaucoup de nos collègues s'en sont plaints légitimement. C'est un problème récurrent qu'il faudra bien traiter.
Sur le fond, la réunion a été dominée par l'impact de la crise migratoire et par la question des Balkans occidentaux.
Présentant les résultats de la présidence bulgare, le Premier ministre Borisov a tenu un discours très ferme - c'est son habitude - sur les migrations, appuyant les positions du groupe de Visegrád et adressant un satisfecit appuyé à sa présidence. La nouvelle politique italienne applique, selon lui, ce que le groupe de Visegrád préconise de longue date. Elle répond à la demande de fermeté des sociétés européennes. L'Union européenne doit contrôler ses frontières extérieures. Elle doit fonctionner comme les États-Unis ou le Canada avec des points de passage et des contrôles officiels. Les migrants déjà présents en Europe qui ne peuvent pas s'intégrer doivent repartir dans leur pays d'origine.
Sur les Balkans occidentaux, le Premier ministre bulgare a souligné que, si ces pays n'adhéraient pas à l'Union, ils pourraient représenter un risque en matière de terrorisme et de conflits. Si l'Union ne les aidait pas, d'autres protagonistes s'en chargeraient : Russie ou Chine, avec les nouvelles routes de la soie. Lorsqu'avec certains collègues, nous nous étions rendus en Serbie, nous avions pu constater que si 85 % de ses habitants disaient aimer la Russie, la même proportion préférait le mode de vie européen au mode de vie russe... M. Borisov a toutefois reconnu que tous les candidats n'étaient pas prêts pour une adhésion. Il y a vingt-quatre heures, les négociations d'adhésion ont été ouvertes avec l'Albanie et la Macédoine. Je ne sais pas comment cela sera perçu par l'opinion publique...
Cette insistance concernant la perspective européenne des Balkans occidentaux a été très marquée de la part de la présidence bulgare mais aussi, plus généralement, des intervenants issus des pays d'Europe centrale et orientale.
Dans l'ensemble, le souci de stabilité régionale a semblé partagé par les différentes délégations. Mais plusieurs de nos collègues, issus de l'ouest européen, ont toutefois rappelé que les citoyens des États membres n'étaient pas toujours favorables à de nouvelles adhésions, les élargissements passés ayant souvent été trop rapides et mal maîtrisés. Le respect des critères est incontournable. C'est ce que souligne, au final, la contribution de la Cosac.
La réunion a par ailleurs été l'occasion d'un débat sur le socle européen des droits sociaux et la politique de cohésion. Le socle européen des droits sociaux concrétise une dimension sociale qui est un élément d'unité européenne. L'Union est là pour compléter l'action des États membres. Elle peut promouvoir un processus de convergence vers le haut par trois canaux : des propositions législatives, les recommandations par pays dans le cadre du semestre européen et les programmes et fonds européens. Le marché unique peut être un vecteur important pour promouvoir une convergence ascendante. Plusieurs intervenants ont mis en garde contre un fossé qui s'approfondirait entre le Nord et le Sud de l'Europe. Un collègue grec a souligné le défi démographique auquel son pays était confronté avec notamment une fuite des cerveaux. Je retiendrai également l'intervention d'un collègue irlandais qui a insisté sur l'investissement dans la création d'emplois. Face à la grave crise que son pays a traversée, l'emploi, l'éducation et les compétences ont été des voies essentielles pour préserver la paix sociale.
Le concept de socle européen, quelques années après son introduction, a pris petit à petit de l'importance. Moi-même, quoique peu convaincu au départ, je le considère aujourd'hui comme indispensable.
Pour ce qui concerne la politique de cohésion, la représentante de la Commission européenne a rappelé que celle-ci a proposé une politique bénéficiant à toutes les régions, les plus vulnérables d'entre elles demeurant prioritaires. Cette politique sera mieux alignée sur les priorités de l'Union européenne avec des objectifs moins nombreux mais plus précis. Une plus grande souplesse est proposée avec une évaluation à mi-parcours en 2025. Une simplification sera par ailleurs engagée avec 50 points identifiés qui concerneront l'ensemble de la procédure des fonds européens.
Des débats qui ont suivi, l'on peut retenir d'abord une appréciation très positive des effets de cette politique sur le développement régional mais aussi une mise en garde contre le risque d'une diminution des crédits qui lui sont consacrés, de la part des intervenants irlandais ou polonais. À propos de ces derniers, il faut noter qu'ils n'étaient pas du tout agressifs, et même qu'ils se sont peu exprimés. La personne la plus inquiète a semblé être la représentante portugaise.
À l'inverse, nos collègues allemands ou néerlandais ont fait valoir que des ajustements étaient inévitables après le Brexit et qu'il fallait en outre financer les nouvelles priorités, notamment dans le domaine des migrations. Je ne sais pas si cela reflète une division entre contributeurs ou bénéficiaires nets... On a peu entendu de réserves concernant la conditionnalité relative au respect de l'État de droit, qui est proposée par la Commission européenne. Elle a au contraire été appuyée fortement par nos collègues allemands. Nous avons reçu une note circonstanciée de l'ambassade de Pologne. Dans ce pays, le président Larcher a tendu la main au maréchal du Sénat polonais, son homologue, mais la solution proposée n'avait pas été retenue au dernier moment par des Polonais.
Enfin, la Cosac a permis de faire un point sur les travaux de la Task force sur la subsidiarité et la proportionnalité qui rendra ses conclusions le 15 juillet. On ne peut que souscrire aux analyses du vice-président de la Commission Frans Timmermans souhaitant recentrer l'Union sur les grands sujets et écartant toute révision des traités au profit de la recherche de solutions pratiques pour mieux répondre aux préoccupations des citoyens. Nos collègues ont très largement exprimé les griefs que nous avons nous-mêmes consignés dans le rapport d'information que nous avons remis en mains propres à M. Timmermans. À savoir, en particulier, le délai trop court de huit semaines pour permettre aux parlements nationaux de s'exprimer, les réponses tardives et souvent peu étayées de la Commission européenne ou encore la nécessité d'intégrer la proportionnalité dans l'examen de subsidiarité. Il en résulte un sentiment partagé d'une forme d'indifférence de la Commission aux positions des parlements nationaux. Alors même que, comme l'a souligné la représentante du Parlement européen Mme Danuta Hübner, ils assurent, avec le Parlement européen, la légitimité démocratique de l'Union européenne.
Face aux demandes légitimes des parlements nationaux, la réponse de M. Timmermans a pu paraître relativement fermée. Je comprends que la Commission ait en ce moment d'autres préoccupations en tête. On peut le rejoindre lorsqu'il reproche aux gouvernements de faire porter sur l'Europe tout ce qui ne va pas. Mais paradoxalement, il fait grief aux parlements nationaux d'utiliser la subsidiarité pour modifier le contenu des propositions de la Commission, tout en les exhortant à peser et à faire évoluer les textes plutôt que de les bloquer. Je lui ai fait valoir en aparté que nous ne voulions pas tomber dans ce travers. Mais la Commission a semblé bloquée. L'examen de la proportionnalité permet précisément d'obtenir le résultat que M. Timmermans appelle de ses voeux. Nous l'avons démontré à propos du Parquet européen : le Sénat était très favorable à sa création - nous l'avons redit dans notre avis motivé - mais pas sous la forme très centralisée et hiérarchisée qu'envisageait la Commission européenne.
Toujours est-il que le débat n'est pas clos. Nous examinerons avec vigilance le rapport de la task force pour voir dans quelle mesure nos demandes ont été effectivement prises en compte.
En conclusion, nous avons ressenti un climat de fin de mandature pour la Commission. Son vice-président Timmermans était sur la défensive. Le débat a porté surtout sur les migrations et les demandes des Balkans occidentaux. La grande surprise a été la position de la Pologne, mais aussi de la Hongrie - ma relation avec le représentant hongrois a été comme toujours excellente, sans rapport avec les positions de M. Orbán.
Merci. Il y a tellement de sujets sur la table que nous peinons à les suivre tous. Deux choses m'intéressent particulièrement ; la première est la relation avec l'Europe de l'Est, avec, en arrière-plan, les problèmes de migration. Je ne suis pas spécialiste de diplomatie parlementaire. Malgré tout, je crois que les parlementaires français devraient passer plus de temps avec leurs homologues baltes, polonais et hongrois notamment sans que cela ne porte pour autant atteinte à nos liens privilégiés avec des pays plus proches. La priorité est aux liens avec la Pologne, qui dispose du plus grand nombre de voix.
Deuxième point : les Balkans. Il faut éviter qu'ils ne se transforment à nouveau en poudrière, mais l'élargissement sera difficile. Je suis surpris que l'Europe ne soit pas capable de créer des partenariats d'intégration. C'est, à un autre niveau, le problème des intercommunalités. Certaines se demandent si elles doivent se marier avec leur voisin, les agglomérations se demandent jusqu'où aller dans l'englobement de la ruralité alentours. La conclusion est la même : il vaut mieux éviter des élargissements trop importants, sans pour autant perdre les communes rurales en route. Il faut donc adopter une logique de coopération. Je regrette que l'Union ne soit pas capable de mettre en place des coopérations plus marquées.
Je regrette comme vous que le temps d'intervention des parlementaires soit limité par les discours des intervenants extérieurs. La cartographie des parlements est-elle similaire à celle des gouvernements ? Je pense à l'Autriche et à l'Italie : la voie parlementaire ne pourrait-elle pas être une voie d'équilibre par rapport aux gouvernements ? Dans mon expérience, la cartographie est loin d'être toujours la même.
Je vais vous faire une réponse de Normand : cela dépend des pays. L'Italie n'était pas présente pour les raisons que l'on sait. Je remarque que lorsque la Cosac est réunie dans des petits pays comme Malte ou la Bulgarie, tout le monde veut parler, ce qui limite le temps disponible pour les parlementaires. Ce qui m'a marqué, c'est la position de la Commission, qui est restée fermée même sur les délais de réponse. Je comprends qu'avec les migrants ils aient la tête ailleurs.
Monsieur Bonnecarrère, j'ai bien insisté sur le fait que nous devions nous consacrer à l'approfondissement. Le dernier pays intégré, la Croatie, l'a été sans procédure référendaire. Il faudra de toute façon que les Vingt-sept donnent leur accord. Cela ne semble pas les interpeller. Il y a un sas préalable : l'accord de stabilisation et d'association (ASA).
Oui, entre le refus et la volonté de ne pas désespérer les candidats, il faut travailler cette approche.
Je rejoins notre collègue : lorsque nous envisagions l'élargissement, j'y étais plutôt réticente, préférant l'approfondissement. Après avoir étudié la question, j'ai bien vu que nous n'avions pas le choix : nous ne pouvions pas dire non à ces pays. Mais avec le recul, je crois que les critères de Copenhague ont permis une évolution très notable des pays concernés, en particulier en termes de structuration de la vie démocratique, syndicale, associative, et pour la réforme de l'économie. C'est une méthode qui a fait ses preuves. Au point où en est l'Europe aujourd'hui, nous avons besoin d'une Europe à géométrie variable, comme celle que réclamait Jacques Delors.
C'est la même chose avec les pays d'Europe centrale et orientale qui sont entrés au dernier élargissement. Mais cette géométrie variable existe déjà pour l'euro ou pour l'espace Schengen. Pourquoi ne pas pousser cette logique jusqu'au bout ?
Nous avons reçu hier une délégation du parlement du Kosovo ainsi que Mme Corina Creþu, commissaire européenne à la politique régionale. Lorsque nous lui avons dit qu'il était plus facile d'intégrer des petits pays, elle nous a répondu, avec raison, que dans de nombreux domaines, un pays égale une voix. Nous vivons une période cruciale.
Avez-vous ressenti dans vos contacts avec la délégation allemande à la Cosac le découplage ressenti entre nos deux pays ? Avez-vous constaté un détachement de la part de nos collègues de l'Est vis-à-vis des États-Unis ?
Ma réponse n'est pas très objective : je connais depuis longtemps le représentant de la CDU, M. Gunther Krichbaum. Il est apparu très marqué par la perspective de rupture avec la CSU. Un membre de l'AFD était aussi présent ; il était vraiment très à part. M Krichbaum, partisan de Mme Merkel depuis longtemps, s'est montré très inquiet. Vis-à-vis des États-Unis, nos collègues allemands veulent que l'Europe affirme sa puissance, son unité. J'ai l'impression que la fierté des pays baltes et de la Pologne d'appartenir à l'Otan, puis à l'UE, s'estompe aujourd'hui. La rencontre de Meseberg a permis des avancées, mais qui ont été totalement occultées par le débat sur les migrations. Je dois revoir notre ambassadeur Mme Paugam à Genève. L'Europe doit faire des propositions de refonte de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela fait trois ans que l'on sent que les décisions de l'OMC pèsent aux Américains. Les juges de l'Organe de règlement des différends (ORD) débordent de leur mission, ce qui les indispose au plus haut point. L'Europe, si elle veut être puissante, doit pouvoir faire des propositions.